Afghanistan Taliban, Islam et fait tribal : petit retour sur quelques confusions médiatiques, par Xavier Raufer.
Alors que le nouveau gouvernement a été présenté en Afghanistan par les Taliban, la réalité tribale du pays est souvent méconnue.
À l'été 2021, on lit dans les médias dits d'"information" les mêmes sottises sur l'Afghanistan, les Taliban, les gentils et méchants régionaux, que vingt ans auparavant.
Voilà, à titre correctif, l'indéniable réalité régionale, preuves à l'appui. Loin des fariboles médiatiques, connaître cette réalité permet cependant un crucial diagnostic, seul capable empêcher, à l'avenir, des désastres pires encore que l'actuel.
En 1992, Shah Massoud s’empare de Kaboul. Le régime communiste afghan s’effondre, Mohamed Najibullah se terre. Que deviennent les généraux pachtounes de l’ex-armée rouge Afghane et du KGB afghan, le KHAD, qu’ils soient de la fraction Khalk (parti communiste pro-chinois) ou Parcham (prosoviétique) ?
De 1990 à 1992, ces marxistes-léninistes purs et durs se laissent pousser la barbe et s'engagent discrètement chez le salafiste Gulbuddin Hekmatyar, tous Pachtounes ! dans les coups durs, la fraternité tribale est une valeur bien plus sûre qu'une religion sur laquelle les occidentaux s’obnubilent. Exemples [1]:
- Commandant en chef l’artillerie de l’armée rouge afghane, le général Shahnawaz Tanaï passe chez Hekmatyar en 1990 ; en 1995 chez les Taliban.
- Le chef Taliban « Mollah Borjan » (aujourd’hui décédé) est l'ex-général "communiste" Turan Abdurrahman.
- Chefs du service de renseignement des Taliban, Shah Sawar et Mohamed Akbar sont d’anciens patrons, l'un du SR militaire de l’armée rouge afghane, l'autre du KHAD.
- Mohammad Gilani, général en chef de l’« armée de l’air » des Taliban, provient aussi de l’armée communiste.
Cette réalité tribale explique le soutien du Pakistan aux Taliban : en 2020, on y compte 20 millions de Pachtounes indigènes, d’abord implantés dans la Province de la frontière du Nord-ouest ou Pakhtunkhwa, plus 3 millions de Pachtounes-afghans réfugiés - en fait, plus de Pachtounes au Pakistan qu’en Afghanistan même !
(Gros) arrangements entre... ennemis
De 1996 à 2001, les Taliban contrôlent 90 % de l’Afghanistan. Seules leur échappent deux enclaves du nord du pays, l’une peuplée d’Ouzbeks, l’autre de Tadjiks ; associées en une branlante « Alliance du Nord ». L'enclave tadjike occupe la vallée du Panshir, isolée par de hautes montagnes, percées de rares gorges. Les méchants Taliban y assiègent de gentils Tadjiks dont l'émir est Shah Massoud, icône absolue des médias occidentaux ; tous deux censés se combattre sans merci.
Or durant tout le « blocus », les Taliban eux-mêmes alimentent la vallée du Panshir par le trafic quotidien de centaines, voire de milliers d’ânes chargés de nourriture, pièces détachées, carburant & denrées diverses. Les témoins sont formels : ce n’est ni une initiative locale, ni un trafic à l’insu des responsables du blocus, ni une tolérance ; c'est un système sophistiqué. Tout âne est taxé 10 $US la « rotation » ; en voyant passer 500 d’un coup à la seule passe de Giobah, un témoin admiratif du volume trafiqué qualifie les Taliban de business-friendly...[2]
Résumons. Pour les politiciens et médias occidentaux, à un bout de la chaîne, les méchants ; à l’autre les gentils ; les journalistes narrent le fanatisme et la férocité des uns, la modération et la modernité des autres. Or gentils et méchants partagent en douce les profits du trafic : l’argent déversé sur l’"Alliance du nord" alimente pour part – bien sûr, derrière le dos des naïfs qui l'entretiennent – le budget du Mollah Omar et d'al-Qaïda.
Octobre 2001 : les États-Unis attaquent l’Afghanistan et ordonnent aux « combattants de la liberté » de l’"Alliance du Nord" de capturer Ben Laden, le Mollah Omar et les cadres Taliban et d’Al-Qaida. Grave échec. Comment s’en étonner ? « Balance »-t-on un associé, un complice ? Longtemps, la mission de traquer "les djihadistes" sera ainsi confiée à d’analogues caméléons... Voire aux mêmes. Avec le succès qu'on a vu.
[1] Voir la révélatrice étude du chercheur Finlandais Anssi Kristian Kullberg, expert de l’Asie Centrale et de l’Afghanistan, Turkistan Bülteni, 19/12/2001.
[2] Voir : In conquered Kabul, Tim Judah, New York Review of Books, 20/12/2001.
Docteur en géopolitique et criminologue.
Il enseigne dans les universités Panthéon-Assas (Paris II), George Mason (Washington DC) et Université de Sciences politiques et de droit (Pékin)
Source : https://atlantico.fr/