Fruits, par Claude Wallaert.
Ami lecteur, voici l’été ! Le temps passe comme l’ombre d’un nuage poussé par le vent. Ne laissons pas fuir, sans les retenir, ne serait-ce qu’un peu, les fruits de cette royale saison. Les fruits sont un prodige de la nature, qui revêt les pépins et les noyaux d’une délicieuse enveloppe de chair et de suc, pour la reproduction de l’espèce et aussi, délicatesse de notre créateur, pour notre nourriture et notre plaisir ;
vue réjouissante, parfum de jardin secret, douceur au creux de la main, saveur de soleil et de verger… Nous, les hommes, cela nous fait penser aux fruits de la jeunesse féminine, tendre et veloutée, à la peau délicate, aux contours gracieux, qui nous font espérer, ou deviner, une âme et un cœur à prendre… Mais laissons cela et revenons aux abricots, aux pêches, aux cerises, aux prunes et au raisin, pour prolonger plus tard ce temps avec les poires louise-bonne, passe-crassane ou doyenné des comices qu’il est possible de maintenir en fraîche captivité dans votre fruitier jusqu’au cœur de l’hiver…
Si vous souhaitez une escapade exotique, il vous sera permis de goûter à la tendre sensualité de la mangue, qui habite votre bouche comme un baiser passionné, et une fois avalée, vous réclame encore, doucement insistante !
Les fruits à noyaux sont une fête de joyeux soleil qui passe vite, et dont on ne se lasse pas : les cerises callipyges cœur-de-pigeon, napoléon ou bigarreaux, les abricots veloutés, les pêches duveteuses et leurs cousins glabres, les brugnons, sont un hymne à la joie des sens.
Aux mois d’août et septembre, voici mûrir les prunes, mirabelles d’or, quetsches épiscopales, et la merveille entre toutes, la reine-claude ; qui n’a regardé, soupesé, admiré ce fruit rebondi, à la peau verte nuancée de jaune, portant dans sa maturité une charmante couperose au cœur de laquelle sourd une goutte de sucre ? Qui n’a porté lentement à ses lèvres, à ses dents et à sa langue cet orbe de délice en remerciant Dieu ?
À la même époque, rafraîchissez-vous d’une pomme, pomme d’api, pomme grise, rouge, verte, jaune, fruit à chair ferme, acide et sucrée à la fois, qui en plus du goût, réjouit les oreilles en se laissant croquer.
Pour terminer, ami lecteur, je vous laisse deviner de quelle dégustation je vais maintenant vous parler : sachez seulement que ce fruit a été évoqué dans les lignes qui précèdent.
Blonde, allongée sur un lit de vannerie, ses belles formes arrondies vous attirent avec une insistance tempérée de douceur, modèlent votre regard, lui donnent vie et caressent votre désir… Installée dans votre main, elle l’emplit de son poids et de ses contours qui captent la lumière et l’absorbent pour vous renvoyer cette mélancolie automnale, cette volupté de plein air, ce souvenir de longues journées de soleil et de chastes intimités nocturnes. Je respire son léger parfum, qui tient de l’humus et de la chair d’enfant ; si je la pique d’une fourchette, une goutte brillante de nectar apparaît au pied de chaque dent, petit prélude au plaisir à venir ! La voici maintenant offerte en quatre quartiers avec sa chair nacrée et luisante de suc, rehaussée des poches sombres de ses pépins. Dans ma bouche, sa pulpe cède et se répand, toute en fraîcheur douce, elle inonde ma langue et mon palais d’un délice presque liquide, qui se mêle, s’oppose, puis s’accorde à la résistance un peu granuleuse de la peau que j’ai laissée.
Et lorsque tout est fini, je ferme les yeux sur cette volupté qui s’estompe doucement, comme l’image enfuie d’un calme bonheur.
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