Le petit virus, grand pédagogue ? (II) – La fin des illusions ?, par Christian Vanneste.
Près de 500 morts en une journée, plus de 3500 au total, la contamination de la population française par le Covid-19 semble suivre la courbe à l’italienne avec une dizaine de jours de retard. Toutefois, le dénombrement n’est pas le même dans les deux pays, et en France, il ne tient pas compte des décès dans les Ehpad et à domicile, En revanche, les chiffres allemands sont beaucoup plus modérés. Ainsi, leur comparaison entre les trois grands pays voisins au coeur de l’Europe suscite l’étonnement : l’talie, la première touchée par l’épidémie recense 97 689 malades et 10 779 décès, la France paraît la suivre avec 52 128 personnes détectées et 3523 victimes, mais l’Allemagne qui pratique massivement des tests, sept fois plus qu’en France, a identifié 68 305 porteurs du virus alors qu’elle ne dénombre heureusement « que » 710 morts.
Même si ces données doivent être relativisées en raison de la différence des stratégies et des méthodes, elles conduisent à recevoir une grande leçon de cette épreuve qui nous est imposée. La mondialisation, l’extension de la démocratie, la construction européenne devaient être des moteurs de l’égalité par la convergence. On doit prendre conscience avec lucidité d’une réalité toute autre : si cette triple évolution, en facilitant la circulation des personnes et des biens, a contribué à répandre le virus, elle n’a nullement fait avancer l’utopie, la grande illusion d’une égalité universelle entre les membres de l’humanité.
Plus que jamais, l’inégalité est une réalité qu’on cherche en vain à ignorer. Il y a toujours des inégalités naturelles : Alors que le nombre d’hommes et de femmes infectés est relativement proche, le taux de décès apparaît très différent. En Chine, il est de 2,8 % pour les hommes, contre 1,7 % pour les femmes. Durant la période étudiée, 63,8 % des décès concernaient des hommes. Le constat est voisin en France, où 58,4 % des décès recensés à date du 15 mars sont masculins. Les hommes sont également deux fois plus nombreux que les femmes à passer en réanimation. Par ailleurs, des chercheurs de Wuhan ont comparé la distribution des groupes sanguins entre malades et non malades : alors que la population non-malade se compose de 32% de groupe A et 34% de groupe O, ces pourcentages sont de 38% pour le groupe A et de 26% pour les personnes atteintes par le Covid-19. Cette même différence est également observée pour les 206 personnes décédées de l’étude : 41% étaient du groupe A contre 25% du groupe O. Certes, on pourra dire que l’inégalité, en faveur des femmes, s’explique par un mode de vie spécifique selon le sexe, mais on peut aussi penser que la supériorité physique de l’homme destiné à chasser et à se battre pour protéger son clan a pour corollaire un avantage biologique de la femme destinée à enfanter. Pour les groupes sanguins, le fait est brut, comme l’évidence de la fragilité qui s’accroît avec l’âge. Là encore, l’inégalité devant la mort, d’un individu à un autre, et d’un âge à un autre, sont des fatalités, mais cessent de l’être lorsqu’un pays, imprévoyant et insuffisamment doté en moyens, est obligé de faire ce que l’on croyait réservé à l’horreur du nazisme : le tri entre ceux qui ont le droit de vivre et ceux qui doivent mourir parce qu’ils constituent une charge que le système ne peut ou ne veut plus supporter.
Cette inégalité là est insupportable, inacceptable ! L’imprévoyance et l’impréparation dont l’Etat a fait preuve dans notre pays, en faisant croire que l’épidémie n’atteindrait pas la France, en laissant les frontières ouvertes, notamment avec l’Italie, en minimisant le mal, puis en justifiant les pénuries par des mensonges sur l’inutilité des tests précoces, des masques, ou la nocivité de la chloroquine, en organisant des élections avant de fermer précipitamment les écoles, sont des fautes lourdes dont les Français vont payer la note d’abord par un nombre élevé de morts, et ensuite par un désordre économique désastreux par ses conséquences sociales. Le manque de masques, notamment FFP2, pour les soignants, l’insuffisance des tests, le manque de respirateurs dans certaines régions sont autant de preuves que notre Etat si lourd est surtout mal dirigé, de plus en plus mal dirigé. Il est extravagant qu’un spécialiste de la vente de nos entreprises à l »étranger, devenu président de la République, veuille maintenant qu’on produise en France et s’érige en chantre de la souveraineté… française ET européenne, ce qui ne veut rien dire. Les divergences entre l’Allemagne, l’Italie et la France le montrent bien.
C’est une seconde grande illusion française qui se dissipe, celle de l’Etat omnipotent et protecteur. La France réussit ce paradoxe d’une dépense publique record et d’un Etat inefficace ! Certains pointent la baisse des dépenses dans des domaines prioritaires comme la santé ou la sécurité, et ils ont raison, mais ils s’opposent à l’amaigrissement de l’Etat, et ils ont tort. Dans notre pays, les technostructures étouffent les organes publics efficaces. Le retard dans les commandes de produits essentiels, les réquisitions inutiles, les refus de faire appel à certaines entreprises ou aux cliniques privées, la guerre souterraine contre la chloroquine sans doute orchestrée par des groupes de pression puissants, sont autant de preuves que notre Etat pachyderme incapable d’agir vite pour servir le bien commun est pénétré sournoisement par des intérêts privés.
Enfin dernière illusion : le regard des Français est aujourd’hui partagé entre deux jugements contradictoires. La popularité du chef de l’Etat augmente, mais la confiance envers Macron et Philippe s’érode. Les Français retrouvant leur tradition monarchiste se rassemblent autour du roi devant l’épreuve, mais en même temps, ils constatent avec bon sens sa mauvaise « gouvernance » de la crise. Selon une enquête Ipsos, 56 % des personnes interrogées se disent insatisfaites de la gestion de la crise sanitaire du gouvernement. Mais, selon une autre étude, le chef de l’Etat gagne des points dans toutes les catégories d’âge, en particulier chez les plus de 65 ans (+17). Il y a fort à parier que beaucoup, une fois la peur oubliée, songeront à lui couper la tête… (à suivre)