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La politique est un art et pas une science, par Aristide Renou.

L’heure est à louer les personnels médicaux, et c’est parfaitement compréhensible. C’est grâce à l’abnégation de beaucoup d’entre eux, envoyés au « front » de ce qui est parait-il une « guerre » pratiquement sans armes ni protection adéquate que nos hôpitaux continuent à fonctionner et que des malades sont sauvés tous les jours. Ils ont droit à notre gratitude.

Mais, oserais-je l’avouer ? Je suis inquiet de la place prise par les médecins dans le débat politique, ou dans ce qui devrait être un débat politique mais qui l’est de moins en moins.

L’art de la politique consiste à ordonner aussi bien que possible les biens hétérogènes, et parfois contradictoires, dont se composent la vie humaine ; aussi bien que possible à la fois en fonction de la valeur absolue de ces biens – dans la mesure où il est possible de la déterminer – mais aussi en fonction de circonstances sans cesse changeantes qui peuvent parfois obliger à donner la priorité à ce qui est relativement bas mais urgent sur ce qui est plus élevé mais moins urgent. Et c’est bien pour cela que la politique est un art : car il n’existe pas de formule préétablie qui permettrait de prendre à chaque fois les bonnes décisions.

La politique est un art et pas une science, parce qu’elle traite de ce qui pourrait être autrement qu’il est, selon la formule d’Aristote, alors que la science porte sur ce qui ne peut pas être autrement qu’il est, et un art qui ne peut pas être une affaire de spécialiste, parce qu’elle doit concilier des biens hétérogènes.

La médecine moderne repose sur la science moderne, qui recherche systématiquement l’homogénéité derrière l’hétérogénéité des phénomènes – autrement dit, qui est réductionniste – et elle ne connait qu’un seul bien : la santé.

Le spécialiste est celui qui ne connait qu’un seul bien et le médecin est un spécialiste de la santé, santé qui a de plus en plus tendance – science moderne oblige – à être comprise uniquement comme le bon fonctionnement des organes, fonctionnement qui lui-même est censé résulter uniquement de mécanismes physico-chimiques.

Un médecin, en tant que médecin, ne vise qu’une seule chose : la santé. Et, de nos jours, il faudrait même dire : la vie ; car la médecine moderne vise implicitement l’immortalité, et non plus cet état de plénitude et d’équilibre que l’on appelle la santé et qui, pour diverses raisons, lui parait douteux, suspect. La médecine en tant que telle ne vise qu’une seule chose : prolonger le plus possible votre vie.

Si l’on confie les rênes de la collectivité aux médecins, à qui l’on demande de décider en tant que médecin, ceux-ci auront naturellement tendance à subordonner toutes les considérations à une seule : sauver le maximum de vies.

Mais la vie n’est pas le seul bien, pas plus que la santé. L’être humain ne cherche pas seulement à vivre, mais aussi à bien vivre, à être heureux. Ou, pour le dire dans les termes de la déclaration d’indépendance des Etats-Unis, les hommes ont été dotés par leur Créateur de certains droits inaliénables, parmi lesquels la poursuite du bonheur. Il n’y a pas besoin d’adhérer à la notion de « droits de l’homme » pour être d’accord avec cela. Aristote, par exemple, dit substantiellement la même chose.

La liberté aussi est un bien, et même un très grand bien. La prospérité est un bien également, moins élevé sans doute, mais non négligeable. L’amour est un bien, l’amitié est un bien, la poursuite de la sagesse ou de la sainteté ne le sont pas moins, et ainsi de suite.

Sans doute être en vie est la condition pour rechercher ces autres biens, mais une préoccupation trop exclusive au sujet de votre santé vous empêche de les poursuivre aussi sûrement que si vous étiez mort. Il est impossible de bien vivre sans un minimum de courage et sans accepter notre condition mortelle, inévitablement mortelle.

Chercher à sauver le maximum de vie ne peut donc pas être le critère exclusif de la décision politique. Si à l’heure actuelle, les hommes politiques se réfugient derrière les médecins pour prendre des décisions, ils s’entendront dire que le confinement doit se prolonger sine die, que tout un tas de mesures autoritaires sont impératives, que la population doit être « tracée », suivie dans ses moindres mouvements, fichée, contrainte, bref ils s’entendront répondre que tout est bon pour sauver le maximum de vies. Ce qui sera impeccable du point de vue de la médecine, et pourtant faux.

Dans « L’héroisme du docteur Hallidonhill », Villiers-de-L’isle-Adam imagine un médecin qui tue l’un de ses patients (un poitrinaire…) pour découvrir le secret de sa guérison inattendue car, dit-il, l’amour exclusif de l’humanité future doit guider la médecine. Autrement dit : sauver le maximum de vies, et qu’importe les œufs que l’on cassera pour faire cette belle omelette. En épigraphe de la nouvelle, le romancier cite facétieusement un adage qu’il attribue à Broussais : « Tuer pour guérir ! ». Ce qui n’est absurde qu’en apparence. La poursuite exclusive de la vie est effectivement une impasse mortelle, si ce n’est au propre du moins au figuré.

La médecine est un savoir admirable, auquel nous aurons tous recours un jour où l’autre. Mais lequel d’entre nous, s’il a un peu de bon sens, ne frissonne pas à l’idée qu’il pourrait se trouver un jour livré à la merci du corps médical ? A fortiori, ne devrions-nous pas repousser avec force l’idée que la politique de la nation puisse être décidée en fonction de l’avis des médecins ? N’est-il pas très inquiétant de voir nos gouvernants se réfugier derrière les avis des comités spécialisés et le soi-disant « consensus scientifique », avec un mélange écoeurant de stupidité, d’inculture et de lâcheté ? A moins, bien sûr, qu’il ne s’agisse de calculs moins avouables, et que la médecine soit l’alibi du despotisme, ce qu’elle peut parfaitement devenir, en effet.

Le savoir médical n’est ni la sagesse ni même le bon jugement politique et si nous l’oublions – comme nous semblons être en passe de le faire – alors la médecine finira par tuer la France pour la guérir.

“Port du masque obligatoire : "Nous prendrons une décision quand il y aura un consensus scientifique", explique Sibeth Nidaye https://t.co/yRX1GKcuQe

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