Zemmour, Villiers, Raoult, Bigard... Pourquoi Macron cajole les adversaires du «système», par Chloé Morin.
LUDOVIC MARIN/AFP
Source : https://www.lefigaro.fr/vox/
Les clins d’oeil présidentiels à des personnalités dites «populistes» relèvent d’une stratégie politique millimétrée, analyse la sondeuse Chloé Morin. Emmanuel Macron craint l’émergence d’un outsider qui devienne le champion du camp «anti-système».
Depuis quelques semaines, le Président a enchaîné les clins d’œil à des figures inattendues, n’appartenant pas a priori à son monde, tant sur le plan sociologique qu’idéologique. Des clins d’œil qui n’ont rien d’anodin et ne doivent sans doute pas grand chose au hasard. Ils semblent dessiner par petites touches une stratégie de communication, voire une stratégie politique en vue de 2022.
Le Président pourfendeur des «passions tristes», du déclinisme, qui cherche à incarner une France ouverte, conquérante et optimiste a ainsi récemment honoré Éric Zemmour d’un long coup de téléphone - 45 mn, suite à une agression subie par ce dernier. Le même Zemmour qui adore camper la posture exactement opposée à celle de Macron. Et avec succès, puisqu’il a vendu plus de 500 000 exemplaires du Suicide français, sorti en 2014. On imagine une bonne partie du socle électoral d’Emmanuel Macron s’étrangler en apprenant les égards républicains accordés à l’homme qui a été condamné pour provocation à la haine raciale en 2019 et obtient des cartons d’audience chaque soir sur CNews. Par cette marque de respect légitime en démocratie, où les adversaires ne sont pas des ennemis, Emmanuel Macron entend sans doute adresser un signal aux très nombreux Français se reconnaissant dans les écrits et idées de Zemmour. Si la stratégie de communication est cousue de fil blanc, elle n’en démontre pas moins qu’Emmanuel Macron ne cède pas à cette tentation d’excommunication et de marginalisation des opposants jugés «politiquement incorrects», dont une certaine gauche est assez coutumière. Bien sûr, en relatant cet appel dans son émission, Zemmour n’est pas dupe. Il sait qu’il participe à une campagne de communication, et avoue qu’il devine les «arrières pensées politiques» du Président.
Une tentative de puiser auprès de personnage comme Philippe de Villiers, ce qui lui manque de provinciale.
Plus récemment, c’est une autre figure à la fois populaire auprès d’une partie de la droite, et se positionnant comme «hors système» - politique, plutôt que médiatique, cette fois-ci - qui a pu bénéficier des égards présidentiels. Philippe de Villiers a ainsi mis en scène ses échanges privés avec le Président de la République à propos de la réouverture prochaine du Puy du Fou. Il s’agissait pour lui d’obtenir une réouverture aussi rapide que possible en allant arracher un arbitrage présidentiel, alors que le Premier ministre semblait traîner des pieds. Ce faisant, il se fait lui aussi l’ambassadeur improbable d’une stratégie visant à séduire, par petites touches, des électorats très éloignés du macronisme, et à conquérir des qualités qu’il ne possède pas. Une tentative de se «reconnecter» au pays, d’aller puiser auprès de personnages comme de Villiers ce qui lui manque de France provinciale, d’anti-élitisme, d’héritage historique, de déserts politiques traversés et défaites encaissées, de cicatrices… bref, tout ce qui a marqué la vie de tant de présidents avant lui, et qui en temps «de guerre» lui fait cruellement défaut.
Nous pourrions ajouter à notre liste la figure de Didier Raoult, l’outsider du monde médical et scientifique, qui défie d’administration et l’élite «parisienne» depuis son IHU de Marseille. Ou bien l’écrivain Michel Houellebecq, cette autre figure que la France «progressiste» adore détester et que le Président a décoré. Ou encore Jean-Marie Bigard, qui révélait le 20 mai dernier avoir été appelé par le Président suite à un coup de gueule contre le gouvernement.
Jean-Marie Bigard incarne à sa manière l’exact inverse du Président.
Bigard n’a évidemment rien à voir avec de Villiers, sauf le fait qu’il incarne à sa manière l’exact inverse du Président. D’un côté, une figure populaire à l’humour gras, fier d’être «beauf», et de l’autre un Président qui se sait considéré par une partie de l’opinion comme élitiste, incarnant une forme de mépris social et intellectuel. Ils n’appartiennent pas au même monde. Or, quoi de plus disruptif, étonnant, intriguant, que de voir un Bigard populaire pour ses paroles vulgaires, à l’opposé de l’intellectualisme arrogant qui fait la marque du Président, dire dans un média «Je ramène ma gueule, je chie sur le président et le président m’appelle pour me dire: «Vous avez raison», donc je trouve ça génial!».
Ces clins d’œil à des figures n’appartenant pas, ou ne semblant pas appartenir à son «monde», sont trop nombreux pour ne pas relever d’une stratégie délibérée. Celle d’aller se régénérer, ou du moins compléter sa stature au contact de figures qui ont toutes la particularité d’incarner l’exact inverse de ce qu’il est.
En allant chercher aux marges du «système» des figures qu’il cajole, écoute, respecte, Emmanuel Macron prend ici acte d’un fait politique majeur: plus que le clivage gauche-droite, la partition entre personnages perçus comme faisant partie d’un «système» ou d’une «élite», et personnages revendiquant une forme de «hors système» s’impose. Emmanuel Macron, fin analyste politique, qui a vu la manière dont un Grillo en Italie ou un Trump aux États-Unis avaient émergé, sait que ce clivage sera déterminant en 2022. Et qu’étant de fait situé du mauvais côté du clivage, il lui faut à tout prix brouiller les cartes, faute de pouvoir réitérer le tour de force de 2017, par lequel il était parvenu à donner le sentiment d’être «hors système» alors même que par sa formation et son parcours, il en était en quelques sortes l’incarnation parfaite.
D’un côté, une «élite» plutôt libérale, plutôt ouverte, plutôt urbaine, plutôt «intello», à laquelle Emmanuel Macron sait être identifié par une grande part de l’opinion. De l’autre, une France plus populaire, «enracinée», moins optimiste voire franchement décliniste, attachée à ses racines et à un passé plus ou moins idéalisé. Ce clivage est un ressort essentiel du dégagisme, dont le Président n’ignore sans doute pas que loin de s’atténuer, il s’est amplifié depuis 2017.
Au-delà de la simple stratégie de communication, le Président dresse un constat juste: à force de bannir, de disqualifier, de marginaliser des idées et des figures populaires, le débat politique s’est atrophié, et de moins en moins de citoyens jugent utile d’y participer. Un tel constat mérite néanmoins plus qu’une campagne de communication. Il faudrait une véritable interrogation sur la manière d’ouvrir le débat - tout en le dépassionnant, l’un n’empêchant pas l’autre contrairement à ce que beaucoup veulent croire -, seule manière de résorber durablement la coupure franche qui divise la plupart des citoyens et leurs élites.
Chloé Morin est l’ancienne conseillère opinion du Premier ministre de 2012 à 2017. Elle travaille actuellement comme experte associée à la Fondation Jean Jaurès.