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Le tandem Jean-Paul II – Joseph Ratzinger, par Blandine Delplanque.

À 51 ans, Joseph Ratzinger est le plus jeune cardinal du conclave qui va ouvrir la voie à l’élection de Karol Wojtyla le 16 octobre 1978, en cette année qui voit se succéder trois papes : Paul VI meurt le 6 août ; Jean-Paul Ier à peine élu, le suit dans la tombe le 29 septembre ; Jean-Paul II reprend le flambeau.

(Première partie)

C’est au cours du conclave que le tandem prend corps. Se souvenant de Jean-Paul II, qui discutait avec lui en allemand, Joseph Ratzinger évoquera « sa franchise et sa cordialité sans façons… un humour, une piété qui n’étaient jamais artificiels ou extérieurs. On sentait que c’était quelqu’un qui ne prenait pas la pose, qui était vraiment un homme de Dieu et en même temps un homme vrai. Cette richesse spirituelle, la joie dans nos conversations, tout cela fait qu’il m’a paru tout de suite sympathique » [1].

À plusieurs reprises, le Pape va essayer de faire venir le cardinal à Rome. Une première fois, en juin 1979, il veut le nommer préfet pour la Congrégation des Études. Il l’invite à déjeuner après le voyage en Pologne. Le cardinal hésite un instant puis refuse au motif qu’il ne peut laisser le troupeau dont il a la charge depuis si peu de temps.

Évêque de Munich, il est aussi membre de plusieurs commissions à Rome, préside la Conférence des évêques de Bavière et la Commission de la Foi des évêques allemands, sans parler des innombrables conseils, conférences, tutorats de doctorants à Ratisbonne (Regensburg), et des liens réguliers avec des théologiens du monde entier. Des responsabilités écrasantes qui conduisent son médecin à prescrire du repos pour surmenage…

La deuxième tentative, le 6 janvier 1981, pour lui faire prendre la tête de la prestigieuse Congrégation pour la Doctrine de la Foi (nouvelle dénomination du Saint-Office depuis 1965), n’est pas plus concluante : Joseph Ratzinger pose comme condition de continuer à publier ses écrits.

Mais sa cause est entendue deux mois plus tard grâce à un précédent trouvé par les collaborateurs du Pape : l’autorisation est accordée au futur préfet de poursuivre ses publications, sauf dans la revue Communio. « Là, je ne pouvais plus dire non », se souvient le pape émérite. Quand on lui demande s’il n’était pas audacieux de poser ses conditions au souverain Pontife, il rit et répond : « Peut-être, mais en tout cas je considérais qu’il fallait le faire car je ressentais comme un devoir intérieur de pouvoir dire des choses à l’humanité ».

Sa nomination officielle est rendue publique le 25 novembre 1981, six mois après l’attentat qui frappe le pape athlète le jour de la fête de N.D. de Fatima, le 13 mai.

Préfet à Rome

L’ancien évêque de Munich, dont la devise « cooperatores veritatis »coopérateurs de la vérité – est issue de la troisième lettre de saint Jean, et dont les armoiries font référence à la fois aux Maures, à saint Augustin avec la coquille[2] et à l’ours de saint Corbinien qui porte un lourd fardeau, ne croyait pas si bien dire lorsqu’il écrit en référence à cet animal dans ses souvenirs[3] : « Quant à moi j’ai, entre-temps, fait mes valises pour Rome et depuis longtemps je marche, mes valises à la main, dans les rues de la Ville Éternelle. J’ignore quand on me donnera congé, mais je sais que cela vaut pour moi aussi : je suis devenu ta bête de somme ; et c’est justement ce que je suis auprès de Toi ».

Un mélange de Bible, de christologie, de politique, de sociologie et d’économie théologiquement inacceptable et socialement dangereux.

Lorsqu’il part pour Rome le 28 février 1982, Joseph Ratzinger ne se doute pas de ce qui l’attend. Il quitte sa terre natale en héros : mille prêtres se pressent pour assister à sa dernière messe à la cathédrale de Freising, au cours de laquelle il parle avec émotion de la tradition catholique de la Bavière : « Laissons la Croix rester au milieu de notre pays, au milieu de nos vies, au milieu de nos maisons ». Il s’adresse aux prêtres et aux communautés religieuses et met en garde les jeunes contre les idéologies qui se servent de leurs aspirations : « Je vous supplie d’être aussi critiques envers elles… Allez au fond des choses ! Cherchez l’essentiel, osez la vraie alternative ! » La radio et la télévision retransmettent son départ, salué en grande pompe par le gouvernement bavarois. Cette charge, il l’accepte dans son esprit pour quelques années et pourra se consacrer à nouveau à l’écriture lorsqu’il reviendra en Allemagne. « Etiam Romae, semper civis bavaricus ero », je serai toujours Bavarois, même si je suis à Rome.

À 54 ans, il est le plus jeune préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi jamais nommé. Un poste redoutable qui va l’exposer au feu des médias : ils vont très rapidement le caricaturer comme le Grand Inquisiteur des temps modernes. À la question de savoir si personne ne l’avait prévenu de l’impopularité de la fonction, la réponse arrive sans détours : « Je n’avais pas besoin d’avertissement. Il était clair que j’allais me mettre dans les orties. Je devais prendre sur moi ».

En tant que préfet, il préside aussi la Commission pontificale biblique et la Commission théologique internationale, tout en collaborant à d’autres organes du Saint-Siège.

D’un point de vue pratique, il ne bénéficie plus des deux assistants de son bureau à Munich ; il doit tout taper à la machine lui-même, lettres, conférences, communiqués… un travail harassant qu’il terminera souvent tard dans la nuit, dans la chambre qui lui sert de pied-à-terre à la Casa Internazionale del Clero de la place Navone.

Depuis 1978, il a choisi le père Bruno Fink pour l’assister dans sa charge épiscopale. À Rome, le secrétaire va jouer un rôle encore plus important.

Il dispose d’un chauffeur avec la Mercedes donnée autrefois par Daimler-Benz au cardinal Ottaviani, et choisit un appartement de 300 m2 au 4e étage d’un immeuble du Vatican, place de la Città Leonina, comprenant deux salles de travail, un appartement adjacent et une chapelle privée. Les branchements de gaz, les prises électriques, le téléphone, les douches, rien ne marche. « J’ai souvent déménagé dans ma vie, soupire le nouveau locataire, mais à ce point je n’ai jamais vu ça ! »

En attendant la remise à niveau de son logement qu’il intégrera en avril 1982, il devra se contenter de la chambre « Munich » au Collège teutonique de Santa Maria au Campo Santo, laquelle n’aura pas de chauffage pendant les quinze premiers jours.

Dans ses valises, son piano, ses livres, son vieux bureau et, à partir du mois de mai, la fidèle assistance de sa sœur Maria.

Il rencontre le Pape une fois par semaine pour faire le point. Ne parlant pas encore italien, il ouvre les séances de sa congrégation en latin. Les habitants de la place Saint-Pierre ont coutume de le voir trottiner peu avant 9 heures, chaussé d’espadrilles et portant une lourde serviette noire. À ses moments de liberté, quand il ne joue pas du piano, il se promène sur le Borgo Pio et bavarde avec les marchands de fruits et légumes ou salue le chat de la concierge. Chaque jeudi, il célèbre la messe au collège du Campo Santo, et l’église est toujours pleine à craquer. Chaque vendredi à 18 h, il a son audience avec le Pape.

Un préfet qui s’immisce dans les discussions de théologie constitue une nouveauté : qui mieux que Joseph Ratzinger pouvait s’adonner à ce travail collégial qui supposait de savoir établir des ponts entre les mesures existantes et celles exigées par les situations nouvelles ?

Pour élaborer les directives sur les Catholiques et les Anglicans (1982), l’Eucharistie ou la franc-maçonnerie (1983), il fait sans cesse appel aux jeunes théologiens, reprenant à son compte la Règle de saint Benoît qui dit que « souvent le Seigneur révèle à un jeune ce qui est préférable ».

Celui que les journalistes, à l’instar de leurs confrères britanniques, vont très vite surnommer le Panzerkardinal se lance aussi dans la bataille des médias en 1983. Ainsi de cette interview accordée le 9 mai au journal de centre-gauche Der Spiegel, dans laquelle il aborde aussi bien la question de l’armement atomique de la France de Mitterrand que « des faiblesses de l’Église de ce temps », avant tout « de sa faiblesse morale » : « la vraie misère du monde réside dans la brutalité des faits qui seule compte, au détriment des principes moraux qui sont relégués à l’arrière-plan. Peut-être que l’Église devrait davantage revenir à son rôle prophétique de critique, en allant au besoin jusqu’à la confrontation. Il est important d’avoir le courage de s’élever contre la société si la situation morale l’exige. Dans tous les cas, l’Église ne devrait pas outrepasser son autorité. Elle pourrait alors très facilement exercer une pression fausse sur les consciences ».

L’année suivante, il accorde une série d’interviews à des journalistes du monde entier sur la nouvelle génération des candidats à la prêtrise, où il fustigera notamment la théologie « barbe à papa » prodiguée par les universités catholiques et qui donnera lieu à un livre, Entretien sur la foi, produit de trois jours d’interviews avec le journaliste Vittorio Messori, qui sera à nouveau un succès de librairie inattendu, même si l’emploi du mot « restauration » donne lieu à un déchaînement de critiques.

La mission sur l’Amérique latine

S’étant penché dès sa thèse de doctorat sur la politisation de la religion avec l’étude de saint Bonaventure, le cardinal Ratzinger s’est vu confier par Jean-Paul II la lutte sur le front de la théologie de la libération au début du pontificat. C’est un sujet qui lui tient particulièrement à cœur. La théologie de la libération s’est développée dans les années 60 en Amérique latine. Si le préfet apprécie le combat de l’Église contre les dictatures en ce sens qu’elle y œuvre pour la paix par la justice sociale, « il en va autrement quand chez certains théologiens ce qui est chrétien se volatilise et se fond dans le marxisme ».

C’est un courant sur lequel il est très bien informé, par le prêtre espagnol Maximino Arias Reyero, un de ses doctorants qui l’a suivi à Bonn, Tübingen et Ratisbonne, et qui enseigne depuis 1971 la dogmatique à l’université catholique de Santiago du Chili ; par la commission théologique internationale du Vatican, dont il est membre ; par un voyage qu’il entreprend en Équateur en 1978, alors qu’il est évêque de Munich ; par une enquête qu’il diligente sur le dominicain Gustavo Gutierrez qui publie en 1971 au Pérou Théologie de la libération – il le rencontre à Rome en 1983.

Le 6 août 1984, il signe l’Instruction sur quelques aspects de la « théologie de la libération » qui comporte, fait inhabituel pour un préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, une explication préliminaire qui souligne le risque de déviations marxistes. Au cours d’une audience, Jean-Paul II l’approuve et la fait publier aussitôt. À plusieurs reprises, Joseph Ratzinger reviendra sur la question : « Ce qui est théologiquement inacceptable et socialement dangereux est ce mélange de Bible, de christologie, de politique, de sociologie et d’économie », explique-t-il dans une interview au journal Die Welt le 21 avril 2005. « Quand on sacralise la révolution – dans laquelle on mêle Dieu, le Christ et des idéologies, on produit un fanatisme insensé qui peut conduire à des injustices et des oppressions pires, où l’on détruit dans la pratique ce qu’on l’on a projeté en théorie ».

Ce qui ne l’empêchera pas, une fois devenu pape, de nommer en 2012 l’évêque de Ratisbonne Gérard Muller, un partisan déclaré de Gustavo Gutierrez, à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi.

 

Illustration : « Dans la première période de son pontificat, le Saint-Père, encore jeune et plein de force, allait, sous la conduite du Christ, jusqu’aux confins du monde. Mais ensuite il est entré de plus en plus dans la communion aux souffrances du Christ,
il a compris toujours mieux la vérité de ces paroles : “Cest un autre qui te mettra ta ceinture…”.
Et vraiment, dans cette communion avec le Seigneur souffrant, il a annoncé infatigablement et avec une intensité renouvelée l’Évangile, le mystère de l’amour qui va jusqu’au bout. »

Obsèques du Souverain Pontife Jean-Paul II, homélie du cardinal Joseph Ratzinger

 

[1] . Benedikt XVI, ein Leben, Éd. Droemer, mars 2020.

[2] . Les deux Maures couronnés figurent l’Église universelle et le lien avec la tradition car ils sont depuis mille ans sur les armoiries des évêques de Munich et Freising. La coquille saint-Jacques – une erreur de traduction s’étant glissée dans l’article précédent – fait référence au pèlerinage éternel mais aussi à saint Augustin qui, voyant un enfant essayer de puiser de l’eau de mer dans un trou avec un coquillage, aurait reçu cette parole : « il est plus difficile à ton intelligence d’appréhender le mystère divin que de transvaser la mer entière dans un trou ». L’ours ayant dévoré le mulet de saint Corbinien aurait été contraint par celui-ci à porter son fardeau jusqu’à Rome.

[3] 3. Ma vie, souvenirs 1927-1977, Joseph, cardinal Ratzinger, traduit en français en 1998, Fayard, rééd. 2005.

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Source : https://www.politiquemagazine.fr/

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