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Rémi Brague soulève les ambiguïtés de l’islam et les méprises de l’Occident, par Annie Laurent

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Dans son livre Sur l’islam, le philosophe Rémi brague prend à bras-le-corps les questions posées par l’islam à notre civilisation, jetant la clarté de l’analyse sur les obscurités et les contradictions d’un phénomène déroutant pour les esprits qui s’obstinent à penser qu’il est seulement une religion.

 

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Rémi BRAGUE, Sur l’islam, Gallimard, 2023, 385 p., 24 €.

 

Conscient des ambiguïtés, des malentendus et des contradictions qui caractérisent trop souvent le discours des Européens sur l’islam, Rémi Brague, philosophe médiéviste et arabisant, entreprend dans ce livre érudit et fouillé de remettre à leur juste place les principaux concepts d’une religion-civilisation qui, malgré sa simplicité et son évidence apparente, voire sa proximité avec le christianisme, constitue un système complexe et étranger à notre foi ainsi qu’à la culture qu’elle a engendrée. Dès lors, si l’on veut comprendre l’islam en ce qu’il est réellement, il faut cesser d’en parler en utilisant avec assurance un vocabulaire chrétien alors que des mots identiques n’ont bien souvent pas du tout le même sens. Telle est la conviction de l’auteur et l’on ne peut que la partager en ces temps de confusions généralisées. C’est pourquoi son œuvre mérite la plus grande attention.

Le livre s’ouvre sur une mise au point quant à la manière d’aborder le sujet en vérité : ne pas craindre d’être accusé d’islamophobie, celle-ci fût-elle « savante », étiquette dont Brague a déjà eu à pâtir, comme il le confie. Soulignant que le terme « islamophobe » ne peut s’appliquer qu’à des personnes, et non à une doctrine, le philosophe explique que cet amalgame revient à pratiquer l’équivalence entre « la science la plus exigeante et le racisme le plus obtus » et à confondre « une religion avec ses adeptes ». Il en souligne un autre inconvénient : « Parler d’islamophobie empêche de porter sur ce dont il s’agit un quelconque jugement de valeur ». Or, pour lui-même, il entend être respecté dans ses convictions. « Je n’ai jusqu’à présent trouvé aucune raison qui me pousse à considérer l’islam comme vrai, Mahomet comme un authentique prophète ou même comme un bon exemple, et le Coran comme un livre divin ». Saluons au passage le courage de cette déclaration.

Pour autant, la démarche du savant n’a rien de polémique. En pédagogue assumé, R. Brague a choisi la clarté et la rigueur, un double souci qui parcourt l’ensemble du texte, en commençant par les diverses significations du mot « islam » : rapport au divin, doctrine prêchée par Mahomet, fait historique, civilisation, ensemble des peuples musulmans.

Des parties essentielles sont consacrées aux considérations religieuses. L’auteur rappelle l’écart infranchissable qui sépare le Dieu des chrétiens et le Dieu des musulmans dans leur rapport à l’humanité : l’Incarnation. La Révélation chrétienne enseigne que Dieu s’est fait connaître tout en restant mystérieux tandis que, dans l’islam, il reste « caché ». L’apologétique supplante ainsi la théologie.

Puis, Brague s’attarde sur des questions de bon sens. Quelles sont la cohérence textuelle et la crédibilité doctrinale de l’islam lorsque l’on découvre les contradictions qui émaillent le Coran, un livre sensé émaner de Dieu seul, donc incréé et non pas inspiré comme la Bible ? Ou lorsque l’on apprend que les versets les plus conviviaux, tels ceux qui concernent les chrétiens, datés des débuts fragiles de la prédication de Mahomet, sont abrogés, en un temps plus faste, par des prescriptions hostiles, les uns et les autresvenus du Ciel? S’ajoutent à cela les confusions entretenues par la présence dans le Coran de noms bibliques attribués à des personnages dont le parcours s’inscrit dans une perspective étrangère à celle de l’Ancien et du Nouveau Testament. Assurément, l’islam a un problème avec l’histoire ! Et puis, comment faire le tri entre les catégories de hadîths (récits d’actes et paroles attribués à Mahomet), tous réputés normatifs comme compléments du Coran, sachant que « les plus fréquemment cités ne sont pas ceux dont l’authenticité est la plus sûre » ?

Il faut remercier l’auteur de rappeler que l’adjectif « tolérant », volontiers appliqué à l’islam, est étranger à l’idée d’égalité ou de respect qu’il suggère en Occident. En islam, la tolérance relève du droit : elle organise la supériorité d’un régime musulman sur ses ressortissants d’autres religions ; c’est pourquoi elle « ne peut admettre la légitimité des droits des incroyants ». On comprend alors pourquoi la laïcité est inconcevable dans un tel contexte politico-religieux.

Le philosophe insiste sur la centralité de la charia (loi islamique), rappelant qu’en islam « Dieu est le seul législateur légitime » et que ses prescriptions concernent jusqu’aux actes les plus anodins. Avec raison, il explique la méfiance du Coran envers tout ce qui relève de la nature (le mot en est absent), celle-ci pouvant être perçue comme « une sorte de divinité rivale ». Une exception de taille cependant : l’islam est la « religion innée » de tout être humain, que ce dernier l’accepte ou pas ! Donc, pas de loi naturelle et pas de recours à la rationalité. Dans ces conditions, s’interroge Brague, comment peut-on envisager une entente sociale entre musulmans et non-musulmans, sachant qu’en outre le mensonge est licite lorsqu’il sert la cause de l’islam ou bien protège l’identité islamique de l’individu ou de la société ?

Tout cela, avec d’autres principes décrits dans l’ouvrage, répond à un objectif supérieur : assurer le triomphe universel de l’islam. Telle est sa vocation. Et Dieu garantit le succès : « Il a envoyé son Apôtre [Mahomet] avec la religion vraie pour lui faire vaincre toute religion », lit-on dans le Coran (9, 33). On comprend dès lors la légitimité que l’islam confère au recours à la force sous toutes ses formes. Celui-ci ne saurait être limité à un acte de défense, son aspect offensif étant légitimé par l’exemple de Mahomet, puis validé par de célèbres juristes. « Le tour de force de l’islam apparaît ici : faire dépendre du bien le plus élevé, à savoir Dieu, lemal le plus bas, le meurtre », commente l’auteur, attirant l’attention du lecteur sur la fausseté de la formule usuelle qui tend à opposer le « grand djihad », qui serait spirituel, au « petit djihad », qui serait offensif. La palette du djihad prévoit aussi des « moyens patients »: fécondité, séduction, surveillance, chantage, intimidation, etc.

Brague aborde enfin « l’ankylose » qui affecte le monde musulman, situation dont l’Europe porterait la responsabilité, selon des idées infondées qu’il s’applique à défaire, fournissant à ce sujet d’utiles précisions historiques. Ainsi rappelle-t-il que ce déclin a commencé au XIème siècle. Quant à la réforme tant attendue en vue de restaurer « l’islam plus vrai », il en démontre l’utopie puisque « ce sont les sources qui contiennent les éléments les plus inquiétants ».

Certains reprochent à l’auteur de ne pas tenir compte des études actuelles qui tendent à déconstruire l’historicité traditionnelle de l’émergence de l’islam au VIIème siècle. Il se défend d’une attitude délibérée, appuyant son doute sur des éléments précis, dont il tire cette conviction, à savoir que « les origines réelles de l’islam sont obscures et ont de bonnes chances de le rester longtemps encore ». Ce qui a servi de fondement à son travail, précise-t-il, est la prise en compte de la trame islamique bâtie au fil du temps par le monde musulman. Comment pourrions-nous autrement saisir les caractéristiques d’une civilisation avec laquelle il nous faut cohabiter ?

 

Article paru dans L’Homme nouveau n° 1785 du 3 juin 2023.

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