L’Arabie Saoudite, au cœur du basculement géopolitique, par Antoine de Lacoste
Depuis le déclenchement de l’opération Z par la Russie, les équilibres (ou déséquilibres) géopolitiques ont été bouleversés.
La croisade dans laquelle s’est lancée l’Occident, sous la houlette de Washington et de Londres, n’a pas convaincu ce qu’il appelle avec un brin de mépris, "le reste du monde ".
La posture morale de l’occident indispose particulièrement ce Sud global qui connaît bien la géométrie très variable des principes moraux martelés par les anglo-saxons et leurs dociles serviteurs. Les Africains n’ont pas oublié la folle intervention contre la Libye à laquelle ils étaient opposés et les Etats du Proche-Orient n’ont jamais accepté l’agression contre l’Irak fondée sur des mensonges qui n’ont trompé personne.
L’ADHESION AUX BRICS
Au Proche-Orient précisément, un évènement capital vient de se dérouler : l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis ont rejoint l’alliance des BRICS composée du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud.
Les BRICS sont souvent présentés comme une riposte au monde occidental. Ce n’est pas faux car la présence de deux pays sous sanctions américaines, la Chine et la Russie, est loin d’être neutre. Mais ce n’est pas tout à fait vrai non plus car le Brésil et surtout l’Inde n’ont pas fait de l’occident leur adversaire. Ce qui est certain en revanche, c’est que tous ces pays en ont assez d’être sous-représentés dans des instances internationales comme le FMI ou la Banque mondiale, dirigés in fine depuis Washington.
L’arrivée de ces poids lourds du pétrole et du gaz, imités par l’Iran, l’Egypte, l’Ethiopie et l’Argentine, marque une avancée majeure dans les ambitions des BRICS, dont l’une est capitale : dédollariser le monde, seul moyen de réduire l’hégémonie américaine.
La présence de l’Arabie Saoudite a une haute valeur symbolique. Elle qui fut l’indéfectible allié de l’Amérique depuis le Pacte du Quincy de 1945, ne craint pas de se rapprocher de pays dont l’Amérique a fait ses ennemis : la Russie, la Chine et l’Iran.
Un homme est derrière ce changement stratégique : Mohamed ben Salman (MBS), le prince héritier du royaume. Il bouscule les codes, s’affiche tout sourire avec Vladimir Poutine, le paria de l’occident, reçoit en grande pompe Xi Jinping et vient même de sceller un début de réconciliation inattendue avec l’Iran.
L’Amérique a voulu l’écarter après l’assassinat du militant d’opposition Kashoggi, réfugié aux Etats-Unis, mais ayant commis l’imprudence de rendre visite au consulat saoudien de Téhéran. Il n’en sortit jamais.
Joe Biden, alors en pleine campagne électorale, eut cette phrase immortelle : « nous ferons d’eux les parias qu’ils sont ». MBS n’a pas oublié. Il a accepté que la Chine paye ses achats de pétrole en yuan et a baissé encore sa production de pétrole afin de faire remonter encore les prix. Il satisfaisait ainsi les souhaits de la Russie et envoyait un camouflet historique à Biden venu lui rendre visite pour lui demander d’augmenter sa production.
Bien sûr, MBS, homme prudent, ne veut pas de rupture avec Washington et il envisage sérieusement la reconnaissance de l’Etat d’Israël en échange d’armes américaines sophistiquées. Même si l’heure est à la détente avec le voisin iranien, il ne veut pas être pris de court en cas de retournement.
LA FIN DU WAHABISME ?
Le royaume saoudien connaît également de grands changements à l’intérieur. Tout en restant une autocratie, l’Arabie desserre progressivement l’étau religieux qui étouffe le pays. Le clergé wahhabite est prié de se faire discret au point que MBS a fait passer la consigne de baisser le son de l’appel à la prière des mosquées. Les femmes peuvent conduire et travailler et le pays s’ouvre au tourisme qui devrait connaître un bond dans les années à venir.
La vieille alliance entre les Séoud et le wahabisme, doctrine très rigoureuse de l’islam, se relâche. Le clergé sait qu’il n’a pas de pitié à attendre de MBS s’il tente d’agiter ses fidèles et la jeunesse, démographiquement importante, soutient massivement ces changements de cap.
L’Arabie Saoudite a pris un nouveau chemin. On s’en réjouit à Pékin et Moscou, beaucoup moins à Washington.