![L’Égypte, le pays qui a vaincu l’islamisme](https://politiquemagazine.fr/wp-content/uploads/2022/12/sissi1-egypte.jpg)
Le voyageur qui désire aller en Egypte s’y rend le plus souvent pour admirer les somptueux vestiges de l’ère des pharaons. Il n’est généralement pas déçu. Beaucoup de ces monuments ont été parfaitement conservés. De plus, d’admirables fresques aux couleurs intactes ornent des tombes ou d’autres monuments à la gloire des pharaons et des multiples dieux de l’Egypte.
Mais si ce même voyageur compare ce patrimoine avec celui des civilisations grecques et romaines, il ne pourra s’empêcher d’établir une comparaison fatale : le monde des pharaons n'a rien engendré. Il s’est autodétruit et a manqué au premier devoir de toute civilisation et, au-delà, de tout être humain, la transmission. Le catholique français d’aujourd’hui sait ce qu’il doit au monde gréco-romain mais il n’a rien reçu de l’antique civilisation égyptienne. Un trait révèle bien l’état d’esprit de cette longue période, c’était le souci de bâtir en ne changeant rien aux principes architecturaux de la période précédente, pour ne pas insulter ses aînés. C’est très touchant mais les progrès ne sont alors guère rapides et il est heureux que nos bâtisseurs de cathédrales n’aient pas raisonné ainsi.
L’Egypte pour nous, commence donc avec Jules César qui s’éprit de Cléopâtre, la dernière reine d’Egypte. Tout un symbole. Ce pays qui fut si puissant mettra vingt siècles à recouvrer son indépendance.
Cette mise sous tutelle et l’expansion du christianisme qui l’accompagna, permit à l’évangéliste Saint Marc de prêcher et de convertir cette région qui persécuta tant Moïse et son peuple, mais accueillit la Sainte Famille dans sa fuite. Premier évêque d’Alexandrie, Saint Marc y mourut martyr. Ses reliques, dont Alexandrie était si fier, furent volées au IXe siècle par des marchands vénitiens. La basilique Saint Marc de Venise devint ainsi un important lieu de pèlerinage au grand dam des chrétiens égyptiens.
Lâélan anachorète
Les nombreuses conversions engendrèrent un extraordinaire mouvement de piété qui se traduisit par lâinstallation dans le désert (il nâen manque pas en Egypte) de milliers dâermites, quâon appelle en Orient les anachorètes. Anatole France, assez peu catholique pourtant, eut cette très belle formule dans son roman Thaïs consacré à la conversation au christianisme de cette ancienne courtisane : « En ce temps-là , le désert était peuplé dâanachorètes ». Si le livre a bien vieilli, il commence tout de même par un des plus beaux incipit de la littérature française.
Au IVe siècle, deux figures laissèrent une place fondamentale dans cette histoire de lâanachorétisme qui a tant marqué les premiers siècles de lâEglise : Saint Paul et Saint Antoine. Malgré leur isolement, leur renommée était grande. Un tableau célèbre, quoiquâanonyme, les représente partageant le pain peu avant la mort de Saint Paul. Un corbeau, qui venait tous les jours apporter du pain à Saint Paul avait ce jour-là doublé la ration à lâoccasion de la visite, unique, de Saint Antoine. Saint Paul y est représenté avec un beau vêtement ce qui nâest pas commun pour un anachorète. Câest tout simplement celui de Saint Athanase, autre grande figure du christianisme égyptien du IVe siècle.
Saint Athanase, Docteur et Père de lâEglise, fut un adversaire courageux et résolu contre lâhérésie arienne. Bien oubliée aujourdâhui, cette hérésie faillit submerger le monde chrétien. On peut en lire un bon résumé dans lâexcellent livre, enfin traduit, de lâAnglais Hilaire Belloc, Les grandes hérésies. Bien seul en Orient pour la combattre (à lâinstar de Saint Hilaire en occident), exilé à cinq reprises, il finit par retrouver son siège dâévêque dâAlexandrie et triompher de lâhérésie.
Saint Cyrille dâAlexandrie fut un de ses glorieux successeurs au Ve siècle. Lui aussi est Père et Docteur de lâEglise. Nous sommes alors à lâapogée du christianisme égyptien qui connut ensuite lâirruption de lâislam.
La conquête musulmane
Mahomet mourut en 632. Lâarmée arabe sâébranla ensuite depuis les sables de lâArabie pour conquérir le monde et imposer lâislam par les armes. LâEgypte fut une de ses premières conquêtes. Les Egyptiens se défendirent peu. Ils ne connaissaient pas lâislam et détestaient lâempire byzantin dont ils dépendaient. Les violentes querelles religieuses, issues du concile de Chalcédoine, avaient engendré de dures mesures contre les anti-chalcédoniens, nombreux en Egypte. La pression fiscale et lâarrogance des fonctionnaires byzantins ne firent quâenvenimer les choses.
En sept ans (639-646), les musulmans se rendirent maîtres de lâEgypte (signalons lâexcellent livre de Louis Chagnon, La conquête musulmane de lâEgypte).
Ce sont ces Arabes égyptiens qui, quatre-cents ans plus tard firent raser le Saint Sépulcre car ils dominaient également toute la Terre Sainte. Un sultan à moitié fou, Hakim Ier, donna cet ordre en 1009. Cet acte fut à lâorigine de lâappel à la croisade du pape Urbain II en 1095.
Au XIIIe siècle, de nouveaux venus supplantèrent les arabes dâEgypte et sâinstallèrent au pouvoir. Il sâagit des Mamelouks, ces anciens enfants, souvent chrétiens, enlevés en Circassie dans le Caucase ou en Asie centrale. Eduqués ensuite dans lâislam ils devinrent, tout comme les janissaires de lâEmpire ottoman, des soldats accomplis au service de lâEgypte. Ils devinrent si puissants quâils finirent par prendre le pouvoir et régnèrent pendant plus de trois siècles. Battus par les Ottomans à la bataille de Marj Dabiqen 1516, près dâAlep en Syrie, ils perdirent non seulement la Terre sainte mais également le pouvoir en Egypte. Les Ottomans poussèrent leur avantage et sâemparèrent du Caire. Mais ensuite, ils maintinrent les Mamelouks aux postes clés. LâEgypte était théoriquement ottomane mais pratiquement toujours mamelouk. Il fallut lâexpédition de Bonaparte en Egypte pour les vaincre à la fameuse bataille des Pyramides et les chasser du pouvoir.
Lâoccupation française ne se passa pas très bien. Bonaparte rentra rapidement en France et confia lâarmée à Kléber. Ce dernier fut assassiné et les Français quittèrent lâEgypte un peu honteusement, rapatriant une armée à bout de souffle. LâHistoire en a fait une immense épopée mais, hormis ses aspects scientifiques, le bilan de lâexpédition dâEgypte nâest guère glorieux.
Mehemt Ali fondateur de lâEgypte moderne
Une période anarchique sâensuivit et un homme réussit à tirer les marrons du feu à son profit. Il sâappelait Mehmet Ali. Dâorigine albanaise, il était au service de lâEmpire ottoman qui lâenvoya reprendre le contrôle de lâEgypte. Cet homme brillant joua habilement sa propre partition, sans tout à fait tourner le dos à lâEmpire.
Il mit fin au désordre et fit impitoyablement assassiner les dirigeants mamelouks qui tentaient de reconquérir le pouvoir. Officiellement vassal de lâEmpire ottoman, il mena, avec le titre de vice-roi, une politique indépendante. Il assista toutefois lâEmpire dans deux expéditions extérieures, en Arabie, pour réprimer la révolte des wahhabites, et en Grèce lors de la guerre dâindépendance. Il y perdit sa flotte, détruite à la bataille navale de Navarin en 1823.
Malgré cet échec, Mehmet Ali obtint des Ottomans la faveur de voir ses fils lui succéder puis leurs propres descendants, une dynastie était née.
La France construit le Canal de Suez
Le nouveau souverain fut le grand modernisateur de lâEgypte. Il développa lâagriculture, le transport et commença même à envisager la construction du Canal de Suez. Il mourut en 1849 et ses descendants mirent son projet à exécution. Les Français furent à pied dâÅuvre au grand dam des Anglais qui firent tout pour contrarier le projet. Lâingénieur Ferdinand de Lesseps, cousin de lâImpératrice Eugénie (épouse de Napoléon III) réalisa le canal avec brio. Son inauguration solennelle eut lieu en 1869, un an avant la chute de lâEmpire. Eugénie, maîtresse des lieux, y invita les souverains européens qui vinrent en nombre. Le compositeur italien Verdi composa pour lâoccasion son opéra Aïda. Ce fut une réussite éclatante pour la France malgré les multiples difficultés financières liées à lâexploitation du canal.
Les Anglais sâimplantent
Mais lâeuphorie ne dura guère. En 1882, une révolte nationaliste éclata et des Européens furent massacrés à Alexandrie. Les Anglais saisirent lâoccasion pour débarquer, expédition à laquelle les Français refusèrent de participer ce qui était une faute stratégique. La voie était libre pour lâempire britannique. Formellement lâEgypte était toujours vassale des Ottomans mais dans les faits câest bien la Grande-Bretagne qui dirige lâEgypte. Elle saisit bien sûr lâoccasion pour prendre le contrôle du canal et évincer les Français.
Durant les décennies qui suivirent, les Anglais tentèrent de transformer lâEgypte en une colonie britannique, sans y parvenir. Le nationalisme arabe était très présent dans le peuple égyptien et, à lâissue de la première guerre mondiale, les Egyptiens parvinrent à imposer leurs vues après les émeutes de 1919. Les Anglais se résignèrent à accorder lâindépendance tout en gardant le contrôle du canal.
Enfin lâindépendance
LâEgypte se transforma alors en monarchie et Fouad en fut le premier roi en 1922.Il était lâarrière-petit-fils de Mehmet Ali, le fondateur de la dynastie. La même année, comme un symbole, le trésor de Toutankhamon fut découvert dans la vallée des Rois. Ce souverain ne fut pas le plus glorieux, loin sâen faut, et le trésor déposé dans sa tombe, pourtant fabuleux, nâest sans doute quâune pâle figure par rapport à ceux des grands souverains de lâantiquité égyptienne. Mais tout cela fut pillé dès lâorigine et lâon peut lire à ce sujet lâétonnant roman de Mika Waltari, Sinouhé lâEgyptien.
Câest un hasard qui a permis que cette tombe ne soit pas pillée et les projecteurs du monde entier se braquèrent sur lâEgypte, remplie de fierté.
Mais les démons islamistes commençaient à agiter le pays. Hassan el-Banna créa en 1928 la confrérie des Frères musulmans. Sous prétexte dâun retour à la prétendue pureté de lâislam originel, il développa une doctrine très agressive et très politique visant à la victoire universelle de lâislam par la force : « Lâislam est dogme et culte, patrie et nationalité, religion et Etat, spiritualité et action, Coran et sabre. » Cette phrase emblématique des Frères devrait davantage interpeller nos gouvernants quand on sait que de nombreux musulmans installés en France sont adepte de cette doctrine.
Dans ce contexte, le rôle joué par lâuniversité al-Azhar est important et mérite dâêtre signalé. Créée au Xe siècle, elle est un des plus anciens lieux dâenseignement de lâislam au monde. Elle jouit dâun immense prestige dans le monde musulman et est régulièrement travaillée par des courants islamistes, notamment celui des Frères. Un excellent film égyptien récent consacré à ce sujet mérite dâêtre vu ,Conspiration au Caire.
Le coup dâEtat des officiers et la nationalisation du canal
Le roi Fouad mourut en 1936. Son fils Farouk lui succéda et câest au cours de son règne que lâEgypte vit son destin basculer. Lassée de cette monarchie molle et peu ambitieuse, mais surtout désireuse de jouer un rôle politique, lâarmée prend le pouvoir. Un groupe dâ« officiers libres » organisa un coup dâEtat qui emporta un succès facile. Un nationaliste convaincu, le colonel Gamal Abdel Nasser sâimposa rapidement et après une période dâintérim, se fit élire président de la nouvelle république égyptienne.
En 1956, il décida de nationaliser le canal de Suez. Ce coup dâéclat lui valut un prestige immense dans le monde arabe. La France et lâAngleterre, qui se croyaient encore les maîtres du monde, organisèrent une expédition militaire, aidés par Israël, ravi de lâaubaine lui permettant dâattaquer lâEgypte et de conquérir la bande de Gaza.
Lâarmée égyptienne fut facilement vaincue mais les Américains et les Soviétiques intervinrent de concert pour intimer lâordre aux Européens de rentrer chez eux, leur rappelant ainsi qui étaient maintenant les maîtres du monde.
LâEgypte récupéra son canal ainsi que la bande de Gaza. Pas pour longtemps puisquâen 1967, devançant une probable attaque égyptienne, Israël attaqua lâEgypte et la Syrie par surprise. En six jours, dâoù le nom de Guerre des Six-Jours qui lui est maintenant attribuée, les armées arabes furent vaincues. Israël récupéra la bande de Gaza et occupa le désert du Sinaï. Lâhumiliation fut grande pour lâEgypte qui se consola avec un grand projet de construction de barrage, le fameux barrage dâAssouan, destiné à réguler les eaux du Nil.
Curieusement, les Américains refusèrent dâaider lâEgypte à le construire. LâURSS fut ravie de lâaubaine et organisa sa construction qui sâacheva en 1970. Mais Nasser mourut prématurément cette même année dâune crise cardiaque. Il ne vit pas son Åuvre sâachever et le monde arabe pleura son dirigeant le plus populaire.
Ce fut, bien évidemment, un officier qui lui succéda, Anouar el-Sadate. Il inaugura le barrage dâAssouan avec Nikita Khroutchev, alors dirigeant de lâUnion soviétique et commença à préparer une prochaine guerre contre Israël. Elle fut déclenchée en 1973 avec lâallié Syrien. Cette fois, la surprise fut complète pour Israël qui frôla la catastrophe. LâEtat hébreu finit par inverser la tendance mais lâalerte fut chaude. Malgré cette nouvelle défaite, la satisfaction finit par lâemporter dans le monde arabe, car lâennemi israélien avait failli être vaincu.
La réflexion de Sadate fut différente. Il acquit après cette défaite la certitude quâIsraël ne serait pas vaincu par les armes mais que des négociations devenaient possibles en raison du changement dâattitude de lâAmérique, alarmée par les difficultés militaires des Israéliens au cours de cette guerre. Il renvoya les conseillers soviétiques et se rendit en Israël au grand dam du monde arabe.
Sadate signe Camp David et se fait assassiner
De longues discussions eurent lieu et aboutirent en 1979 aux célèbres accords de Camp David. Signés laborieusement sous lâégide de Jimmy Carter par Sadate et Menahem Begin, le premier ministre israélien, ils permirent à lâEgypte de récupérer le Sinaï et elle dû reconnaître Israël qui nâavait pas fait un pas à propos de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et de la reconnaissance dâun futur Etat palestinien.
Les pays arabes condamnèrent ces accords qui nâarrangeaient que lâEgypte. Une partie du gouvernement égyptien démissionna et les islamistes firent de Sadate une cible. Il fut en effet assassiné en 1981 par des soldats lors dâune parade militaire au cours de laquelle le patriarche de lâEglise copte mourut également. Les Frères musulmans étaient derrière cet attentat.
Un autre militaire, Hosni Moubarak, succéda à lâinfortuné Sadate. Pendant trente ans il dirigea le pays médiocrement, tombant dans une corruption scandaleuse. Les Frères travaillaient dans lâombre et les printemps arabes de 2011 (si mal nommés), leur permirent de déstabiliser le pouvoir.
Les Frères musulmans au pouvoir
Dâimmenses rassemblements islamistes ou tout simplement de protestation contre Moubarak, se déroulèrent au Caire sur la célèbre Place Tahrir. « Rendez-vous Place Tahrir » fut le mot dâordre suivi par des foules compactes dont une partie resta camper plusieurs semaines. Personne ne croyait au succès de ces manifestants encore dépourvus de stratégie claire. En réalité, comme toujours en Egypte depuis Nasser, la situation dépendait de lâattitude de lâarmée. Or Moubarak avait commis une erreur fatale à la fin de son règne. Il crut que son aura était plus grande que le pouvoir de lâarmée et décida quâaprès lui, ce serait son fils et non un autre officier qui lui succéderait. Lâarmée, dont on ignore trop souvent quâelle est devenue un acteur économique majeur de lâEgypte, ne pouvait accepter de perdre ce rôle si lucratif.
Elle lâcha son président, les manifestations devinrent insurrectionnelles et Moubarak dut se résigner à abdiquer. La voie était libre pour les Frères qui remportèrent les élections en 2012, recueillant les fruits de leur investissement social dans tout le pays. Mohamed Morsi, un des leurs, devint président. Lâexpérience dura un an et se révéla calamiteuse. Uniquement préoccupés de lâislamisation du pays, les Frères ne gérèrent rien. Lâéconomie sâ