Assa Traoré évoque ses cinq frères passés par la prison… comme s’il s’agissait de Soljenitsyne, par Gabrielle Cluzel.
Ils sont venus, ils sont tous là. Toute La France insoumise – ou presque – s’est jointe au rassemblement « Stop à l’acharnement contre Assa Traoré », lundi, à 10 heures, au TGI de Paris, pour soutenir leur icône, Assa sœur Courage, qui y était convoquée : Éric Coquerel, Clémentine Autain, Mathilde Panot…
Danièle Obono, ne pouvant être présente, a tenu, sur son compte Twitter, à « assurer Assa Traoré, sa famille et l’ensemble du collectif de tout [son] soutien ».
Dans le casting, ils sont la caution « notable », il y en a dans toutes les séries Netflix ou de France 2 : c’est la poignée de justes et de purs qui se lèvent pour dénoncer les politiques corrompus et les flics véreux. La ficelle est énorme, l’intrigue cousue de fil blanc, le scénario éculé ad nauseam. Mais ce n’est pas grave, il suffit de jouer sa partition par cœur sans ciller avec une mauvaise foi qui tient lieu de talent.
Le glissement narratif est très clair : un Traoré qui a maille à partir avec la Justice est présumé persécuté. « Cinq de mes frères sont passés par la case prison, on a fait presque toutes les prisons d’Île de France », s’exclame avec emphase Assa Traoré devant ses soutiens, en ce lundi matin. Factuellement, elle a raison. Mais quand d’autres en seraient gênés, tenteraient de faire oublier ces incarcérations aux motifs crapuleux qui font tache dans le tableau de la famille Soubirous, elle en fait un objet de fierté, une preuve irréfragable de l’acharnement judiciaire : ils sont Soljenitsyne dans l’archipel du goulag français. Sans rire.
Quand Bagui Traoré, a été hospitalisé, il y a un peu moins d’un mois, la page « Vérité pour Adama » sur Facebook a multiplié les sous-entendus, comme pour un prisonnier politique pris dans une diabolique machination : « Les détenus ont tenus (sic) à nous faire parvenir l’information malgré les menaces qu’ils ont reçu (resic) des agents de la maison d’arrêt, nous les remercions », « Nous avons été à l’hôpital du Chesnay 78 où est hospitalier (sic) mon frère Bagui Traoré pour avoir les explications des médecins sur son état de santé. Comme vous pouvez le voir, un impressionnant dispositif de forces de l’ordre nous attendait et nous avons été verbalisés pour non respect du couvre-feu ». Dans une vidéo postée le 17 mars, Assa Traoré, depuis les couloirs de l’hôpital, rappelle que Bagui est « le témoin principal » dans l’affaire Adama et qu’il « a été mis en prison » (en se gardant bien d’en préciser la raison), et elle dénonce des mensonges de l’administration quant au motif de l’hospitalisation : « Voilà comment ça se passe dans les prisons… » À l’écouter, les autres détenus sont, en revanche, d’indéfectibles amis pour Bagui, prêts à affronter tous les danger pour l’aider. L’étoffe des héros, on vous dit.
Le registre sémantique est celui d’un Andreï Sakharov en pleine la grève de la faim : « Aujourd’hui, nous avons pu avoir des nouvelles de Bagui, qui a été transféré et pris en charge à l’hôpital. Il est très amaigri. Les analyses sont en cours. » À deux doigts de laisser entendre qu’il a été empoisonné façon Navalny.
La souffrance- incontestable et incontestée – d’une famille qui a perdu l’un des siens octroie à celle-ci une couronne de martyre qui la met sur une stèle, hors d’atteinte. Toute remise en perspective des faits est réputée abjecte. Celui dont l’arrestation a fini tragiquement est auréolé à jamais. Désormais, comme on le voit dans le « conte de faits » autour de Bagui, c’est même tout délinquant purgeant une peine de prison qui, par contagion, se trouve anobli : puisqu’il est sous les verrous contraint et forcé par une justice et une police pourries !
L’audience a été annulée, reportée aux 6 et 7 mai à 13 h 30, rendez-vous est déjà pris pour une nouvelle représentation.
En attendant, les gendarmes dont elle a livré les noms à la vindicte populaire, sans compter ceux qui quotidiennement se font caillasser dans les « quartiers », n’ont pas d’épaisseur, d’humanité… Ils n’émeuvent personne, ne sont qu’ombres uniformes et anonymes désincarnées, leur devoir de réserve les empêche d’exister publiquement. Comment, dans une telle asymétrie, pourraient-ils lutter contre ce storytelling qui ne peut que susciter d’autres vocations ?
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