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Yann Raison du Cleuziou: en France, le déclin du catholicisme populaire.

Source : https://www.vaticannews.va/

Une enquête de l’institut de sondage Ifop, parue dans Le Monde à la veille de la fête de l’Assomption, démontrait une nette érosion de la culture chrétienne en France, surtout chez les moins de 35 ans, même si elle établissait dans le même temps la relative persistance du catholicisme au sein de la société française. Le sociologue Yann Raison du Cleuziou décrypte pour nous les données de cette étude.

Ce sondage reprend les mêmes questions que celui réalisé en 1988, à l'occasion de la venue de saint Jean-Paul II à Strasbourg. Cet écart de 32 ans permet donc de constater combien le rapport des Français à la culture chrétienne s’est profondément modifié.

Ainsi, par exemple, si 67% des Français affirmaient connaitre «par cœur et entier» la prière du Notre Père en 1988, ils ne sont plus que 56% aujourd’hui; la différence est encore plus éloquente si l’on se concentre sur la tranche des jeunes de moins de 35 ans: seuls 42% d’entre eux connaissent la prière de Jésus, et 29% celle du «Je vous salue Marie».

Un phénomène en cours depuis des décennies

Un autre indicateur de cette évolution tient à la connaissance des fêtes religieuses et de leur signification : 44 % des Français savent que Pâques célèbre la résurrection du Christ (ils étaient 43 % en 1988). Or, 47 % d’entre eux ont plus de 50 ans, 34% ont moins de 35 ans. Les chiffres accusent une baisse encore plus significative s’agissant de la Pentecôte (7% des moins de 35 ans peuvent la relier à la descente du Saint-Esprit sur Marie et les apôtres contre 18% en 1988).

Les résultats de cette enquête ne sont guère surprenants : la sécularisation des sociétés occidentales, notamment française, est un phénomène observé et étudié depuis des décennies.

Yann Raison du Cleuziou est sociologue, maitre de conférences en sciences politiques de l’Université de Bordeaux. Fin connaisseur de ces questions pour y avoir consacré plusieurs ouvrages -dont Qui sont les cathos aujourd’hui (Desclée de Brouwer, 2014)-, il revient sur les traits saillants de cette étude et explore les dynamiques à l’œuvre au sein du christianisme en France :

https://media.vaticannews.va/media/audio/s1/2020/08/26/13/135698483_F135698483.mp3

Ce qui est le plus significatif à mon sens c’est la culture matérielle. Par exemple, le fait d’avoir un crucifix accroché au mur chez soi ; c’est un élément assez «ordinaire» d’un intérieur chrétien. Et bien aujourd’hui, dans la population française des 18 ans et plus, il n’y a que 17% des Français qui possèdent un crucifix accroché au mur, soit un recul de 22 points par rapport à 1988. Ce recul, on le mesure aussi à travers les chiffres de la pratique religieuse : il n’y a plus qu’environ 2% de pratiquants hebdomadaires en France. Nous avons vraiment un catholicisme en déclin, et en même temps, quand on regarde les chiffres, on mesure aussi que le catholicisme marque toujours la culture française. 75% des Français savent reconnaitre dans Noël une fête chrétienne, 31% ont toujours une Bible chez eux, 25% un chapelet, 23% une statuette de la Vierge... Donc même si le catholicisme est en déclin, il reste un marqueur important de la culture française.

Les auteurs de l’enquête parlent d’un recentrage sur la foi elle-même et d’un recul des rites. Que manifeste cette dissociation ?

La foi, c’est le propre de ceux qui sont les plus engagés et intégrés à l’Église catholique. Or, comme celle-ci devient minoritaire, le marqueur d’appartenance au catholicisme devient de plus en plus la capacité de dire sa foi dans les termes mêmes du langage institutionnel. Et donc, on observe dans cette enquête, qu’il y a plus quatre points de Français qui reconnaissent dans la fête du 15 août « l’Assomption » et qu’il y a une baisse de ceux qui y reconnaissent la « fête de Marie », laquelle était une appellation populaire. En gros, cette tendance signifie que l’Église devient minoritaire et qu’elle se recompose sur un noyau de virtuoses de la foi qui ont une compétence théologique relativement élevée. En revanche, cela montre un déclin du catholicisme populaire, dont le rapport à l’Église reposait essentiellement sur les rites de passage -baptême, mariage, enterrement- et sur une pratique saisonnière -Noël, Pâques, Assomption, etc.

Ce que vous décrivez là rejoint ce que prédisait le cardinal Ratzinger, il y a plusieurs années, lorsqu’il parlait d’une recomposition du catholicisme en Occident sur la base de ce qu’il appelait des « minorités créatives »…

Oui, on a un catholicisme qui est minoritaire et il a une visibilité, dans la société française, qui est presque supérieure aux années 1970 lorsqu’il était plus majoritaire. C’est assez paradoxal ! Par exemple, lors de la dernière élection présidentielle, les catholiques ont été très actifs, très visibles en politique, ce qui n’était pas arrivé depuis des décennies. Et cette visibilité est liée à la prise de conscience de leur statut minoritaire. Comme minorité, ils s’organisent pour peser, alors qu’auparavant, étant majoritaires, ils ne ressentaient pas le besoin de défendre leur intérêt, de s’organiser pour négocier leur vote contre l’engagement des partis politiques dans un conservatisme sur les questions de bioéthique.

Est-ce que, malgré tout, les catholiques peuvent «tirer profit» de ce déclin ?

Je ne crois pas qu’il faille forcément se réjouir de cette évolution. Certains évêques disent qu’on passe d’une Église qui avait la quantité à une Église qui s’appuie sur la qualité. Finalement, on a aujourd’hui une Église qui est plus élitiste et qui se trouve donc entravée dans sa capacité à toucher le reste de la population, parce que cette Église catholique n’est plus populaire. Et c’est quelque chose de compliqué à contrer et à dépasser grâce à une pastorale adaptée.

D’où vient ce manque d’intérêt des jeunes pour la culture chrétienne, pourquoi ne se sentent-ils pas rejoints ?

C’est une très vaste question qui suscite beaucoup de controverses, car les causes de la déchristianisation sont multiples et il ne faut pas regarder que les jeunes. Elles sont liées tout d’abord à la profonde transformation de la société française. On sait par exemple que la déchristianisation a été accélérée par l’exode rural d’une partie des Français, par la tertiarisation de l’économie, c’est-à-dire par le fait que beaucoup plus de Français travaillent dans les services et ont un niveau de scolarisation plus élevé.

C’est lié aussi aux transformations de l’Église. A partir des années 1970, chez une partie des catholiques, il y a eu un certain malaise à l’égard de la transmission de la foi ; certaines familles catholiques ont voulu laisser les jeunes générations choisir elles-mêmes leur ancrage spirituel, et par conséquent, il y a eu un refus de transmettre ce qui avait été la foi des pères.

Je crois qu’on peut aussi interroger la catéchèse et la pastorale. Quand on regarde le nombre de jeunes Français de moins de 25 ans qui se disent catholiques, on est autour de 20% -c’est très faible-, et pourtant, énormément de Français passent par l’enseignement catholique. Cela montre bien que la pastorale qui est proposée au sein de cet enseignement ne parvient pas à les accrocher. Peut-être parce que celle-ci s’appuie trop sur un discours un peu humaniste, valorisant les valeurs de partage, d’accueil, de générosité… Valeurs qui ne sont pas spécifiquement religieuses et qui, par conséquent, peuvent donner l’impression aux jeunes qu’ils connaissent déjà le christianisme, qu’ils peuvent vivre ses valeurs sans avoir la foi, et ne voient pas ce que la foi chrétienne peut leur apporter de plus que les valeurs déjà ambiantes.

On peut légitimement parler d’un échec sur cette question. Comment, selon vous, l’Église peut-elle réinvestir le terrain de la catéchèse et de la formation de base de ses fidèles ?

Pour un sociologue, il est un peu compliqué de se prononcer sur l’orientation pastorale de l’Église, d’autres sont beaucoup plus compétents que moi. Mais je crois qu’il est très important de regarder ce qui se joue dans les clivages générationnels, au sein de la société française et de l’Église. Ce que montre cette enquête Ifop-Le Monde, c’est qu’en gros, les plus de 80 ans sont baptisés à 80% et les moins de 25 ans sont baptisés à environ 25%. Cela signifie que les personnes âgées dans l’Église vivent et vieillissent dans un monde qui demeure majoritairement chrétien, alors que les jeunes générations de catholiques vivent dans un monde où le catholicisme est minoritaire. Cela fait que ces générations ne se comprennent pas, il y a une tension entre juniors et seniors dans les paroisses parce qu’ils appartiennent à des mondes totalement différents. Souvent, les jeunes catholiques sont un peu contestataires à l’égard des vieilles générations qui dominent l’Église catholique en France parce que ces jeunes ont le sentiment d’être doublement minoritaires, en tant que jeunes dans une Église composée majoritairement de retraités et en tant que catholiques dans une société très largement sécularisée. On a donc souvent des jeunes qui ont envie de remuer l’Église, l’envie d’être audacieux et des vieilles générations qui, au contraire, ont toujours la crainte d’être écrasants car ils appartiennent à un catholicisme majoritaire. Je crois que ce serait déjà important si dans l’Église catholique, les générations plus âgées comprenaient que les jeunes catholiques vivent dans un autre monde et leur laissaient plus d’autonomie. 

 

Entretien réalisé par Manuella Affejee- Cité du Vatican

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