Quand un ministre algérien qualifie la France d’« ennemi éternel », par Pierre Arette.
Une des qualités de Jean Messiha est de ne pas être hypocrite. On l’a vu après l’agression des époux Tapie lorsqu’il a froidement distingué le vieil homme malade et sa femme odieusement frappés par quatre individus « dont trois Africains et un de type nord-africain » de l’homme public, défenseur du « vivre ensemble » et des migrants, « rattrapé par la réalité ».
L’un de ses derniers messages, posté ce 9 avril, est encore sans ambiguïté : « Un ministre algérien traite la France d’”ennemi traditionnel et éternel”. Réaction d’Emmanuel Macron ? Aucune. Il ne veut pas nuire à la “réconciliation” promue par Benjamin Stora. » Et de poser la question : « Si on est ennemis, que foutent les flopées d’Algériens ici ? »
C’est durant une séance de questions orales au Conseil de la nation (Sénat), ce 8 avril, et alors qu’il était interpellé par un sénateur sur le déficit de la Caisse nationale des retraites (CNR) du pays, que le ministre du Travail algérien, El Hachemi Djaâboub, s’est justifié de la sorte : « Pour ce qui est du déficit de la CNR, je voudrais dire que toutes les caisses de retraites dans le monde souffrent. Je peux donner quelques chiffres qu’on peut vérifier sur Internet, notre ennemi traditionnel et éternel, la France, a un déficit de 44,4 milliards d’euros dans sa caisse des retraites. »
Étrange justification. Pourquoi évoquer les errements de l’ennemi « éternel » pour excuser les siens propres ? D’abord, pour qu’un ennemi soit « éternel », il faudrait pouvoir justifier d’une relation intemporelle, de toute éternité. Or, l’Algérie n’existant – en tant qu’État – que depuis 1962, voilà une éternité relative. Cela dit, des ennemis, les Berbères en ont eu depuis l’Antiquité : les Romains qui étaient italiens, les Vandales qui étaient allemands, les Byzantins qui étaient grecs, les Arabes qui étaient… arabes, les Ottomans qui étaient turcs ! Une belle brochette d’envahisseurs européens et asiates. Algériens, vous avez la mémoire courte qui ne vous rappelez que des derniers et tard venus, ces maudits Français qui édifièrent ce pays après 1830.
Mais en désignant l’éternel coupable français – dont on sait les pulsions génocidaires depuis qu’Emmanuel Macron l’a sournoisement suggéré en 2017 en venant se soumettre, simple candidat, à Alger –, El Hachemi Djaâboub, peut-être descendant d’un oppresseur arabe de la Berbérie, entend surtout réaffirmer, en substance, que la mauvaise conscience française doit être entretenue chez nous, et que la dénonciation de la colonisation, « crime contre l’humanité », devra durer toujours. N’est-ce pas par la désignation d’un ennemi « éternel » qu’on forge et qu’on maintient une nation ?
El Hachemi Djaâboub est membre du Mouvement de la société pour la paix (MSP), un parti affilié à la confrérie des Frères musulmans ; islamiste donc et prosélyte. Un parti qui a proposé, en mai 2020, de « criminaliser l’usage de la langue française dans les institutions et les documents officiels » et de « considérer la charia comme l’une des sources de la législation ». En novembre dernier, deux mois après sa nomination au ministère du Travail, El Hachemi Djaâboub a émis une série d’instructions appelant à l’utilisation exclusive de la langue arabe dans ses administrations.
Diversion, bien sûr. Pour camoufler son impuissance à réformer et redresser l’un des secteurs les plus touchés par la crise économique et financière du pays, par la crise sanitaire et les programmes de confinement et déconfinement… avec plus de 14 % de chômage, le taux frôlant sans doute les 30 % chez les jeunes. Explosif ! Tactique électoraliste, aussi : en qualifiant la France d’« ennemi traditionnel et éternel », le ministre du Travail islamiste veut mobiliser une partie de l’opinion publique qui, à deux mois d’élections législatives en Algérie, pourrait être sensible aux discours nationalistes de rupture.
Tout cela éclaire, en tout cas, la réalité des luttes idéologiques au sein du pouvoir algérien, entre ceux qui veulent avec la France des relations « apaisées » et pragmatiques, et les nationaux-islamistes qui soufflent sur les braises des enjeux « mémoriels » pour s’imposer. Petite victoire symbolique pour eux : notre Jean Castex national, qui devait se rendre à Alger dimanche, restera, nous dit-on, confiné à Paris !