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Choquer, est-ce nécessaire ?, par Philippe Bilger.

Mon titre n'a rien à voir avec la vie sociale, amicale ou familiale, l'urbanité souhaitable ou non de tous les jours.

Mais tout avec le journalisme. On n'en a jamais plus parlé que depuis la décision si contestée du CSA qui a contraint CNews à se séparer d'Eric Zemmour dont on mesurera ainsi, par contraste, l'incroyable impact.

4.jpgLors de l'entretien passionnant qu'EZ a eu dans la matinée du 8 avec Pascal Praud, on a pu remarquer l'extrême intelligence du premier qui a su expliciter certains de ses pensées, provocations et propos abrupts grâce au questionnement du second. Ce qui apparaissait immédiatement comme scandaleux ou incongru a pu être développé, expliqué et peut-être compris même en demeurant sans doute désapprouvé par quelques-uns.

Une interrogation a fait qu'EZ, qui se voyait reprocher de choquer, loin de s'en défendre s'en est félicité en soutenant que dans le débat médiatique il convenait de le faire.

J'entends bien que, comme il l'a repris de Mai 68, "tout est politique" mais il me semble cependant qu'on a le droit, sous le pavillon général du journalisme, de distinguer plusieurs familles.

Je ne crois pas qu'on puisse soutenir que dans le domaine de l'information tout soit politisé au point de ne laisser place qu'à l'engagement et à la partialité. J'admets volontiers qu'il faut laisser de côté le principe de l'objectivité pour le remplacer autant que possible par l'exigence de l'honnêteté intellectuelle.

J'ai déjà entendu des questionnements et des interventions dans l'espace médiatique qui ne permettaient pas de deviner de quel bord était l'animateur. Je défie quiconque de me dire les opinions politiques de Patrick Roger qui inspire et anime la matinale de Sud Radio. Dans son exercice professionnel rien ne vient contredire ce qu'appellent une information et un questionnement à la fois compétents et pugnaces. Aucune immixtion partisane et nul déséquilibre du temps de parole.

Quand EZ renvoie Léa Salamé et Laurent Ruquier dans leur camp en soulignant que France 2 fait de la politique et que bien sûr la radio publique qu'est France Inter n'a jamais attiré l'attention du CSA pour l'unique raison que la seule absence de pluralisme acceptable est celle de gauche, d'une gauche orientée, subtile, diffuse, univoque, très bien-pensante, d'un conformisme accablant, il a absolument raison.

À partir d'un tel terreau, il faudrait du génie aux journalistes concernés pour sortir leur épingle du jeu. C'est le contraire qui se produit.

Tout fait signe et sens par exemple chez Léa Salamé, la componction, le visage venant ajouter ou non une légère réprobation, le questionnement basique précisément parce qu'il s'est installé dans un seul registre et que loin de couvrir toute la palette intellectuelle et politique, jamais il ne surprend, pas plus elle-même que la personne qu'elle questionne. La seule manière de dissimuler le caractère simpliste et hémiplégique de l'entretien serait d'en faire un feu d'artifice : on en est loin.

Ce n'est pas dire qu'elle n'a pas une très bonne réputation dans son univers. Comme certains autres. Mais il suffit de les voir et de les entendre la curiosité en éveil, pour deviner que le médiatique est comme le judiciaire : ceux dont on parle peu, qu'on ne vante jamais, sont souvent les meilleurs. Par exemple Marion Mourgue au Grand Jury LCI éclabousse par ses interrogations brèves, courtoises, débarrassées de tout ce qu'un Adrien Gindre notamment charrie comme préjugés.

Il n'y a pas que des Mozart assassinés. Il y a aussi des journalistes trop bons pour l'espace où ils gravitent.

Tous ceux qui sont venus au secours d'EZ ont avec pertinence protesté : tous les éditorialistes sont engagés. Mais tous les éditorialistes ne seront pas candidats à l'élection présidentielle.

Alors que signifie EZ quand il affirme qu'il faut choquer ?

D'abord rien ne serait pire que de se battre systématiquement contre tous les consensus : il en est de nécessaires et d'honorables. D'évidents. Les contester reviendrait à attirer l'attention sur la structure caractérielle du journaliste ou du débatteur plutôt qu'à favoriser une lumière de bon aloi. Je me souviens d'Emmanuel Carrère il y a deux ou trois ans : il avait dressé une liste de l'éthiquement et politiquement correct et avait conclu qu'il partageait la plupart des assertions. L'esprit singulier, original doit se garder de se dilapider dans des combats heureusement perdus d'avance. Il y a des paradoxes idiots ou absurdes.

On peut, il est vrai, sur un autre plan, avoir peur de choquer, de surprendre, de blesser alors qu'on sent qu'on aurait à s'exprimer et que le débat en serait enrichi. Mais on n'ose pas. En face, c'est trop compact, trop solide. On n'a pas assez de courage. Être minoritaire effraie.

Si EZ vise cette obligation de choquer, il a raison. Mais il me semble qu'il va plus loin. Comme s'il n'était pas loin d'aspirer à une permanente provocation. Comme s'il convenait par principe de chercher à déranger, à troubler, presque à indigner. Je choque donc je suis ? Je n'irais pas jusque-là. Chez lui il y a un mélange d'absolue sincérité et d'intrépidité extrémiste qui a des effets percutants. Quand il propose de rétablir la loi de 1803 sur les prénoms français, il affirme ce qu'il pense mais en même temps, pensant ce qu'il pense, il va choquer. Il n'en est pas triste mais je doute qu'il s'en réjouisse par masochisme.

Cette obsession de choquer, chez lui, révèle d'abord une envie d'être identifié comme celui par lequel la tiède coulée des conformismes, des préjugés, des idées toute faites jamais questionnées sera combattue et il l'espère vaincue.

Je ne voudrais pas que l'hypertrophie du politique dans l'espace médiatique apparaisse comme une excuse.

Quel que soit le journalisme, intelligence, talent, modestie, écoute, volonté de savoir, belle oralité et politesse sont les dispositions capitales.

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