L’Amérique va-t-elle lâcher l’Ukraine ? par Antoine de Lacoste
Pour l’Amérique, seule l’Amérique compte. Les innombrables guerres auxquelles l’Empire a participé, qu’il a favorisées, soutenues ou déclenchées, doivent toujours être analysées sous ce prisme, assez naturel somme toute mais poussé à l’extrême. Toutefois, un second constat doit compléter le premier, l’Amérique ne sait que rarement comment conclure ses initiatives belliqueuses. Sans dresser ici la liste complète de ses guerres directes ou indirectes, il est intéressant, à travers quelques exemples, d’observer que l’Amérique semble très douée pour la phase initiale, beaucoup moins pour la phase finale.
La phase initiale c’est par exemple de voler au secours de la Corée du sud en 1950 alors qu’elle est agressée par la Corée du Nord communiste. A la tête d’une coalition internationale, les Etats-Unis vont fort bien réussir le début de leur guerre en bloquant les forces communistes. Mais, forte des soutiens soviétiques et chinois, l’armée nord-coréenne résista. La situation semblait figée et Washington mit fin au conflit. Un match nul dont on ne sait pas encore s’il correspondait au but de guerre initial.
La guerre du Viêt-Nam est plus emblématique. Le scénario coréen se transposa au Viet-Nam mais cette fois l’Amérique fut seule. Elle mit des moyens considérables dans ce conflit, portant le Sud-Vietnam à bout de bras et subit de nombreuses pertes. Pire, elle se livra à un de ses exercices favoris consistant à renverser le président en place, Ngô Dinh Diem, pour offrir le pouvoir à des militaires corrompus. Le peuple américain se lassa de cette guerre sans fin que Washington ne savait pas comment terminer. L’armée plia bagage en 1973 et le monde assista, sidéré aux chutes successives de Saïgon, Pnom-Penh et Ventiane. Le triomphe communiste était complet. Tout ça pour ça.
Des buts de guerre incompréhensibles
En Irak, la pièce se déroula en deux actes. En 1991, Sadam Hussein envahit le Koweit, croyant bénéficier d’un accord américain implicite après la guerre ruineuse déclenchée contre l’Iran à la demande de Washington. George Bush se fâcha et détruisit l’armée irakienne dans le désert. Sadam n’avait plus de chars mais resta au pouvoir. En 2003, George Bush junior décida de « finir le travail ». A la tête de l’OTAN, l’armée américaine envahit l’Irak et renversa facilement Sadam qu’elle laissa pendre. Mais une guérilla islamiste se déclencha, doublée d’une guerre civile entre sunnites et chiites. Daech (L’Etat islamique) était né et infligera plusieurs milliers de morts à la tendre armée américaine qui finit, là aussi, par plier bagages. Le pays était détruit, l’Amérique avait menti sur les armes de destruction massive de Sadam et quitta un Irak en pleine anarchie.
Cette guerre absurde fut un échec total. L’Amérique s’est ridiculisée et l’on se perd en conjectures sur la finalité de l’histoire. Mettre la main sur le pétrole irakien, détruire une menace potentielle pour Israël, instaurer le chaos pour mieux contrôler la région ? Peut-être un peu de tout cela à la fois en ajoutant le goût morbide de la guerre dont les néo-conservateurs ont fait leur doctrine. Une des têtes pensantes de ce brillant dossier, ce ne pouvait être George Bush junior, fut son vice-président, Dick Cheney. Il est intéressant de noter que sa fille Liz, quoique républicaine, est une ennemie acharnée de Trump. Cela lui a coûté son mandat mais elle poursuit sa croisade. Les néo-conservateurs n’aiment pas le seul président de l’après-guerre qui ne fut pas belliciste.
Les buts de guerre en Libye en 2011 sont encore plus incompréhensibles. Il est vrai que Washington n’était pas très emballé mais Nicolas Sarkozy et James Cameron forcèrent la main d’Obama par Hillary Clinton interposée. La Libye fut détruite, son dictateur assassiné comme il se doit et ce sont aujourd’hui la Russie et la Turquie qui tirent les ficelles d’un pays en plein chaos. Cette promenade militaire a permis en outre de créer une nouvelle route des migrations vers l’Europe, ce dont nous avions sans doute un besoin urgent. L’intervention américano-européenne en Libye demeure rationnellement inexplicable mais personne n’a émis le moindre regret. Pourquoi les Américains ont-ils voulu participer au renversement de Kadhafi avec qui ils s’étaient réconciliés ? Le mystère reste entier.
Dans la foulée des printemps arabes, si mal nommés, de 2011, c’est la Syrie qui va subir l’intérêt américain. Cette fois, pas d’intervention directe dans un premier temps. La CIA fut à la manœuvre pour aider les islamistes à renverser l’alaouite Bachar el-Assad. Les services secrets anglais, français et allemands participèrent à cette brillante stratégie anéantie par l’intervention russe de 2014.
Les buts de guerre américains étaient cette fois plus lisibles. Faute de pouvoir envahir l’Iran ou d’éradiquer le Hezbollah du sud du Liban, le renversement du régime alaouite (donc un peu chiite) aurait permis de rompre l’axe chiite est-ouest au profit du renforcement d’un axe sunnite nord-sud. La Qatar aurait pu faire passer un gazoduc terrestre à travers la Syrie puis la Turquie pour alimenter l’Europe. C’est pourquoi les islamistes furent largement financés par la Turquie, le Qatar et l’Arabie Saoudite où MBS n’était pas encore aux affaires. Bien sûr, le nouveau régime aurait été islamiste et les chrétiens massacrés, mais cela fait partie des « dégâts collatéraux » qui ne doivent pas entraver les intérêts de l’Amérique.
Depuis, les Américains occupent le nord-est de la Syrie confisquant les puits de pétrole pour les donner aux Kurdes. Trump trouva la situation si absurde qu’il ordonna au Pentagone de quitter la Syrie. Celui-ci refusa tout simplement d’obéir. Les méandres du pouvoir sont plus complexes qu’on ne le croit aux Etats-Unis (de moins en moins unis d’ailleurs). Accessoirement, l’armée américaine a construit une base au sud de la Syrie lui permettant, paraît-il, d’observer les mouvements entre l’Iran et le Hezbollah.
Que faire maintenant que l’allié islamiste a été vaincu ? Partir, c’est reconnaître la victoire russe, rester ne sert pas à grand-chose. Trump se fera peut-être obéir s’il est élu en novembre.
La touche finale fut afghane. Le sémillant Joe Biden ordonna en 2021 un départ précipité, sans préparation sérieuse, abandonnant du jour au lendemain ses alliés. L’armée afghane, entraînée depuis des années par les conseillers américains, s’effondra immédiatement. Ses cadres furent supprimés par les talibans revenus au pouvoir. Deux mille milliards de dollars pour ça.
Cette fois le Pentagone avait obéi à son président, probablement parce que c’est lui qui souhaitait sortir de ce bourbier sans fin. L’affaire ukrainienne allait arriver, sans compter le dossier chinois en cours de préparation. Il ne s’agissait plus de disperser son énergie.
Alors maintenant que l’armée russe prend le dessus en Ukraine et que la Chambre des représentants américain bloque toute nouvelle aide malgré les relances incessantes de Zelensky, quelle sera la décision de l’Empire ?
En annonçant à plusieurs reprises que l’Ukraine allait adhérer à l’OTAN, Washington, Antony Blinken en tête, savait que c’était la ligne rouge que la Russie ne pouvait accepter. L’Amérique a soigneusement préparé ce conflit qu’elle a voulu rendre inévitable. L’offensive ukrainienne en préparation dans le Donbass a été la touche finale d’un scénario très au point côté américain. Poutine est l’agresseur. Ensuite, la Russie envahira sûrement les pays baltes, la Pologne et pourquoi pas la France. L’Europe occidentale baisse la tête, demande pardon pour ses liens avec la Russie à qui elle n’achètera plus de gaz pas cher.
Donc tout allait bien. Mais l’économie russe ne s’est pas effondrée et son armée démontre que l’Ukraine ne gagnera pas. Tout ce qu’elle peut faire, c’est retarder l’inéluctable échéance au prix de pertes absurdes. Pire : l’armée russe a acquis une expérience unique et renforce son armement de façon impressionnante, au contraire de l’occident qui a vidé ses stocks et ne sait plus très bien quoi faire à part gesticuler comme Emmanuel Macron.
Alors que faire ? Une fois de plus, comment finir cette guerre ? Une fois de plus, partir ou rester dans un bourbier ? La réponse sera peut-être donnée en novembre ou peut-être un peu avant.