Juin 1774: le jeune roi Louis XVI se fait inoculer la variole, par Guillaume Perrault.
L’opération, réalisée par un médecin militaire, a lieu le 18 juin 1774 à Marly, où la famille royale est confinée. ©Photo Josse/Leemage
L’affaire d’État intervient alors que, depuis des décennies, l’efficacité de l’inoculation suscite des débats passionnés dans toute l’Europe.
Juin 1774 : le jeune roi Louis XVI serait inoculer la variole à famille royale persuadée enfin par l 'évidence des faits les plus authentiques et les plus multipliés, qu 'il n ’existait qu 'un moyen de se mettre désormais en sûreté contre les malheurs qui la menaçaient encore de toute part, prit tout ci coup, seule et sans impulsion étrangère, le parti courageux de recourir à l’inoculation. »
Ces lignes sont extraites du bulletin du roi en date du 24 juin 1774, orné des armes de France et réalisé en caractères élégants par l’imprimerie du roi à Versailles. Destiné à être diffusé à Paris et dans les principales villes du royaume, il informe l’opinion publique d'une grande nouvelle : le jeune roi Louis XVI, vers qui se portent alors tant d’espérances, a accepté de se faire inoculer la variole, ainsi que ses deux frères cadets, le comte de Provence et le comte d’Artois. Et tous se portent bien.
Un mois et demi plus tôt, Louis XV avait succombé à la variole, appelée alors la petite vérole. Cette maladie infectieuse d’origine virale, très contagieuse et épidémique, était un fléau de l’époque. Elle avait déjà, à l’orée du siècle, décimé la descendance du vieux Roi Soleil.
Le 10 mai 1774, Louis XV à peine emporté par le même mal, Louis XVI et Marie Antoinette quittent les lieux et gagnent un autre château afin d’échapper à une possible contamination. Le danger de la variole, cependant, rôde toujours autour de la famille royale.
L’affaire d’État internent alors que, depuis des décennies, l’efficacité de l'inoculation suscite des débats passionnés dans toute l’Europe.
Les Chinois semblent avoir été les premiers, bien des siècles auparavant à découvrir qu’administrer le virus de la variole sous une forme atténuée déclenchait une réponse immunitaire qui protégeait de la maladie. L’ancêtre du vaccin fut ensuite connu tour à tour en Inde, dans l’Empire ottoman puis en terre chrétienne.
Les premiers cas d’inoculation en Europe interviennent dans les aimées 1720. Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, les partisans des idées nouvelles font de l’inoculation un de leurs chevaux de bataille face aux réticences des facultés de médecine et de l’opinion. La préconiser classe aussitôt, de façon flatteuse, parmi les esprits éclairés et frondeurs. Dans Le Barbier de Séville (1775), Beaumarchais crée le personnage ridicule du médecin Bartholo, caricature de l'ennemi des Lumières qui fulmine contre «la liberté de penser, l'attraction, l'électricité, le tolérantisme, l'inoculation, le quinquina, l'encyclopédie, et les drames».
À peine Louis XV mort, Voltaire écrit un éloge du souverain défunt qui s’achève ainsi : « Que l’inoculation nous assure la conservation de notre nouveau roi, de nos princes et de nos princesses ! »
Les adversaires de cette innovation répondent que certains sujets sains meurent de l’inoculation elle même.
Si le fait est avéré, sa probabilité donne lieu à d’intenses controverses. Statistiques à l’appui, le mathématicien suisse Daniel Bernoulli soutient, dans ses « Réflexions sur les avantages de l’inoculation » lues à l’Académie royale des sciences en 1760, que l'espérance de vie d’un enfant inoculé est bien supérieure à celle d'un chérubin qui ne l’est pas. Cette utilisation du calcul des probabilités pour convaincre l’opinion
heurte d’.Membert. Quoique lui aussi favorable à l’inoculation, il critique la démonstration de Bernoulli. « Quelque ¡)€tit qu 'on veuille supposer le risque de mourir de l'inoculation, celui qui se fait inoculer se soumet à ce risque dans le court espace de quinze jours, dans celui d’un mois tout au plus ; au contraire le risque de mourir de la petite vérole naturelle se répand sur tout le temps de la vie et en devient d’autant plus petit pour chaque année et pour chaque mois. » Recourir aux probabilités n’est donc pas pertinent, pour d'Alembert, puisque l’étude ne porte pas, dans les deux hypothèses, sur la même période de temps.
Au cours des mêmes décennies, cependant, de nombreux souverains, en particulier à Londres, Vienne et Saint-Pétersbourg, se font inoculer avec succès. Le fait est sans doute décisif dans la décision de Louis XVI, en juin 1774, de se soumettre à cette innovation médicale. D’autant que Marie-Antoinette a été inoculée, enfant, à la cour de Vienne sur l’ordre de l’impératrice Marie-Thérèse.
Et l’on connaît, en outre, la considération du jeune roi de France pour les sciences.
L’opération, réalisée par un médecin militaire, a lieu le 18 juin 1774 à Marly, ou la famille royale est confinée. Le bulletin du roi rassurant du 24 juin est rédigé par quatre médecins, qui sont nommés. Trois autres bulletins du roi, les 25,26 et 29 juin, informent le royaume, avec force détails concrets (suppuration, état de dessèchement des boutons) des étapes de la convalescence du roi et de ses frères. Rien de ce qui concernait le souverain n'était à l’époque d’ordre privé. Et la confiance envers l’ancêtre du vaccin a reçu ce jour là, en France, un puissant encouragement.
Guillaume Perrault est rédacteur en chef de FigaroVox et des pages Débats du Figaro. Maître de conférences à Sciences Po, il enseigne l’histoire politique française et les institutions politiques. Son dernier ouvrage, «Conservateurs, soyez fiers!», est paru chez Plon en 2017.
Source : https://www.lefigaro.fr/vox/