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Cet étonnant M. Musk, par Olivier Pichon.

Le personnage est en effet un phénomène, eu égard à ce mélange de mégalomanie et de capacité visionnaire, mais ce qu’il met en œuvre est aussi un phénomène où se mêlent la modernité la plus radicale mais aussi certains traits du passé plutôt inattendus.

5.jpgElon Musk est né le 28 juin 1971 à Pretoria. Il a été naturalisé Canadien en 1988 puis Américain en 2002. Il a indiqué lui-même qu’il était atteint du syndrome d’Asperger une forme d’autisme sans déficience intellectuelle, ni retard de langage. Ce syndrome est caractérisé par une difficulté à comprendre les règles que l’on s’impose en société, et un manque d’empathie pour les autres, une difficulté à les écouter et la personne se montre capable de se passionner pour un sujet de manière obsessionnelle, ce qui lui correspond assez bien. Ingénieur dans l’aéronautique, entrepreneur, fondateur de Tesla et milliardaire, sa fortune s’élève (pour le moment) à 180 milliards de dollars, beaucoup plus qu’un Donald Trump d’après le classement de Forbes, détrônant aussi le patron d’Amazon, Jeff Bezos, d’environ cinq milliards de dollars. Mais, cocorico, passant derrière Bernard Arnaud.

L’industrie de M. Musk

Plutôt atypique dans la galerie des grands fauves de la réussite économique et financière, son entreprise n’est pas comptée dans la liste des GAFAM. Fondateur de SpaceX (conquête spatiale), PDG de Tesla Motors (moteurs électriques), inventeur de l’Hyperloop (transports), le milliardaire sud-africain, à la différence des GAFAM, a fait sa fortune dans des activités industrielles. Industrielles mais non tout à fait traditionnelles : pour le développement de l’Hyperloop, train hyperrapide à lévitation magnétique, Elon Musk encourage l’aspect « open source » et collaboratif, et il n’a volontairement déposé aucun brevet. Le projet demeure expérimental et son coût serait de 11 millions d’euros au kilomètre, contre 15 à 30 millions d’euros pour le TGV en France. Beaucoup de pays s’intéressent au projet. En France, l’objectif est d’ouvrir une première ligne commerciale à 1 000 km/h autour de 2030.

Tesla Motors est la firme de production de voitures électriques dont le siège social se situe à Palo Alto, en Californie, dans la Silicon Valley, au sud de San Francisco. Le nom de l’entreprise a été choisie en hommage à Nikola Tesla, inventeur et ingénieur américain d’origine serbe, né en Croatie alors autrichienne. La société d’Elon Musk est devenue cinquième entreprise la mieux valorisée de Wall Street avec la montée en flèche du cours de l’action Tesla, qui s’est envolé de 743 % sur l’ensemble de l’année 2020. La capitalisation boursière de Tesla, quoiqu’en baisse ces derniers temps, dépasse celle cumulée de General Motors, Ford Motors et Fiat Chrysler Automobiles, les trois constructeurs historiques de Detroit, qui produisent pourtant plus de véhicules que Tesla, de même que les constructeurs européens et japonais, à la capitalisation inférieure. C’est par quoi l’on mesure à la fois le côté de plus en plus irrationnel du marché boursier (si tant est qu’il ait jamais été rationnel) mais aussi sa transformation et son attraction par la modernité technologique. Tout ceci n’étant pas étranger à l’incursion de Musk dans la sphère monétaire.

SpaceX : privatisation de la conquête spatiale

En attendant, Musk continue de nous surprendre (et c’est peut-être ce qui plaît à la finance) avec SpaceX. La société est fondée en 2002 par Elon Musk, devenu multimillionnaire en revendant l’entreprise PayPal. L’objectif d’Elon Musk est de concevoir des lanceurs capables de diminuer fortement le coût de mise en orbite et ainsi de permettre l’essor du spatial civil.

SpaceX a bénéficié néanmoins de trois milliards de dollars de contrats de la NASA. Dans une interview de 2011, Elon Musk déclarait vouloir envoyer des humains à la surface de Mars dans les 10-20 ans. En attendant, Thomas Pesquet et trois astronautes ont quitté la Terre vers la Station spatiale internationale (ISS) à bord de la capsule Crew Dragon, propriété de SpaceX. SpaceX est la première entreprise privée à envoyer des astronautes à bord de l’ISS. Se dirige-t-on vers une privatisation de l’espace ? En tout cas la privatisation de l’accès à l’espace. Qui eut cru en effet il y a dix ans que la prestigieuse NASA fût reléguée au second plan de la conquête spatiale ? C’est là un phénomène général, aujourd’hui les budgets des méga-entreprises mondialisées en viennent à dépasser ceux des états : Il était courant, en Occident, que l’on raconte avec un rien de mépris, que ces budgets dépassaient ceux des états du tiers-monde mais peu s’attendaient à ce qu’ils dépassent les capacités financières des états les plus riches. C’est le triomphe des Templiers, soit dit en passant, qui développèrent avec talent les outils de compensation financière avec leurs commanderies, quelque chose comme une ébauche de « mondialisation » financière dont triompha alors l’État national incarné par Philippe le Bel. Au surplus, il y a chez Musk un aspect Fouquet face à Louis XIV : il provoque l’état fédéral et le Deep State américain. Il n’était d’ailleurs pas totalement hostile à Trump, contrairement à la plupart des oligarques américains.

Musk et la finance

SpaceX va lancer en 2022 vers la Lune un satellite entièrement payé en dogecoin, une cryptomonnaie, a annoncé la société canadienne Geometric Energy Corporation, qui va diriger la mission lunaire. « Doge-1 » sera lancé à bord d’une fusée Falcon-9 de SpaceX. Le satellite aura pour objectif d’obtenir « des informations spatiales lunaires à l’aide de capteurs et de caméras embarquées ». Présenté depuis sa création comme une cryptomonnaie sans « aucun intérêt », le jeton numérique dogecoin a été créé en 2013 par l’ingénieur Billy Markus. Musk entend l’utiliser par SpaceX pour financer l’opération spatiale ! Outre son génie entrepreneurial, Elon Musk possède un don consommé de la communication (puissamment aidé par tous ceux qui sont hypnotisés par sa fortune), il dit les choses sans le dire et bluffe souvent. Il s’agit de la toute première mission lunaire financée dans ces conditions. Déjà dans les tuyaux depuis plusieurs semaines, elle intervient après un engouement savamment entretenu par le PDG de SpaceX.

Musk avait déjà fait le pari du bitcoin, investissant avec sa société 1,5 milliard de dollars. Une annonce qui avait fait gonfler un temps le cours de cet actif de plus en plus comparé à l’or. Mais Elon Musk s’était aussi entiché du dogecoin. À l’époque, la devise ne pesait “que” 500 millions de dollars. Elle en pèse aujourd’hui plus de 70 milliards… À chaque tweet du PDG de SpaceX, le cours de la monnaie monte inexorablement, portée par une poignée de gros investisseurs. « Doge-1 » intervient enfin au lendemain du passage d’Elon Musk à l›émission de comédie satirique américaine Saturday Night Live au cours de laquelle il décrivait le dogecoin comme « un véhicule financier inarrêtable qui va conquérir le monde », et la lune…

Musk et l’exubérance irrationnelle des marchés

Mais Musk est aussi un personnage changeant et apparemment fantasque : le 13 mai le bitcoin 2021 a perdu 15 % en quelques heures tout cela parce que Musk a décidé (dans un tweet) que le bitcoin était trop nuisible à l’environnement à cause des batteries impressionnantes des “fermes” d’ordinateurs qui ajustent en permanence l’offre et la demande de la cryptomonnaie et consommant beaucoup d’électricité. L’essentiel de ces fermes est en Chine, où l’électricité vient du charbon, de telle sorte que les voitures électriques inventées pour lutter contre l’effet de serre sont payées avec une monnaie qui en augmente les effets, une des nombreuses contradictions de la mondialisation. Donc les voitures Tesla ne seront plus payées en bitcoin. Alors que Tesla avait acheté, fin 2020, 1,5 milliard de bitcoins, « la monnaie du peuple » disait alors Musk avec des accents trumpiens, puis avait annoncé (effet boursier garanti et intérêts bien compris) quelques semaines plus tard que la cryptomonnaie serait acceptée pour acheter ses véhicules. Depuis, entre Musk et la Chine, le marché des cryptomonnaies est totalement erratique.

Quoi qu’il en soit, voilà deux actifs, Tesla et le bitcoin, qui ont profité de la crise sanitaire, les chèques du trésor américain ont servi à les acheter : +250 % sur un an pour Tesla, +400 % pour le bitcoin (jusqu’à ses actuels errements). Mais notre homme a de l’instinct : aurait-il senti que l’exubérance irrationnelle de la Bourse (le 9 mars il avait gagné 25 milliards en une journée !) trouve aujourd’hui ses limites ? Les variations du bitcoin, à la hausse comme à la baisse, montrent surtout à quel point les marchés financiers sont dopés artificiellement par les déversement des torrents de liquidités issues de l’« assouplissement monétaire », qui faussent la valeur des monnaies (cf. Politique magazine n°200), mais aussi que les valorisations boursières ne veulent plus rien dire : dès qu’un actif est promu par un acteur de premier plan, il peut très vite connaître une progression délirante. Nous sommes dans le capitalisme de la tulipe néerlandaise du XVIIe siècle !

La (bonne) fortune d’Elon Musk

Michael Burry est une légende vivante de la finance. Il avait profité de la crise des subprimes en l’anticipant et fit de très gros profits dans l’affaire Gamestop. Or le voici qui parie contre Tesla. Les sérieuses difficultés en Chine, les doutes sur les réelles capacités de l’Autopilot, la conduite automatique de ses véhicules, l’arrivée sur le marché des berlines électriques de Mercedes, des retards dans la production des Model S et Model X ou les positions erratiques autour du bitcoin, sont autant d’incertitudes qui secouent fortement la cote de Tesla.

Or la fortune de Musk est essentiellement virtuelle. Elle n’est en effet quasiment composée que d’actions de ses deux sociétés Tesla et SpaceX. Fin 2019, Forbes estimait ainsi que ces actions représentaient 99 % de sa fortune. Il ne possède quasiment pas de cash. D’où ce message posté sur Twitter à l’annonce de son accession à la première fortune Américaine : « Comme c’est étrange », écrit-il. Musk est endetté auprès de Morgan Stanley, Goldman Sachs et Bank of America. Des prêts qui seraient garantis par sa participation dans Tesla selon Forbes.

Endetté, locataire (il a vendu ses manoirs californiens), sans argent liquide ni salaire, Elon Musk est un milliardaire vraiment atypique qui assure ne pas vouloir s’encombrer de biens.

Ferait-il mentir Monsieur de La Fontaine en étant à la fois savetier et financier (livre VIII, fable 2) ?

 

Illustration : Friendly Big Brother, Elon Musk hante les rêves de tous les industriels comme de tous les politiques.

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Source : https://www.politiquemagazine.fr/

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