Entre synergie et conflits d’intérêts, par François Schwerer.
Tous les experts sont penchés au chevet de l'État français pour l'aider à résoudre la crise. Un collège rare de bonnes volontés guide le président Macron au service de l'intérêt général – et de quelques intérêts particuliers, aux compétences évidemment incontournables.
Depuis le début de la crise sanitaire, le président Macron n’a de cesse de réunir des comités divers, de faire appel à des conseils « scientifiques », de mobiliser des multinationales spécialisées, pour une meilleure synergie. La « start-up nation » se doit d’être efficace pour gagner la guerre déclarée au virus. Mais cette coopération au sein d’une nébuleuse dont les Français ont du mal à percevoir l’étendue réelle ne risque-t-elle pas d’abriter aussi quelques conflits d’intérêts ?
Le mari de la présidente et le secret des affaires
À la fin du mois de juillet, on apprenait, par hasard, que le mari de la présidente de la Commission européenne, le docteur Heiko Van der Leyen, était devenu en décembre 2020, le directeur médical de la société américaine Orgenesis dont l’objet est « d’exploiter le potentiel de la thérapie cellulaire et génique ». Cette société qui indique officiellement travailler « à rendre les thérapies commercialement accessibles » est dirigée par Verde Caplan, diplômée en « génie biomédical » de l’université de Tel Aviv. Parmi les principaux actionnaires de cette entreprise on trouve naturellement l’investisseur américain BlackRock[1]. La société Orgenesis s’était révélée le 13 mai 2020 en annonçant le lancement de sa nouvelle « plateforme de vaccins cellulaires ciblant le syndrome respiratoire aigu coronavirus 2 (SARS-CoV-2) », le virus qui cause la Covid-19. Compte tenu de ses nouvelles responsabilités, il est normal que le docteur Van der Leyen puisse donner des conseils à la présidente de la Commission, notamment sur la façon d’obtenir des produits de « thérapie cellulaire et génique » à des conditions « commercialement accessibles ».
Or, le Financial Times a annoncé le 1er août 2021 que Pfizer et Moderna augmentaient le prix des vaccins en Europe, ce qui n’a pas choqué les Français puisque c’est la Sécurité sociale qui paye et que, pour eux, les vaccins ont donc l’apparence de la gratuité. De plus, cette hausse intervient alors que les États entretiennent l’inquiétude sur la flambée du variant delta et que des études « non publiées » auraient prouvé que les vaccins de Moderna et Pfizer/BioNTech devraient rester efficaces face à ce variant. Notons qu’avant cette annonce, fin juillet, le laboratoire Pfizer prévoyait d’écouler en 2021 pour 33,5 milliards de dollars de vaccins contre la Covid-19, soit bien plus que les 26 milliards de dollars sur lesquels le groupe tablait deux mois plus tôt. Moderna, tablait, en mai, sur des ventes annuelles de 19,5 milliards de dollars. Mais la santé n’a pas de prix.
Lorsque cette hausse a été annoncée, la présidente de la Commission européenne s’est refusée à tout commentaire, au nom de la confidentialité des contrats. Le commissaire chargé du marché intérieur, Thierry Breton, en a fait autant. Il est vrai qu’il a une longue pratique du secret des affaires[2]. En effet, si c’est lui qui, le premier, a annoncé le 15 juin 2021 la mise en place du passeport sanitaire européen, il n’avait pas dit alors que, pour le rendre infalsifiable, il serait équipé d’un QR Code, cette invention japonaise mise au point pour la gestion des stocks de pièces détachées. Si son usage est libre, la gestion et le traitement sont, en France, le quasi-monopole de la société Atos dont il fut le président jusqu’à sa nomination à la Commission européenne et dont Edouard Philippe a été nommé membre du Conseil après avoir été remplacé au poste de Premier ministre par Jean Castex[3].
Papa, maman, mon fils et moi
On a beaucoup parlé du Conseil constitutionnel qui a avalisé la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire. Le président des « Sages » n’est autre que Laurent Fabius, habitué de la gestion de ce genre de difficultés puisqu’il s’était déjà illustré dans l’affaire du sang contaminé. Il devait bien connaître l’importance de cette loi car il pouvait se renseigner auprès de son fils, Victor[4], administrateur de McKinsey France, cabinet qui conseille les opérations marketing de tous les grands laboratoires pharmaceutiques (Pfizer, Moderna, BioNTech…) et à qui le président Macron a confié la stratégie vaccinale du Gouvernement français ! Le cabinet McKinsey a donc été mandaté par le Gouvernement pour mettre en œuvre « la définition du cadrage logistique, le benchmarking et la coordination opérationnelle du plan de vaccination ». Au printemps 2020, le même cabinet McKinsey avait déjà été missionné pour l’élaboration d’une « stratégie des tests », le gouvernement s’étant découvert, avec stupeur, incapable d’évaluer les capacités de production de tests PCR sur le territoire français.
Laurent Fabius pouvait aussi avoir accès à des informations importantes dont il peut faire profiter la France puisqu’il est membre, aux côtés d’Alain Mérieux, du Comité stratégique de la France-China Foundation, dont l’objet est d’encourager « la confrontation des points de vue, le développement de relations entre les dirigeants Français et Chinois, pour stimuler leur intérêt pour l’autre pays et les inciter à mettre en place des projets communs ». Pour cela, cette fondation a développé un programme Young Leaders qui « favorise les échanges entre Français et Chinois à fort potentiel d’horizons divers (économie, politique, culture, médias) qui joueront un rôle important dans leur pays ou dans les relations Franco-chinoises ». Chaque année, depuis 2012, dix jeunes Français « prometteurs » sont ainsi sélectionnés pour faire vivre ce projet. La sélection est judicieuse puisque c’est devenu une véritable pépinière de futurs ministres[5].
Les liaisons dangereuses
Le 2 août 2021, une information, passée inaperçue, a annoncé que le président Macron avait reçu des représentants du très secret Dolder Club – tellement secret que toutes les autorités de concurrence semblent en ignorer l’existence –, juste avant que son Premier ministre, Jean Castex, annonce que la mise sur le marché de nouveaux médicaments serait facilitée. Les dernières informations fiables que l’on possède sur ce Dolder Club remonte à 2018 où il était notamment articulé autour de Jaquin Duato, le dirigeant de Johnson and Johnson, Kenneth Frazier, PDG de Merck and Co, Lars Fruergaard Jorgensen, du laboratoire Navo Nordisk, Pascal Soriot, PDG d’AstraZeneca, Christophe Weber, le directeur français de Tadeka, et Serge Weinberg, président du conseil d’administration de Sanofi et ami personnel d’Emmanuel Macron, depuis qu’ils s’étaient rencontrés au sein de la « Commission Attali pour la libération de la croissance ». C’est ce dernier qui l’avait présenté à la banque Rothschild où il avait notamment négocié le rachat de la branche « lait infantile » de Pfizer par Nestlé. En 2018, le président Macron avait déjà reçu des représentants du Dolder Club, juste avant la réunion d’un « Conseil stratégique des industries de santé » qui avait décidé l’annonce par le premier ministre de l’époque, Edouard Philippe, d’un nouveau système de régulation du prix des médicaments apportant une garantie minimale annuelle de 0,5 % de croissance du chiffre d’affaires pendant les trois ans à venir, garantie pouvant aller jusqu’à 3 % pour les médicaments dits « innovants ». Dans le compte-rendu diffusé alors, il avait été dit qu’à cette occasion, les laboratoires pharmaceutiques avaient plaidé pour rendre la vaccination contre la grippe obligatoire pour les personnes âgées de plus de 65 ans.
Monsieur Macron et son gouvernement savent donc réunir les meilleures compétences et mobiliser toutes les énergies pour la sauvegarde de la santé publique. Et surtout, il sait travailler dans la continuité. Lorsqu’il fut entendu pour fraude fiscale, l’ancien ministre du budget, le docteur Cahuzac, avait déclaré que « deux versements des laboratoires Pfizer » avaient été effectués en 1993 sur un compte ouvert en Suisse et étaient destinés au financement d’activités politiques au profit de Michel Rocard. Cela fait donc un certain temps que Pfizer répond aux besoins de la santé publique en France.
Mais de la synergie aux conflits d’intérêts, la mesure n’est pas longue. Rappelons cependant qu’un conflit d’intérêts n’est pas, en droit français, quelque chose de répréhensible même si, d’un point de vue moral, la question peut se poser. Rappelons aussi que la co-opération entre plusieurs acteurs d’un secteur – fût-il pharmaceutique – peut être une chose efficace, même si le droit de la concurrence n’y trouve pas forcément son compte.
Illustration : De gauche à droite : Serge Weinberg (directeur de Sanofi), le President Emmanuel Macron, Paul Hudson (Sanofi), Olivier Bogillot (président de Sanofi France), en juin 2020 lors de la visite des laboratoire Sanofi-Pasteur près de Lyon.
[1] . On trouve aussi son « principal concurrent », le Vanguard Group. Ces « investisseurs » sont présents au capital d’Atos, de Pfizer, de Sanofi, d’AXA et de beaucoup d’autres et détiennent à eux deux plus de 10 % du capital de Novavax dont la Commission européenne a acheté, début août, 200 millions de doses du vaccin anti-covid avant même que l’Agence européenne du médicament ait donné un accord de mise sur le marché.
[2] . Lorsqu’il était ministre de l’économie et des finances, Thierry Breton avait négocié les marchés publics pour la mise en place des radars automatiques. On lui avait alors reproché un manque de transparence, le soupçonnant de « favoritisme ».
[3] . En 2005/2006, Jean Castex, directeur de l’hospitalisation et de l’organisation des soins au ministère des Solidarités et de la cohésion sociale, après avoir négocié l’achat des vaccins contre la grippe H1N1, a participé à l’introduction de la notion d’objectifs et de rentabilité dans l’hôpital et à une rationalisation des coûts, laquelle a notamment introduit la tarification à l’activité…
[4] . Comme il avait pu se renseigner auprès de son père pour savoir comment exonérer les œuvres d’art de l’impôt sur les grandes fortunes et auprès de sa mère pour savoir à partir de quel total de bilan on pouvait nationaliser les banques.
[5] . Emmanuel Macron, Mathias Feld, Edouard Philippe, Franck Riester, Brune Poirson, Agnès Pannier-Runacher, Olivier Véran, Olivia Grégoire, Jean-Baptiste Djebbari…
Source : https://www.politiquemagazine.fr/