En France, des provinces aux « territoires » : mort programmée de la patrie charnelle et de cœur, par Pierre Arette.
Ils n’ont que ce mot à la bouche, ces jeunes de LREM : territoires ! Amélie de Montchalin, 35 ans, sur le pont dès le matin du 7 mars, sur CNews, faisait les gros yeux aux journalistes pour mieux exorciser les émeutes de Rillieux-la-Pape, en évoquant des élus qui « savent que pour réussir dans leurs territoires, […] l’État et les collectivités doivent travailler ensemble ».
Candidate elle-même en Essonne pour les prochaines élections régionales, « un territoire qui est une mini-France » ; « ce territoire d’abord, c’est un territoire qui est très important pour notre pays » ; elle entend « mettre fin dans ces territoires comme dans tous les autres » à la politique politicienne. « Vaste programme », aurait pu lui rétorquer de Gaulle ! En tout cas, elle nous a bien asséné cinq fois du « territoire » en moins de deux minutes !
Et tous y vont du substantif géographique flou. Car le déguisé-provincial gascon Castex avait « donné le la » de la concordance sémantique lors de son discours de politique générale de juillet dernier : « La France […], c’est aussi celle des territoires, avec leurs identités et leurs diversités. C’est à cette France des territoires, à cette France de la proximité que nous devons impérativement faire confiance, car c’est elle qui détient en large part les leviers du sursaut collectif. Les territoires, c’est la vie des gens. Libérer les territoires, c’est libérer les énergies. C’est faire le pari de l’intelligence collective. Nous devons réarmer nos territoires ; nous devons investir dans nos territoires, nous devons nous appuyer sur nos territoires. » « Beau ce », aurait pu s’esclaffer Rabelais !
Darmanin connaît aussi son atlas et le mot magique. À Limoges, le 11 janvier, comme dans tous ses déplacements d’après la bataille, ne promettait-il pas le renforcement des forces de l’ordre « afin d’aider tous les territoires français » à lutter contre la délinquance ? Mais le meilleur élève du troupeau démarcheur est le porte-parole du gouvernement, notre Gabriel Attal préféré, 31 ans, qui, sous ses airs d’un saint Sébastien de Mantegna marchant au supplice, vient, jour après jour, justifier courageusement tous les fiascos gouvernementaux dans une impeccable langue de bois où le mot totem précité figure toujours en bonne place : « Nous maintenons une approche ciblée, territoire par territoire », disait-il encore, récemment, de la gestion du Covid-19. Dans le mille ?
Pourquoi cette infestation, aujourd’hui, dans le discours politique ? Les géographes, comme Roger Brunet, définissent le « territoire » comme un « espace approprié, avec sentiment ou conscience d’appropriation ». Son aménagement est – depuis les années 1950 et la popularisation de l’idée par Jean-François Gravier en 1947 – un objectif des politiques publiques. La loi de 1995 entendait ainsi encourager la reconnaissance de territoires présentant « une cohésion culturelle, économique ou sociale » pour en faire le cadre d’élaboration d’un « projet commun de développement ». Un bel exemple de la technocratisation tentaculaire qui tue, en propos et en actes.
Dans un article du Point, en 2019, François-Guillaume Lorrain sentait le piège d’un « terme mis à toutes les sauces » politico-médiatiques par l’établissement bien-pensant ; un vocable « neutralisé, arasé, planifié ». Alors, déjà oubliée la province ; exit la région, le département, la ville ou le village. Principe de la mondialisation sans racines appliqué à la France même, la territorialisation, avec son néo-parler d’obligation, ne viserait-elle pas, finalement, à en finir avec les résidus singuliers de nos vieilles provinces par un projet orchestré de dilution identitaire ? Avec la perte de notre âme, donc. « Le territoire, c’est la terre sans nom, la terre devenue innommable », conclut le journaliste. Bref, l’identité niée.
Saurons-nous dire à ces marcheurs et démarcheurs du mondialisme que notre patrie charnelle, vécue ou désirée, n’est pas leur Hexagone en feu ?