Défendre Éric Dupond-Moretti…, par Philippe Bilger.
Source : https://www.bvoltaire.fr/
Il me semble que le garde des Sceaux, depuis qu’il a été nommé, justifie ma modeste apologie.
Je laisse de côté l’aigreur de la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, elle-même avocat : « Il a tout faux depuis le début, il ne tiendra pas longtemps. Autant que je me prépare » (Le Canard enchaîné).
D’abord défendre Éric Dupond-Moretti contre lui-même mais, paradoxalement, contre la tentation d’une normalité qui le ferait se perdre. Je le dis d’autant plus volontiers que je confirme totalement mon billet du 25 juillet qui visait à dénoncer ses pourfendeurs lui reprochant de ne plus être assez avocat.
Aujourd’hui, je ne voudrais pas que, pour s’être glissé avec tant d’apparente facilité dans une posture ministérielle, il oublie ce qui a toujours fait sa singularité et qui est irremplaçable. Si l’appareil officiel de la Justice peut être comparé à « un magasin de porcelaine », que lui-même ne répudie pas « l’éléphant » dont la force et la liberté ont créé ses succès au barreau et qui serait utile et bienfaisant dans un monde ouaté où le conformisme et l’administration doivent être secoués. J’ai cru deviner qu’il répugnait, avec son nouveau rôle, à profiter encore des vertus du professionnel redoutable d’hier : ce serait dommage.
Ensuite défendre Éric Dupond-Moretti contre les avocats. Il n’est que trop naturel qu’il ait un lien privilégié avec cet univers qu’il a honoré. Il s’est fait remettre un rapport par Dominique Perben que Nicole Belloubet avait missionné pour une réflexion sur « l’avenir de la profession d’avocat ». Aucune des treize propositions qui vont lui être soumises « pour sortir les avocats de la crise » n’est sans intérêt, mais mon inquiétude porte sur le fait que l’augmentation des droits et des garanties dont le barreau devrait bénéficier ne va pas manquer de rendre encore plus complexe et plus lente la procédure pénale et, donc, aller à l’encontre de la simplicité souhaitée par le ministre.
Défendre aussi Éric Dupond-Moretti contre une certaine magistrature. Celle qui n’est vantée qu’à cause de ses excellentes relations avec les avocats et moins pour la fermeté de son action que pour l’habileté de son entregent.
Une grande part du monde judiciaire n’a pas accueilli Éric Dupond-Moretti les bras et l’esprit ouverts mais, s’il a tenté de la rassurer, il ne faudrait pas que, dans ses futures entreprises, il soit plus enclin à favoriser la première que la seconde.
Défendre, enfin, Éric Dupond-Moretti contre le risque de la diversion et peut-être d’une dispersion.
Pourquoi a-t-il éprouvé le besoin de se rendre devant les écologistes, dont la pensée judiciaire est rien moins que cohérente, pour justifier des propos qu’il avait proférés et dont la pertinence était indiscutable ? Je conçois que, se sentant contraint dans l’expansion de ses qualités de base comme ministre de la Justice, il s’abandonne au plaisir de les extérioriser devant des assemblées où il se fait brillamment l’avocat de sa propre cause.
Ces diversions qu’il s’octroie pourraient laisser penser à une fuite de l’essentiel alors qu’au contraire, l’impatience est vive, et les citoyens curieux, à l’égard de la « série d’annonces pour les prochaines semaines » dont on sait qu’elles vont principalement concerner les modalités des enquêtes préliminaires, la détention provisoire et le régime des fadettes. J’apprécie tout particulièrement que « son obsession soit de simplifier les relations entre le justiciable et la justice ». Cette ambition ne pourra être satisfaite que par une révolution considérant comme prioritaires les attentes du citoyen et l’obligation, pour la magistrature, de s’imposer des devoirs à l’égard de la société, et non pas seulement la dette qu’aurait celle-ci à l’égard des magistrats.
J’ai lu que le garde des Sceaux avait aussi l’intention de se pencher sur les bonnes pratiques, ici ou là, afin de les généraliser et de faire travailler des commissions sur certains thèmes comme par exemple la détention provisoire ou le futur de la Justice.
Cette volonté aboutira à d’heureux résultats opératoires seulement si la pratique des commissions fait qu’un pluralisme est institué et organisé et que ne sont pas d’emblée réunies des personnalités accordées entre elles et, donc, programmées pour remettre un rapport conforme à la pensée connue ou anticipée du ministre. Si ces commissions échappent à cette perversion fréquente, elles pourront non seulement être utiles mais voir leurs propositions les plus pertinentes devenir vite effectives.
On aura noté que je n’aurai pas l’outrecuidance de prétendre défendre Éric Dupond-Moretti contre sa philosophie pénale qui n’est pas forcément la mienne ni celle de beaucoup de citoyens. Je ne me fais aucune illusion.
Si je partage le constat de Xavier Bertrand – « La sécurité restera l’immense faillite du quinquennat » – et son exigence d’un « changement immédiat de politique pénale », je me doute que le garde des Sceaux sera probablement sur une autre ligne, mais peu importe. On a tout de même le droit d’espérer.
Il faut défendre Éric Dupond-Moretti contre ce qui pourrait le détourner du meilleur de lui-même : redonner, dans la Justice, sa place au peuple et s’inspirer d’un humanisme qui ne serait pas mou ni complaisant à l’égard des délinquants et des criminels.