«N’oublions pas l’Arménie!», par Jean-Christophe Buisson.
Tourné au Karabakh, un documentaire édifiant rappelle les souffrances que subit encore le peuple arménien, 106 ans après le génocide.
Dans la Turquie négationniste d’Erdogan, le 24 avril est un jour ordinaire. Pas pour des millions d’Arméniens (de nationalité ou d’origine), qui commémorent le déclenchement, à cette date, il y a 106 ans, du premier génocide du XXe siècle: 1,5 million d’hommes, de femmes et d’enfants exterminés sur les terres où ils vivaient depuis plus de deux mille ans parce que les Turcs- ottomans puis kémalistes – souhaitaient épurer un territoire de toute trace chrétienne et «hayk» ; physique et intellectuelle ; religieuse et culturelle ; humaine et matérielle. Michel Marian le rappelle dans L’Arménie et les Arméniens en 100 questions (Tallandier): en ordonnant la déportation des Arméniens de l’Anatolie orientale, berceau de leur civilisation et de leur culture, Talaat Pacha les a transformés «en troupeau pour l’abattoir».
Mais ce passé passe-t-il? La guerre – aux dimensions géopolitiques, culturelles, religieuses et civilisationnelles – qui s’est déroulée cet automne au Haut-Karabakh (Artsakh) et dont Le Figaro Magazine a rendu compte à plusieurs reprises, témoigne du contraire. Menée par des généraux turcs, appuyée par des mercenaires islamistes syriens, l’armée azerbaïdjanaise a poursuivi ni plus ni moins l’œuvre funeste entamée il y a un siècle. Le président azéri Ilham Aliev ne s’est-il pas vanté de vouloir chasser les Arméniens «comme des chiens»?
Dans le silence quasi intégral de l’Occident, Anne-Laure Bonnel a voulu alerter les consciences en allant tourner un documentaire sur place, quelques jours seulement après la fin des combats. Armée de sa seule caméra, d’un regard dont la sobriété et la singularité esthétique forcent l’admiration, la jeune femme a arpenté les routes enneigées d’Arménie et d’Artsakh pour tenter de comprendre ce qui s’est joué là-bas, «là-haut», pendant quarante-quatre jours. Elle a interrogé des blessés, des familles endeuillées, des responsables politiques ou humanitaires, des prêtres… Son film, Silence dans le Haut-Karabakh *, d’une rare puissance, est une œuvre de salut public.
* Il est diffusé dès ce 24 avril sur la plate-forme Spicee (Spicee.com).
Il serait étonnant ou triste qu’aucune chaîne de télévision ne le diffuse à son tour.
Sources : https://www.lefigaro.fr/vox