Mépris, grossièreté, obséquiosité et surtout manque de courage en tout genre…, par Philippe Bilger.
Je suis prêt à subir les foudres de ceux qui ne comprendront jamais qu’il n’y a pas de petits sujets. Rapprocher des événements même de nature très inégale peut être une incomparable source d’enseignement. Ce seront donc mes quatre leçons sans frontières : d’Erdogan à Lecoeuvre, en passant par l’Algérie et Emmanuel Macron.
Par ordre décroissant de gravité.
Double mépris, en Turquie, de Recep Erdogan à l’égard de l’Europe et de la valeur de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Le président du Conseil européen Charles Michel est installé sur une chaise dorée à côté de lui tandis que Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, demeure d’abord interdite, avec un “hum” d’attente, avant de devoir aller s’installer quelques mètres plus loin sur un canapé, face au ministre des Affaires étrangères.
Charles Michel avait le choix entre trois attitudes honorables : quitter tout de suite les lieux avec Ursula von der Leyen, exiger une autre chaise dorée ou, au pire, laisser sa place à cette dernière et ostensiblement rejoindre le canapé. Il a opté pour une quatrième, déshonorante. Il n’a pas bougé et a laissé faire.
Le double mépris d’Erdogan a gagné. Scandaleux manque de courage.
Le voyage du Premier ministre Jean Castex en Algérie a été annulé au dernier moment par les autorités algériennes parce qu’elles considéraient que la délégation française était trop chiche.
Grossièreté qui montre que la propension française à la repentance historique à sens unique non seulement est traitée à la légère mais engendre une situation pire qu’avant : notre faiblesse emplie de masochisme délie l’Algérie de toute courtoisie diplomatique. Normal : délétère manque de courage.
Quelques outrances liées au président de la République. On pourrait en rire si elles ne faisaient pas pleurer la démocratie. Un “léchomètre à Macron – Top six des plus beaux fayotages du quinquennat” a permis à Marianne de faire un classement dans ce registre qui n’est pas entravé par notre monarchie républicaine mais au contraire amplifié. On trouve, pour ces éloges défiant toute mesure, Jean-Michel Blanquer, BHL, Christophe Castaner, Frédéric Mitterrand, Bruno Le Maire et Richard Ferrand.
Difficile d’établir une hiérarchie. Il paraît qu’Emmanuel Macron s’est lui-même offusqué du dithyrambe de Blanquer. Pour une fois BHL n’est pas le plus flagorneur. Castaner fait fort mais le vainqueur me semble devoir être Richard Ferrand qui trouve le moyen de célébrer Emmanuel Macron comme une synthèse exemplaire de tous les présidents de la Ve République.
Navrante obséquiosité. Pas assez de courage pour rester dans la dignité et la plausibilité des appréciations.
Ceux qui jugent que je dis parfois trop de bien – il m’arrive aussi d’écrire ou de proférer du mal puisque je déteste les hostilités et les adhésions en bloc – du Président se rendront compte que je reste modéré !
Enfin Fabien Lecoeuvre. Un épisode dérisoire mais très révélateur de l’abaissement au quotidien. Ce producteur et chroniqueur très bavard a qualifié une chanteuse que je ne connaissais pas, Hoshi, “d’effrayante” en vantant l’apparence d’autres artistes.
À cette goujaterie il aurait été simple de répliquer, si on déniait le droit et la liberté de Fabien Lecoeuvre à une telle expression, par une réaction personnelle du même type, genre “tu t’es regardé !”, ou même plus vigoureuse. L’affaire se serait arrêtée là et on n’aurait pas consacré tant de temps à cette péripétie ridicule.
Mais c’était sans compter sur les réseaux sociaux qui ont ajouté une indignation hypertrophiée à ce minuscule incident.
Comme cela est trop habituel, Fabien Lecoeuvre s’est excusé, a été suspendu “provisoirement” d’Europe 1 et a fait preuve d’une repentance sur le mode d’un procès stalinien au petit pied. Se couvrant de cendres, il a déclaré que “ses propos sont inadmissibles et indignes de l’amour que je porte à la chanson française“. C’est bien pire que l’avoir définie comme “effrayante” : cette contrition lâche et pompeuse est le signe sombre de ce qu’on a fait de l’humain.
Cette absence de tout courage, qui en l’occurrence n’assume pas et se flagelle, est déprimante.
Car le courage est bien la vertu qui manque à ces quatre leçons sans frontières : il faut les apprendre toutes.