Feuilleton : "Qui n 'a pas lutté n'a pas vécu"... : Léon Daudet ! (154)
(retrouvez l'intégralité des textes et documents de ce sujet, sous sa forme de Feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)
Aujourd'hui : Les Berthas tirent sur Paris (II)...
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ndlr : ce sujet a été réalisé à partir d'extraits tirés des dix livres de souvenirs suivants de Léon Daudet : Paris vécu (rive droite), Paris vécu (rive gauche), Député de Paris, Fantômes et vivants, Devant la douleur, Au temps de Judas, l'Entre-deux guerres, Salons et Journaux, La pluie de sang, Vers le Roi...
Modèle réduit d'une "grosse Bertha", visible au Musée de l'Armée, à Paris.
De "La pluie de sang", pages 264 à 270 :
"...Tandis que Ludendorff creusait sa poche (et aussi et surtout la fosse de ses régiments) les gothas (1) et le canon à longue portée -ou ce qu'on croyait être un canon à longue portée - ne demeuraient pas inactifs.
Les Parisiens s'étaient habitués à ces alertes perpétuelles, de jour et de nuit, et allaient à leurs occupations, comme en temps, normal.
Toutes les quarante minutes, environ, quelquefois toutes les vingt minutes, du 23 mars au 9 août 1918, on entendait l'éclatement sec de ce qu'on appelait la bertha, du nom de Bertha Krupp, femme ou fille du prétendu inventeur de ce prétendu chef d'oeuvre de tir.
Les points de chute devaient demeurer cachés à la population (j'ignore pour quelle raison) mais, en fait, ils étaient connus des journaux et répartis bizarrement selon deux directions : l'une du bois de Vincennes au bois de Boulogne, et jusqu'à Meudon. L'autre de la gare de l'Est à Malakoff et à Fontenay-aux-Roses. Les dégâts et les accidents de personnes variaent notamment avec les endroits "où ça tombait". Quelquefois aucun résultat. Quelquefois une véritable catastrophe.
C'est ainsi que le Vendredi saint, sur le coup de trois heures après-midi une "bertha" tomba sur l'église Saint-Gervais - pendant l'Office des Ténèbres et les choeurs des Petits Chanteurs à la Croix de Bois - une partie de la voûte s'écroula et quatre-vingt personnes environ, parmi lesquelles des femmes et des enfants, furent abominablement écrasés.
On s'est demandé, depuis lors, si l'église n'était pas visée précisément à cette heure-là.
On se l'est demandé d'autant plus que le surlendemain, jour de Pâques, une autre "bertha" tomba rue Michelet, à quelques trois cent mètres de Saint-Sulpice, pendant l'office du matin.
Sans compter le ministère de la Guerre qui fut "encadré", et finalement touché, par les projectiles du prodigieux canon, indépendamment des chutes de torpilles et de gothas.
Mais il n'est pas vraisemblable, quels que soient les perfectionnements de l'optique allemande (Zeiss et Cie) qu'à cent vingt kilomètres de distance on puisse préciser des objectifs déterminés de tir et pointer exactement dessus.
Ajoutons qu'à l'Armistice, ni dans la région de Fère-en-Tardenois, ni ailleurs, on n'a retrouvé aucune trace du prétendu canon, ni des prétendus canons à longue portée. Les épis, repérés et dénichés, correspondaient à des pièces d'artillerie lourde courantes.
C'est ce qui a donné naissance à une autre explication (ou peut-être une autre légende) d'après laquelle lesdits canons étaient simplement des canons ordinaires, mais "muets au départ", habilement dissimulés en deux points de la grande banlieue parisenne et tirant dans deux directions.
Il ne faut pas oublier que le camouflage de l'invention est un article allemand; qu'à l'époque dont je parle l'ennemi cherchait un effet de terreur, et que le mystère ajoute à la terreur; que l'empereur (sorti de son cabanon de demi-gâteux, à ce moment-là, tout exprès) félicita ostentatoirement la maison Krupp; enfin que le nombre des coups tirés n'augmenta pas du 23 mars au 9 août 1918; alors qu'on ne voit pas bien ce qui eût empêché la maison Krupp de construire en série ces canons phénomènes.
Soudain il arriva aux Boches, aujourd'hui (1932) si chers à la Papauté, à la Nonciature et à l'Archevêché de Paris, ceci - qui paraîtra à tout croyant de fort mauvais présage - qu'ils bombardèrent une église de Paris, pleine de fidèles, le jour du Vendredi-Saint et à l'heure même du divin sacrifice de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Sacrilège voulu, prémédité - car rien ne les forçait à tirer le canon ce jour-là, à cette heure-là et dans cette direction-là - et qui devait comporter, pour ses auteurs, un châtiment exemplaire.
Je reproduis ici l'article que le surlendemain, dimanche de Pâques, je publiai à ce sujet dans l'Action française, sous le titre "L'Abomination".
Il n'a pas encore été mis à l'Index.
Cette humble, mais sincère prédiction a faille se réaliser en novembre 1918.
"Aide-toi, le Ciel t'aidera", dit le proverbe.
Clémenceau et Foch ont eu le tort de ne pas s'aider suffisamment, de ne pas pousser la victoire jusqu'à Berlin.
Le démembrement de l'Allemagne, ainsi devenu inévitable, garantissait, pour 150 ans, la paix du monde..."
(ndlr : on lira l'article intégral dans le document suivant : ceux qui seraient surpris, voire choqués, par la dureté du ton - "férocité sacrilège du peuple allemand", "race maudite" - se reporteront aux trois documents qui le suivent, concernant - pour les deux premiers - le martyre de la cathédrale de Reims, et les propos qu'il a inspiré à Anatole France et à Ashmead Bartlett; le troisième étant l'opinion du sage et mesuré Jacques Bainville, sur les atrocités allemandes, en général, au cours de l'ensemble de la guerre... )
(1) : Gothaer Waggonfabrik (Gotha, GWF) était un constructeur allemand de matériel roulant ferroviaire établis à la fin du XIXème siècle à Gotha, ville de Thuringe, située à 23 km à l'ouest d'Erfurt, la capitale du Land. Pendant les deux guerres mondiales, Gothaer fabriqua une série de bombardiers, malheureusement pour nous très réussie...