Menaces américaines et résistance allemande autour de Nord Stream 2, par Antoine de Lacoste.
Le gazoduc Nord Stream 2, en chantier depuis longtemps, est presque terminé mais les derniers kilomètres sont les plus difficiles.
Destinée à doubler Nord Stream 1 afin de multiplier par deux les livraisons de gaz à l’Allemagne, cette réalisation stratégique est l’occasion de rudes frictions entre la Russie, les États-Unis, l’Allemagne et la France.
Le premier acteur est bien sûr la Russie. C’est son poids lourd Gazprom qui pilote le projet. Le but de la Russie est triple : augmenter ses livraisons à l’Allemagne, contourner l’Ukraine avec qui les relations sont exécrables et renforcer sa position de premier partenaire gazier de l’Europe.
L’Allemagne rejoint volontiers le premier objectif et sait aussi que le passage par l’Ukraine complique les choses et renchérit les coûts. Elle ferme donc les yeux sur les tensions géopolitiques du Donbass dirigé de facto par des séparatistes pro-russes.
Les États-Unis sont vent debout contre ce projet qui contrecarre leurs ambitions exportatrices de gaz de schiste. Or, les Allemands ne veulent pas de ce gaz car il est beaucoup plus cher que le gaz russe et le coût d’un produit l’emporte souvent chez eux sur des considérations idéologiques.
Les Américains ont alors passé la vitesse supérieure et ont menacé de sanctions tous ceux qui participent à ce projet. Les entreprises, bien sûr, mais aussi les personnes physiques.
Le maire de la petite ville de Sassnitz (Allemagne) a ainsi reçu une lettre de menaces du Sénat américain parce qu’un bateau participant au chantier mouillait dans le port de la ville. Plusieurs responsables du port autonome ont reçu la même lettre : ils doivent cesser tout soutien au chantier sous peine d’être personnellement responsables, « juridiquement et économiquement ».
Ils ont décidé de ne pas se laisser intimider, comme le rapporte l’hebdomadaire Die Zeit, et ont conclu sobrement qu’ils n’iraient pas voyager aux États-Unis.
Il n’en n’a pas été de même pour la société suisse Allseas, dont le navire poseur de pipe-lines a quitté le chantier, entraînant, une fois de plus, son arrêt.
La France avait soutenu l’Allemagne l’an passé contre l’Amérique. Mais c’était l’Amérique de Trump. Maintenant qu’elle est dirigée par un honnête démocrate et qu’elle a rejoint le camp du bien, nos dirigeants trouvent que Nord Stream 2 n’est finalement pas une bonne idée. Et l’aimable Clément Beaune (secrétaire d’État aux Affaires européennes, comme chacun sait) a demandé à notre voisin de renoncer au gaz russe. Inutile de lui rappeler qu’une entreprise française, Engie, participe au chantier car, quand les principes sont en jeu…
Les Allemands ont été fort agacés par ce revirement français et le ministre des Affaires étrangères Heiko Maas a rappelé que « la politique énergétique européenne doit être décidée en Europe et pas aux États-Unis ». C’est assez bien répondu et cela en dit long sur la solidité du couple franco-allemand que nos européistes les plus convaincus n’osent même plus évoquer. Les Français auraient pu rappeler aux Allemands que s’ils n’avaient pas imprudemment abandonné l’énergie nucléaire, ils ne seraient pas si dépendants du gaz russe. Mais comme nous risquons de prendre le même chemin un jour, l’argument ne fut pas utilisé.
La fin de ce chantier sera fort intéressante à suivre et s’il parvient à son terme, ce sera une belle victoire d’un couple inédit germano-russe.
Commentaires
Comme tout contrat de fournitures, ce flux est à double sens. Du gaz dans un sens, de l'argent dans l'autre sens. Gagnant-gagnant, aucun des deux partenaires n'a intérêt à couper le tuyau, et le plus motivé à l'échange est l'Etat russe. L'Allemagne a des alternatives énergétiques, la Russie crève de soif financière.
Le Département d'Etat et le Pentagone s'irrite plus d'un levier de coopération germano-russe que des effets supposés du contrat. Ils oublient les fondamentaux de la stratégie est-européenne qui a toujours impliqué les deux "empires".
Combien de temps a-t-il fallu à Helmut Kohl pour négocier le départ des troupes soviétiques de RDA ? Moins qu'il n'en faut pour l'écrire.