UA-147560259-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Les 32 heures ou le degré zéro de la pensée politique, par Natacha Polony.

"Voilà des décennies que, politiquement et médiatiquement, le débat se concentre autour de l’emploi, sans que plus personne ne se pose la question essentielle du travail."
© Hannah Assouline.

Une société qui a décrété collectivement que « le travail » est aliénant et qui élève ses enfants dans l’idée qu’il ne peut être qu’un élément pénible prive ses membres d’une dimension essentielle de l’existence humaine en même temps qu’elle se condamne à dépendre du reste du monde et à s’appauvrir inexorablement, écrit Natacha Polony, directrice de la rédaction de "Marianne".

C’est un passage obligé de chaque élection présidentielle : le retour de la réduction du temps de travail. Cela dit, on peut aussi se réjouir : quelques minutes de temps médiatique durant lesquelles on se souvient que réellement, pour « changer la vie », on ne peut se contenter de parler immigration et identité. Mais il ne faut pas rêver, l’échappée s’arrête là, on n’ira pas plus loin que quelques déclarations péremptoires des Verts ou des Insoumis sur le « partage du temps de travail » qui « seul » permettrait de créer des emplois. Le travail, son temps, sa nature, il y a longtemps que nous avons cessé collectivement de l’appréhender politiquement. Pour preuve, la polémique autour des propos de la ministre chargée de l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher, qui a vanté « la magie de l’usine », « la magie de l’atelier où on ne distingue pas le cadre de l’ouvrier ». Mary Poppins en politique…

Valeur travail

Voilà des décennies que, politiquement et médiatiquement, le débat se concentre autour de l’emploi, sans que plus personne ne se pose la question essentielle du travail. À l’exception notable de la campagne de 2007, centrée, chez Ségolène Royal comme chez Nicolas Sarkozy, sur la « valeur travail ». Mais les deux, à leur manière, se contentaient de répondre au fiasco des 35 heures. Fiasco, oui, parce que, malgré les calculs d’épicier sur le nombre d’emplois créés, calculs qui oublient systématiquement tout le reste – la désorganisation de l’hôpital, de la police, de l’ensemble des administrations, et le nombre d’emplois détruits par la perte de compétitivité des entreprises –, les 35 heures (contre lesquelles Marianne s’est toujours élevé) ont surtout détruit l’idée même de travail comme étant autre chose qu’une torture dont il faudrait s’extraire. D’où l’unique proposition d’aujourd’hui, réduire encore le temps de travail, puisque le travail, par essence, aliène, et que la vie humaine sera enfin épanouie quand les hommes pourront s’adonner aux loisirs et choisir leurs activités en fonction de leurs aspirations. D’où, également, l’idée récurrente d’un revenu universel, qui permettrait à chacun de choisir s’il veut ou non travailler.

On comprend le présupposé, ancré dans la culture d’une part de la gauche : le travail, c’est l’usine, la chaîne, la mine, c’est brutal et destructeur. Ajoutons que, depuis l’éradication de la classe ouvrière par la désindustrialisation, les partis de gauche sont essentiellement constitués de fonctionnaires et d’intellectuels précaires pour qui le travail manuel est forcément dégradant. Dans cette vision du monde disparaissent non seulement la fierté du travail bien fait et le plaisir de produire, mais aussi l’ampleur des savoir-faire de chaque ouvrier. Il ne vient pas à l’esprit de ces penseurs hors-sol qu’une des difficult��s pour réindustrialiser est aujourd’hui la déperdition de ces savoir-faire précieux, comme on le voit dans tous les domaines de la confection et du textile.

L’option Jacques Attali

Variante de ce mépris pour le travail, l’option Jacques Attali : le travail est aliénant, l’émancipation viendra quand chacun sera autoentrepreneur, libre de décider de son temps, de ses clients… Dans le monde réel, cela donne quelques privilégiés capables de monter une petite entreprise de microbrasserie ou de sculpture sur bois, et tout le reste transformé en chauffeur Uber ou livreur Deliveroo. Le travail à la chaîne, les syndicats en moins.

Que penser de la transformation des chantiers de La Ciotat en un pôle où l’on trouve désormais une école de toilettage pour chiens ?

Il faut lire l’excellent livre de Jérôme Fourquet et Jean Laurent Cassely, la France sous nos yeux, pour comprendre le bouleversement de la société française à travers la désindustrialisation et la transformation progressive du pays en parc de loisirs. Quand on cesse de produire, seuls restent les emplois liés à la nouvelle société du tourisme et les emplois d’aide à la personne (le fameux « care » vanté par la dame des 35 heures, Martine Aubry), mal rémunérés, peu considérés, et qui ne créent que très peu de valeur ajoutée. Est-il réellement plus épanouissant de jouer les agents d’ambiance à Disneyland que de travailler chez Renault ? Ou, pour reprendre un exemple cité par Jérôme Fourquet, vaut-il mieux être marin pêcheur (malgré la dureté du métier mais avec tout ce qu’il véhicule d’histoire et de noblesse) ou réparer les yachts des Parisiens ? Que penser de la transformation des chantiers de La Ciotat en un pôle où l’on trouve désormais une école de toilettage pour chiens ?

Il existera toujours des métiers pénibles, des métiers peu épanouissants, et le rôle d’une République sociale est de garantir pour ceux qui les exercent d’en limiter la pénibilité et de protéger leurs droits. Elle doit également permettre que tout travail soit rémunéré correctement, et pour cela ne pas mettre les travailleurs en concurrence avec ceux, partout dans le monde, qui sont exploités jusqu’à l’esclavage. Mais une société qui a décrété collectivement que « le travail » est aliénant et qui élève ses enfants dans l’idée qu’il ne peut être qu’un élément pénible, mais le moins prenant possible, entre des plages de loisirs ou de recentrage sur son cocon familial, prive ses membres d’une dimension essentielle de l’existence humaine – la capacité de l’être humain à créer, à produire, à partir du monde qui l’entoure – en même temps qu’elle se condamne à dépendre du reste du monde et à s’appauvrir inexorablement.

Source : https://www.marianne.net/

Écrire un commentaire

NB : Les commentaires de ce blog sont modérés.

Optionnel