La famille Lefèvre a un (grand) talent, et en 2020, on peut même dire qu’il est incroyable !, par Gabrielle Cluzel.
Ce télé-crochet sur M6 s’appelle « La France a un incroyable talent », et le nom, quand on y pense, est déjà finalement assez sympathique : les mots « France » et « talent », de nos jours, sont presque subversifs.
Dire que je raffole de ces émissions et que je tuerais père et mère pour ne pas en louper une serait exagéré, mais un groupe de finalistes sort du lot et vaut bien que l’on écoute – que l’on subisse, parfois… – les autres candidats (dont on peut saluer le travail, même quand le goût est douteux) et un jury bateleur qui surjoue un peu (beaucoup) sa partition.
Les Lefèvre sont une famille von Trapp à la française, et quand ils apparaissent sur scène, c’est un moment de grâce suspendu. D’où viennent-ils ? leur demande, lors de la première prestation, le jury. Les six enfants, d’instinct, éludent prudemment la question : « Des coulisses ! » « De région parisienne ! » « De Versailles », avoue enfin la mère de famille. En quoi cette ville serait-elle plus infamante qu’une autre ? Y dévore-t-on les chatons au petit déjeuner ? Ils font partie de cette catégorie de Français avec laquelle on ne prend pas de gants et que l’on peut railler sans danger. Et le jury, avant de les écouter, ne s’en est pas privé : l’un des membres demande si les enfants sont consentants et s’il ne faut pas appeler la DASS. Aurait-il osé cette boutade avec d’autres familles ? Mais peu importe, il finira – lui aussi – subjugué. Souriants, naturels, les Lefèvre offrent le visage d’une famille tournée vers le beau, qui a su faire fructifier ses talents, portée par un projet commun exaltant et exigeant.
Le choix des morceaux n’y est pas pour rien : d’inspiration classique, mais pas « anciens ». Lors de leur premier passage, le jury avait cru reconnaître un morceau médiéval dans l’œuvre en latin qu’ils avaient choisie – tirée du « Cantique des cantiques ». C’était pourtant celle d’un Norvégien contemporain, illustrant à merveille la définition de Paul Valéry : « La tradition n’est pas de refaire ce que les autres ont fait, mais de retrouver l’esprit qui a fait ces choses. »
Le jury a relevé la perfection de l’unisson des voix, comme si elle était le reflet de celui des cœurs. Il a reconnu être parti « moqueur », pour railler les « clichés de Versailles, des cathos, des grandes familles », et avoir trouvé leur prestation « magnifique » au point d’avoir envie de « faire partie de cette famille ». Karine Le Marchand, qui anime l’émission, a même lâché qu’elle aimerait voir sa fille épouser l’un d’entre eux : le bonheur est dans le chant sacré ! Et contre toute attente, les Lefèvre ont su le mettre, sans l’abîmer ni le dévoyer, à la portée de tous pour le rendre… populaire, ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être. Une gageure pour un public biberonné à des sonorités diamétralement opposées.
Nul ne sait, à ce propos, si la famille Lefèvre sera sacrée mardi soir ni si, mi-décembre oblige, ils choisiront d’interpréter un chant de Noël revisité, mais en ces temps sombres, ils sont un peu l’étoile du berger célébrée par Sheila, une de ces chansons de variétés « populaires » qui semblaient jadis un peu bébêtes, mais qui ne l’étaient peut-être pas tant que ça.
Il paraît que pour cette finale – mardi, à 21 h 00 – les téléspectateurs peuvent voter. On va se gêner !