Société • Les poules, le renard, végans et antispécistes
Une personnalité parmi nos connaissances avait quatre poules dont deux lui avaient été royalement offertes par le Prince Gaston de France. (Chacun sait que le jeune prince aime beaucoup les animaux).
Les quatre poules vivaient des jours de bonheur paisible dans la vaste propriété de notre ami. « Parmi les oliviers, les chênes verts et les figuiers », comme jadis Racine à Uzès. Elles s'y déplaçaient de conserve, allant toujours deux par deux. Deux marchant devant, deux derrière. Le soir venu, elles rentraient d'elles-mêmes, toujours ensemble, dans leur poulailler : la poule est un animal social - qui a ses habitudes. Ce n'est pas pour rien qu'à propos des poules, on parle de basse-cour, terme qui peut apparenter leur déambulation à la promenade des courtisans d’Ancien régime dans les jardins de Versailles.
Les malheureuses poules sont mortes il y a peu. Toutes les quatre. Et elles ne sont pas mortes de main d'homme à qui elles n'étaient redevables que de leurs œufs. Le renard les a tuées si l'on peut dire une belle nuit. Et n'a pu en croquer qu'une sur les quatre. Il a eu, comme l'on dit des humains, les yeux plus gros que le ventre. Eût-il été conscient des limites de son appétit qu'il aurait pu au moins épargner les trois pauvres bêtes qu'il fut incapable d'engloutir, forme caractérisée de gaspillage. Mais, c'est ce qui apparaît ici, l'intelligence des animaux, ou, si l'on veut leur conscience, leur faculté d'anticipation, ne sont pas aussi fameuses qu'on le colporte trop souvent. Le renard a tué, déplumé, cruellement déchiqueté - sans étourdissement préalable ! - et dispersé aux quatre vents, les trois poules infortunées qu'il ne pourrait même pas manger. Les Nègres de Schweitzer, à Lambaréné, trouvaient déjà les Blancs en guerre en Europe lors du premier conflit mondial, bien cruels puisqu'ils ne se mangeaient pas. Une logique qui en vaut d’autres, après tout.
Cet apologue tragique et néanmoins cocasse nous a rappelé telle ou telle des conférences de Gustave Thibon. Il y expliquait : « On dit que la nature est maternelle. Bon. C'est entendu. Mais on oublie de dire qu'elle l'est pour tout le monde. Elle l'est pour la poule quand elle lui donne à manger des vermisseaux. (Beaucoup moins pour ces derniers). Mais elle l'est aussi pour le renard en créant des poules inoffensives qui feront sa pâture.». La vérité est que la nature est alternativement maternelle et cruelle. Les saints ont bien pu rêver d'un âge et d'un lieu où cette dualité serait abolie, où l'agneau dormirait paisiblement entre les pattes du loup et où la gazelle affectueuse lècherait la crinière d'un lion attendri, ces temps ne sont pas advenus. La dualité nature maternelle / nature cruelle semble bien la réalité existentielle et ontologique de ce bas-monde. Les Chrétiens attribuent cela à la chute et espèrent en un royaume qui n’est pas de ce monde…
Le souci de la souffrance animale est en vérité le propre exclusif de l'homme La nature y est parfaitement indifférente. À commencer par les animaux eux-mêmes. Leurs souffrances les plus anciennes - elles remontent à l'apparition du vivant sur la terre - les plus constantes, les plus cruelles, les plus inévitables, sont inter- animales. Les plus décomplexées aussi. Vous ne convaincrez pas le renard ni le lion de devenir végétariens. Les animaux vivent sans débat selon les lois de leur espèce. Qu'ils soient herbivores, carnivores ou omnivores. Leur instinct premier - c'est à dire leur nature – règle, comme le reste, leurs mœurs alimentaires. Celles-ci ne s'embarrassent pas de sentiments ni d'arguties. Elles s'accomplissent presque toujours avec une dose de violence et de férocité. Ce n'est pas rien que de se nourrir. C'est même un acte vital. Les animaux l'accomplissent comme tel. Eussent-ils survécu depuis le fond des âges s'il en avait été autrement ?
Il en est certainement largement de même de nos ancêtres les hommes. L'homme est omnivore, chasseur-cueilleur, dès le paléolithique. Nous le sommes encore 3 ou 400 000 ans ayant passé. Ce serait une révolution, une rupture anthropologique aussi destructrice que la négation des sexes, que de tenter, sans-doute en vain, de faire de l'homme un herbivore. Les végans et les antispécistes ne sont pas de doux illuminés qu'il faudrait prendre à la légère. Dans des sociétés ouvertes aux pires extravagances destinées à les atomiser, ce sont des individus dangereux. ■
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Commentaires
Tout à fait remarquable ; comme il est bon d'oublier un instant l'actualité puante et de s'arrimer sur des certitudes bien fondées !
Jésus me semble t'il ne mangeait pas de viande... Le Bouddha a dit que celui qui voulait évoluer sur le chemin de la spiritualité se devait de devenir végétarien... Ilreste les raisons médicales qui font nécessité de manger des êtres vivants (le Dalaï Lama), il reste aussi les gens qui ne pensent qu'à leur ventre et se moquent de la condition animale... Victor Hugo disait, l'enfer, les animaux le connaissent déjà !
Existe-t-il des textes qui nous renseignent sur ce que mangeait Jésus ? Nous n'en connaissons pas. Il nous paraît donc bien hasardeux et contraire à la vraisemblance de dire que Jésus ne mangeait pas de viande. En tout cas, les Juifs de son temps en mangeaient assurément, comme ceux d'aujourd'hui. Nous serions assez étonnés que Jésus n'ait pas partagé l'agneau traditionnel de la Pâque juive. Le dalaï-lama quant à lui raconte dans ses mémoires que les Tibétains ne pouvant pas tuer d'animaux, le faisaient faire par la communauté musulmane de Lhassa, pour pouvoir ensuite en manger... En tout cas, ils buvaient du lait et mangeaient du beurre de yak.
Nous n'avons pas dit du tout qu'il ne fallait penser qu'à son ventre ; nous sommes assez d'accord pour penser que nous mangeons trop de viande, et même peut-être trop de tout ; et nous sommes tout à fait hostiles à ce que Jean-Pierre Coffe appelait la "mal-bouffe ". Et Jean Yanne la "grande bouffe". Mais tout cela est une autre histoire et n'est pas le sujet de notre article. Quant au souci de la souffrance animale, nous avons dit qu'il est le propre de l'homme. Les animaux eux s'en moquent.
Enfin, vouloir transformer notre espèce d'omnivore en herbivore, nous paraît être une atteinte à notre identité anthropologique profonde.
Dernier point : le végétaux aussi appartiennent au règne du vivant.
Tel était notre sujet