Racisme, sexisme : autant en emporte le vin, par Georges Michel.
On en apprend tous les jours. Par exemple, que le vocabulaire du vin pourrait bien être raciste et, tant qu’à faire, sexiste. C’est ce qu’affirme une journaliste et critique de vins américaine dans un bien bel article publié dans le San Francisco Chronicle.
C’est vrai, ça : il y a du vin rouge, du vin rosé, du vin jaune, du vin blanc mais pas de vin noir. Ne parlons pas du vin qui « a de la cuisse », même si, paraît-il, cette expression est tombée en désuétude et qu’il vaudrait mieux dire qu’il a de « la rondeur », de « la chair ». Mais cette journaliste américaine, dont on ignore si elle a de la robe, est plus subtile que ça. Pour elle, déjà, le langage du vin est intimidant et opaque. « Notes de tabac fumant », de « sous-bois » ou de « pomme Jonagold » : ces expressions relèvent, pour elle, du grotesque et de l’absurdité.
À bien y réfléchir, il en est ainsi de tous les langages un peu ésotériques qui recèlent, d’ailleurs, leur part de poésie et de mystère. Hier, nous évoquions le Kamasutra : on ne se jette sans doute pas dans la lecture de ce chef-d’œuvre sans acquisition d’un minimum d’apprentissage. C’est le b.a.-ba. Autre exemple, le langage de l’héraldique : on ne dit pas bleu mais azur, pas noir mais sable, pas rouge mais gueules, pas vert mais sinople. Prenez le blason de la très californienne duchesse de Sussex : « D’azur à deux cotices d’or accompagnées de trois plumes du même barbées d’argent ». C’est quand même plus charmant qu’un truc comme ça : « sur un fond bleu, en biais deux traits dorés et trois plumes blanches ». Mais bon, encore un truc d’aristos, histoire d’épater la galerie. Et nous sommes en des temps de vulgarisation, pour ne pas dire de vulgarité, et de grande écoute. Tout ce qui peut un tantinet discriminer doit donc être proscrit. Et employer des mots, un langage compliqué, c’est discriminer.
D’ailleurs, pour Esther Mobley – c’est le nom de notre Américaine -, les choses sont claires : ce langage du vin est indissociable du racisme et du sexisme. Ainsi, ce langage abscons se réfère quasiment exclusivement à la culture occidentale et blanche qui domine le monde du bon vin. Le vocabulaire utilisé pour décrire le vin évoque des arômes qui ne parleraient qu’à l’Europe occidentale. C’est sans doute vrai et lié à la tradition vinicole américaine importée de France. Est-ce grave, pour autant ? Il semblerait que oui, pour cette chroniqueuse.
La preuve ? Moins de 1 % des exploitations viticoles américaines ont un propriétaire ou un vigneron noir. Où va se nicher la statistique ! Le langage d’exclusion y serait en partie responsable. Même si cette journaliste plaide pour une plus grande diversification des références pour décrire le vin, on ne peut s’empêcher de penser que ce combat, à tous les étages – du grenier de notre mémoire jusque, désormais, à la cave -, pour une société « plus inclusive » (c’est, je crois, le mot à la mode) passera inévitablement par une simplification des codes et du langage.
Quant aux vins qui, faute de cuisse, ont désormais de la rondeur ou de la chair, il va falloir rapidement songer à un autre descriptif avant que des militant.e.s anti-grossophobie s’en mêlent.