Le coût des 30 km/h en ville ? Plus de 20 milliards par an, par Rémy PRUD'HOMME (Economiste).
OPINION. Alors que de plus en plus de villes (à commencer par Paris) envisagent de passer la limitation pour les véhicules en zone urbaine de 50 km/h à 30 km/h, l'économiste Rémy Prud'homme propose de mettre cette décision dans la balance : les gains potentiels amortissent-ils les coûts ?
Dans les zones urbaines, la vitesse maximale des voitures était fixée à 50 km/h. Un nombre croissant de grandes agglomérations, à commencer par Paris, entendent abaisser cette vitesse à 30 km/h. La Loi d’Orientation sur les Transports Intérieurs fait obligation à ceux qui veulent faire des investissements ou prendre des décisions de procéder préalablement à des analyses coûts-bénéfices. Nos édiles ont mieux à faire qu’à respecter les lois, et se fichent de celle ci comme de l’an quarante. Essayons d’esquisser ce que pourraient être une telle analyse des 30 km/h.
La vitesse moyenne des déplacements automobiles en zone urbaine est actuellement de 29 km/h. L’abaissement de la vitesse maximale de 50 km/h à 30 km/h va réduire cette vitesse. Pas de 20 km/h bien sûr. Tous ceux qui roulent actuellement à moins de 30 km/h, par prudence ou par embouteillage, ne seront pas affectés. On sait qu’à des vitesses élevées, une baisse de 10 km/h de la vitesse maximale autorisée engendre une baisse de la vitesse moyenne d’environ 3 km/h. Retenons cet ordre de grandeur. Il signifie que dans les agglomérations la vitesse moyenne va passer de 29 km/h à 23 km/h.
Du côté des bénéfices, ce ralentissement a un double effet. Il réduit le bruit de la circulation, qui provient surtout surtout du bruit des autobus, des camions et des motos, mais n’en est pas moins très désirable. Il réduit aussi le risque d’accident, mais celui-ci provient surtout de vitesses supérieures à 50 km/h, et il concerne davantage les motos que les voitures.
Du côté des coûts, il faut considérer la consommation de carburant, la pollution et les pertes de temps. On connait depuis longtemps l’équation de la courbe de consommation de carburant en fonction de la vitesse - qui est aussi celle des rejets de CO2 et de polluants. Elle a la forme d’un V aplati. A une vitesse faible, consommation et rejets au km parcouru sont élevés (à la vitesse zéro, ils sont infinis). Lorsque la vitesse augmente, ces rejets diminuent. Ils sont minimaux pour des vitesses de 50 à 70 km/h. Ils augmentent ensuite avec la vitesse, et sont de nouveau élevés lorsqu’elle atteint 120 km/h. La mesure proposée a donc nécessairement pour effet d’augmenter, pas de diminuer, la consommation de carburant et les rejets polluants des véhicules. De combien [i]? D’environ 3%. L’impact sur la surconsommation de carburant est réel mais relativement modeste (environ 240 millions d’euros), il en va de même pour la surproduction de CO2 (environ 0,2 millions de tonnes), et pour l’augmentation d’une pollution déjà très réduite.
Le principal coût concerne les pertes de temps. Pour un trajet donné, rouler moins vite, c’est mettre plus de temps. M. de la Palice, sinon tous nos élus, avait compris cela il y a belle lurette. Réduire la vitesse, c’est augmenter le temps de transport de millions de Français. C’est leur infliger une punition qui a un coût que l’on peut grossièrement évaluer. Les agglomérations de plus de 100 000 habitants regroupent environ 27 millions de Français (de plus de six ans). Les deux-tiers d’entre eux se déplacent en automobile (en France, pas à Paris !). Ils font en moyenne 25 km par jour en transports locaux, sans compter leurs déplacements longs, à une vitesse de 29 km/h. Ils passent donc - perdent diront beaucoup d’entre eux - 52 minutes par jour à se déplacer. Soit au total 5,6 milliards d’heures - chaque année.
On a vu que le temps de transport quotidien va passer de 52 minutes à 65 minutes, une augmentation de 25%. Soit au total 7,1 milliards d’heures par an. La mesure analysée engendre donc une perte de temps de 1,5 milliards d’heures. Qu’on ne dise pas que les automobilistes pourraient abandonner leur voiture pour les transports publics : ils perdraient encore plus de temps. Mesurée de l’origine à la destination, la vitesse des déplacements en transport collectif est à peu près le double de ce qu’elle est en automobile.
Le ministère des Transports, qui a longuement étudié la valeur du temps dans les transports, propose de la chiffrer à 14,4 euros de l’heure. Le coût des pertes de temps pour la société causé par les 30 km/h peut donc être estimé à environ 21 milliards d’euros par an.
Ce chiffre est à prendre avec prudence. Certains des paramètres utilisés, comme par exemple la longueur des déplacements, reposent sur les résultats d’une enquête un peu ancienne (2008), ou sur des hypothèses discutables, et pourraient être améliorés. Mais ce chiffre est très probablement une prudente sous-estimation, pour plusieurs raisons. Il ne prend pas en compte le coût de la congestion accrue que la mesure va engendrer. Il ignore le coût du ralentissement dont vont souffrir les camions, moins nombreux que les voitures, mais avec une valeur du temps bien plus élevée. Il n’évalue pas la baisse de productivité due au rétrécissement des marchés de l’emploi.
Il faut mettre ce coût en perspective. Il représente plus de deux fois le budget annuel de la Justice (y compris les prisons). La nécessité d’augmenter le budget de ce service public largement reconnu comme essentiel et comme calamiteux nous est répétée quotidiennement. Mais, nous dit-on aussi, il n’y a pas de ressources pour cela - alors qu’il y en a, et beaucoup plus, pour embêter les automobilistes. L’analyse coûts-bénéfices, ça sert à éclairer ce genre de choix.
[i] Le ministère des Transports donne la consommation de carburant (C) en fonction de la vitesse (V) : C=0,1381-2,34*10-3*V+1,6*10-5*V2 qui permet de calculer la consommation pour les vitesses de 29 km/h et de 23 km/h, et de voir que la consommation à 23 km/h est supérieure de 2,8% à la consommation à 29 km/.
On calcule la consommation de carburant dans les agglomération en multipliant leur population (27M) par la part des déplacements automobiles (66%) par le kilométrage quotidien (25 km) en divisant par le nombre moyen de voyageurs par voiture (2) et en multipliant par le nombre de jours (365) et par la consommation carburant par km (0,07). On obtient 5,7 milliards de litres, soit à 1,4€/litres 7,8 milliards d’euros. L’augmentation de 3% induite par la mesure étudiée implique une augmentation de la consommation de carburant de 170 M de litres, à un surcoût pour les utilisateurs de 240 M€, et une augmentation des rejets de CO2 de 0,17 M de tonnes.
Source : https://frontpopulaire.fr/