Jean-Paul Gourévitch : « On peut raisonnablement avancer qu’en 2021, plus de 25 % des habitants résidant en France sont d’origine étrangère ».
« Bouleversement démographique » : c’est ainsi que nos confrères de CNews appellent les chiffres publiés par l’INSEE sur le poids démographique de l’immigration. Est-ce le cas ? Les chiffres avancés par l’INSEE vous semblent-ils crédibles?
Il faut d’abord rappeler que les chiffres de l’INSEE récemment publiés datent de données collectées en 2017-2018 et que, par ailleurs, l’Institut ne prend pas en compte Mayotte, qui est pourtant un cas de figure majeur, et ne décompte pas non plus, et pour cause, les immigrés en situation irrégulière résidant en France (entre 400.000 et 700.000, selon les estimations les plus fiables). D’autre part, ces chiffres s’inscrivent dans une évolution continue depuis près de vingt ans. Parler de « bouleversement démographique » comme si l’on découvrait soudain cette réalité est une approximation médiatique qui ne peut toucher que ceux qui ne suivent pas ces questions. Depuis plusieurs dizaines d’années, le nombre d’immigrés (y inclus les enfants immigrés, donc nés à l’étranger), le nombre de personnes d’origine étrangère descendants directs d’immigrés (donc nés en France) et, parmi ces deux populations, la proportion de personnes originaires directement ou indirectement du continent africain sont en augmentation constante. En octobre 2018, Didier Leschi, directeur de l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration), dans une plaquette réalisée pour Fondapol, La France singulière, évaluait la population immigrée résidant en France selon la définition de l’INSEE – personnes nées à l’étranger de parents étrangers et venues s’installer pour un long temps ou définitivement en France – à 11 % de la population résidente et ajoutait que « nous sommes le pays d’Europe qui présente la proportion la plus élevée de personnes […] issues de l’immigration et […] dont au moins un parent est immigré ».
Aujourd’hui, ces chiffres, comme je l’ai montré, sont déjà dépassés. On peut raisonnablement avancer qu’en 2021, plus de 25 % des habitants résidant en France sont d’origine étrangère, que, parmi elles, celles originaires directement ou via leurs parents d’Afrique subsaharienne sont à un étiage proche de celles originaires du Maghreb, et que les naissances d’origine étrangère sont plus nombreuses que celles des autochtones, non seulement dans le 93, mais dans plusieurs villes de la grande couronne francilienne et de province.
47,5 % des immigrés vivant en France sont nés en Afrique et proviennent, notamment, d’Algérie ou du Maroc. Comment expliquer que la France soit la destination « favorite » des ressortissants de ce pays ?
Ces phénomènes s’expliquent par de multiples raisons dont l’analyse a déjà été faite, y compris par d’autres spécialistes que moi : héritage de la colonisation, pouvoir d’attraction de la France en matière d’éducation, de culture, d’aides sociales et médicales, regroupement familial élargi, tradition d’accueil d’une grande partie de la population vivifiée par le combat des associations d’aides aux migrants et le soutien des diasporas, vocation humanitaire d’un pays considéré comme « la patrie des droits de l’homme », différentiel de fécondité entre les populations autochtones et celles d’origine étrangère… Les freins que constituent la difficulté d’assurer à ceux qui sont accueillis une formation, un travail ou un logement décent, l’inquiétude et parfois la xénophobie d’une frange de la population qui craint pour sa sécurité, ses valeurs, et le coût que représente l’immigration, ne sont pas vraiment dissuasifs pour ceux qui ont décidé de tenter l’aventure, parfois au péril de leur vie. Et l’immigration virtuelle, quoique en développement même dans le continent africain, ne suffit pas à convaincre les Africains de rester au pays avec leur famille face à l’espoir que suscitent les images de l’Occident colportées par les médias.
Peut-on, à ce stade, parler de « créolisation », pour reprendre l’expression de Jean-Luc Mélenchon, ou de « Grand Remplacement », pour citer Renaud Camus, même si ces deux expressions expriment la même chose ?
Ces deux expressions me paraissent impropres à rendre compte de la situation actuelle. Le terme de « créolisation » détourné de son sens originel (processus qui transforme un parler de type sabir ou pidgin en créole) par Jean-Luc Mélenchon est un leurre qui camoufle l’importance croissante de la population originaire du continent africain dont le leader de La France insoumise ne semble pas souhaiter qu’elle cristallise un débat national. Quant au « Grand Remplacement », selon l’expression de Renaud Camus, c’est effectivement une hypothèse possible à moyen ou long terme, mais l’Histoire montre que les prévisions à 50 ans dans un univers en perpétuelle mutation et où le risque zéro n’existe pas comportent près de 100 % de marge d’erreur. Ce qui est, en revanche, exact, c’est que la population française est de plus en plus métissée avec un métissage culturel qui recueille de nombreuses adhésions, un métissage social qui suscite des craintes majeures et un métissage religieux dont la greffe n’a pas pris.