Fiasco afghan : vers un déclassement inéluctable de l’Occident ?, par Pierre Louis.
« Notre mission en Afghanistan n’a jamais eu pour but de construire une nation. Elle n’a pas eu pour objectif de créer une démocratie […] mais d’empêcher une attaque terroriste contre la patrie américaine. » Par ces mots prononcés au lendemain de la prise de Kaboul par les talibans, le 46e locataire de la Maison-Blanche s’est clairement affiché dans la droite ligne de ses deux prédécesseurs.
L’Amérique « gendarme du monde » est bel et bien révolue. Après les Empires britannique et soviétique, la superpuissance américaine devient la 3e grande nation à repartir défaite d’Afghanistan. En 1989, l’URSS se retirait de ce bourbier avec près de 25.000 victimes avant que la république démocratique dirigée par Mohammed Najibullah ne s’effondre en 1992. Près d’une trentaine d’années plus tard, l’histoire se répète plus violemment encore. Avec plus de 2.400 soldats tués, 20.700 blessés et 776 milliards de dollars engagés, le bilan humain et financier s’avère très lourd et sonne comme une humiliation totale pour les États-Unis. Si le Sud-Vietnam est tombé aux mains des communistes près de deux ans après les accords de Paris, les talibans n’auront pas attendu la fin du retrait américain. Cette scène entérine aux yeux du monde entier la fin de la superpuissance américaine, thèse messianique répandue par la « fin de l’Histoire » chère au politologue Francis Fukuyama. À l’heure de l’expansionnisme chinois, Taïwan et Hong Kong n’ont guère de probabilités de voir les démocraties s’engager en leur faveur à l’instar du Royaume-Uni et de la France auprès de la Pologne en 1939. Bien que la « menace russe » soit, en réalité, surestimée par les néoconservateurs américains et l’intelligentsia d’Europe de l’Ouest, l’Ukraine et les pays baltes ne doivent nullement compter sur les États-Unis en cas de conflit ouvert avec la Fédération de Russie. Le retrait des États-Unis de la scène du monde sans aucun état d’âme apparaît désormais au grand jour.
Ce n’est pas sans rappeler que la France est le seul État de l’Union européenne à disposer d’une armée digne de ce nom et est peu ou prou en capacité d’assurer sa défense. Mais en a-t-elle vraiment l’envie ? L’attitude munichoise de nos dirigeants qui se refusent à reconnaître le choc des civilisations, qui invisibilisent l’ennemi en niant l’origine du terrorisme, n’a eu que pour effet de conforter l’ennemi islamiste. S’il fallait une nouvelle preuve de la véracité choc des civilisations chère à Samuel Huntington, le mufti du sultanat d’Oman nous l’a donnée en présentant ses félicitations au peuple afghan pour sa victoire contre les « envahisseurs ».
Loin d’en intérioriser les conséquences, l’Europe par la voix des locataires du 10 Downing Street et de l’Élysée, sombre déjà dans l’angélisme pour « prendre notre part » des réfugiés afghans cédant au sempiternel refrain misérabiliste. Les véritables « bases arrière » du terrorisme (et soutien des Frères musulmans) que sont la Turquie, le Qatar et le Pakistan ne paraissent nullement inquiétées ; pis encore, elles s’apprêtent à exercer un chantage inouï sur la gestion des flux migratoires.
Le grand gagnant de ce fiasco pourrait être la Chine, qui annonce déjà son intention de traiter avec le nouveau régime taliban pour marquer son empreinte géopolitique dans la région, déjà bien avancée par les nouvelles routes de la Soie. Une alliance entre le Parti communiste chinois à l’origine de la persécution de la minorité musulmane Ouïghours et la théocratie islamique afghane peut paraître surprenante. Elle n’est pas sans rappeler l’alliance objective entre François Ier et Soliman le Magnifique, en 1536, pour contenir l’hégémonie des Habsbourg, ainsi que la France républicaine et laïque en 1894 avec la Russie tsariste absolutiste et religieuse, dans le cadre de la Triple Entente pour stopper la puissance allemande. Dans le contexte actuel, ce pacte du diable qui sonne fort comme un remake du pacte de non-agression germano-soviétique pourrait avoir des conséquences désastreuses pour l’Occident, entraînant sa chute irréversible.