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Religions : Ouvertures arabes

 

Par Annie Laurent

 

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Le cardinal Raï était au Qatar en avril, après avoir été en Arabie-Séoudite en novembre 2017, suivi le mois dernier par le cardinal Tauran, représentant le Saint-Siège. Ces visites dans le berceau de l’islam sont des premières : vont-elles inaugurer une situation nouvelle pour les chrétiens sur place qui ne bénéficient d’aucun lieu de culte ? Analyse. 

Du 22 au 26 avril dernier, le cardinal Béchara-Boutros Raï, patriarche d’Antioche des Maronites, dont le siège est au Liban, s’est rendu à Doha, capitale de Qatar, pour une visite pastorale d’où la politique ne fut cependant pas absente. Le but principal de ce voyage était de poser la première pierre d’une église qui sera dédiée à saint Charbel. Cet édifice catholique voué au rite syriaque voisinera avec l’église latine Notre-Dame du Rosaire, consacrée en 2008, et avec d’autres lieux de culte chrétiens relevant de rites orthodoxes (grec, copte, syrien, indien) et protestants. L’ensemble est regroupé dans un complexe bâti sur des terrains qui ont été offerts aux Eglises par l’émirat, suite à l’établissement de relations diplomatiques avec le Saint-Siège, intervenu en 2003. Certes, l’endroit est situé loin du centre de Doha et, de l’extérieur, aucun signe - ni croix ni clocher - n’indique l’identité des bâtiments. Mais les 150 000 chrétiens, dont 60 000 catholiques – ils sont tous étrangers puisque, dans toute la péninsule Arabique, la nationalité se confond avec l’islam - qui vivent et travaillent dans ce petit et riche pays riverain du golfe Persique, peuvent désormais pratiquer leur religion, alors que l’idéologie officielle est le wahhabisme, comme dans le royaume voisin d’Arabie-Séoudite, qui en est le berceau.

Pour les 30 000 Libanais, majoritairement chrétiens, établis dans l’émirat qatariote, la nouvelle est donc bienvenue. Le chantier de la future église vient peut-être récompenser ces résidents auxquels l’émir Tamim ben Hamad El-Thani, à l’issue d’un entretien avec le patriarche Raï, a rendu hommage pour leurs « efforts continus et discrets pour le développement du pays », tandis qu’un de ses ministres, dans une allusion à leur discrétion, déclara apprécier l’attitude de ces chrétiens qui « se conforment à la loi et connaissent leurs limites ». Des immigrés exemplaires donc !

Pour le chef de l’Eglise maronite, ce voyage s’inscrivait dans une démarche plus stratégique destinée à consolider le rôle des chrétiens, et donc leur pérennité, au Proche-Orient. Il n’a pas manqué de souligner l’importance qu’il attache à la bonne santé spirituelle de ses fidèles. Durant la cérémonie religieuse, commentant le choix de l’ermite libanais, mondialement connu et vénéré, comme patron de la future paroisse, il a déclaré : « Les saints rapprochent les gens. L’émir sait que saint Charbel renforcera les liens d’amitié entre le Liban et Qatar ». Une façon de montrer que les chrétiens ne doivent pas vivre isolés de leur environnement arabo-musulman. S’il s’est prêté de bonne grâce à la visite guidée du Musée islamique de Doha, le prélat maronite a par ailleurs offert à la nouvelle Bibliothèque nationale, inaugurée le 15 avril, un ouvrage intitulé Les racines du christianisme.

A Beyrouth, des observateurs ont fait le lien entre ce déplacement et la visite officielle – passée inaperçue en France - du patriarche Raï à Riyad, capitale de l’Arabie-Séoudite, les 13 et 14 novembre 2017, à l’invitation du roi Salman ben Abdelaziz. Contrairement à Qatar, où son prédécesseur, le cardinal Nasrallah-Boutros Sfeir, s’était rendu en 2008, et à d’autres pays du golfe Persique, où l’un et l’autre sont déjà allés, aucun haut dignitaire religieux chrétien n’avait posé le pied en Arabie depuis Mahomet, soulignait alors un journaliste libanais (1). « Je n’imaginais pas pouvoir venir un jour ici », avait confié le patriarche à ses compatriotes réunis à l’ambassade du Liban à Riyad. Et d’ajouter : « Nous allons maintenir une amitié forte entre l’Arabie-Séoudite et le Liban » (2).

Il est vrai que celui que la presse séoudienne a désigné comme « le chef de l’Eglise libanaise » était reçu avec tous les honneurs par le « custode des deux saintes Mosquées » (La Mecque et Médine). Les médias locaux ont d’ailleurs consacré à cet événement une place de choix. Les croix pectorales portées par le patriarche et l’archevêque maronite de Beyrouth, Mgr Boulos Matar, qui l’accompagnait, étaient bien visibles sur certaines photos. Une façon de montrer l’ouverture d’un islam dont nul n’ignore pourtant l’intransigeance, sans omettre les injustices qu’il inflige aux 1, 5 millions de chrétiens de diverses provenances (parmi lesquels 100 000 Libanais) qui, par leur labeur et leurs sacrifices, contribuent amplement à la prospérité du royaume sans bénéficier du plus élémentaire droit dans le domaine religieux (3). Sur le fond, l’accent a été mis par les Séoudiens sur la nécessaire collaboration entre les religions et les cultures pour lutter contre la violence et le terrorisme, promouvoir le pardon, la sécurité et la paix. « Le patriarche au royaume de la tolérance et de la modération : main dans la main pour rejeter l’extrémisme », titrait le journal El-Riyad (4).

Il s’agissait donc véritablement d’une visite historique et hautement symbolique, sans doute rendue possible par le nouveau contexte qui résulte du programme de modernisation sans précédent, le plan Vision 2030, inauguré par le jeune prince héritier, Mohamed ben Salman (« MBS », 32 ans) (5). « Dans ce pays, qui n’a aucune relation officielle avec le Vatican, où la liberté religieuse n’existe pas, où il est interdit de construire des églises, cette invitation officielle revêtait un caractère exceptionnel », soulignera le cardinal Raï après son retour. Pour lui, ce voyage a ouvert une histoire nouvelle entre une Eglise arabe catholique et ce royaume musulman ultrareligieux. « J’ai eu le sentiment que la méfiance pouvait faire place à des rapports sincères nouveaux entre nos deux religions » (6). Le prélat veut croire en la détermination de l’équipe dirigeante actuelle « de faire sortir le pays du conservatisme religieux et d’ouvrir l’islam à la modernité ». Lucide, il ne s’attend toutefois pas à des changements rapides. « Les sceptiques et ceux qui tirent avantage de l’immobilisme actuel seront difficiles à convaincre. Ils freineront les réformes » (7).

Pour l’heure, alors que le programme d’éducation religieuse du pays maintient ses enseignements péjoratifs sur les religions non musulmanes, y compris le christianisme et le judaïsme, en octobre 2017, Salman, sans doute inspiré par « MBS », a signé un discret décret royal créant un « Centre des Hadîths du Prophète Mohamed » chargé « d’expurger les compilations des faux hadîths, de ceux qui sont en contradiction avec le Coran ou de ceux qui sont utilisés pour justifier et alimenter le terrorisme ». Les hadîths, récits relatant les paroles et gestes du prophète de l’islam, collectés plus de deux siècles après sa mort, constituent la deuxième source de la charia après le Coran. C’est dire leur importance. Ira-t-on alors jusqu’à considérer comme inauthentique ce propos rapporté par Aïcha, l’épouse préférée de Mahomet : « Deux religions ne peuvent pas coexister en Arabie », qui justifie l’impossibilité d’édifier des églises sur cette terre ?

La discussion sur ce point a été ouverte par le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, durant le séjour – là aussi une première - qu’il a effectué à Riyad à la mi-avril. S’exprimant devant le secrétaire général de la Ligue islamique mondiale, cheikh Mohamed El-Issa, qu’il avait reçu au Vatican en septembre 2017, il a plaidé en faveur de la réciprocité en matière de lieux de culte, rappelant aussi que « chacun doit être laissé libre d’embrasser la religion qu’il veut » (8).

Dans le prolongement de la visite patriarcale, la monarchie séoudienne serait prête, selon des sources libanaises non encore confirmées (9), à autoriser, sur le site d’une antique église d’Arabie datant de 900 ans en attente de restauration, l’ouverture d’un « Centre international permanent pour le dialogue interreligieux ».

Enfin, comme à Doha en avril, le patriarche Raï avait situé son voyage à Riyad dans un cadre stratégique, celui d’une redéfinition du sens de la présence arabe chrétienne au Levant. Pour lui, les disciples du Christ, surtout ceux du Liban, à cause de leur expérience, ont un rôle pacificateur à jouer entre l’Arabie et l’Iran, donc entre sunnites et chiites.

Le chroniqueur libanais Antoine Courban veut croire à ces perspectives heureuses. « Recevoir fastueusement un prélat chrétien, arabe, qui est aussi un haut dignitaire de l’Eglise romaine, est un signe adressé au monde entier comme quoi quelque chose bouge et change au sein de l’islam ». Et de s’interroger : « Quelles seront les conséquences d’un tel bouleversement ? Nul ne peut le prévoir mais on serait de mauvaise foi de ne pas y voir un signe majeur de changement radical » (10).  

1. L’Orient-Le Jour, 13 novembre 2017.

2. Ibid, 14 novembre 2017.

3. A. Laurent, Les chrétiens d’Orient vont-ils disparaître ?, éd. Salvator, 2017, p. 105-106.

4. Cité par L’Orient-Le Jour, 15 novembre 2017.

5. Fatiha Dazi-Héni, L’Arabie-Séoudite en 100 questions, éd. Tallandier, 2017.

6. Cité par Luc Balbont, site de L’Oeuvre d’Orient, 3 avril 2018.

7. Ibid.

8. La Croix, 17 avril 2018.

9. Rapportées par l’agence romaine Fides du 15 novembre 2017.

10. L’Orient-Le Jour, 13 novembre 2017.

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L'ISLAM, Annie Laurent,
Editions Artège, 285 p., 19,90 €

Article paru dans La Nef n° 304 – Juin 2018

Commentaires

  • Il n'y a que les naïfs pour croire à ce deal hypocrite ... En contre partie les catholiques occidentaux se taisent sur l'intégration des migrants musulmans et tout aussi hypocrites ils se joignent aux revendications de l'islam espérant ainsi renforcer le combat contre la "laicité" et reconquérir le pouvoir politique perdu. Ils oublient une chose c'est que l'islamisation est en marche et que dans quelques générations grâce à leur politique démographique et migratoire ils imposeront leur religion comme ils l'ont fait en Espagne médéviale et pas de façon "pacifique" comme certains historiens veulent nous le faire croire.

  • Gustave , tout a fait d'accord.....Ou la France chrétienne redevient chrétienne ou elle meurt sous les règles du Coran.
    La laîcité est un" paganisme" qui n'offre aucune protection puisque sans fondement, la loi d'un pays n'a aucune valeur face à la loi du religieux. L'erreur intellectuelle viendrait du fait que les Bobos révolutionnaires s'appuient sur la phrase : je pense donc je suis, pensant qu'elle représente cette liberté décrite par Descartes; Or on l'a trouve fort bien développé chez Fénélon: une vérité raisonnée donne l'esprit. Définition de l'être humain.

    La France des bobos païenne, n'a ni vérité , ni raisonnement, le choc va être brutal, mortel pour certains, et l'histoire est à nos portes.

  • Je comprends vos réserves. Mais quand on a affaire à une orientaliste et spécialiste de l'Islam aussi avisée, documentée, expérimentée que Madame Annie Laurent, on évite les jugements trop péremptoires et catégoriques.

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