Sur Figaro Vox, de quoi la foi en Didier Raoult est-elle le nom?, par Gilles William Goldnadel.
Symbole d’un bon sens populaire qui se heurterait au «dogmatisme» des puissants, le professeur marseillais, qu’il ait raison ou tort, est devenu l’emblème d’une défiance du peuple envers ses élites, estime l’avocat et chroniqueur.
On voudra bien exclure de ce questionnement toute réflexion sur les éventuels bienfaits de la chloroquine, sur lesquels je confesse bien volontiers mon absence complète d’expertise.
Bien mieux, à l’époque des sachants en tout genre, je revendique mon ignorance.
Didier Raoult, au-delà d’une compétence scientifique que ses pires contempteurs n’osent lui contester, n’est pas qu’un microbiologiste controversé aux allures christiques: c’est un symbole, un concept. Il est le réceptacle humain de tous les mécontentements, les colères et les rancoeurs populaires.
En ce sens, il n’est pas faux de le considérer comme le totem du populisme principalement provincial contre les tabous de la notabilité parisienne. À ce titre, la chloroquine est une manière d’amulette inconsciente, de grigri pour exorciser les fantasmes irrationnels et les angoisses qui ne le sont pas.
Cet article se concentrera sur tout ce qui peut expliquer rationnellement l’engouement pour le personnage considéré par d’aucuns, non comme un saint mais comme plus sain que certains.
Dans la chronologie, la popularité du médecin marseillais doit sans doute beaucoup à Daniel Cohn-Bendit et à un événement minuscule autant que ridicule.
On nous explique que nous serions incapables de renoncer à nos « habitudes culturelles » alors que la maison brûle !
C’est lui il y a 15 jours qui demandait aimablement à la télévision au scientifique de «fermer sa gueule». Venant d’un homme reconverti dans le macronisme de gauche et dont la gloire ancienne est issue d’un mouvement foutraque qui se proposait d’interdire d’interdire, la sommation au silence venu du microcosme médiatique et mondain ne pouvait que rendre populaire le phocéen.
Mais, plus profondément, les deux agents puissants de la «Raoultmania» sont l’insuccès français dans le combat contre le virus et l’exaspération qu’inspirent au peuple les pontes pontifiants.
S’agissant de ces derniers, une véritable culture de la défiance pour les experts s’est installée en France qui ne doit rien au complotisme venu s’y greffer.
Les Français savent parfaitement faire la différence entre le dévouement des médecins de terrain, des infirmières et des soignants, et la suffisance des notables qui auront fait la preuve de leur insuffisance. Chacun sait ou devrait savoir que dans les aréopages professionnels, qu’il s’agisse d’avocats, de médecins ou d’agriculteurs, ceux qui siègent aux bonnes places ne sont pas forcément les meilleurs.
Un bêtisier est à écrire sur les sornettes qui ont été proférées depuis le magistère de Mme Buzyn au ministère. Aucun risque d’épidémie n’était à craindre de cette grippette, nous disait-on. Les frontières nationales et les masques n’étaient pas des barrières. Je n’ai pas suffisamment de cruauté pour citer nominativement fadaises et coquecigrues émanant de médecins sinon reconnus au moins en quête de reconnaissance. Et pourtant, il n’y avait aucune honte et même quelque grandeur, s’agissant d’un phénomène viral nouveau, à reconnaître son ignorance.
Mais c’est évidemment sur le terrain de la défaite en rase campagne contre le virus malin que le succès du marseillais est à entendre.
On nous explique que nous serions incapables de renoncer à nos « habitudes culturelles » alors que la maison brûle !
Il n’est que de comparer les résultats enregistrés en Allemagne et en France pour ne pas avoir guère envie de plastronner. Les chiffres sont d’une rare cruauté. Cinq fois moins de morts chez le voisin germain. Cinq fois plus de tests (70 000 par jour contre 12 000). Aucune pénurie de masques à l’est.
Notre gouvernement est testé négatif et cette défaite n’a rien d’étrange.
Si l’on veut encore comprendre dans la douleur que le chantre de la chloroquine puisse être considéré par certains comme un sauveur par un peuple légitimement angoissé plutôt que courroucé, il suffit de prendre connaissance de la pénétrante interview donnée par William Dab, ancien Directeur Général de la Santé et épidémiologiste (d’après Le Monde du 11 avril).
La sentence est terrible et sans appel: «Tous les soirs à 20 heures, nous applaudissons nos soignants. Je me demande si nous ne devrions pas tous les midis siffler les carences de la prévention de terrain jusqu’à ce qu’elle devienne efficace.»
La condamnation est parfaitement motivée: «On ne dit pas clairement à la population quand les masques et les tests arriveront. Si on ne sait pas, il faut le dire. Aucun déconfinement n’est envisageable sans ces outils.…Nous entrons dans une période où le confinement aura plus d’inconvénients (économiques, psychologiques, familiaux, médicaux) que de bénéfices.»
L’explication est limpide: «Il faut un commandement unifié et moins de bureaucratie…Le Président de la République a déclaré la guerre, les services continuent de fonctionner comme en temps de paix.»
«En 1917, la première chose qu’a faite Georges Clemenceau en devenant Président du Conseil et ministre de la guerre, c’est de se débarrasser des bureaucrates sans valeur ajoutée, voire à valeur négative. Ensuite, il a obtenu des Alliés un commandement unifié. On multiplie les instances, les conseils, les comités qui font de leur mieux, mais il n’y a pas de souci des détails, ils n’ont pas de rôle opérationnel. Quand Clemenceau visitait le front au péril de sa vie, ce n’était pas seulement pour soutenir le moral des troupes. C’était aussi pour vérifier que l’intendance suivait.»
Au passage, et touchant à la chloroquine, M. William Dab est également cinglant: «Il y a des dizaines de milliers de patients qui prennent quotidiennement de l’hydroxychloroquine pour des maladies rhumatismales. Cela fait plus de deux mois qu’il y a un débat sur ce traitement. Pourquoi ne sait-on pas si ces patients sont moins atteints par le coronavirus et que les autres? Nous avons des bases de données accessibles pour faire ce travail et une agence du médicament pour le faire.»
Le succès de popularité de Raoult, vécu comme un homme seul et fort en gueule, trouve ainsi sa source bouillonnante dans l’échec des bureaucrates.
La «Raoultmania» vient de là. Quant à la «Raoultphobie», son exact pendant, elle siège dans la détestation du peuple et du populisme dans son aspect le plus détestable et dans la méfiance pour la démagogie dans son côté le plus nécessairement légitime.
Nul ne sait à cette heure si la chloroquine est plus un bénéfice qu’un risque. Mais une chose est certaine: la popularité du docteur haut en couleur, au-delà de ses mérites personnels, est à rechercher dans les échecs du ceux qui aujourd’hui, plutôt que de railler, devraient se faire modestes.
Gilles-William Goldnadel est avocat et essayiste. Chaque semaine, il décrypte l’actualité pour FigaroVox. Son dernier ouvrage, Névroses médiatiques. Le monde est devenu une foule déchaînée est paru chez Plon.