La pensée française et le sentiment de la fin d'un monde ... Par Mathieu Bock-Côté*
Nous avons déjà cité Matthieu Bock-Côté, figure, nous dit-on, de la vie intellectuelle québécoise, attaché, comme nous-mêmes, à la cause de la diversité des peuples. Il ne s'oppose dans le texte qu'on va lire à aucun des trois auteurs dont il traite. Simplement, il donne quelques raisons de bon sens de ne pas perdre confiance avant l'heure dans le devenir de notre civilisation, si malade soit-elle. Pourquoi ne pas l'en remercier ? Lafautearousseau •
La formule avait quelque chose de crépusculaire sans pour autant être morbide. Michel Onfray, au terme d'un entretien avec François-Xavier Bellamy récemment paru dans Le Figaro, a annoncé la fin de notre civilisation. Il l'a fait sans drame mais avec une forme de droiture antique teintée de mélancolie. Notre monde tombe. Il importe moins de le sauver que de se tenir droit, de ne pas flancher. La formule frappe: « Le bateau coule, restez élégant. Mourez debout ». C'est ce qu'on pourrait appeler la dignité des vieux Romains. Onfray, et cela rajoute une noblesse tragique à son propos, se rallie finalement à cette civilisation au moment de sa perte.
Les mauvais esprits pourraient voir dans cette déclaration une pose littéraire. N'est-il pas commode de disserter sur la fin d'un monde en philosophe, et peut-être aussi en esthète. Ne faut-il pas pleurer, secrètement peut-être, la civilisation dont nous sommes les héritiers ? On rétorquera qu'il y a peut-être là une forme de lucidité supérieure, qui n'est pas sans grandeur, à la différence de ceux qui sont incapables de penser le déclin et ne veulent voir dans ses symptômes que des évolutions n'agaçant que les grincheux professionnels. Elle vaut mieux aussi qu'une fascination morbide devant notre déclin.
Une chose est certaine : le sentiment de la fin d'un monde traverse aujourd'hui la pensée française. D'un livre à l'autre, Houellebecq y revient, avec le sentiment que la civilisation occidentale rêve tout simplement de s'abolir, qu'elle n'est plus capable d'assumer le fardeau de l'histoire. Éric Zemmour, quant à lui, a cru voir dans les quarante dernières années un suicide français, même si certains ont dit son livre qu'il faisait le récit d'un assassinat. On a assimilé cette inquiétude, il y a quelques années, au déclinisme, comme s'il suffisait de changer de perspective pour apercevoir une France radieuse. Encore heureux qu'on n'ait pas parlé de déclinophobie.
Que faire ? La question peut sembler simpliste, exagérément prosaïque, mais elle ouvre pourtant un vaste champ de possibilités à quiconque ne se résigne pas à être le témoin d'une triste agonie. Dans L'écriture du monde et La croix et le croissant, deux livres magnifiques, François Taillandier se l'est posée, en méditant sur la fin de Rome et la naissance de l'Europe chrétienne. « Les hommes véritablement utiles sèment ce qu'ils ne verront pas fructifier. L'arbre qu'ils ont planté donnera de l'ombre à leurs descendants, ils le savent, et se résignent de gaieté de cœur, ayant labouré et semé, de n'être plus là quand viendra le temps des moissons ».
Autrement dit, la cité qui meurt n'emporte pas tout avec elle. Sa part la plus précieuse peut être conservée par des hommes renonçant au prestige social et politique pour conserver dans les marges de la cité certains trésors précieux. Encore faut-il avoir une certaine idée de la transcendance pour transmettre au fil du temps ce que l'on croit sacré. Mais cette réponse exige aussi une forme de renoncement civique: l'homme de savoir n'entend plus féconder le monde commun des principes fondamentaux et des œuvres vitales. Il entend les mettre à l'abri de la destruction pour qu'un jour, ils contribuent à une renaissance.
Il y a une grandeur admirable dans ce choix. Mais le commun des mortels peut-il vraiment se satisfaire de cette stratégie de l'arche ? Chose certaine, on sent la politique ordinaire de plus en plus traversée par cette angoisse existentielle, que peinent à traduire les partis, lorsqu'ils ne se contentent pas d'y voir une peur irrationnelle. Certains évoquent l'insécurité culturelle, d'autres se désolent de l'identité malheureuse ou d'un pays qui se morcelle. En fait, c'est l'existence même du monde commun qui semble compromis. De mille manières, on souhaite se déprendre de l'alternance devenue aliénante entre sociaux-libéraux et libéraux-sociaux.
À sa manière, le peuple appelle au secours. Il sent bien qu'il fera les frais de cet effondrement. Il a le sentiment intime de ce déclin historique. Si ce terme n'était pas aujourd'hui à peu près proscrit, il parlerait peut-être même de décadence. Il cherche alors l'homme providentiel ou se laisse tenter par la révolte populiste. À travers cela, il espère qu'une volonté immense puisse renverser le cours des choses. Il entend moins du politique qu'il n'adoucisse le déclin de nos sociétés qu'il ne restaure les cadres politiques et culturels sans lesquels la cité n'est plus protectrice, sans lesquels, en fait, elle se retourne contre l'homme.
On en revient au point de départ. C'est une chose de craindre la fin de la civilisation occidentale. C'en est une autre de la décréter inéluctable. Mais la chute du communisme nous rappelle qu'un monde trop en contradiction avec les aspirations profondes de l'homme peut s'affaisser sans prévenir. Après coup, chacun dira avoir prophétisé la chute. Mais avant qu'elle ne survienne, qui s'y serait vraiment risqué ? Ne peut-on dire la même chose de la société actuelle qui déracine les peuples, brouille les repères de civilisation, enraye les mécanismes de la transmission culturelle et condamne le politique à l'impuissance ?
Il se pourrait que le vieux monde fasse encore valoir ses droits. •
* Mathieu Bock-Côté est sociologue. Il est chargé de cours à HEC Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal ainsi qu'à la radio de Radio-Canada. Il est l'auteur de plusieurs livres, parmi lesquels « Exercices politiques » (VLB, 2013), « Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois » (Boréal, 2012) et «L a dénationalisation tranquille: mémoire, identité et multiculturalisme dans le Québec post-référendaire » (Boréal, 2007).
Commentaires
Pour les Grecs antiques, l'homme qui n'a pas été pourvu de défense naturelle par la nature; et il a obtenu des dieux le feu et un cerveau. Afin d'éviter qu'ils ne se tuent entre eux, les dieux ont donné aux hommes, la pudeur et la justice. Après avoir adoré les dieux, l'homme s'est pris pour dieu et a cherché dans la nature des lois mathématiques pour exploiter cette nature. Il a inventé la technique qui porte le travail et la propriété qui pousse au travail. Je possède encore plus qu'hier et que mon voisin. Or depuis quelques décennies l'impact des prélèvements sur la propriété construite, intellectuelle et autres détruisent la valeur du travail. Pour la bible, autrement dit pour notre culture européenne, le travail est déjà une punition, il est devenue un moyen politique de déshumanisation. Travailler est de nos jours une souffrance et l'apport de populations ignorantes et dépourvues accentue le processus. Ce n'est pas la civilisation qui s'écroule, c'est l'équilibre entre la technique et la science qui porte l'homme au travail. C'est le choix politique républicain, il serait bon s'il évitait le labeur pénible et l'esclavage, mais il n'en est rien, car si le mal physique disparaît par l'évolution, le mal intellectuel rend le travail méprisable, augmenter les cadences, alors qu'il aurait fallu programmer. En contre partie, pour un couple jeune, la valeur d'achat d'une maison sur le lieu de travail s'élève exponentiellement en trente ans, par le biais des banques; et la maison devient invendable. Travailler pour rien, non pour les banquiers ne pousse pas les jeunes à s'engager dans l'acquisition d'un bien ou de se déplacer pour travailler. On pourrait choisir le véhicule indispensable pour travailler. Ajoutons que nos républicains ont détruit tous les emplois locaux aux petits salaires mais si indispensables à la vie locale.La politique crée le chômage. Alors on comprend que ces jeunes préfèrent la vie de loisir qu'offre les médias; et la gestion politique n'a plus de sens. C'est ce qui fait penser que la civilisation européenne disparaît, faux 'il faudrait comme Zeus socialiser et humaniser la technique et la production: mais nos élus sont déjà arrivé à la conclusion de Marx: la fin du travail. La question est: l'homme est il capable de vivre sans travailler et donc sans espoir d'évoluer.