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Cinéma • Salafistes : « Les gens veulent savoir pourquoi on leur tire dessus »

 

Entretien avec François Margolin par Raphaël de Gislain

Les réalisateurs de Salafistes, François Margolin et Lemine Ould M. Salem, pensaient pouvoir montrer le terrorisme tel qu’en lui-même, par le biais d’un documentaire tourné entre le Mali et la Tunisie sur près de trois ans donnant à voir la pensée djihadiste sans langue de bois. C’était sans compter sur les pressions politiques et la décision de l’ex-ministre de la Culture d’interdire le film aux moins de 18 ans pour des motifs discutables. Une mesure qui limite grandement l’exploitation et la diffusion d’un film pourtant essentiel. 

Au départ, avez-vous eu des difficultés à trouver des financements pour financer Salafistes ?

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François Margolin

Quand on a commencé à l’automne 2012, le projet n’intéressait pas grand monde. Malgré l’absence de financement, j’ai tout de même décidé avec Lemine Ould M. Salem de démarrer le tournage. Immédiatement après les attentats de janvier 2015, les choses se sont débloquées. Canal+ et France 3, avec qui je travaille régulièrement, se sont montrés intéressés et ont participé par le biais de leur département Cinéma. Plus frileux, le département documentaire de France 3 émettait déjà des réserves sur la nature du film et le choix de ne pas commenter les images.

Maintenant que le film est sorti, créant la controverse, le désistement de France 3 vous surprend-il ?

Non seulement ce désistement me surprend mais je le trouve honteux. On ne se retire pas des financements d’un film d’un claquement de doigt. Ce que je trouve encore plus honteux, c’est de faire en sorte que Salafistes ne passe pas à la télévision. Etant donné le contexte actuel, il me semble que c’est un film essentiel, à voir précisément sur une chaine de télévision, pour nourrir un véritable débat.

Comment expliquer la classification pour apologie du terrorisme proposée par le CNC, à l’inverse du propos du film ?

On est passé en fait trois fois devant la commission. La première fois, un simple avertissement a été recommandé. La deuxième fois, la commission plénière a proposé à la ministre l’interdiction aux moins de 18 ans assortie d’un avertissement pour cause d’apologie du terrorisme ; j’ai donc modifié une scène qui posait problème pour que la commission puisse revoir son avis. Mais la troisième fois, ils ont été plus subtils, conscients que la classification pour apologie du terrorisme revenait à une interdiction strictement politique, ce qui n’est pas légal. Ils ont argué du fait qu’il n’y avait pas de contextualisation, pas de voix off, pas de point de vue contradictoire et des images très violentes pour classifier le film. Ces éléments sont bien plus faciles à justifier en termes de code du cinéma même s’il ne s’agit ni plus ni moins que d’une reformulation élégante et lissée de l’apologie du terrorisme. Invoquer la présence d’images violentes est un simple prétexte parce que la commission sait qu’il s’agit du seul moyen d’interdire le film aux moins de 18 ans  – avec la présence de scènes de sexe non simulées, ce que le film ne contient pas.

Que cache cette clause selon vous ?

Une décision purement politique. Salafistes dit clairement quelque chose que l’on ne veut pas entendre en France et qui est le contraire du discours gouvernemental depuis un an et demi, et à plus large échelle, de ce que disent les politiques depuis 15 ou 20 ans, à savoir que le terrorisme est l’œuvre d’une petite secte, de loups solitaires, de déséquilibrés etc. On ne peut pas sortir de ce film sans voir que le salafisme représente un phénomène important, qu’il touche beaucoup de monde, qu’il vient de l’Islam même s’il n’en est qu’une frange minoritaire. Aujourd’hui, lorsque le président fait un discours sur le terrorisme, il n’utilise pas les mots de « musulman » ou d’ « Islam »… On est dans un déni terrible auquel n’adhèrent pas les Français. Le film ne cherche ni à justifier ni à comprendre mais à voir qui sont ces gens en face de nous qui ont décidé de nous faire la guerre, pour savoir ce qu’ils ont dans la tête, chose que se demande l’essentiel (la plupart ?) des Français. Les gens veulent savoir pourquoi on leur tire dessus.

D’où sont parties les pressions exactement ? On a parlé de l’intervention de Bernard Cazeneuve…   

Je n’ai pas eu de pressions directes de sa part et je ne fais que répéter ce que l’on m’a dit. Les représentants du ministère de la Justice et du ministère de l’Intérieur étaient, semble-t-il, présents à la commission, qui n’est plus dite « de censure » mais « de classification ». Apparemment, c’est tout juste s’ils ne voulaient pas entamer des poursuites judiciaires contre le film – on se demande bien sur quelle base. Ils ont cherché à intimider les gens et fait du chantage… Quand on voit de tels comportements, on se dit que ce n’est pas comme cela que l’on va s’en sortir.

 Salafistes est-il victime d’une application outrancière de l’état d’urgence ?

Avant les attentats du 13 novembre, le film serait sûrement passé à travers les mailles. On peut craindre que d’autres attentats se profilant, on soit obligé de s’habituer à ce genre de décisions… Le film est autant victime de l’état d’urgence que de la stupidité partagée aussi bien par certains politiques que certains journalistes, qui se sont empressés de répandre des rumeurs propagées par des gens qui n’avaient pas vu le film. Les gens qui l’ont vu ne lui font pas dire l’inverse de ce qu’il dit.

Pensez-vous comme Michel Onfray qu’on ne peut plus parler de l’Islam en France ?

Non, je pense au contraire qu’il faut en parler et que c’est faisable. Il serait d’ailleurs souhaitable que les musulmans prennent la parole plutôt que les non-musulmans. A ce sujet, les deux sensibilités sont présentes dans Salafistes. Même si parler sereinement de l’Islam est devenu compliqué en France aujourd’hui – on en a la preuve – c’est une nécessité que d’y arriver.

Comment s’établit la diffusion du film malgré sa clause d’interdiction ?

On est passé de 4 à 11 salles, ce qui est peu mais beaucoup eu égard aux pressions qui s’exercent sur elles. On cherche à faire peur, à dire que le film est très dur, qu’il faut fermer les yeux d’un bout à l’autre alors que ce n’est absolument pas le cas – à tout casser, il doit y avoir environ 90 secondes d’images violentes sur une heure et quart. Nous avons déposé une requête en référé pour faire annuler la décision de l’ex-ministre de la culture. On verra bien… J’espère en tout cas que l’on va trouver rapidement d’autres moyens de diffusion, que le film pourra passer à l’étranger et surtout qu’un jour ou l’autre, on le verra à la télévision… Son message est important. 

Politique magazine

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