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Une semaine libanaise avec Annie Laurent : 8/8, Le pays de l’Amitié française, entretien avec Bernard Antony

Annie_Laurent.jpgAlors que le Liban commémore son centenaire en 2020, le pays connaît depuis quelques mois d’importants soubresauts populaires.

De quoi s’agit-il précisément, comment analyser la situation profonde du Liban aujourd’hui ?

Quelle place pour les chrétiens ?

C’est à ces questions que répond ce dossier.


par ANNIE LAURENT

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Président de l’Agrif, du Centre Charlier et de Chrétienté-Solidarité, directeur de Reconquête, Bernard Antony, infatigable militant chrétien, est familier et amoureux du Liban chrétien. Entretien.

 

 

La Nef – Vous connaissez le Liban depuis longtemps : qu’est-ce qui vous attire dans ce pays ?

Bernard Antony : Le nom du Liban revient 70 fois dans la Bible. La Terre Sainte n’est pas uniquement constituée par la surface de l’actuel État d’Israël et des territoires palestiniens. C’est aussi la partie Sud du Liban bordée par la côte allant de la frontière avec Israël à Sidon et à Tyr, ces deux villes où prêcha le Christ.
Le territoire actuel du Liban ce fut, deux siècles durant, celui du royaume chrétien de Jérusalem et aussi, de 1102 à 1187, celui du comté de Tripoli créé par le comte de Toulouse, Raymond IV de Saint-Gilles, bâtisseur de la superbe forteresse que l’on visite toujours. Ensuite, le comté passa aux princes d’Antioche.
On marche au Liban sur les pas de Saint Louis qui le parcourut de 1250 à 1254. On y médite au monastère Saint-Antoine dans la Qadisha (« la vallée sainte ») devant la magnifique crosse épiscopale qu’il offrit au patriarche des maronites auquel il écrivait : « Nous sommes persuadés que cette nation que nous trouvons établie sous le nom de saint Maron est une partie de la nation française… »
Au fil des siècles, le Liban maronite, donc catholique, regarda toujours vers la France et vers Rome. Et nos rois de France eurent toujours le souci de maintenir leur protection sur le Liban.
Et aussi, très concrètement, Napoléon III qui, en 1860, fit débarquer notre armée à Jounieh. Celle-ci mit fin aux exterminations des Maronites déclenchées par les Druzes dans le Chouf et que la terrible famine organisée dans tout le Mont-Liban par les Ottomans menaçait de parachever. Les chrétiens libanais parlent encore de la « France, notre mère ».
Chrétiennement, culturellement, humainement, le Liban chrétien est comme une part de notre patrie française, le pays par excellence de l’Amitié française.

 

Vous avez tenu à ce que l’on publie notre entretien en précisant bien qu’il a été réalisé le 26 novembre 2019: pourquoi cela ?

Parce que l’actualité libanaise est en ce moment plus mouvante que jamais et que ce que j’observe et analyse aujourd’hui pourrait être bien modifié demain. Je m’explique : il y a quelques jours seulement, les médias mettaient l’accent sur un phénomène « radicalement nouveau » au Liban, à savoir les immenses manifestations, du fait de toutes les composantes communautaires du pays, contre la corruption et l’incompétence des gouvernants et de la classe politique. Ils mettaient en avant le fait, certes stupéfiant, que même le Hezbollah était conspué par des foules chiites.

C’était certes un événement que de voir des chiites, surtout des jeunes, conspuer le Hezbollah mais celui-ci ne pouvait accepter que cela dure. Aussi, très vite, les nervis du Hezbollah et d’Amal ont violemment réprimé et fait refluer les contestataires chiites. Puis, ils ont lancé des rezzous d’intimidation sur Achrafieh, le quartier au cœur du Beyrouth chrétien, incendiant des voitures comme on le fait dans nos « quartiers ».
Il a fallu que l’armée libanaise s’interpose. Le spectre de la guerre civile est revenu.

 


Néanmoins, les manifestations de contestation de l’incompétence et de la corruption des dirigeants politiques n’ont-elles pas été d’une importance jamais connue à ce jour ?

D’abord, l’engagement militant massif est une constante dans la vie du Liban moderne depuis sa création. Ainsi, après l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri le 14 février 2005, le 28 février, chrétiens, druzes et musulmans manifestèrent massivement. En réaction, le 8 mars, les partis pro-syriens, Hezbollah en tête, organisèrent une très grande manifestation place Riad ElSolh en soutien au régime syrien. Mais le 14 mars, place des Martyrs, au cœur de Beyrouth, la réplique anti-syrienne fut immense, rassemblant près d’un million et demi de participants, du jamais vu dans l’histoire du pays. La mobilisation de la rue chrétienne avait été le facteur décisif du succès. Les récentes manifestations ont été énormes mais je voudrais me tromper en disant que l’unanimité était plus apparente que réelle.

 

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Bernard Antony : Chrétienté Solidarité parraine des orphelins au Liban, en Irak et en Égypte.

 

On a expliqué le succès de ces manifestations par la convergence des jeunesses des différentes communautés dans le même ras-le-bol de l’incurie des politiciens. Qu’en pensez-vous ?

C’est en grande partie exact car la crise économique et financière qui frappe dramatiquement le Liban, appauvrit aussi bien les classes moyennes musulmanes que chrétiennes et favorise la corruption. D’autant plus que pour ce qui est des chiites, la manne iranienne ne coule plus, l’Iran étant économiquement asphyxié par l’embargo américain. Et pour ce qui est des sunnites, celle de l’Arabie-Séoudite que la guerre au
Yémen épuise, n’est plus dispensée avec abondance, ce qui est la cause d’ailleurs de la démission de Saad Hariri. Et chez les chrétiens, les pauvres sont toujours plus pauvres et les classes moyennes sont de plus en plus appauvries.
La réalité c’est aussi que la mainmise du Hezbollah sur l’État libanais a des effets catastrophiques. Car, le Hezbollah, allié du régime syrien et dont des milliers d’hommes combattent en Syrie sous commandement iranien, ne peut plus compter sur le seul financement iranien qui s’amenuise sans cesse. C’est maintenant le Hezbollah qui ponctionne le Liban alors qu’il y a quelques années il distribuait largement l’argent iranien pour ses œuvres sociales.


Le président de la République libanaise est depuis le 31 octobre 2016, le général Michel Aoun, ayant pu enfin alors être élu par les députés de son mouvement mais aussi par les quinze du Hezbollah et les trois des Forces Libanaises de Samir Geagea, longtemps son ennemi. Comment cela a-t-il pu se faire ?

Vu de loin, cela est incroyable. Pour évoquer brièvement une histoire très complexe, le général Aoun, après avoir en 1989 imprudemment lancé sa guerre de libération, inéluctablement perdue, contre les Syriens, puis, après ses années d’exil en France, fit un revirement spectaculaire et conclut un accord avec la Syrie. Samir Geagea, quant à lui, ne quitta pas le Liban et fut condamné à mort par une « justice » libanaise aux ordres des Syriens. Il fut alors enfermé pendant onze ans dans une étroite cellule dans de très dures conditions de détention, jusqu’à ce que la Syrie ayant dû quitter le Liban, sous la pression américaine, il soit enfin libéré en 2006, reprenant peu à peu son activité politique et transformant les Forces Libanaises en un parti toujours plus puissant, passé, lors des dernières élections, de trois à quinze députés.
Souhaitant par-dessus tout la paix, il n’a pas voulu prendre, après les terribles années de la guerre de 1975 à 1990 et ses propres années de prison, les risques d’une nouvelle guerre interlibanaise.
Il s’est alors résolu, dans l’espoir d’assurer une période de paix pour son pays, à un compromis avec Aoun permettant à ce dernier d’être élu en 2016 président de la République. Aoun est l’allié du Hezbollah (chiite) et les députés des Forces Libanaises de Geagea constituent une entente avec les députés sunnites !


Vous êtes un ami de longue date de Samir Geagea mais aussi des Gemayel, et la survie du Liban vous a toujours tenu à cœur. Pourriez-vous nous dire laquelle des deux lignes stratégiques, celle de Samir Geagea optant pour une alliance avec les députés sunnites et celle de Samy Gemayel qui n’est ni pour un compromis avec les chiites, ni avec les sunnites, est selon vous la meilleure pour la survie des chrétiens du Liban ?

La stratégie de Samir Geagea me paraît la plus prudente pour contrebalancer le poids du Hezbollah. Celle de Samy Gemayel est, je crois, la plus nette. Mais les Kataëb sont très minoritaires aujourd’hui.
Je crois surtout qu’après la crise dans laquelle s’enfonce le Liban, et après les manifestations, les cartes vont être rebattues. Or ce qui m’inquiéterait le plus, ce serait que, pour faire aboutir la revendication apparemment sympathique de la « déconfessionnalisation », les Libanais en viennent à abandonner le pacte national de 1943.


La question des réfugiés syriens n’est-elle pas très grave pour le Liban ?

Elle est primordiale. Elle en conditionne la survie. Lors de notre dernier voyage, au long d’un entretien de quarante minutes, le patriarche des maronites Bechara Raï est souvent revenu sur cela. C’est son souci majeur. Selon lui, il y a environ 1,6 million de réfugiés syriens au Liban, c’est énorme, d’autant qu’il y a toujours plus de quatre cent mille Palestiniens dans les camps. Deux millions de réfugiés pour quatre millions d’habitants !

Propos recueillis par Christophe Geffroy 

NB – La version longue et intégrale de cet entretien est disponible sur le site de La Nef : https://lanef.net/

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