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Alerte sur la restauration : la cerise du Covid sur un gâteau amer, par Natacha Polony.

Les restaurateurs qui n’auront pas joué les gardes-chiourme à l’entrée de leur établissement n’écoperont que de 1 000 € de punition.
© Hans Lucas via AFP

Enjeu économique et culturel majeur, la restauration est au bord de la rupture.

Finalement, ce ne seront pas 45 000 € d’amende et une peine de prison. Les restaurateurs qui n’auront pas joué les gardes-chiourme à l’entrée de leur établissement n’écoperont que de 1 000 € de punition.

Natacha Polony.jpgLa première fois. Dans l’heure qui suit, la facture peut augmenter. On souhaite bonne chance à celui qui devra refuser une table de six parce qu’un des convives ne sera pas en règle. Le cauchemar du coronavirus se prolonge pour des gens qui ont baissé le rideau pendant des mois, qui ont dû se réinventer dans la vente à emporter en travaillant parfois à perte. L’État, bien sûr, les a aidés. Et ils lui en savent gré. Il a aussi soufflé le chaud et le froid quand il s’agissait de proclamer que le produit de ces ventes à emporter ne serait pas taxé, avant de revenir sur la promesse la veille de Noël, en guise de cadeau.

Pourtant, si Marianne sonne le tocsin, ce n’est pas à cause du Covid. Ou du moins pas seulement. Pendant des mois, nous avons souffert de ces restaurants fermés et nous avons eu tout le temps de méditer sur cette part d’identité française qu’ils incarnent. Nous avons compris que l’instant de table est un moment de civilisation, une certaine façon de célébrer notre humanité. Or ces auberges de campagne, ces bistrots de ville moyenne sont pour certains en train de mourir dans l’indifférence générale. Justement ceux qui constituent l’excellence française. Pas l’excellence des étoilés, pas non plus les usines à bouffe, mais les petites affaires familiales, nappe blanche et service soigné.

C’est, en Touraine, ce restaurant qui vient courageusement d’ouvrir après le troisième confinement. Le serveur demande au chef s’il serait possible de prendre une semaine en août, parce que sa compagne veut un peu de plage. « Mais nous venons d’ouvrir, il faut faire la saison. » SMS le lendemain : « Désolé, chef, je ne viendrai pas. » Planté là, avec le service à assurer. C’est cette jolie maison de Bourgogne qui ferme, faute de personnel, parce qu’un peu trop loin de tout. Le chef ouvrira sans doute une affaire en ville, lui en cuisine, madame en salle, mais sans personnel, car c’est devenu leur cauchemar. C’est, a contrario, cet employé de cuisine qui profite d’un jour de congé pour faire sa visite médicale sans perturber le service et que le médecin du travail renvoie chez lui parce que la visite « doit être aux frais de l’employeur ».

Perpétuer un héritage

Cent mille postes à pourvoir dans la profession. Pendant trente ans, les élites françaises ont laissé se désindustrialiser le pays. Les usines fermaient, des pans entiers du territoire se vidaient. Pas grave, la France serait une nation de services et de tourisme. Un joli musée destiné à accueillir les voyageurs du monde entier. Mais ceux qui sont en première ligne dans ce joli plan tirent le signal d’alarme. La profession est au bord de la rupture. Les restaurateurs que Marianne a interrogés ne jettent pas la pierre aux plus jeunes. Ils sont tributaires, bien sûr, de ces employés qui refusent des CDI pour pouvoir travailler par intermittence, le temps de recharger leurs droits au chômage. Ceux-là ont transformé une assurance fondée sur la solidarité nationale en système au service de leur conception du temps libre. Mais il n’y a pas de cause unique. Le métier est dur. La clientèle a évolué. Plus exigeante, plus agressive, moins respectueuse. Et, dans une société qui a érigé le loisir en totem, l’hôtellerie-restauration apparaît comme un bastion de l’ancien monde. La vocation, l’envie de se dépasser, ne sont pas vraiment dans l’air du temps. Le coronavirus est passé par là, il a fait découvrir à beaucoup le plaisir d’être le soir chez soi pour profiter de ses enfants.

Le problème n’est pas seulement économique. Inventer un modèle social qui préserve des accidents de la vie, protège les plus faibles, mais empêche les abus et libère les énergies est encore un défi. Pourtant, l’enjeu est culturel. Sommes-nous encore capables d’apprendre à notre jeunesse la fierté du travail bien fait, le plaisir de produire, l’épanouissement dans l’effort ? Pouvons-nous organiser une école qui valorise ces filières courtes où l’on apprend à faire de ses mains, où l’on peut rapidement devenir son propre patron, où l’ascenseur social existe encore, pour peu qu’on soit motivé ? Et sommes-nous prêts, enfin, en tant que consommateurs, à préférer l’exigence, la rigueur, la qualité, bref, à perpétuer nous-mêmes un héritage ? Sinon, les usines à bouffe et les esclaves des plates-formes de livraison nous attendent…

Source : https://www.marianne.net/

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