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Morale et Realpolitik, par Gérard Leclerc.

Des milliers de migrants se pressent aux frontières de la Grèce, poussés par la Turquie qui exerce ainsi un chantage sur l’Europe pour faire plier ses dirigeants. L’exigence humanitaire doit-elle prévaloir dans pareille situation, alors que d’autres problèmes politiques se posent ?

gerard leclerc.jpgLes moralistes de métier, qui ont peu à voir avec ce que Nietzsche dénonçait en s’en prenant à la moraline, sont familiers avec le concept de conflits de devoirs. Oui, dans l’ordre de la morale, la conscience n’obéit pas toujours à ce que Kant appelait « un impératif catégorique ». Il existe des situations d’une complexité telle que l’on est contraint d’envisager des obligations contradictoires. Ce qui se passe, en ce moment, aux frontières de l’Europe, plus particulièrement à celles de la Grèce, place ainsi la conscience devant un douloureux dilemme. Le président turc Erdogan a, en effet, décidé d’encourager des centaines de milliers de migrants présents sur son territoire à se diriger vers l’Europe. Une Europe, qui se raidit devant une telle perspective, ayant gardé le souvenir du million de migrants qu’Angela Merkel avait accueilli dans son pays en 2015, ce qui l’avait durablement déstabilisé.

On pense bien sûr au sort épouvantable de toutes cette population, avec femmes et enfants, qui se pressent aux abords de la Grèce et qui sont durement repoussés par les forces de l’ordre et malmenés par des habitants exaspérés. Que le pape François, une fois de plus, prenne leur défense, n’est-ce pas de l’ordre de la plus élémentaire compassion ? Que les militants des ONG voués à l’aide des naufragés et de ces migrants en détresse fassent valoir les droits de toutes les personnes en danger est aussi compréhensible. Ces militants ne sont-ils pas, aujourd’hui, sous la menace d’une loi répressive qui les assimile à des délinquants ?

Mais par ailleurs, on se doit de constater que nous sommes en présence d’un problème politique où ces migrants sont les otages d’un chantage et d’un rapport de force. Le président Erdogan veut faire plier les dirigeants européens, en leur imposant cette nouvelle vague massive de réfugiés, parce qu’il est en difficulté sur le terrain des combats en Syrie. Une Syrie qui, par ailleurs, est aussi l’objet de graves conflits de devoirs, avec des combats qui ont jeté sur les routes des centaines de milliers de civils. L’Europe peut-elle plier face au chantage de la Turquie ? Mais par ailleurs, peut-on abandonner, le cœur léger, tous ces malheureux, victimes innocentes d’enjeux qui les dépassent ? Y a-t-il un compromis possible entre la Realpolitik et l’urgence humanitaire ?

Chronique diffusée sur radio Notre-Dame le 4 mars 2020.

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