Christo et l’Arc de Triomphe empaqueté : la performance d’un boomer sur le monument dédié à la gloire militaire française, par Marie d'Armagnac.
Du 18 septembre au 3 octobre prochain, l’Arc de Triomphe à Paris sera… masqué.
Le projet de Christo Vladimiroff Javacheff, dit Christo, qui date de 1962, sa « période parisienne », verra ainsi le jour. Mais l’emballeur en chef de monuments historiques et de paysages grandioses ne sera pas là pour contempler la réalisation de son ouvrage.
Mort le 31 mai 2020, Christo est avec sa femme Jeanne-Claude l’auteur de gigantesques « installations » éphémères – il préférait à ce terme celui de temporaires, sans doute trouvait-il le premier trop poétique : l’empaquetage du Pont-Neuf à Paris, en 1985, ou celui du Reichstag à Berlin, dix ans plus tard, sont restés dans les mémoires. Pour ma part, je m’en souviens surtout comme du caprice pénible d’un artiste que les Parisiens, fort heureusement, ne devaient supporter qu’une quinzaine de jours. Un pensum vite oublié mais largement évitable, dont l’une des principales qualités aura été de faire apprécier la beauté originelle du Pont Neuf : l’homme est ainsi fait que le priver de ce qu’il est habitué à voir ou avoir lui fait ressentir une frustration qui ne s’apaise que lorsque l’objet du désir ainsi créé lui est rendu.
L’Arc de Triomphe à Paris, monument un brin pompier planté au milieu du Paris haussmannien et parfaite expression du bourgeois XIXe siècle, ne provoque assurément pas les mêmes émotions esthétiques que le Pont-Neuf. Commencé sous Napoléon et achevé sous Louis-Philippe, l’Arc de Triomphe appelle en revanche au sentiment patriotique des Français : l’Empereur le voulait comme un monument dédié aux armées et victoires napoléoniennes, Louis-Philippe en fera un hommage aux armées révolutionnaires et impériales. En 1923, le ministre de la Guerre André Maginot y fait installer la flamme du souvenir sur la tombe du Soldat inconnu de la Grande Guerre. La flamme est ravivée tous les jours à 18 h 30 par des anciens combattants : le parfait symbole de ce qui doit unir les générations présentes à celles passées, l’amour de la patrie et l’urgence de la défendre, quelle que soit l’époque.
Le projet de Christo n’a pas vraiment de sens, sauf celui d’une performance bien plus technique qu’esthétique. L’artiste ne disait-il pas lui-même, à propos de ses œuvres : « Tous mes projets ont tellement de sens que je n’ai pas le temps d’y penser ! »
L’installation prévue par Christo, – l’emballage de l’Arc – va nécessiter des travaux de protection du monument. Ceux-ci viennent tout juste de débuter : des cages en acier protègent les groupes sculptés, car « cette toile qui va frotter, il ne faut pas qu’elle puisse abimer ce monument historique » , explique Bruno Cordeau, administrateur de l’Arc de Triomphe. On se souvient, en effet, des dégâts provoqués par l’installation « éphémère » de traits concentriques en peinture aluminium jaune posés sur les murs de la cité de Carcassonne, qui avaient, ensuite, demandé d’importants travaux de nettoyage et de restauration : les murs avaient été abîmés par l’« artiste » Felice Varini…
25.000 mètres carrés de tissu en polypropylène argent bleuté et 3.000 mètres de corde rouge de même matière – c’est écolo – seront nécessaires pour l’installation. Les quatorze millions d’euros prévus pour tout ce chambardement seront entièrement financés par la vente des travaux préparatoires, dessins, collages et lithographies signés de Christo. Carine Rolland, adjointe à la mairie de Paris en charge de la Culture et de la Ville du quart d’heure (sic), voit dans cette réalisation la possibilité de « décaler le regard sur ce monument, une vraie belle forme de renaissance, l’inscription dans une pérennité tout en étant complètement moderne, […] une manière de célébrer la vitalité artistique, l’évolution permanente de la Ville, ce sont des moments dont nous avons besoin. C’est un beau symbole d’évolution et de transformation de la ville à un moment où tout est transformé dans nos vies », explique-t-elle au micro de France Culture. Les Parisiens apprécieront.
La ville du quart d’heure, une société liquide fruit d’un mondialisme débridé « en évolution permanente » : masquer ce symbole, quoi qu’on en pense, d’une certaine forme de grandeur française et de fierté patriotique n’est pas exactement l’antidote auquel on aurait pensé pour colmater et cicatriser les fractures qui irriguent la société française.