L'aventure France en feuilleton : Aujourd'hui (183), La France à Jérusalem...
Le monastère d'Abou Gosh, le tombeau des Rois, l'église Sainte-Anne et le monastère d'Eléona : avec ces quatre possessions, héritées du XIXème siècle, la France est la seule puissance étrangère à posséder des biens dans Jérusalem...
Sous le titre "La France, gardienne des Lieux saints", Adrien Jaulmes a publié, dans Le Figaro du 13 septembre 2010, le très intéressant article que voici :
Peu après son entrée en fonction, chaque nouveau consul général de France à Jérusalem revêt sa tenue d'apparat, uniforme blanc et casquette galonnée. Précédé de deux kawas, gardes traditionnels en costume ottoman, tarbouche et pantalon bouffant, qui martèlent le sol de leurs lourdes cannes ferrées au pommeau d'argent, il traverse les ruelles étroites de la Vieille Ville jusqu'au parvis de la basilique du Saint-Sépulcre.
Les cloches de l'église construite au-dessus du tombeau du Christ carillonnant en son honneur, le représentant de la République française est accueilli à l'entrée par le custode, chargé des intérêts de l'Église catholique romaine en Terre sainte, et par les dignitaires des autres églises chrétiennes, grecs orthodoxes, arméniens, coptes et éthiopiens. Il est le seul diplomate étranger et surtout non religieux à jouir de ces privilèges. Après sa visite au Saint-Sépulcre, le consul général se rend, toujours précédé par ses deux gardes, à l'église Sainte-Anne, près de la porte des Lions. Sous les voûtes de pierre blanche de l'ancienne église croisée où flotte le drapeau tricolore, il prend place dans un fauteuil damassé devant les bancs des fidèles. On lui présente l'eau bénite et les évangiles, avant de l'encenser. La célébration s'achève par une prière en latin, le Domine salva fac republicam («Que Dieu sauve la République»).
Une trentaine de ces «messes consulaires» se déroulent dans l'année, et notamment pour le 14 Juillet. La célébration religieuse d'une fête révolutionnaire et républicaine peut surprendre, mais l'on n'est pas à un paradoxe près à Jérusalem. Outre ces messes catholico-républicaines et les privilèges religieux du consul général, la France est aussi la seule puissance étrangère à posséder des biens fonciers dans et autour de la ville.
Outre l'église Sainte-Anne, l'État français est aussi propriétaire du monastère d'Abou Gosh, sur la route de Jérusalem, de celui de l'Eléona, sur le mont des Oliviers, et de l'étrange tombeau des Rois, situé à Jérusalem-Est. Ces quatre domaines nationaux sont l'héritage d'une longue histoire, où, comme souvent dans cette partie du monde, politique et religion se mêlent étroitement.
Imbroglio juridique et foncier
L'aventure des Croisades achevée en 1291, la France est l'une des premières puissances européennes à se voir de nouveau accorder des privilèges au Levant, lorsque François Ier signe en 1536 avec Soliman le Magnifique le traité des Capitulations. Le traité, suivi par d'autres, confie à la France la protection des lieux saints et des chrétiens de l'Empire.
Au XIXe siècle, le jeu des puissances consolide la prépondérance de la France, monarchique, impériale puis républicaine, comme protectrice des catholiques au Levant. Le traité de Mytilène, signé en 1901 avec la Porte, consacre les droits des congrégations catholiques en Terre sainte, alors même que fait rage en France la lutte entre la République et l'Église. Mais «la laïcité n'est pas un article d'exportation». La formule, attribuée tantôt à Léon Gambetta, tantôt à Aristide Briand, prononcée en plein vote de la loi de séparation de l'Église et de l'État, résume toujours l'étrange statut de la France dans la Ville sainte.
«Tout se touche à Jérusalem, le politique n'est jamais bien loin du religieux», dit le père Jean-Luc Eckert, conseiller pour les affaires religieuses au consulat général de France. «Certains considèrent ces cérémonies et privilèges comme un folklore un peu anachronique, mais elles témoignent pourtant de l'influence que la France continue d'exercer, notamment dans les domaines humanitaires et éducatifs.»
Outre les quatre domaines nationaux, la France subventionne aussi l'École biblique et archéologique française située à Jérusalem-Est.
Le statut de ces possessions n'a jamais été remis en cause, ni sous les Ottomans ni pendant le mandat britannique. Mais depuis sa conquête par Israël en 1967, puis l'annexion unilatérale de sa partie orientale en 1980, Jérusalem est devenu un imbroglio juridique et foncier. Les titres de propriété sont régulièrement remis en question par Israël, alors que l'annexion de Jérusalem n'a jamais été reconnue par la communauté internationale, qui considère toujours la ville comme un corpus separatum, une entité séparée, et n'y entretient pas d'ambassades.
«Les titres de propriété sont anciens, et décrivent des biens parfois disparus, ou de façon imprécise», dit le père Frans Bouwen, père blanc de Sainte-Anne. «Les Anglais ont introduit des éléments plus rationnels, mais les autorités israéliennes ont classé certains domaines comme des parcs publics, et remettent en question le droit d'usage.»
C'est curieusement le tombeau des Rois, seul domaine français inhabité, qui pose le plus de problèmes. Des groupes religieux juifs contestent régulièrement la possession par un pays étranger d'une tombe qu'ils attribuent à des rois bibliques. Et crient à la profanation quand le consulat général de France y organise des festivals musicaux a destination d'un public essentiellement palestinien.
1856 - L'église Saint-Anne
Située dans la Vieille Ville de Jérusalem, à deux pas de la porte de Saint-Etienne, appelée aussi porte des Lions, Sainte-Anne est l'une des plus belles églises de Jérusalem. Le bâtiment original fut construit par les croisés dans un impeccable style roman sur le site présumé de la piscine de Bethesda, où, selon les Évangiles, le Christ guérit le paralytique. Transformée en école coranique après la chute du Royaume latin de Jérusalem, elle est offerte à la France en 1856 par le sultan ottoman, pour remercier Napoléon III de son intervention contre les Russes pendant la guerre de Crimée. Elle est ensuite confiée aux pères blancs du cardinal Lavigerie, dont la statue se dresse toujours dans les jardins de l'église.
Restaurée après avoir subi des dégâts pendant les combats de la guerre des Six-Jours, elle abrite à présent une dizaine de prêtres et frères de la congrégation des pères blancs, qui se consacrent à la formation de missionnaires. Outre l'église, le domaine comprend une série de bâtiments, des jardins et les ruines de la piscine de Bethesda, profondes citernes creusées dans la pierre où des archéologues ont exhumé des vestiges de temples romains et d'églises byzantines. Deux consuls généraux de France sont enterrés dans l'église.
1856 - L'Eléona
Un drapeau français flotte aussi au sommet du mont des Oliviers, visible depuis toute la Vieille Ville de Jérusalem. Le monastère carmélite de l'Eléona a été bâti sur l'emplacement supposé de la grotte du Pater Noster, lieu où Jésus aurait enseigné la prière à ses disciples. Le terrain avait été acheté en 1856 par la princesse de la Tour d'Auvergne, aristocrate aussi pieuse qu'excentrique, qui s'y installe dans une petite maison. Elle fait élever un cloître au-dessus de la grotte de l'enseignement du Pater, dont les plans sont attribués à Viollet-le-Duc.
En 1874, la princesse divise le terrain entre les pères blancs et les sœurs carmélites, et fait don du monastère de l'Eléona à la France.
Comme avait commencé à le faire la princesse de la Tour d'Auvergne, des plaques reproduisant des traductions du Pater Noster dans toutes les langues connues sont apposées sur les murs de la propriété. Les carmélites ont assoupli les règles de leur ordre pour permettre à certaines d'entre elles de s'occuper de l'accueil des touristes et des pèlerins. Elles tiennent également un petit magasin de souvenirs.
1871- Le tombeau des Rois
Rue Saladin, à Jérusalem-Est, non loin du célèbre hôtel American Colony, un drapeau français flotte au-dessus d'un portail de fer. Il ouvre sur un site souterrain, invisible depuis la rue, fouillé par des archéologues français au XIXe siècle, et longtemps considéré comme la tombe des derniers rois de la Judée biblique. Il est aujourd'hui plutôt attribué à une princesse juive, Hélène d'Adiabene, qui aurait fait creuser le mausolée.
On y accède par un escalier monumental taillé dans la pierre qui descend jusqu'à un vaste hypogée. Cette grotte artificielle creusée dans la roche abrite plusieurs sarcophages, dont certains se trouvent aujourd'hui au Louvre. Le Tombeau des rois fut acheté en 1871 par les frères Pereire, célèbres banquiers du Second Empire, qui en font don quelques années plus tard à la France «pour le conserver à la science et à la vénération des fidèles enfants d'Israël ».
Le tombeau des Rois abrite régulièrement des concerts organisés par le consulat général de France à Jérusalem, suscitant presque aussi régulièrement des protestations de juifs orthodoxes qui contestent l'usage profane d'un site religieux.
1873- Le monastère d'Abou Gosh
«Voilà, vous l'avez votre tas de pierres !», aurait dit en 1873 le sultan ottoman au marquis de Vogüé. L'ambassadeur de France près la Sublime Porte vient d'obtenir pour son pays la petite église d'Abou Gosh, en contrepartie de la prise de l'église Saint-Georges de Lydda par les Grecs orthodoxes. Située à une dizaine de kilomètres de Jérusalem, cette ancienne commanderie croisée a été bâtie par l'Ordre des hospitaliers pour héberger les pèlerins qui y font étape sur la route qui monte vers la ville depuis la côte. Elle est avec Sainte-Anne l'un des plus beaux vestiges de l'architecture franque en Terre Sainte. Le monastère, avec sa chapelle de style roman, décorée de superbes fresques byzantines, est situé sur l'un des sites supposés d'Emmaüs. Les bénédictins s'y installent en 1903, et signent un contrat avec la République française. En échange de quoi, stipule le texte de l'époque, «ils célébreront les offices religieux, avec toute la solennité requise, pour la prospérité de la France et de l'Église ». Situé aujourd'hui en territoire israélien, au milieu d'un village musulman, Abou Gosh abrite 9 moines, olivétains du Bec-Hellouin, et douze moniales, qui se consacrent à la prière et à des travaux manuels, et produisent notamment un excellent limoncello.
Pour retrouver l'intégralité du feuilleton, cliquez sur le lien suivant : L'aventure France racontée par les Cartes...
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