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  • La voie héroïque (II), par Michel Michel.

    La che­va­le­rie

    • Entre le faire et l’être, le combat.

    À ce niveau, le che­va­lier, lui, n’é­vite pas ‑pas com­plè­te­ment en tout cas- les pas­sions, celles de la vio­lence des affron­te­ments rela­tion­nels, comme celles de l’in­com­plé­tude du désir amoureux.

    Mars et Vénus sont inex­tri­ca­ble­ment liés, comme le rap­pellent les innom­brables chan­sons (comme les “madri­gaux amou­reux et guer­riers” de Mon­te­ver­di) …  La noblesse inven­ta l’amour cour­tois. Les moines-che­va­liers eux-mêmes, ceux qui sont héri­tiers de Saint Ber­nard, n’ont-ils pas une dévo­tion toute par­ti­cu­lière pour Notre-Dame ?

    Le Che­va­lier ne peut évi­ter d’af­fron­ter les sources-mêmes de la souf­france ‑Éros et Thanatos‑, car la voie héroïque est à la fois une lutte exté­rieure pour la Jus­tice, contre le désordre dans le monde, et une lutte inté­rieure avec les passions.

    Ce tra­vail est dan­ge­reux bien-sûr, et bien peu de ceux qui sont par­tis en quête du Graal sont reve­nus intacts de cette errance.

    Dès qu’il entre en rela­tion avec les autres, l’homme peut-il échap­per à la logique mimé­tique, celle du pou­voir et de la séduc­tion, celle des rap­ports de forces, celle de l’a­mour et de la haine ?

    Cette pas­sion mimé­tique, mise en évi­dence par Jean Bau­drillard ou René Girard, se mani­feste par exemple, lorsque dans une crèche des enfants veulent tous le même jouet qu’ils délais­saient aupa­ra­vant, parce que l’un d’entre eux a paru s’in­té­res­ser à ce jouet. On le sait bien, dans les familles nom­breuses, le gâteau que l’on aurait vou­lu avoir est, en géné­ral, celui qui a été choi­si par son frère. Ce qui est dési­ré, c’est l’ob­jet du désir d’autrui.

    C’est cette dimen­sion que tra­vaillent spé­ci­fi­que­ment les ini­tia­tions che­va­le­resques, pour trans­muer la vio­lence en vaillance, la jalou­sie en loyau­té, et la concu­pis­cence en courtoisie.

    Enfin, au-des­sus de l’é­tat che­va­le­resque, se situent les ini­tia­tions monas­tiques, où l’é­tat humain consiste à “con-tem­pler” le Centre abso­lu qui est la source du sens, la Lumière éblouis­sante (ou la “nuée obs­cure”) qui éclaire toute chose, et pour recou­vrer l’i­mage et la res­sem­blance divine, il renonce, dans une cer­taine mesure, à agir (direc­te­ment) sur les choses et sur les autres.

    La méta­phy­sique, la phi­lo­so­phie pérenne, n’est pas seule­ment la doc­trine de moines et autres brah­manes, mais celle de toute l’Hu­ma­ni­té, dans ses dif­fé­rentes condi­tions. Chaque état donne à cette unique véri­té sa colo­ra­tion propre.

    Cam­pé sur les alti­tudes d’une méta­phy­sique pure, René Gué­non a peu déve­lop­pé le thème des adap­ta­tions de la doc­trine aux dif­fé­rents états sociaux.

    Pour­tant chaque par­tie est néces­saire au tout ; et si toutes les vir­tua­li­tés de l’hu­ma­ni­té sont en chaque homme, chaque homme ne peut actua­li­ser toutes ses vir­tua­li­tés à moins d’en­trer en rela­tion avec ceux qui ont actua­li­sé des vir­tua­li­tés com­plé­men­taires à la sienne. C’est en ce sens qu’une socié­té n’est pas une somme d’in­di­vi­dus, mais un grand être qui donne à cha­cun la pos­si­bi­li­té de par­ti­ci­per de l’Homme total.

    Voi­là pour­quoi s’il est vrai que l’i­dée d’é­ga­li­té entre les dif­fé­rents états de l’Hu­ma­ni­té est absurde, aucun état n’est mépri­sable, parce que cha­cun a sa rai­son d’être. Encore faut-il que cha­cun de ces états soit éclai­ré, de façon par­ti­cu­lière, par une même vérité.

    • la che­va­le­rie, une voie universelle

    Ces trois types d’i­ni­tia­tions se sont donc déve­lop­pés au sein de la Chré­tien­té, mais il est vrai que dans la mesure où elles actua­lisent des dimen­sions inhé­rentes à l’é­tat humain, elles sont uni­ver­selles et qu’on les retrouve peu ou prou dans toutes les socié­tés traditionnelles.

    La voie héroïque consiste donc à faire de la guerre exté­rieure ‑ou de toute autre action sur les autres, action mili­tante, poli­tique[1]  ou encore amou­reuse (le voca­bu­laire de la séduc­tion témoigne des ana­lo­gies avec la guerre) – la mani­fes­ta­tion d’une guerre intérieure.

    Dans cette pers­pec­tive, l’ac­tion ne tire sa jus­ti­fi­ca­tion qu’en tant que sacri­fice, c’est-à-dire en tant que faire sacré.

    Ain­si, la guerre sainte en Islam, le dji­had, com­porte deux aspects :

    La petite dji­had, celle qu’on mène contre les infi­dèles, et la grande dji­had, la guerre inté­rieure contre soi-même dont la pre­mière n’est que le reflet et la mani­fes­ta­tion. Nous ren­ver­rons sur ce sujet à l’ar­ticle de René Gué­non Say­ful-Islam, « le sabre de l’Is­lam », publié dans “Sym­boles de la science sacrée”, ou à l’ar­ticle de Abd-Allah Yahya Darolles “Aper­çus sur le dji­had : doc­trine et appli­ca­tions” (in Les cahiers de l’Ins­ti­tut des Hautes Etudes Isla­miques n°2, mai/août 1996).

    De même, ceux qui pra­tiquent les arts mar­tiaux d’Ex­trême-Orient le savent : l’es­prit du Bushi­do – le code de l’hon­neur des samou­raïs – implique une cer­taine atti­tude inté­rieure autant que l’ef­fi­ca­ci­té dans le com­bat ; ou plu­tôt, l’ef­fi­ca­ci­té dans le com­bat ne serait en quelque sorte qu’un effet second, le sous-pro­duit de cette atti­tude d’é­veil inté­rieur, véri­table objec­tif de celui qui suit la Voie (le “do”).

    « Ren­ver­ser Tsing, res­tau­rer Ming » pro­clame la socié­té secrète des Hungs. II s’a­git à la fois d’a­battre la dynas­tie des enva­his­seurs Mand­chous, ‑les Tsing usurpateurs‑, pour res­tau­rer la lignée légi­time des empe­reurs Ming ; mais aus­si, puisque Ming n’est pas seule­ment le nom d’une dynas­tie mais signi­fie “lumière”, il s’a­git de faire jaillir la lumière à l’in­té­rieur de la socié­té des Hungs, et d’a­bord dans cha­cun d’entre eux.

    Aux Indes, dans le livre de la Bha­ga­vad-Gîta, Arju­na, le Roi dépos­sé­dé, au milieu de son armée ran­gée en ordre de bataille, se lamente devant le car­nage auquel il va devoir se livrer pour recon­qué­rir son royaume. Le dieu Indra, qui conduit son char de com­bat, lui révèle qu’il peut légi­ti­me­ment com­battre ses cou­sins rebelles, si, indif­fé­rent à la convoi­tise du fruit de son action, il s’en­gage dans la bataille comme dans un sacri­fice. Car alors, Arju­na ne fait que rem­plir son devoir d’é­tat, réa­li­ser la fonc­tion de sa caste. Si Arju­na ne réa­li­sait pas sa voca­tion en bataillant, le monde serait livré à la pire des catas­trophes, car l’i­gno­rance des devoirs est pire que le car­nage. Mais Arju­na, pour vaincre ses enne­mis doit aus­si se vaincre lui-même.

    L’ac­tion doit être accom­plie de façon dés­in­té­res­sée. Le Royaume ne peut être res­tau­ré qu’au­tant que la sou­ve­rai­ne­té inté­rieure du Roi est res­tau­rée. Alors les contin­gences du com­bat exté­rieur ne pour­ront atteindre l’in­té­rio­ri­té du combattant.

    Cette carac­té­ris­tique che­va­le­resque se retrouve dans toutes les figures de héros, même celles des romans de cape et d’é­pée ou celles des wes­terns. Le vrai héros com­bat pour vaincre certes, mais sa fin n’est pas ‑pas seule­ment- la vic­toire ; et en tout cas, pas à n’im­porte quel prix. Dans les films de cape et d’épée, le bon mous­que­taire laisse son adver­saire désar­mé, ramas­ser son épée avant de pour­suivre le duel, tan­dis que le vil traître frappe l’ad­ver­saire désar­mé, ou par der­rière, ou de toute autre façon déloyale.

    C’est que, pour le héros, le résul­tat n’est pas le seul enjeu de la bataille. Il reste d’ailleurs quelque chose de cette éthique che­va­le­resque dans le fair play, l’es­prit spor­tif, tel qu’il a été défi­ni au début du siècle dans la gen­try anglaise. Ou pour par­ler comme le baron de Cou­ber­tin, l’es­sen­tiel n’est pas de gagner, mais de par­ti­ci­per[2]. Avant de deve­nir un spec­tacle de masse la com­pé­ti­tion spor­tive était d’a­bord conçue comme une façon d’a­gir sur soi, de se culti­ver (la “culture phy­sique” comme on cultive une plante), de se vaincre soi-même à tra­vers le pré­texte d’un affron­te­ment dont la vic­toire n’est que le but appa­rent. Être beau joueur c’est sans doute cher­cher à gagner, mais en sachant que dans le jeu il y a un autre enjeu, plus impor­tant que la Victoire.

    • le chris­tia­nisme héroïque

    Si dans toutes les civi­li­sa­tions, les héros ont réus­si, à tra­vers com­bats, épreuves et tri­bu­la­tions, à réta­blir l’ordre cos­mique mena­cé par la chute entro­pique ou la mali­gni­té des méchants, le chris­tia­nisme n’a pas igno­ré cette voie héroïque, mais au contraire, l’a déve­lop­pée de façon très radicale.

    Le Chris­tia­nisme, ce n’est pas seule­ment la dou­ceur appa­rente des Béa­ti­tudes, mais c’est aus­si par excel­lence la reli­gion de la Pas­sion. Car il n’est pas sans inté­rêt que, dans le Chris­tia­nisme, le même mot désigne à la fois la force de l’a­mour, les atta­che­ments ter­restres, et la geste héroïque et sacri­fi­cielle de l’Homme-Dieu par laquelle a été ouverte la voie du Salut.

    Tout au long de l’his­toire chré­tienne, cette vir­tua­li­té héroïque du chris­tia­nisme s’est diver­se­ment mani­fes­tée, et sans doute, chaque chré­tien est-il ame­né à vivre, plus ou moins, cette dimen­sion par­ti­cu­lière de sa Foi.

    Les Évan­giles rap­portent ces paroles, étranges pour qui ne vou­drait recon­naître dans le Christ qu’un pro­phète de la non-violence :

    « Ne pen­sez pas que je sois venu appor­ter la paix sur la terre, je ne suis pas venu appor­ter la paix, mais le glaive. Oui, je suis venu sépa­rer l’homme de son père, la fille de sa mère, la belle fille de sa belle-mère : on aura pour enne­mi ceux de sa propre mai­son » (Mat­thieu X‑30:36).

    Je suis venu appor­ter un feu sur la terre et comme je vou­drais qu’il soit déjà allumé…Pensez-vous que je sois venu appor­ter la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais plu­tôt la divi­sion…” (Luc XII- 49/53)

    C’est encore Jésus qui proclame :

    « Le Royaume des Cieux souffre vio­lence, et les vio­lents le prennent de force » (Mat­thieu XI-12).

    Ou encore : « Le Royaume de Dieu est au dedans de vous. On y pénètre par la vio­lence » (Luc VII-21).

    Jésus, avant de s’en­ga­ger sur la voie héroïque, la grande épreuve de sa Pas­sion, ordonne à ses dis­ciples : « que celui qui n’en a pas, vende son man­teau pour ache­ter un glaive ». (Luc XXII-36).

    Certes il pro­clame “ceux qui pren­dront l’é­pée péri­ront par l’é­pée” (Mat­thieu 26.52) mais il ne pré­cise pas qu’il est plus mau­vais de périr par le glaive…

    Remar­quons que si par Marie le Mes­sie est issu de la des­cen­dance sacer­do­tale d’Aa­ron, par Joseph il appar­tient à la tri­bu royale de Juda, il est héri­tier des Rois David et Salo­mon. Le Christ concentre deux qua­li­tés nor­ma­le­ment dis­tinctes : prêtre et roi.

    L’agent ultime du sacri­fice, celui qui perce le Cœur du Cru­ci­fié afin que s’en écoule l’Eau et le Sang de la vie nou­velle est un sol­dat ; le cen­tu­rion que la Tra­di­tion nomme Lon­gin. Il est consi­dé­ré comme le Pre­mier che­va­lier chré­tien car sa lance ouvre la fon­taine régé­né­ra­trice de la Misé­ri­corde Divine, et pro­voque l’effusion de la Grâce sur l’homme et l’u­ni­vers (p.33 G. de Sor­val “ini­tia­tion che­va­le­resque et royale” Dervy).

    Par­mi les saints dont la vie est don­née en modèle aux fidèles, les guer­riers et les che­va­liers sont nom­breux, sur le type de St. Michel, l’Ar­change des com­bats escha­to­lo­giques, de St. Georges le che­va­lier ter­ras­sant le dra­gon, de St. Mau­rice à St. Théo­dore et tant d’autres, et en France, de St. Mar­tin évan­gé­li­sa­teur de la Gaule, St. Louis le roi croi­sé, jus­qu’à Ste Jeanne d’Arc avec laquelle l’his­toire de notre pays est si étran­ge­ment mêlée. Sans comp­ter des sou­dards comme St. Chris­tophe dont la légende nous dit qu’il n’ai­mait que la force et que c’est en vou­lant suivre le maître le plus fort qu’il finit par ser­vir l’en­fant Jésus.

    Et je n’é­vo­que­rai pas ici St. Ber­nard et la spi­ri­tua­li­té des Ordres de che­va­liers-moines (tem­pliers) ins­ti­tués lors des Croi­sades, car cela exi­ge­rait un déve­lop­pe­ment particulier.

    C’est tout par­ti­cu­liè­re­ment dans les Épitres de St. Paul que la che­va­le­rie chré­tienne trou­ve­ra son inspiration.

    Les affron­te­ments dans ce monde trans­posent et reflètent les théo­go­nies angé­liques :  » Car nous n’avons pas à lut­ter contre la chair et le sang, mais contre les prin­ci­pau­tés, contre les puis­sances, contre les domi­na­teurs des ténèbres d’ici-bas, contre les esprits méchants dans les lieux célestes « . (Éphé­siens 6:12)

    Saint Paul parle de ses com­pa­gnons comme des « com­pa­gnons d’armes » et écrit à Thi­mo­thée (deuxième épître II‑3) : « Prends ta part de souf­frances, en bon sol­dat du Christ Jésus. Dans le métier des armes, per­sonne ne s’en­combre des affaires de la vie civile s’il veut don­ner satis­fac­tion à celui qui l’a enrôlé ».

    On com­prend qu’à la messe les che

  • Mai 68...

              C'est bien connu, et nous en avons tous fait l'expérience: il y a des jours où l'on se dit qu'on aurait mieux fait de rester couchés ! A l'inverse, et nous en avons aussi tous fait l'expérience, il y a des jours, comme çà, où sans que l'on s'y attende le moins du monde, on a une bonne surprise. C'est ce qui arrive aujourd'hui avec ce texte puissant, publié par Patrice de Plunkett sur son blog: http://plunkett.hautetfort.com

              Nul n'a pu, aussi distrait soit-il, ne pas se rendre compte que les différents médias nous bombardaient depuis longtemps déjà de commémorations sur Mai 68, et pas toujours d'un grand intérêt...: or voilà une réflexion qui, pour le coup, fera date. Nous la publions donc dans son intégralité car, son auteur nous pardonnera notre familiarité, ce texte "vaut vraiment le coup".

              Et c'est peu de le dire....

           LA REPENTANCE N'EST PAS DANS L'AIR

    Liquider Mai 1968 : vaste programme, eût dit de Gaulle.  Il faut voir où l’on met les pieds.

    Peut-on regarder 68 comme un drame politique dont on pourrait dresser le bilan, à la façon des Livres noirs du communisme et du colonialisme ? 

    Ce serait une erreur.

    J’en témoigne. J’avais vingt ans cette année-là et j’étais sur le terrain. Etudiants « réacs » [1]  de Nanterre et du Quartier latin, nous nous sommes bien amusés –  mais sans y croire une seconde ! Nous ne sommes pas allés sur les Champs-Elysées le 30 mai. Pas un instant nous n’avons gobé que « les rouges » voulaient « prendre le pouvoir ». Ni que la « révolte étudiante » était « dirigée et exploitée par des meneurs au service d’une puissance sans visage qui agit partout à la fois dans le monde », comme l’écrivait alors Mauriac dans son bloc-notes... La panique bourgeoise nous faisait rire. La droite jouait à la contre-révolution, mais il n’y avait pas de révolution ; les cris de guerre des gauchistes sonnaient faux, leurs slogans avaient l’air d’un décor. La société qu’ils dénonçaient n’existait pas. Le danger qu’ils proclamaient (la « fascisation du capitalisme ») était imaginaire et absurde.

    Mais nous qui étions dans le bain, contrairement à la droite, nous sentions qu’il y avait tout de même un esprit du mouvement de Mai : et que cet esprit était autre chose que son apparence.

    On devinait un volcan qui n’était pas politique [2].

    Sous les gesticulations pseudo-marxistes courait en réalité une fièvre irrésistible d’individualisme, vouée à brûler tout ce qui paraissait freiner encore un peu  le règne de l’ego.

    Mai 68 allait aider – sans le vouloir –  à installer une société consumériste, fondée sur l’exploitation commerciale des pulsions du Moi les plus déshumanisantes : une société où le travail allait devenir aussi flexible que la morale,  comme  dans  le  film  de  Ken  Loach It’s a free world [3]. Cette société allait fusionner la gauche et la droite comme des gérantes du même hypermarché. Pierre Legendre l’écrira en 2001 : « Notre société prétend réduire la demande humaine aux paramètres du développement, et notamment à la consommation »[4] .

    Pour que la société puisse devenir ce terrain vague, il fallait raser les ultimes valeurs supérieures à l’individu, les dernières « haies », les vestiges d’un art de vivre plus ancien que la bourgeoisie moderne.

    Cette destruction fut l’œuvre de l’esprit de 68.  Il a agi comme un incendie. Ce n’était pas difficile : les « haies » étaient desséchées par le néant moral des Trente Glorieuses...  « Notre mode de vie focalisé sur le confort et l’utilitaire ne satisfait pas la jeune génération », affirmait en 1967 le journaliste italien Giorgio Bocca. Son diagnostic surestimait le mobile des jeunes, mais il était presque exact sur un point : la faillite éthique des vieux.

     

    La prophétie de Boutang

     

    Quelqu’un avait vu cette faillite plus nettement, en France, deux ans avant 1968. C’était le philosophe Pierre Boutang, et sa vision [5] a l’air d’une prophétie lorsqu’on la relit en 2008 :

    « Une part de la réalité de l’homme est en train de s’évanouir, ou changer de sens ; subissant à la fois les techniques de massification (perdant de plus en plus son visage, la ressemblance avec Dieu) et la rhétorique de l’humanisme le plus vague et dégoulinant, le citoyen des démocraties modernes et développées a laissé tomber […] sa réalité d’homme, vivante et en acte. Il a cessé d’agir comme père, d’exercer comme un père une autorité familiale (or nul n’est homme s’il n’est père, dit Proudhon). […] Pour cela, les fils s’éloignent (même en restant là) et haïssent ou méprisent  à la fois le fils que fut leur père, et le père qu’il n’est pas. Leur ‘‘protéïsme’’, leur capacité de désir de prendre toutes les formes animales, jusqu’au refus du visage humain et de la détermination sexuelle, n’est que le constat d’absence, mais d’absence molle et pesante, d’un être de l’homme, à l’image de Dieu, chez l’adulte. »

    Ce texte de 1966 était une prémonition du processus de Mai 68 :

    - d’abord la nullité morale des pères, bourgeoisie « traditionnelle » déboussolée qui s’attirait le mépris des enfants ;

    - puis la dislocation psychologique des enfants, « jusqu’au refus du visage humain et de la détermination sexuelle ».

    En mai 2008 ces enfants ont la soixantaine. Leur refus de naguère est devenu l’esprit d’une néo-bourgeoisie : l’âme d’un monde sans âme, où la droite et la gauche desservent par roulement  – à des heures différentes – le rayon des « nouvelles mœurs » à l’enseigne du Grand N’importe Quoi.  Le philosophe Bernard Stiegler conclut [6] à leurs torts partagés : 

    « On a souligné un paradoxe à propos de Mai 68 : on a pensé que le capitalisme était porté par la droite, qui défend les ‘‘valeurs traditionnelles’’, et que c’est un mouvement de gauche (Mai 68) qui a voulu symboliquement détruire ces valeurs. Mais en réalité, ce qui a réellement organisé cette destruction des valeurs, c’est le capitalisme… Le capitalisme est contradictoire avec le maintien d’un surmoi… Une société sans surmoi s’autodétruit. Le surmoi, c’est ce qui donne la loi comme civilité. Un récent rapport du préfet de la Seine-Saint-Denis expliquait la violence dans les cités par cette absence de surmoi, qui se traduit alors par le passage à l’acte… »

    Selon la formule d’un autre philosophe de 2008, Jean-Claude Michéa, il est « impossible de dépasser le capitalisme sur sa gauche ». Ainsi les postures dominantes aujourd’hui sont libérales-libertaires : elles cultivent les transgressions « qui servent à la bonne marche des affaires » ; « elles rompent les solidarités effectives, en isolant plus encore l’individu dans une monade où se perd ‘‘le goût des autres’’, où il n’est plus qu’un rouage. [7] »

    En détruisant le français et l’histoire à l’école, par exemple, les pédagogues post-68 ont fait table rase au profit de l’idéologie marchande  – qui exploite l’amnésie et parle en basic english.

     

    Mai 68, portier du matérialisme mercantile

     

    Mai 68 n’est donc pas l’antithèse de 2008.

    Il n’est pas l’inverse de notre société libérale-libertaire (ou ultralibérale, c’est la même chose).

    Il n’est pas l’opposé de « notre monde postmoderne avec sa politique cacophonique et vide, et sa contre-culture devenue marché de masse » [8]… 

    Au contraire : 68 en fut le point de départ ! Fausse révolution, vraie pulvérisation. Transformation de la société en une dissociété : le tout-à-l’ego. Mutation de l’homme « familial enraciné » en « individu dans la foule », sans attaches ni foyer stable... Mai 68 a lancé l’idée que toute stabilité était « fasciste », et cette diabolisation du durable [9] a fleuri en tous domaines. L’économique y a vu son intérêt.  Le capitalisme s’y est reconnu.  Ayant  succédé  aux pères  bourgeois, les fils bourgeois ont séparé la bourgeoisie et les « valeurs traditionnelles ». Ils ont transposé 68 dans le business, comme le pubard ex-trotskiste incarné par Maurice Bénichou dans une merveille de film passée inaperçue en 1997 :  La Petite Apocalypse de Costa Gavras.  Ce fut l’époque où l’ex-mao François Ewald devenait le philosophe du Medef, sous la houlette d’un autre soixante-huitard passé au néocapitalisme : Denis Kessler.

    Ainsi a surgi  ce que Luc Boltanski et Ève Chiapello, dans leur enquête parue à la fin de la dernière année du XXe siècle, ont appelé Le nouvel esprit du capitalisme [10]:

    « Nous avons voulu comprendre plus en détail […] pourquoi la critique […] s’éteignit brutalement vers la fin des années 70, laissant le champ libre à la réorganisation du capitalisme pendant presque deux décennies […], et pour finir, pourquoi de nombreux soixante-huitards se sentirent à l’aise dans la nouvelle société qui advenait, au point de s’en faire les porte-parole et de pousser à cette transformation. »

    Quelle physionomie a cette nouvelle société ? Stiegler l’indique : « Puisque le désir est le moteur qui nous fait vivre et nous meut (ce qui détermine en profondeur notre comportement), le capitalisme de consommation cherche par tous les moyens à en prendre le contrôle pour l’exploiter comme il exploite les gisements pétrolifères : jusqu’à épuisement de la ressource… » 

    Mais d’abord, cette forme de capitalisme devait « détourner la libido des individus de ses objets socialement construits par une tradition, par les structures prémodernes comme l’amour de Dieu, de la patrie, de la famille. »

    Boltanski et Chiapello (1999) confirmeront ainsi la vision de Boutang  (1966)  sur  l’absence inéluctable du « père » et du familial  – matrice de toute société –  dans la société nouvelle :

    « La famille est devenue une institution beaucoup plus mouvante et fragile, ajoutant une précarité supplémentaire à celle de l’emploi et au sentiment d’insécurité. Cette évolution est sans doute en partie indépendante de celle du capitalisme, bien que la recherche d’une flexibilité maximale dans les entreprises soit en harmonie avec une dévalorisation de la famille en tant que facteur de rigidité temporelle et géographique, en sorte que […] des schèmes similaires sont mobilisés pour justifier l’adaptabilité dans les relations de travail et la mobilité dans la vie affective… [11] » 

     

    Alors que son idéologie prétendait « contester la société de consommation », 68 a préparé le terrain au triomphe absolu de cette société. Car le centre nerveux de l’esprit de 68 n’était pas idéologique, mais psychologique, sous la forme d’un double rejet :

    - le rejet du familial  (avec une virulence dont se souviennent les lecteurs du Charlie Hebdo  des grandes années) ;

    - le rejet du spirituel (avec la même virulence, n’en déplaise à feu Maurice Clavel qui fut seul à voir le Saint-Esprit sur les barricades du 3 mai).

    Rejeter le familial et le spirituel, c’était rejeter l’essentiel de la condition humaine et nous soumettre à un sort injuste : « nous forcer à passer nous-mêmes à côté de notre propre vie, et ainsi laisser la promesse de vie s’enfuir dans la banalité  pour finir dans le vide [12] ».   Une telle mutilation révoltait Patrick Giros, qui allait mourir à la tâche au service des SDF : « Rendez-vous compte, cette logique soixante-huitarde, que je connais parce que je suis un des fils de 68, eh bien les premières victimes qu’elle fait ce sont les petits, les jeunes, les fragiles, ceux qui ont une famille explosée, ou des fragilités psychologiques… [13] »

    Or ce rejet soixante-huitard du spirituel et du familial, est aussi le centre nerveux de la société consumériste. Celle-ci réduit le monde humain à la consommation matérielle individualiste  (une fuite en avant égocentrique : une vie réduite à l’insatisfaction acheteuse). Elle ampute l’existence de dimensions qui sont les clés de la condition humaine.

    Là est l’imposture de Mai 1968 : s’être présenté comme l’ennemi de la société de consommation, alors qu’il anéantissait tout ce qui freinait le triomphe de celle-ci.

    L’esprit de 68 a vomi tout ce qui n’était pas le caprice individuel (d’où le célèbre slogan : « il est interdit d’interdire »). Il ouvrait ainsi la voie au matérialisme mercantile. Celui-ci allait se substituer à tout, en  installant :  1. le caprice individuel comme ressort du marketing ; 2. le marketing comme seul lien du vivre-ensemble...  Ainsi les slogans de 68 furent récupérés en bloc par le marketing, et ce fut la naissance de la sous-culture des années 1980-2000 : plus besoin de chercher le sens de la vie, il suffisait d’être « soi-même », de « penser avec son corps », de se contenter d’exister, de « bouger »  – et finalement, d’acheter.  Le marketing ne demandait rien de mieux aux consommateurs : ne plus se poser de questions, devenir dociles et ductiles. 

    Ces noces de Mai et du Marché auraient horrifié, dix ans plus tôt, les soixante-huitards extrêmes : ceux qui rêvaient d’abolir l’argent, d’en revenir au troc et de proclamer « l’An 01 » avec le dessinateur Gébé. Pourtant c’est ce qui est advenu... Cela n’aurait pas étonné le vieux Marx, qui félicitait le capitalisme (cent trente ans plus  tôt) de son pouvoir de destruction-innovation :   

    « La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c'est-à-dire l'ensemble des rapports sociaux. […] Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent l'époque bourgeoise de toutes les précédentes. Tous les rapports sociaux […] se dissolvent […] Tout ce qui avait solidité et permanence s'en va en fumée. [14] »

     

    Les sociaux et les mondains

     

    Alors, critiquer Mai ?  Oui. Mais n’en faisons pas un prétexte.  Ne disons pas que tout va bien aujourd’hui ; ou qu’il suffirait, pour que tout aille mieux, de liquider l’esprit de 68.

    Je préfère être avec Benoît XVI, lorsqu’il demande que l’on change le modèle économique  global [15].

    Et avec les évêques de la planète catholique, lorsqu’ils appellent à lutter contre « des injustices qui crient vers le ciel » [16].

    Et avec les anciens soixante-huitards qui ont lancé en France l’économie solidaire… Ceux-là ont su ne pas suivre l’esprit de 68 dans son transfert ultralibéral.  En se faisant entrepreneurs sociaux, ils ont à la fois pris le contrepied du matérialisme mercantile et de 1968 (la « déconstruction » ravageuse).

    La fusion de 1968 et du consumérisme ne légitime pas le consumérisme ; le triomphe actuel du consumérisme ne nous dispense pas de chercher des solutions pour en sortir.

    À gauche de la gauche, quelques-uns  commencent à voir le rôle de l’esprit de 1968 dans l’hypermarché qu’est la société présente. Ainsi le journal La Décroissance  [17] donnant la parole au maire de Grigny (Rhône), René Balme, qui accuse le slogan « interdit d’interdire » d’avoir ouvert un boulevard à la marchandisation de tout : en effet, dit-il, la libre concurrence « ne doit être bridée par rien »… Le psychiatre Jean-Pierre Lebrun ajoute : « Beaucoup de gens sont aujourd’hui dans une grande confusion, car ils croient être débarrassés des interdits. Si plus rien n’est interdit, plus rien ne veut rien dire. » Selon Lebrun, spécialiste des comportements,  la « stratégie néolibérale » disloque la condition humaine en niant que les limites soient « utiles et fondatrices » ; elle fait ainsi « sauter les verrous les uns après les autres » : « Le néolibéralisme […] dans son versant consumériste donne l’illusion que l’on peut avoir accès facilement à la satisfaction de  nos prétendus besoins, et cela sans aucun renoncement. Mais la vie humaine ne se résume ni à cette satisfaction, ni à ces prétendus besoins. »

    Beaucoup de gens trouvent que la société de consommation ne pose aucun problème. Ce n’est pas mon avis, mais ce que vous venez de lire n’est qu’un regard personnel.

    Il y a d’autres regards...

    Leur diversité et leur confrontation sont un service que rend ce livre. Car l’heure vient de réparer l’un des pires dégâts collatéraux de Mai : avoir pollué l’exercice du débat dans ce pays.  L’esprit de 68 ajoute en effet à ses caractéristiques celle d’être futile et manichéen en même temps. Il brandit la dérision, mais il voit le monde en noir et blanc. Camp du Bien contre camp du Mal ! Dans ce climat, les nuances disparaissent et l’échange d’idées devient impossible : il n’y a que des imprécations, des anathèmes contre les horreurs ultimes et les abominables relents dont on affuble l’adversaire. Personne n’est plus en mesure d’analyser les données, de faire la part des choses. Quarante ans après 68 on est toujours dans cette ornière : quand le professeur Alain Badiou proclame, en chaire, que  « Sarkozy est le nouveau nom du pétainisme » [18], c’est 1968 qui continue ; toujours la manie de l’exorcisme (« CRS - SS ») substitué au raisonnement...   Et quand Jean-François Kahn fait rire tout le monde en 2007 avec cette entrée de son Abécédaire mal pensant [19]: 

    «  – ‘‘Abject’’ : équivalent à ‘‘contestable’’ dans les livres de Bernard-Henri Lévy »…

    …les lecteurs songent-ils que la démesure dans l’invective est un legs de Mai 68 ? 

    En 2006, je dînais dans une grande ville française avec le patron d’un quotidien régional et sa femme. Lui et moi avions presque le même âge. L’épouse était plus jeune.  Après nous avoir écoutés évoquer le joli mois de mai, elle nous a coupé la parole :

    –  Au fond, la génération de 1968, vous emme

  • ”La réécriture et la manipulation de l’histoire par les politiciens fait rage en France” : Devoir de Mémoire, par Champs

    1er Août 1914 : Ordre de mobilisation générale en France et seconde levée en masse de son Histoire

    5 – 12 Septembre 1914 : Bataille de la Marne

    21 Février 1916 : Premier jour de la bataille de Verdun

    1er Juillet 1916 : Premier jour de la bataille de la Somme 

     

    Dans la somme dirigée par Jean Favier « Histoire de France », René Rémond qui a rédigé le sixième et dernier Tome (950 p.), « Notre siècle, 1918 – 1988 », ouvre son travail avec cette évocation :

    defilevictoire.jpg«  … 11 Novembre : une date dont l’identification n’exige l’adjonction d’aucun millésime … Dans la mémoire du peuple français , elle a d’emblée pris place dans la série des quelques journées historiques qui ont constitué la personnalité de la France, et cette place, aucun évènement depuis , ne la lui a ravie …Signe de l’évènement – la fin de cette guerre à laquelle les contemporains accolèrent spontanément la qualificatif de grande, superlatif absolu – n’a cessé depuis de hanter la conscience de trois générations de Français. Le 11 Novembre fut en effet un grand moment d’unité nationale : le canon dont le grondement annonce à la France l’arrêt des combats fait pendant au tocsin d’Août 1914 … Conduits par les trois grands chefs dont les noms sont sur toutes les lèvres et qui chevauchent botte à botte – Foch, qui a commandé toutes les Armées alliées, Joffre, le vainqueur de la Marne, et Pétain, le héros de Verdun à qui des millions de poilus sont reconnaissants d’avoir mis fin à d’inutiles et sanglantes offensives - , défilent sous l’Arc de Triomphe, qui justifie pour la première fois son appellation … des détachements de toutes les unités combattantes et des délégations de toutes les armées étrangères apportant à la France immortelle l’hommage de ses alliés et du monde … Mais l’allégresse n’est pas sans mélange. Tous ne peuvent la partager : des milliers de demeures gardent leurs volets fermés sur le deuil de leurs occupants ; des centaines de milliers de familles ont perdu un ou plusieurs des leurs. Toutes les communes de France comptent leurs morts … Beaucoup trouvent une atténuation passagère à leur chagrin dans la conviction que l’être qu’ils pleurent n’est pas mort pour rien et éprouvent de la fierté à la mention « Mort pour la France » … Avec le temps, à mesure que s’estompera la fierté de la victoire, que ses fruits paraîtront plus amers, le deuil et l’horreur de la guerre prendront le pas sur la fierté et la satisfaction. Le souvenir des morts éclipsera les autres sentiments … »

    Ce texte a été écrit en Juillet 1988. Mais comment René Rémond regarderait-il aujourd’hui, vingt-cinq ans plus tard, la polémique imbécile qui a été déclenchée avec l’idée non moins imbécile d’accoler le souvenir du tocsin du 1er Août 1914, à la Libération de 1944. Vingt-cinq ans … ! C’est plus que l’intervalle entre le 11 Novembre 1918, et l’ordre de mobilisation générale du 3 Septembre 1939, faisant mentir le peuple de France et ses anciens combattants, que la Grande Guerre était « la der des ders ». Et imaginons le président de jury à l’entrée à Sciences Po, sa maison ; il y rencontrerait des jeunes bacheliers incapables de positionner les trois maréchaux ci-dessus cités, ni de citer les alliances entre belligérants, ni de décrire en quoi cette conflagration fut mondiale, ni les principaux théâtres d’opération, ni les conséquences de ce drame. Résultat du saccage de l’enseignement de l’Histoire par une succession de Bayrou, Darcos, Chatel, aujourd’hui Peillon, tous interchangeables. Rendons nous à l’évidence, pour des générations de galopins, le 11 Novembre ne signifie plus rien …

    Situation d’autant plus insupportable que dans le même temps les effets de manche n’ont pas manqué pour soigner un supposé devoir de mémoire. Et le dernier exercice en date, ce Livre Blanc sur la Défense en 2008, avec un chapitre spécial sur le devoir de mémoire.

    Pendant tout le mois de Novembre les Britanniques portent à leur boutonnière, sur les voitures, le coquelicot rouge, seule plante qui avait résisté à l’apocalypse de la bataille de la Somme. Du Souverain au plus humble, un peuple entier communie avec une profonde piété dans le souvenir de leurs soldats sacrifiés. 

    L’objet de ce billet est de rappeler succinctement quelques grandes dates du conflit sans entrer dans les détails disponibles dans une immense bibliographie et une filmographie tout aussi riche, première guerre où la camera a joué un rôle important. Nous essayons d’établir à la manière d’un programme de commémoration, ce que tout citoyen français devrait avoir devant les yeux, et tout bachelier avoir étudié.

    Origines de la guerre

    Si l’ordre de mobilisation générale en France fut donné le 1er Août 1914 à 15h45, Paris reçut la déclaration de guerre de l’Allemagne le 3 Août à 18h15. Cent ans après le désastre, nous sommes encore très loin de saisir tous les détails de cet atroce engrenage, dans une Europe que l’histoire deux fois millénaire aurait dû préserver d’un tel holocauste, le premier de l’humanité à cette échelle. La lecture la plus complète et synthétique qui nous est offerte nous semble être l’ouvrage de Henry Kissinger « Diplomatie ». Ce qu’il nous dit :

    Guillaume_II POTSDAM.jpg« Une machine de destruction politique : la diplomatie européenne avant la Première Guerre mondiale … Au début du XXème siècle, on pouvait encore déclencher les conflits avec une touche d’insouciance. Certains penseurs européens croyaient d’ailleurs aux vertus cathartiques de saignées périodiques, hypothèse creuse que dégonfla cruellement la Première Guerre mondiale. Les historiens débattent depuis des lustres de la question de savoir qui doit porter la responsabilité du déclenchement de la Première Guerre mondiale. Or aucun pays ne peut être tenu isolément pour responsable de cette course démente à la catastrophe … Les nations européennes transformèrent l’équilibre des forces en course aux armements, sans comprendre que la technologie moderne et la conscription massive faisait désormais de la guerre la principale menace à leur sécurité et à la civilisation européenne toute entière. Mais si toutes les nations d’Europe contribuèrent à la catastrophe par leurs politiques, ce fut l’Allemagne et la Russie qui sapèrent tout sens de la modération par leur nature même … » (photo : le kaiser, Guillaume II, qui a voulu la guerre...)

    Et Kyssinger poursuit dans le chapitre suivant :

    « Dans le tourbillon : la machine de destruction militaire. Le plus stupéfiant lorsque la Première Guerre mondiale éclata, n’est pas qu’une crise plus simple que toutes celles qu’on avait déjà surmontées ait fini par déclencher une catastrophe mondiale, mais que ce ne soit pas arrivé plus tôt. En 1914, l’affrontement entre l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie d’une part et la Triple-Entente de l’autre ne pouvait plus être différé. Les hommes d’Etat de toutes les grandes puissances avaient mis la main à la construction du mécanisme de destruction diplomatique qui rendait chaque nouvelle crise de plus en plus difficile à résoudre. Leurs chefs militaires s’en étaient largement mêlés en y ajoutant des plans stratégiques qui obligeaient à accélérer la prise de décision … La planification militaire avait pris son autonomie … Le casus belli échappa au contrôle politique. » 

    Les premiers mots de Sir Basil Liddell-Hart (History of the First World War): « Cinquante années furent consacrées à rendre l’Europe explosive, Cinq jours ont suffi pour provoquer la détonation ». Lui aussi rend la Prusse de Bismark, et la Russie largement responsables.

     

    Un effarant bilan humain

    Pour la France, ses colonies, et sa marine, le démographe Jacques Dupâquier, parvient à un total de 1.397.000 tués et disparus, soit pour les fantassins de la métropole, 1.345.000.

    La facilité regrettable de souvent ne pas détailler les chiffres nous dispense d’examiner la répartition dans le temps, pourtant éloquente et combien tragique. Autour de la moitié de ces tués et disparus, tombèrent dans les 8 premiers mois d’un conflit qui dura 51 mois. Dès Mars – Avril 1915, le haut commandement et le gouvernement français ne pouvait plus parler de « guerre fraîche et joyeuse ».

    Le diplomate israélien Abba Eban ouvre ses mémoires avec une comparaison qui résume bien l’état de sidération devant ces nouvelles armes, l’artillerie, dont on ne soupçonnait pas l’effet meurtrier. « Entre Waterloo, 1815, et le début de la Grande Guerre, cent ans se sont écoulés, avec 2.5 millions de soldats tombés sur des champs de bataille, en outre sans que la population civile ne soit particulièrement touchée. Sur les trois décades de 1914 à 1945, on compte 100 millions de morts militaires et civils » (The New Diplomacy, 1983).

    La Grande Guerre fut une véritable cassure, une tragédie européenne, la destruction de l’Europe.

     

    La bataille de la Marne

    Les premiers jours du conflit se conclurent par la retraite des troupes françaises. La responsabilité du commandement était totale, et Joffre dut se rendre à l’évidence, avec 162 généraux sanctionnés, ou relevés de leur commandement (certains parlent de 180), dont 71 brevetés de l’École de Guerre (envoyés à Limoges ?)

    bataille-de-la-marne-bray-sur-seine.jpgAyant décidé de cesser de reculer et d’une volte-face, et avec la présence des Britanniques, « le 6 Septembre au matin, la plus formidable empoignade de la guerre commença … » (J-B. Duroselle). Cette bataille fut menée par une armée en retraite, qui, malgré l’exploit d’être restée en très bon ordre, était harassée. Ce qu’en a dit un respectable adversaire dans ses mémoires, le général Von Kluck: »… que des hommes ayant reculé pendant quinze jours, que des hommes couchés par terre et à demi morts de fatigue, puissent reprendre le fusil et attaquer au son du clairon, c’est une chose avec laquelle nous autres Allemands n’avons jamais appris à compter ; c’est là une possibilité dont il n’a jamais été question dans nos écoles de guerre … ». Le miracle de la Marne tient en ces quelques mots. Et vient la sécheresse des chiffres. Nous sommes 35 jours après le début du conflit, quand du 6 au 12 Septembre sur 200 Kms de Meaux à Verdun, Joffre lance la contre-attaque. Deux millions et demi d’hommes se font face, 80.000 morts et disparus pour les Français, en six jours de combat ! C’est la première guerre où les combattants furent confrontés à une telle monstrueuse intensité des pertes.

     

    La bataille de Verdun

    Le 21 février 1916 à 5h30 le matin, 1.225 pièces d’artillerie allemande ouvraient le feu sur un front réduit de 8 kms. La bataille de Verdun venait de commencer, qui devait durer jusqu’au 15 décembre avec un total de 714.000 tués, disparus et estropiés dans les deux camps, soit 2.400 hommes chaque jour pendant dix mois sur un front de 40 kms. Et des lieux imprimés à jamais dans la mémoire collective, les forts Douaumont, Vaux, le Bois des Caures, la forêt d’Argonne, la cote 304, le Mort-Homme.

    « Si tous les hommes qui sont morts ici se levaient, ils n’auraient pas la place de tenir parce qu’ils sont tombés par couche successive » (Henri de Montherlant).

    Et l’hommage de Paul Valéry gravé à l’entrée du musée :« Tous vinrent à Verdun comme pour y recevoir je ne sais quelle suprême consécration. Ils semblaient par la voie sacrée monter pour un offertoire sans exemple à l’autel le plus redoutable que jamais l’homme eut élevé. »

                                                                                                       

    Bataille de la Somme

    Le 1erJuillet de la même année 1916, les Britanniques, le Commonwealth (Australie, Nouvelle Zélande, Canada, Terre Neuve, Afrique du Sud, Irlande), et les Français engagent une attaque pour tenter de percer les lignes allemandes. Bapaume, Péronne, Albert, soit 45 Kms. La bataille prit fin quatre mois et demi plus tard, le 18 Novembre. Certains historiens la considèrent comme la plus sanglante de l’histoire humaine. Elle le fut sans contexte pour les Britanniques qui virent tomber la première journée, le 1er Juillet le nombre effarant de 20.000 tués, 40.000 blessés et disparus, sur 320.000 soldats engagés. Au 18 Novembre 1916, on aligne des chiffres là aussi inimaginables. En cinq mois les alliés ont progressé de 12 Kms au nord de la Somme, et de 8 au sud. Les pertes admises sont de 420.000 hommes hors de combats pour les Britanniques (dont 127.751 morts et 78.531 disparus) et 202.567 pour les Français (39.187 morts et 27.501 disparus). Chiffres arrondis à 400.000 Britanniques, autant d’Allemands, et 200.000 Français, tués, blessés, ou disparus, soit un total d’un million. Restent les vers du poète britannique Laurence Binyon, (For the Fallen) lus à chaque commémoration:

    «…Ils ne vieilliront pas, comme nous, qui leur avons survécu ;
    Ils ne connaîtront jamais l'outrage ni le poids des années.
    Quand viendra l'heure du crépuscule et celle de l'aurore,
    Nous nous souviendrons d'eux … » 

    Ces quelques lignes sur les trois engagements les plus meurtriers de la guerre ne nous font pas oublier beaucoup d’autres tentatives de « percer le front » ou de « faire diversion » qu’un bachelier devrait connaître. Batailles de l’Artois, Champagne et Flandres, de Février à Octobre 1915, et ses 100.000 tués, largeur de front inférieure à 40 Kms, et progression jamais supérieure à 5 Kms, le Hartmannswillerkopf (le vieil Armand) 25.000 morts pendant toute la guerre pour les deux camps et un résultat insignifiant, les Dardanelles et l’échec de Gallipoli en Août 1915, qui couta aux Britanniques 117.000 tués et aux Français 27.000. Atroce litanie dont on se demande où elle prend fin … On aurait dû apprendre à nos jeunes lycéens que 1915 fut l’établissement de la guerre de position et les tranchées. La vie dans cet enfer a fait l’objet de nombreux livres par des auteurs témoins : Dorgelès, Barbusse, Genevoix, Duhamel. Le froid, la boue, la saleté, les poux, l’odeur des charniers, de l’urine et des déjections, la puanteur des abris. L’écrivain Georges Duhamel médecin au front nous décrit « La Vie des Martyrs », ceux qui peupleront les villages de France, estropiés à vie, grands invalides de guerre, « les gueules cassées », qui auront des places réservées dans les transports en commun des grandes villes.

    VERDUN 1.jpgCitons le remarquable travail des archives de la Défense, en ligne depuis quelques années, où sont enregistrés les noms des « Morts pour la France » lien : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/ 

    Nous ne pouvons pas faire l’économie de citer tous les billets rédigés sur ce site de LFAR, au sujet du jeu ignoble de Clémenceau, personnage outrageusement glorifié (pour les retrouver taper Clémenceau dans la zone « recherche »), dont il ne peut plus être nié qu’il refusa de parler à l’Autriche dès 1916 pour arrêter le carnage. 

    Dans un contexte aussi émotionnel et riche pour l’Histoire glorieuse de notre Patrie, on ne voit pas le but recherché par les promoteurs de cette initiative insensée. Beaucoup commencent à réellement s’émouvoir. Un lien vers un article de journal : http://www.lemonde.fr/politique/article/2012/10/26/grande-guerre-et-liberation-en-2014-le-choc-des-memoires_1781550_823448.html 

     

    Exemple de texte qui circule dans des associations d’officiers :

    « … Elle reste toutefois une guerre amère, même s’il y eut « victoire » : en témoignent les milliers de monuments aux morts et de stèles dans les églises et les cathédrales, mais aussi justement les mémoires, les livres et les témoignages. Aujourd’hui elle est décrite avec raison comme une guerre civile européenne, « le suicide de l’Europe », la fin des monarchies et comme une infâme et horrible boucherie où des millions d’hommes furent immolés. L’horreur racontée par Dorgelès ou Barbusse, mais aussi par le cinéma notamment ces dernières années à propos des fraternisations entre les combattants ou des films à grand public comme Un long dimanche de fiançailles montrent comment l’historiographie a évolué, comment les propagandes nationalistes sont retombées et comment l’histoire a été retravaillée.

    Mais aujourd’hui c’est pour des raisons politiciennes et internationales que l’Etat français s’apprêterait à tronquer les cérémonies du centenaire de 14-18. Les premiers éléments indiquent que sous les pressions de franges politiques de gauche, mais aussi sous les pressions européennes et de l’Allemagne, la France au garde à vous collera sous un tapis les commémorations autant que faire se pourra …

    … La réécriture et la manipulation de l’histoire par les politiciens fait rage en France, terrain d’une guerre souterraine où les médias jouent un important rôle, il s’agit en effet de gommer l’histoire nationale et ses gloires pour faire place à une atomisation historienne, une dissolution des événements historiques dans un tout, un creuset européen où il est question de casser les reins à toute forme de patriotisme, pour faire place à une société lessivée par de nouveaux standards où l’histoire doit se trouver comme dans les grandes années de la IIIème République une auxiliaire sans cesse malmenée et violée, mais confortablement organisée pour servir une idéologie dominante et lénifiante.

    Pour toutes ces raisons, nous avons déjà assisté à des coups médiatiques que chaque président du passé s’est efforcé d’exploiter à fond, : ce fut le bicentenaire de 1789 sous Mitterrand, les médailles pour les anciens des brigades internationales et les repentances de Chirac, la lettre de Guy Moquet pour Sarkozy et déjà en moins de six mois de nouvelles repentances au sujet de la Shoah et de l’Algérie pour Hollande. Toutes ces « cérémonies » médiatisées à outrance furent l’objet d’oublis mémoriels consentis et plus ou moins camouflés, à savoir les horreurs de la Révolution française, la terreur jacobine et la guerre civile, la lâcheté des gouvernements français entre 1936 et 1938, la collaboration des communistes français avec les nazis jusqu’en 1941, sans parler de l’épineux problème de la Guerre d’Algérie : la guerre des mensonges et des cadavres que les deux camps se lancent à la figure !

    S’il s’avère normal de revisiter l’histoire de la Première Guerre mondiale pour en offrir un tableau plus véritable et plus conforme à l’honnêteté intellectuelle, il est moins normal de transformer en silence un événement tel que ce centenaire qui revêtait une importance aussi grande que le bicentenaire de 1789 et qui suivra probablement ce dernier dans les impasses. Celles-ci sont dictées par le politiquement correct de toute une caste politicienne et nous assisterons donc probablement à une nouvelle mascarade qui sera concentrée sur le début de la guerre. Les cérémonies se dérouleront donc surtout en août 2014, pour ensuite verrouiller politiquement l’événement à des fins pendables. Les Français dans ces temps de crise auront sans doute autre chose à penser de toute façon. Quant à l’Europe elle se serait bien passée de ces dates historiques, l’Allemagne en particulier mais Paris est déjà prêt à l’escamotage final selon une formule bien rôdée … ».

     

    Qui pourra admettre que l’on maltraite ainsi le souvenir de l’origine de toutes les tragédies européennes depuis ce jour fatal du 3 Août 1914 ? Comment peut-on attendre que nos bacheliers saisissent l’enchainement de l’Histoire de l’Europe depuis cent ans, sans connaître l’incontournable ouvrage visionnaire de Bainville « Les conséquences politiques de la paix » ? Va-t-on continuer à laisser remodeler l’Histoire au gré des fantasmes idéologiques, dans un monde où la facilité d’accès aux connaissances et aux bibliothèques devrait au c

  • Une puissante leçon sur « la vraie Europe » lancée par des philosophes européens

     

    TRAVAUX DIVERS - Largeur +.jpgL'Observatoire de l'Europe [23.12] nous a fait connaître cette « Déclaration de Paris » que, malgré sa longueur, nous publions in extenso en raison de son importance. Elle rejoint notre propre souci d'une vraie Europe que notre opposition aux actuelles institutions européennes et à leur idéologie, ne saurait faire passer au second plan. Certes, nous aurions à discuter bien des points de cette déclaration, nombre de formulations vagues ou imprécises. Le débat est ouvert. Son inspiration d'ensemble mérite toute notre attention et sous de nombreux aspects notre approbation.  Lafautearousseau 

    « Une Europe en laquelle nous pouvons croire » : la vibrante déclaration de Paris signée par des universitaires, penseurs et intellectuels de réunis à Paris veut rompre avec la double imposture de la « fausse Europe » : le supranationalisme et le multiculturalisme. Les signataires ont pris acte de la faillite idéologique de l'UE actuelle et du risque pour l'Europe, en minant ses nations à laisser s'évanouir sa grande civilisation. Mais plutôt que de se torturer d'angoisses stériles et d'ajouter encore un autre volume à la littérature abondante sur « le déclin de l'Occident «, ces penseurs européens ont préféré exprimer positivement et solennellement leur attachement à ce qu'ils dénomment « la vraie Europe «, cachée sous les abstractions à la mode et l'idéologie de notre époque. Cette Déclaration de Paris est un appel retentissant pour une compréhension renouvelée et une appréciation du véritable génie de l'Europe. C'est une invitation aux peuples d'Europe à retrouver activement ce qu'il y a de meilleur dans notre héritage commun et à construire ensemble un avenir de paix, d'espoir et de dignité.

    La Déclaration de Paris

    1. L’Europe nous appartient et nous appartenons à l’EuropeCes terres constituent notre maison, nous n’en avons aucune autre. Les raisons pour lesquelles nous chérissons l’Europe dépassent notre capacité à expliquer ou justifier cette fidélité. C’est une affaire d’histoires communes, d’espérances et d’amours. C’est une affaire de coutumes, de périodes de joie et de douleur. C’est une affaire d’expériences enthousiasmantes de réconciliation, et de promesses d’un avenir partagé. Les paysages et les événements de l’Europe nous renvoient des significations propres, qui n’appartiennent pas aux autres. Notre maison est un lieu où les objets nous sont familiers et dans laquelle nous nous reconnaissons, quelle que soit la distance qui nous en éloigne. L’Europe est notre civilisation, pour nous précieuse et irremplaçable.  

    Notre maison.

    2. L’Europe, dans sa richesse et grandeur, est menacée par une vision fausse qu’elle entretient d’elle-même. Cette fausse Europe se voit comme l’aboutissement de notre civilisation, mais, en réalité, elle s’apprête à confisquer les patries. Elle cautionne une lecture caricaturale de notre histoire, et porte préjudice au passé. Les porte-étendards de cette fausse Europe sont des orphelins volontaires, qui conçoivent leur situation d’apatrides comme une noble prouesse. La fausse Europe se targue d’être le précurseur d’une communauté universelle, qui n’est ni une communauté, ni universelle.  

    Une fausse Europe nous menace.

    3. Les partisans de cette fausse Europe sont envoûtés par les superstitions d’un progrès inévitable. Ils croient que l’Histoire est de leur côté, et cette foi les rend hautains et dédaigneux, incapables de reconnaître les défauts du monde post-national et post-culturel qu’ils sont en train de construire. Dès lors, ils sont ignorants des vraies sources de la décence humaine. Ils ignorent et même répudient les racines chrétiennes de l’Europe. Simultanément, ils prennent bien soin de ne pas froisser les musulmans, censés adopter joyeusement leur perspective laïque et multiculturelle. Noyée dans ses superstitions et son ignorance, aveuglée par des visions utopiques et prétentieuses, cette fausse Europe étouffe toute dissidence – au nom, bien sûr, de la liberté et de la tolérance.  

    La fausse Europe est utopique et tyrannique

    4. Nous entrons dans une voie sans issue. La plus grande menace pour l’avenir de l’Europe n’est ni l’aventurisme de la Russie ni l’immigration musulmane. L’Europe véritable est menacée par l’étau suffocant dont cette fausse Europe nous écrase. Nos nations, et notre culture partagée, se laissent exténuer par des illusions et des aveuglements à propos de ce qu’est l’Europe et ce qu’elle devrait être. Nous prenons l’engagement de résister à cette menace pour notre avenir. Nous défendrons, soutiendrons et nous nous ferons les champions de cette Europe véritable, cette Europe à laquelle en vérité nous appartenons tous.  

    Nous devons protéger l’Europe véritable. 

    5. L’Europe véritable attend et encourage la participation active dans le projet commun de vie politique et culturelle. L’idéal européen est un idéal de solidarité fondé sur le consentement à un corps juridique appliqué à tous, mais limité dans ses exigences. Ce consentement n’a pas toujours pris la forme d’une démocratie représentative. Cependant, nos traditions de fidélité civique, quelles qu’en soient les formes, reflètent un assentiment fondamental à nos fondements culturels. Par le passé, les Européens se sont battus pour rendre nos systèmes politiques plus ouverts à la participation collective, et nous sommes humblement fiers de cette histoire. En dépit des modalités qu’ils ont utilisées, parfois à travers la rébellion générale, ils ont affirmé haut et fort qu’en dépit de leurs injustices et de leurs échecs, les traditions des peuples de ce continent sont les nôtres. Notre vocation réformatrice fait de l’Europe un séjour où l’on recherche toujours plus de justice. Notre esprit de progrès prend racine dans notre amour pour notre terre natale et notre fidélité à son égard.  

    La solidarité et la loyauté civique encouragent la participation active.  

    6. Un esprit européen d’unité nous incite à nous faire confiance dans l’espace public, même quand nous ne nous connaissons pas. Les parcs publics, les places et les larges avenues des villes et métropoles européennes racontent l’esprit politique européen : nous partageons notre vie commune et la res publica. Nous partons du principe qu’il est de notre devoir d’être responsables pour l’avenir de nos sociétés. Nous ne sommes pas des sujets passifs, sous la domination de pouvoirs despotiques, qu’ils soient religieux ou laïques. Nous ne sommes pas non plus couchés devant d’implacables forces de l’Histoire. Etre européen signifie posséder un pouvoir politique et historique. Nous sommes les auteurs de notre destin partagé.  

    Nous ne sommes pas des sujets passifs.  

    7. L’Europe véritable est une communauté de nations. Nous avons nos propres langues, traditions et frontières. Néanmoins, nous avons toujours reconnu une affinité des uns pour les autres, même quand nous étions en désaccords, voire même en guerre. Cette unité-dans-la-diversité nous parait naturelle. Cette affinité est remarquable et précieuse, car elle ne va pas de soi. La forme la plus commune d’unité-dans-la-diversité est l’empire, que les rois guerriers européens ont tenté de recréer après la chute de l’Empire romain. L’attrait d’une forme impériale a perduré, bien que le modèle de l’Etat-nation ait pris le dessus : cette forme politique lie le peuple à la souveraineté. L’Etat-nation dès lors est devenu la caractéristique principale de la civilisation européenne.  

    L’Etat-nation est la marque de fabrique de l’Europe.  

    8. Une communauté nationale s’enorgueillit toujours d’elle-même, a tendance à se vanter de ses prouesses nationales dans tous les domaines, et entre en compétition avec les autres nations, parfois sur le champ de bataille. Les concurrences nationales ont blessé l’Europe, parfois gravement, mais n’ont jamais compromis notre unité culturelle. On peut même constater le contraire. A mesure que les Etats européens s’établissaient distinctement, une identité commune européenne se renforçait. De la terrible boucherie des deux guerres mondiales du XX° siècle, nous sommes sortis encore plus résolus à honorer notre héritage commun. C’est là le témoignage d’une civilisation profondément cosmopolite : nous ne cherchons une unité d’empire forcée ou imposée. Au contraire, le cosmopolitisme européen reconnaît que l’amour patriotique et la loyauté civique débouchent sur un horizon plus large.  

    Nous ne soutenons pas une unité imposée et forcée. 

    9. L’Europe véritable a été façonnée par le Christianisme. L’empire universel spirituel de l’Eglise a conféré une unité culturelle à l’Europe, sans passer par un empire politique. Cela a permis le déploiement de fidélités civiques au sein d’une culture européenne partagée. L’autonomie de ce que nous appelons la société civile est devenue une caractéristique fondamentale de la vie européenne. De plus, l’Evangile chrétien ne nous apporte pas un système de lois d’origine divine. Aussi la diversité des lois séculaires des nations peut-elle être proclamée et honorée sans remettre en cause l’unité européenne. Ce n’est pas un hasard si le déclin de la foi chrétienne en Europe a correspondu aux efforts renouvelés pour étblir une unité politique, un empire de la finance et un empire de normes, arguant de sentiments pseudo-religieux universels, en passe d’être construite par l’Union Européenne. 

    Le Christianisme a encouragé l’unité culturelle.

    10. L’Europe véritable affirme l’égale dignité de chaque individu, quel que soit son sexe, son rang ou sa race. Ce principe se dégage également de nos racines chrétiennes. Nos vertus sont indéniablement liées à notre héritage chrétien : impartialité, compassion, miséricorde, réconciliation, lutte pour le maintien de la paix, charité. Le christianisme a révolutionné la relation entre l’homme et la femme, valorisant l’amour et la fidélité réciproques d’une manière jamais vue ni avant ni ailleurs. Le lien du mariage permet conjointement à l’homme et à la femme de s’épanouir en communion. Tous sont également des personnes : idée chrétienne, reprise par les Lumières.  

    Des racines chrétiennes nourrissent l’Europe. 

    11. L’Europe véritable s’inspire également de la tradition classique. Nous nous reconnaissons dans la littérature de l’ancienne Grèce et de l’ancienne Rome. En tant qu’Européens, nous luttons pour la grandeur des vertus classiques. Par moment, cela a débouché sur une compétition violente pour la suprématie. Cependant, dans le meilleur des cas, cette aspiration à l’excellence inspire les hommes et les femmes d’Europe à réaliser des chefs d’œuvre musicaux et artistiques d’une beauté incomparable et à faire des percées dans les domaines de la science et de la technique. Les graves vertus des Romains, maîtres d’eux-mêmes, la fierté dans la participation civique et l’esprit de questionnement philosophique des Grecs n’ont jamais été oubliés dans l’Europe véritable. Ces héritages, aussi, sont les nôtres.  

    Les racines classiques encouragent l’excellence. 

    12 L’Europe véritable n’a jamais été parfaite. Les partisans de la fausse Europe n’ont pas tort de chercher des progrès et des réformes ; beaucoup a été accompli depuis 1945 et 1989 que nous devons chérir et honorer. Notre vie partagée est un projet continu, tout sauf un héritage fossilisé. Cependant l’avenir de l’Europe repose sur une fidélité renouvelée au meilleur de nos traditions, non sur un universalisme fallacieux qui exige l’oubli et la haine de soi. L’Europe n’a pas commencé avec les Lumières. Notre patrie bien-aimée ne sera pas accomplie avec l’Union Européenne. L’Europe véritable est, et sera toujours, une communauté de nations, chacune jalouse de sa singularité. Pourtant, nous demeurons tous unis autour d’un héritage spirituel, qu’ensemble nous débattons, développons, partageons et aimons.  

    L’Europe est un projet partagé.  

    13. L’Europe véritable est en périlLa noblesse de la souveraineté populaire, la résistance à l’empire, un cosmopolitisme capable d’amour civique, la conception chrétienne d’une vie humaine et digne, un lien vivant avec notre leg classique, tout cela nous échappe de plus en plus. Pendant que les partisans de la fausse Europe construisent leur fausse Chrétienté des droits humains universels, nous perdons notre maison.  

    Nous perdons notre maison.  

    14. La fausse Europe se vante d’être résolument engagée pour la liberté humaine. Cette liberté, cependant, est très partiale. Elle se prétend libération de toute contrainte : liberté sexuelle, liberté d’expression personnelle, liberté « d’être soi-même ». La génération de 1968 considère ces libertés comme des victoires précieuses sur un régime culturel tout puissant et oppressif. Ils se voient comme des libérateurs ; leurs transgressions sont acclamées comme de nobles prouesses morales, pour lesquelles le monde est tenu d’être reconnaissant.  

    Une fausse liberté prédomine. 

    15. Pour les plus jeunes générations européennes, néanmoins, la réalité est beaucoup moins belle. L’hédonisme libertin mène souvent à l’ennui et au sentiment d’inutilité. Le lien du mariage a été fragilisé. Dans le tourbillon de la liberté sexuelle, les désirs profonds de nos jeunes de se marier et de fonder des familles sont souvent frustrés. Une liberté qui aliène les plus profonds désirs du cœur, devient une malédiction. Nos sociétés sombrent dans l’individualisme, l’isolement et le désœuvrement. Au lieu d’être libres, nous sommes condamnés à la conformité vide du consommateur et de la culture des médias. Il est de notre devoir de dire la vérité : La génération de 1968 a détruit mais n’a rien construit. Elle a créé un vide aujourd’hui rempli par les réseaux-sociaux, un tourisme bon marché et la pornographie.  

    L’individualisme, l’isolement et le désœuvrement se développent.  

    16. Alors même qu’on vante une liberté sans précédent, la vie européenne devient de plus en plus régulée. Ces règles, souvent conçus par des technocrates sans visage à la solde des puissants, gouvernent nos relations professionnelles, nos décisions d’affaires, nos qualifications éducatives et nos médias d’information et de divertissement. L’Europe cherche à limiter la liberté d’expression, cette spécificité européenne qui incarne la liberté de conscience. Les cibles de ces restrictions ne sont pas l’obscénité ni les assauts contre la décence publique. Au contraire, l’Europe cherche manifestement à restreindre la liberté d’expression politique. Les chefs politiques qui rappellent des vérités gênantes sur l’Islam ou l’immigration sont traînés devant les juges. Le politiquement correct impose des tabous qui empêchent toute remise en question du statu quo. Cette fausse Europe n’encourage pas vraiment une culture de liberté. Elle promeut une culture d’homogénéisation dictée par le marché et un conformisme imposé par la politique.  

    Nous sommes régulés et gérés.  

    17. Cette fausse Europe se vante d’être attachée à l’égalité comme jamais auparavant. Elle prétend lutter contre toutes les formes de discriminations liées aux appartenances raciales, religieuses ou identitaires en promouvant leur inclusion. Dans ce domaine, un progrès véritable a eu lieu, même si un esprit utopique a pris le dessus. Au cours de la génération précédente, l’Europe a poursuivi un grand projet multiculturaliste. Exiger ou même encourager l’assimilation des nouveaux venus musulmans à nos mœurs et coutumes, pour ne pas dire à notre religion, aurait été, nous dit-on, une grande injustice. Être attaché à l’égalité, nous dit-on, requiert une abjuration de notre préférence pour notre propre culture. Paradoxalement, l’entreprise multiculturaliste européenne, qui dénie les racines chrétiennes de l’Europe, exploite un idéal de charité universelle d’une manière exagérée et chimérique. Elle exige des Européens un déni de soi qui confine à la sainteté. Nous devrions alors reconnaître la colonisation de nos patries et la disparition de notre culture comme le plus grand accomplissement du XXIème siècle ; un acte collectif de sacrifice pour l’avènement d’une sorte de communauté globale, paisible et prospère.  

    Le multiculturalisme ne fonctionne pas.  

    18. Il y a beaucoup de mauvaise foi dans ce type de raisonnement. La plupart de ceux qui nous gouvernent, sans doute, reconnaissent la supériorité de la culture européenne mais refusent que cela soit affirmé publiquement d’une manière qui pourrait offenser les immigrés. De par la supériorité de la culture européenne, ils pensent que l’assimilation se fera de manière naturelle et rapide. Parodiant ironiquement la pensée impérialiste d’antan, les classes gouvernantes européennes présument que par une loi de la nature ou de l’histoire, « ils » deviendront nécessairement comme « nous » ; il serait inconcevable de penser que l’inverse soit vrai. En attendant, le multiculturalisme officiel a été déployé comme un outil thérapeutique pour gérer les malheureuses mais « temporaires » tensions culturelles.  

    La mauvaise foi se développe.  

    19. Il y a une mauvaise foi encore plus présente, et encore plus sombre, à l’œuvre. Au cours de la dernière génération, un nombre croissant des membres de notre classe dirigeante ont décidé que leurs intérêts se trouvaient favorisés par une accélération de la mondialisation. Ils espèrent construire des institutions supranationales qu’ils seraient capables de contrôler sans subir les inconvénients de la souveraineté populaire. Il devient de plus en plus clair que le « déficit démocratique » au sein des institutions européennes n’est pas simplement un problème technique qui doit être résolu par des moyens techniques. Ce déficit démocratique correspond plutôt à un engagement fondamental qui est défendu avec zèle. Qu’il soit défendu par les arguments d’une supposée « nécessité économique » ou par les exigences d’un droit international issu des droits de l’homme, qui échappe à tout contrôle, les mandarins supranationaux de l’Union Européenne confisquent la vie politique de l’Europe, répondant à toutes les remises en causes par une réponse technocratique : Il n’y a pas d’alternative.C’est la tyrannie, douce mais réelle, à laquelle nous sommes confrontés.  

    La tyrannie technocratique devient de plus en plus grande.  

    20. L’hubrisde cette fausse Europe devient de plus en plus évidente, en dépit des grands efforts déployés par ses partisans pour entretenir de confortables illusions. Par-dessus tout, cette fausse Europe est beaucoup plus faibleque nous tous l’avions espéré. Le divertissement populaire et la consommation matérielle ne peuvent pas entretenir la vie civique. Privés d’idéaux supérieurs et découragés par l’idéologie multiculturaliste d’exprimer une fierté patriotique, nos sociétés rencontrent suscitent difficilement la volonté de se défendre. De plus, une rhétorique inclusive et un système économique impersonnel, dominé par des grandes firmes internationales, ne saurait renouveler la confiance civique et la cohésion sociale. Il faut le dire franchement : les sociétés européennes résistent mal. Il suffit d’ouvrir les yeux pour observer une utilisation inédite de la puissance étatique, d’ingénierie sociale et d’endoctrinement dans le système éducatif. Ce n’est pas uniquement la terreur islamique qui jette des soldats lourdement armés dans nos rues. La police anti-émeute est désormais nécessaire pour réprimer des groupes protestataires et même gérer des foules enivrées des supporteurs de football. Le fanatisme des supporters de nos équipes de football est un signe désespéré du besoin humain profond de solidarité, un besoin qui autrement demeure inassouvi dans cette fausse Europe. 

    La fausse Europe est fragile et impuissante.  

    21. Les classes intellectuelles européennes sont, hélas, parmi les premiers partisans de la vanité de cette fausse Europe. Les universités sont, sans aucun doute, une des gloires de la civilisation européenne. Là où jadis, ils cherchaient à transmettre à chaque nouvelle génération la sagesse des siècles passés, aujourd’hui, trop souvent les intellectuels associent la pensée critique à un rejet simpliste du passé. Un point de repère essentiel de la pensée européenne a été la rigoureuse discipline de l’honnêteté intellectuelle et la recherche de l’objectivité. Cependant, au cours de deux dernières générations, ce noble idéal a été transformé. L’ascétisme qui naguère visait à libérer l’esprit de la tyrannie de l’opinion dominante est devenu un conformisme irréfléchi suscitant de l’animosité envers tout ce qui est nôtre. Cette position de rejet culturel permet sans trop de risque et de difficulté d’être « critique ». Au cours de la dernière génération, elle a été répétée dans les amphithéâtres, au point de devenir une doctrine, un dogme. Professer ce nouveau credo représente un signe d’élévation spirituelle, et permet d’être accueilli au sein des esprits « éclairés ». Nos universités sont devenues des acteurs moteurs de destruction culturelle.  

    Une culture du déni de soi s’est installée. 

    22. Nos classes dirigeantes élargissent les droits humains. Elles combattent le changement climatique. Elles conçoivent un marché économique global intégré et harmonisent les politiques fiscales. Elles surveillent les progrès en vue d’une meilleure égalité des genres. Elles font tant de choses pour nous ! Qu’importe-t-il les mécanismes par lesquels elles agissent ? Qu’importe-t-il si les peuples européens deviennent de plus en plus sceptiques devant leur administration ? 

    Les élites arrogantes font étalage de leur vertu.  

    23. Ce scepticisme grandissant est pleinement justifié. Aujourd’hui, l’Europe est dominée par un matérialisme sans but qui semble incapable de motiver les hommes et les femmes à fonder des familles. Une culture du rejet prive les prochaines générations du sentiment de leur identité. Certains de nos pays ont des régions dans lesquels les musulmans vivent dans une autonomie informelle vis-à-vis des lois locales, comme s’ils étaient des colons plutôt que des membres frères de nos nations. L’individualisme nous isole les uns des autres. La mondialisation transforme les perspectives d’avenir de millions de personnes. Quand ces perspectives sont remises en question, nos classes gouvernantes affirment qu’elles font leur possible pour s’adapter à l’inévitable, s’ajuster à des nécessités implacables. Il n’y a pas d’autres possibilités et résister serait irrationnel ! Ceux qui s’opposent à cette fatalité sont dénoncés pour crime de nostalgie, méritant l’anathème de racistes ou fascistes. Alors que les divisions sociales et le manque de confiance dans les institutions deviennent de plus en plus visibles, la vie politique européenne apparaît toujours plus marquée par la colère et la rancœur, et personne ne sait où cela mènera. Nous ne devons pas continuer sur cette route. Nous devons rejeter la tyrannie de la fausse Europe. Une alternative estpossible.  

  • La Côte d’Ivoire devient le pays le plus riche de toute l’Afrique de l’Ouest, par Ilyes Soua­ri*.

    Après avoir dépas­sé le Kenya, la Côte d’Ivoire, pays fran­co­phone au sous-sol pauvre, a réus­si l’exploit de dépas­ser ses deux voi­sins regor­geant de richesses natu­relles que sont le Gha­na et le Nige­ria, pour deve­nir le pays le plus riche de toute l’Afrique de l’Ouest, selon les don­nées révi­sées de la Banque mon­diale.

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    Selon les sta­tis­tiques récem­ment publiées par la Banque mon­diale, le PIB par habi­tant de la Côte d’Ivoire s’établissait à 2 286 dol­lars fin 2019, soit un niveau désor­mais supé­rieur à ceux du Gha­na (2 202 dol­lars) et du Nige­ria (2 230 dol­lars). Et ce, contrai­re­ment à ce que lais­saient pré­voir les don­nées publiées ces der­nières années par l’organisme, avant que la Côte d’Ivoire ne béné­fi­cie, à son tour, d’une mise à jour de la base de cal­cul de son PIB. Un niveau qui, par ailleurs, dépasse main­te­nant lar­ge­ment celui du Kenya, qui s’élève à 1816 dol­lars.

    Un véri­table exploit, dû à une crois­sance record

    Cette grande per­for­mance consti­tue un véri­table exploit pour la Côte d’Ivoire, dont le sous-sol pauvre en matières pre­mières contraste avec ceux du Gha­na et du Nige­ria. En effet, le Gha­na est deve­nu le pre­mier pro­duc­teur d’or du conti­nent, avec une pro­duc­tion plus de quatre fois supé­rieure à celle de la Côte d’Ivoire (142,4 tonnes en 2019, contre seule­ment 32,5 tonnes, soit + 338 %). De plus, le pays fait désor­mais par­tie des pays pétro­liers du conti­nent, se clas­sant aujourd’hui à la qua­trième posi­tion en Afrique sub­sa­ha­rienne, devant le Gabon (avec une pro­duc­tion d’environ 200 000 barils par jour, contre moins de 40 000 pour le pays d’Houphouët-Boigny, soit cinq fois plus). Et ce, dans un domaine qui conti­nue à être lar­ge­ment domi­né par le Nige­ria, pre­mier pro­duc­teur d’or noir du conti­nent, avec une pro­duc­tion annuelle qui se situe, en moyenne, à envi­ron deux mil­lions de barils par jour.

    L’importante pro­gres­sion de la Côte d’Ivoire résulte de la très forte crois­sance que connaît le pays depuis plu­sieurs années. Sur la période de huit années allant de 2012 à 2019, période suf­fi­sam­ment longue pour pou­voir éta­blir des com­pa­rai­sons inter­na­tio­nales (et hors micro-États, et plus pré­ci­sé­ment Nau­ru, pays insu­laire du Paci­fique sud ne comp­tant que 11 mille habi­tants et pour un ter­ri­toire de seule­ment 21 km²), la Côte d’Ivoire a réa­li­sé la plus forte crois­sance au monde dans la caté­go­rie des pays ayant un PIB par habi­tant supé­rieur ou égal à 1 000 dol­lars, avec une crois­sance annuelle de 8,2 % en moyenne (6,9 % en 2019). Plus impres­sion­nant encore, elle se classe deuxième toutes caté­go­ries confon­dues, pays très pauvres inclus, fai­sant ain­si mieux que 30 des 31 pays au monde qui avaient un PIB par habi­tant infé­rieur à 1 000 dol­lars début 2012. La Côte d’Ivoire n’est alors dépas­sée que par l’Éthiopie, qui a connu une crois­sance annuelle de 9,2 % en moyenne (8,3 % en 2018). Une per­for­mance qui résulte essen­tiel­le­ment du très faible niveau de déve­lop­pe­ment de ce pays d’Afrique de l’Est, qui était le deuxième pays le plus pauvre au monde début 2012 et qui en demeure un des plus pauvres avec un PIB par habi­tant de seule­ment 857 dol­lars, fin 2019 (soit près de 2,7 fois moins que la Côte d’Ivoire). Sur cette même période de huit années, le Gha­na et le Nige­ria ont enre­gis­tré, res­pec­ti­ve­ment, une crois­sance annuelle de 5,7 % et de 2,9 % en moyenne.

    Un pays par­ti­cu­liè­re­ment dyna­mique et en chan­tier

    Les résul­tats de la Côte d’Ivoire s’expliquent par les pro­fondes réformes réa­li­sées par le pays afin d’améliorer le cli­mat des affaires, ain­si que par une poli­tique de déve­lop­pe­ment tous azi­muts et se maté­ria­li­sant notam­ment par de nom­breux chan­tiers d’envergure à tra­vers le pays. Plu­sieurs mesures ont en effet été prises afin de faci­li­ter et de sécu­ri­ser les inves­tis­se­ments, en vue d’instaurer un envi­ron­ne­ment favo­rable à ces der­niers : mise en place d’un nou­veau code des inves­tis­se­ments en 2012, d’un gui­chet unique de créa­tion d’entreprises, d’une pla­te­forme d’échanges pour cen­tra­li­ser les appuis des par­te­naires au déve­lop­pe­ment de l’environnement des affaires… Le tout, assor­ti d’une assez faible pres­sion fis­cale, de l’ordre de 14 % du PIB au total pour l’année 2019 (coti­sa­tions de sécu­ri­té sociale incluses).

    L’ensemble de ces mesures a ain­si per­mis à la Côte d’Ivoire de faire un bond consi­dé­rable dans le clas­se­ment inter­na­tio­nal Doing busi­ness, publié chaque année par la Banque mon­diale et rela­tif au cli­mat des affaires, en pas­sant de la 167e place en 2012 à la 110e pour l’année 2020. Dans ce clas­se­ment, elle fait donc désor­mais lar­ge­ment mieux que le Nige­ria (131e), ou encore que l’Éthiopie, pas­sée de la 111e à la 159e place sur la même période. Ce pays, où les répres­sions poli­cières et les ten­sions inter­eth­niques ont fait plu­sieurs cen­taines de morts ces quelques der­nières années, est d’ailleurs l’un des pays qui connaissent les plus fortes ten­sions sociales sur le conti­nent, avec l’Afrique du Sud (où l’on compte plus de 15 000 homi­cides par an).

    Cette impor­tante pro­gres­sion de la Côte d’Ivoire s’accompagne éga­le­ment d’une remar­quable maî­trise de l’inflation (comme dans l’ensemble de l’espace UEMOA), qui s’est située à seule­ment 0,8 % en moyenne annuelle sur la période de huit années allant de 2012 à 2019, selon les der­nières don­nées de la Banque mon­diale. Un taux par­ti­cu­liè­re­ment bas, notam­ment en com­pa­rai­son avec le Gha­na et Nige­ria, dont les popu­la­tions ont gran­de­ment souf­fert d’une infla­tion qui s’est éta­blie à 11,9 % et à 11,6 % par an, en moyenne et res­pec­ti­ve­ment, et ce mal­gré une crois­sance lar­ge­ment infé­rieure à celle de la Côte d’Ivoire. Ces deux pays souffrent d’ailleurs éga­le­ment d’une impor­tante dol­la­ri­sa­tion de leur éco­no­mie, la mon­naie natio­nale étant sou­vent refu­sée et sub­sti­tuée par le dol­lar dans les échanges éco­no­miques quo­ti­diens. Enfin, la Côte d’Ivoire n‘oublie pas d’investir mas­si­ve­ment dans l’éducation et la for­ma­tion, dont les dépenses avaient atteint jusqu’à 27 % du bud­get natio­nal en 2017 (un des taux les plus éle­vés du conti­nent). Sur les cinq der­nières années, autant de classes ont d’ailleurs été ouvertes à tra­vers le pays qu’au cours des vingt années pré­cé­dentes. Une accé­lé­ra­tion qui s’explique, notam­ment, par la sco­la­ri­sa­tion ren­due obli­ga­toire à par­tir de la ren­trée 2015 pour les enfants âgés de 6 à 16 ans. Au pas­sage, il convient de rap­pe­ler que la maî­trise de l’inflation et la for­ma­tion, deux élé­ments ayant une inci­dence cer­taine sur l’environnement des affaires, ne sont pas pris en compte par l’enquête annuelle Doing busi­ness de la Banque mon­diale. Ce qui consti­tue une lacune fort regret­table, et péna­li­sante pour le clas­se­ment de la Côte d’Ivoire (tout comme le sont, dans un autre registre, les don­nées ser­vant à l’ONU de base de cal­cul pour l’indice de déve­lop­pe­ment humain, mais qui sont en géné­ral rela­ti­ve­ment anciennes pour les pays en déve­lop­pe­ment, et qui ne prennent donc pas en consi­dé­ra­tion les toutes der­nières évo­lu­tions éco­no­miques et sociales).

    Cet envi­ron­ne­ment par­ti­cu­liè­re­ment favo­rable aux inves­tis­se­ments que connait aujourd’hui la Côte d’Ivoire s’accompagne d’une poli­tique ambi­tieuse de déve­lop­pe­ment et de grands chan­tiers, dans tous les domaines : routes, ponts, trans­ports publics (comme le futur tram­way d’Abidjan), cen­trales élec­triques, hôpi­taux, réseaux de télé­com­mu­ni­ca­tions, indus­tries de base… et ce, sans oublier l’agriculture qui conti­nue à se déve­lop­per, le pays étant même deve­nu récem­ment le pre­mier pro­duc­teur mon­dial de noix de cajou (en plus d’être déjà le pre­mier pro­duc­teur de cacao). Des noix de cajou qui sont d’ailleurs par­tiel­le­ment trans­for­mées par des machines de fabri­ca­tion ivoi­rienne, grâce à une entre­prise locale qui la seule du type en Afrique sub­sa­ha­rienne. Pour leur part, les sec­teurs de la tech­no­lo­gie et de l’informatique se déve­loppent eux aus­si assez rapi­de­ment, notam­ment avec la mul­ti­pli­ca­tion des jeunes pousses (ou start-up), ou encore avec la construc­tion d’une usine d’assemblage d’ordinateurs qui contri­bue à la réa­li­sa­tion du pro­jet natio­nal « un citoyen, un ordi­na­teur ». Une fabri­ca­tion locale qui consti­tue une avan­cée rare sur le conti­nent. Quant à l’électrification du pays, point d’une grande impor­tance pour la réus­site de toute poli­tique de déve­lop­pe­ment, le taux de cou­ver­ture est pas­sé de 33 % des loca­li­tés ivoi­riennes début 2012 à 73 % au mois de mai 2020. Et ce, avec une aug­men­ta­tion paral­lèle du taux d’accès à l’électricité, qui atteint désor­mais près de 90 % de la popu­la­tion du pays. Sur la même période, celui-ci a connu une pro­gres­sion d’environ 60 % de sa pro­duc­tion d’électricité, deve­nant un des prin­ci­paux expor­ta­teurs en la matière sur le conti­nent (11 % de la pro­duc­tion ivoi­rienne est actuel­le­ment expor­tée vers un total de six pays d’Afrique de l’Ouest).

    Par ailleurs, la Côte d’Ivoire com­mence enfin à s’intéresser au déve­lop­pe­ment du sec­teur tou­ris­tique, encore embryon­naire. Une situa­tion tota­le­ment anor­male pour un pays qui ne manque pas d’atouts en la matière, et que le monde doit enfin connaître et décou­vrir. À titre d’exemple, la qua­si-inté­gra­li­té de la popu­la­tion fran­çaise (et donc éga­le­ment des autres popu­la­tions occi­den­tales) ignore l’existence même de la Basi­lique Notre-Dame de la Paix de Yamous­sou­kro, qui n’est autre que le plus grand édi­fice chré­tien au monde, et qua­si-réplique de la basi­lique Saint-Pierre de Rome. Une situa­tion absurde qui résulte de la longue négli­gence dont a souf­fert le sec­teur du tou­risme, contrai­re­ment à ce que l’on observe dans des pays comme le Kenya ou l’Afrique du Sud, ou encore la Tuni­sie et le Maroc, qui inves­tissent depuis long­temps dans ce domaine qui contri­bue de manière impor­tante à leur déve­lop­pe­ment. Au pas­sage, il convient de rap­pe­ler que la Côte d’Ivoire est un pays bien plus grand qu’on ne le pense, étant, par exemple, légè­re­ment plus éten­due que l’Italie et un tiers plus vaste que le Royaume-Uni, et non deux ou trois plus petite comme l’indique la majo­ri­té des cartes géo­gra­phiques en cir­cu­la­tion (y com­pris en Afrique). Des cartes qui dressent géné­ra­le­ment une repré­sen­ta­tion ter­ri­ble­ment défor­mée des conti­nents, en rédui­sant consi­dé­ra­ble­ment la taille des pays du Sud.

    La rapide pro­gres­sion de l’Afrique sub­sa­ha­rienne fran­co­phone

    Ces dif­fé­rents élé­ments font que la Côte d’Ivoire devrait conti­nuer à connaître une crois­sance robuste dans les pro­chaines années, du moins une fois que la crise mon­diale majeure liée au Covid-19 sera pas­sée (et dont les consé­quences défi­ni­tives pour l’année en cours, et pour l’ensemble du conti­nent, ne peuvent encore être cor­rec­te­ment esti­mées). Le pays devrait même, à moyen terme, dépas­ser en richesse la Tuni­sie, pour deve­nir le pre­mier pays d’Afrique sub­sa­ha­rienne au sous-sol pauvre à dépas­ser, dans l’histoire, un pays d’Afrique du Nord. La Côte d’Ivoire fait d’ailleurs par­tie de l’espace UEMOA, qui n’est autre que la plus vaste zone de forte crois­sance du conti­nent, avec une hausse annuelle du PIB de 6,4 % en moyenne sur la période de huit années allant de 2012 à 2019. Un espace fai­sant lui-même par­tie de l’Afrique sub­sa­ha­rienne fran­co­phone, qui consti­tue glo­ba­le­ment la zone la plus dyna­mique – et his­to­ri­que­ment la plus stable – du conti­nent, dont elle a enre­gis­tré en 2019 les meilleures per­for­mances éco­no­miques pour la sixième année consé­cu­tive et pour la sep­tième fois en huit ans. Sur la période 2012 – 2019, la crois­sance annuelle de cet ensemble de 22 pays s’est ain­si éta­blie à 4,4% en moyenne (5,0 % hors cas très par­ti­cu­lier de la Gui­née équa­to­riale), contre 2,8% pour le reste de l’Afrique sub­sa­ha­rienne.

    Un dyna­misme par ailleurs sou­te­nu par une assez bonne maî­trise de la dette publique, les pays fran­co­phones n’étant qu’au nombre de deux par­mi les dix pays les plus endet­tés du conti­nent (à savoir la Mau­ri­ta­nie et le Congo-Braz­za­ville, qui n’arrivent, res­pec­ti­ve­ment, qu’à la 9e et à la 10e place début 2020, selon le FMI). Une maî­trise de la dette qui fait que l’Afrique fran­co­phone sera glo­ba­le­ment mieux armée pour faire face à la pré­sente crise éco­no­mique inter­na­tio­nale. Pour la Côte d’Ivoire, cette dette s’est éta­blie à 38 % du PIB fin 2019 (après reba­sage tar­dif du PIB), soit un niveau lar­ge­ment infé­rieur à celui de la grande majo­ri­té des pays déve­lop­pés, et un des taux les plus faibles du conti­nent (par exemple, lar­ge­ment infé­rieur à ceux du Gha­na, 63,8 %, et du Kenya, 61,6 %).  

    Par ailleurs, il est à noter qu’il n’y a désor­mais plus qu’un seul pays fran­co­phone par­mi les cinq pays les plus pauvres du conti­nent, tous situés en Afrique de l’Est (en l’occurrence le Burun­di, avec quatre pays anglo­phones que sont le Sou­dan du Sud, deve­nu le pays le plus pauvre du monde, le Mala­wi, la Soma­lie et le Sou­dan). Enfin, il n’y a aujourd’hui plus aucun pays fran­co­phone dans les six der­nières places du clas­se­ment inter­na­tio­nal rela­tif au cli­mat des affaires de la Banque mon­diale, désor­mais majo­ri­tai­re­ment occu­pées par des pays anglo­phones (en 2012, cinq des six der­niers pays étaient fran­co­phones).

    Cette évo­lu­tion glo­ba­le­ment favo­rable de l’Afrique fran­co­phone n’était d’ailleurs pas aus­si faci­le­ment pré­vi­sible il y a quelques décen­nies, au moment des indé­pen­dances. En effet, il convient de rap­pe­ler que le Royaume-Uni avait pris le contrôle des terres les plus fer­tiles du conti­nent (le Gha­na, la Nige­ria – avec le del­ta du fleuve Niger et ses affluents, le Sou­dan et le Sou­dan su Sud – avec le Nil et ses affluents, la Tan­za­nie, le Zim­babwe…), ain­si que des ter­ri­toires les plus riches en matières pre­mières (les trois pre­miers pays pro­duc­teurs d’or du conti­nent, que sont le Gha­na, le Sou­dan et l’Afrique du Sud – long­temps pre­mier pro­duc­teur mon­dial en la matière, le pre­mier pro­duc­teur de pétrole qu’est le Nige­ria – devant l’Angola, ancienne colo­nie por­tu­gaise, le pre­mier pro­duc­teur de dia­mants qu’est le Bots­wa­na, ou encore le deuxième pro­duc­teur de cuivre qu’est la Zam­bie). L’Afrique fran­co­phone a donc réus­si son rat­tra­page par rap­port au reste du conti­nent, dont elle consti­tue même désor­mais la par­tie la plus pros­père, glo­ba­le­ment (ou la moins pauvre, selon la manière de voir les choses). Des pays comme le Mali et Bénin, qui ne font pour­tant pas par­tie des pays les plus riches d’Afrique de l’Ouest, ont même un PIB par habi­tant supé­rieur à des pays comme l’Éthiopie ou le Rwan­da, situés en Afrique de l’Est et béné­fi­ciant étran­ge­ment d’une cou­ver­ture média­tique exa­gé­ré­ment favo­rable.

    Le déclin éco­no­mique du Nige­ria, et son inci­dence sur une éven­tuelle mon­naie unique ouest-afri­caine

    Depuis plu­sieurs années, l’économie du Nige­ria est en déclin et le pays en voie d’appauvrissement constant. En effet, celui-ci (et comme l’Afrique du Sud, par ailleurs), affiche chaque année un taux de crois­sance éco­no­mique très faible et lar­ge­ment infé­rieur à son taux de crois­sance démo­gra­phique, contrai­re­ment aux pays fran­co­phones qui l’entourent. Ain­si, la hausse du PIB n’a été que 1,2 % en moyenne annuelle sur les cinq der­nières années (2015 – 2019), contre une crois­sance démo­gra­phique de 2,6 % en moyenne sur la même période (com­pa­rable à celle de la Côte d’Ivoire, 2,4 %). Le Séné­gal et le Came­roun devraient d’ailleurs assez rapi­de­ment dépas­ser à leur tour le Nige­ria en matière de richesse par habi­tant (chose assez mécon­nue, le Came­roun connaît régu­liè­re­ment une crois­sance éco­no­mique deux à trois fois supé­rieure à celle du Nige­ria). À cette situa­tion, s’ajoutent de graves dif­fi­cul­tés struc­tu­relles aux­quelles fait face le pays, et qui se mani­festent notam­ment par une infla­tion assez forte (11,6

  • L'Afrique subsaharienne francophone continue à tirer l'économie africaine (partie 2), par Ilyes Zouari.

    Pré­sident du CERMF (Centre d’é­tude et de réflexion sur le Monde francophone)

    www.cermf.org

    info@cermf.org

    Une acti­vi­té glo­bale en forte baisse en Afrique de l’Est francophone

    La crois­sance glo­bale de cette par­tie du conti­nent a connu une baisse par­ti­cu­liè­re­ment forte, pas­sant d’en­vi­ron 4 % par an (3,8 % en 2019) à ‑7,6 % en 2020.

    1.jpgCe ralen­tis­se­ment bru­tal de l’ac­ti­vi­té s’ex­plique par l’im­por­tance du sec­teur tou­ris­tique dans la moi­tié des six pays de la région, et en par­ti­cu­lier à Mau­rice et aux Sey­chelles dont le PIB a chu­té, res­pec­ti­ve­ment, de 12,9 % et de 15,9 %, suite à l’ef­fon­dre­ment du tou­risme inter­na­tio­nal. Pour sa part, Mada­gas­car, plus grand pays de la région, a enre­gis­tré une baisse assez impor­tante de 4,2 % de son PIB (après une crois­sance posi­tive de 4,8 % un an plus tôt). 

    De leur côté, les pays non dépen­dants du tou­risme ont été ceux ayant réa­li­sé les moins mau­vaises per­for­mances. Dji­bou­ti a ain­si connu une crois­sance néga­tive de ‑1,0 % en 2020, et qui pour­rait rebon­dir à 7,1 % en 2021 pour retrou­ver son niveau des années pré­cé­dentes. En effet, le pays avait réa­li­sé une pro­gres­sion annuelle moyenne de 7,1 % éga­le­ment sur la période de six années allant de 2014 à 2019, et ce, en tirant pro­fit de sa situa­tion géo­gra­phique stra­té­gique qui lui per­met de deve­nir pro­gres­si­ve­ment une plaque tour­nante du com­merce inter­na­tio­nal, grâce notam­ment à des inves­tis­se­ments mas­sifs en pro­ve­nance de Chine. Pour­tant, seule une dizaine d’en­tre­prises fran­çaises sont implan­tées dans ce pays, avec lequel la com­pa­gnie aérienne Air France n’as­sure qu’un seul et unique vol heb­do­ma­daire direct avec Paris. Contraste sai­sis­sant avec les sept vols directs assu­rés par Tur­kish Air­lines en direc­tion d’Is­tan­bul, ou encore avec les trois liai­sons assu­rées par le groupe Emi­rates vers Dubaï.

    Cette faible pré­sence éco­no­mique de la France à Dji­bou­ti, tout comme en RDC, pre­mier pays fran­co­phone du monde et pour lequel l’hexa­gone n’est que le 11e four­nis­seur et le 24e client (ne pesant que pour moins de 2 % du com­merce exté­rieur annuel du pays, contre envi­ron 30 % pour la Chine, impor­ta­tions et expor­ta­tions confon­dues), en dit long sur la mécon­nais­sance dont souffrent nombre d’ac­teurs éco­no­miques tri­co­lores au sujet du monde fran­co­phone, et ce, … au plus grand béné­fice d’autres puissances.

    Enfin, le Burun­di et les Comores ont res­pec­ti­ve­ment enre­gis­tré des taux de crois­sance de 0,3 % et de ‑1,4 %. La varia­tion légè­re­ment posi­tive affi­chée par le Burun­di s’ex­pli­quant prin­ci­pa­le­ment par le très faible niveau de déve­lop­pe­ment du pays, qui se classe par­mi les cinq pays les plus pauvres du conti­nent (avec notam­ment le Mala­wi et le Sou­dan du Sud, qui font éga­le­ment par­tie de la mino­ri­té de pays ayant réa­li­sé une crois­sance posi­tive en 2020). 

    Un endet­te­ment glo­ba­le­ment maî­tri­sé en Afrique sub­sa­ha­rienne francophone

    La dette publique a glo­ba­le­ment été maî­tri­sée en Afrique sub­sa­ha­rienne fran­co­phone, qui demeure, et de plus en plus, la par­tie la moins endet­tée du conti­nent. En 2020, et au niveau de l’en­semble de l’A­frique sub­sa­ha­rienne, 10 des 28 pays ayant obser­vé une hausse supé­rieure à cinq points de pour­cen­tage du poids de la dette par rap­port au PIB sont fran­co­phones (soit moins de la moi­tié des pays fran­co­phones, même en y incluant les Sey­chelles), et 5 des 14 pays ayant connu une hausse supé­rieure à dix points sont fran­co­phones (Sey­chelles inclus). 

    Par­mi les 10 pays les plus endet­tés d’A­frique sub­sa­ha­rienne (et éga­le­ment du conti­nent) au terme de l’an­née 2020, trois sont fran­co­phones, dont les Sey­chelles et Mau­rice. Le Congo-Braz­za­ville, pays fran­co­phone le plus endet­té, n’ar­rive qu’à la sep­tième place au niveau sub­sa­ha­rien comme au niveau conti­nen­tal. Le Congo fai­sant par­tie des cinq pays fran­co­phones sub­sa­ha­riens ayant connu la hausse la plus impor­tante de leur niveau d’en­det­te­ment en 2020, avec deux autres pays pétro­liers d’A­frique cen­trale (le Gabon et la Gui­née équa­to­riale), les Sey­chelles (extrê­me­ment dépen­dants du tou­risme) et la Gui­née (très dépen­dante des indus­tries minières).

    Si trois des pays de la zone Cemac ont connu une impor­tante aug­men­ta­tion de leur endet­te­ment, les autres pays de cette même zone moné­taire, comme le Came­roun, sont à l’in­verse par­ve­nus à en assu­rer la sta­bi­li­té, à l’ins­tar de la qua­si-tota­li­té des pays fran­co­phones de la zone UEMOA, qui a été, là aus­si, la zone la plus stable du conti­nent. En effet, et selon les esti­ma­tions du FMI, l’UE­MOA est l’en­semble ayant connu la plus faible hausse de son endet­te­ment au cours de l’an­née 2020, avec une aug­men­ta­tion glo­bale de seule­ment 3,4 points (pas­sant de 45,0 % à 48,4 %). Dans cet espace, seul un des sept pays fran­co­phones membres a vu son niveau d’en­det­te­ment croître de plus de cinq points de pour­cen­tage, à savoir le Niger (+ 6,3 points, soit une hausse modé­ré­ment forte). Pour sa part, le Séné­gal est le pays ayant connu la varia­tion la plus légère (+1,3 point). 

    Pour l’en­semble de l’A­frique de l’Ouest, aucun des cinq pays le plus endet­tés n’est fran­co­phone (le Togo n’ar­ri­vant qu’à la sixième posi­tion), et aucun des quatre pays ayant connu une hausse supé­rieure à dix points de leur niveau d’en­det­te­ment en 2020 ne fait par­tie de la zone UEMOA (le Gha­na, la Gui­née, la Gui­née-Bis­sau et le Cap-Vert). Par­mi ces quatre pays, le Gha­na a connu une hausse assez bru­tale de sa dette publique, dont le niveau est pas­sé de 62,8 % à 76,7 % du PIB, soit près du double de celui de la Côte d’I­voire voi­sine (41,7 %, contre 37,9 % en 2019). Le Gha­na a donc désor­mais un endet­te­ment à peu près aus­si impor­tant que celui de l’A­frique du Sud, dont la dette publique a éga­le­ment connu une très forte hausse, pas­sant de 62,2 % à 78,8 % et rap­pro­chant ain­si le pays de la liste des dix pays les plus endet­tés du conti­nent (14e). Par­mi ces dix pays, six font par­tie de ceux ayant connu la plus forte aug­men­ta­tion de leur dette publique en 2020, alors même qu’ils fai­saient déjà par­tie des dix pays le plus endet­tés un an plus tôt (le Sou­dan, le Cap-Vert, le Mozam­bique, l’An­go­la, la Zam­bie et le Congo). Arri­vant une nou­velle fois en tête du clas­se­ment des pays les plus endet­tés, le Sou­dan conti­nue à tra­ver­ser une grave crise éco­no­mique et finan­cière. Une situa­tion qui n’est pas sans consé­quences, et qui est pro­ba­ble­ment, entre autres, à l’o­ri­gine de deux déci­sions majeures ayant mar­qué la poli­tique étran­gère du pays au cours de l’an­née 2020, et pas­sées rela­ti­ve­ment inaper­çues, à savoir la conclu­sion d’un accord avec la Rus­sie pour l’ins­tal­la­tion pro­chaine d’une base mili­taire, et l’é­ta­blis­se­ment de rela­tions diplo­ma­tiques avec Israël en vue d’un rap­pro­che­ment avec les États-Unis. Deux déci­sions fai­sant du Sou­dan le pre­mier pays afri­cain à abri­ter une base mili­taire russe, ain­si que le pre­mier pays ara­bo-afri­cain non fron­ta­lier à nouer des rela­tions diplo­ma­tiques avec l’É­tat hébreu.

    Glo­ba­le­ment, l’A­frique sub­sa­ha­rienne fran­co­phone demeure donc la par­tie la moins endet­tée du conti­nent, tout en creu­sant l’é­cart un an après le déclen­che­ment de la pan­dé­mie. Début 2021, le taux d’en­det­te­ment glo­bal de cet ensemble com­po­sé de 22 pays s’é­ta­blit à 47,7 % du PIB, en hausse de 4,1 points sur un an (57,3 % pour l’en­semble de l’A­frique fran­co­phone, Magh­reb inclus). Un niveau lar­ge­ment infé­rieur à celui de la majo­ri­té des pays déve­lop­pés. Pour le reste de l’A­frique sub­sa­ha­rienne, le taux se situe à 64,3 %, en hausse de 8,3 points (69,1 % pour l’en­semble de l’A­frique non fran­co­phone). Un an plus tôt, l’é­cart entre l’A­frique sub­sa­ha­rienne fran­co­phone et le reste de l’A­frique sub­sa­ha­rienne était déjà de 12,4 points (et de 11,1 points entre l’en­semble de l’A­frique fran­co­phone et le reste du continent).

    Un rebond atten­du dans un contexte inter­na­tio­nal et afri­cain plus favo­rable 

    Même s’il convient de faire tou­jours preuve de pru­dence au sujet des pré­vi­sions éta­blies en cours d’an­née pour les pays en déve­lop­pe­ment, en de sur­croît dans la période actuelle, mar­quée par une pan­dé­mie non encore maî­tri­sée, l’A­frique sub­sa­ha­rienne fran­co­phone devrait une nou­velle fois être la par­tie la plus dyna­mique du conti­nent en 2021, tout en en demeu­rant la par­tie la moins endettée.

    Le contexte inter­na­tio­nal devrait être favo­rable à un redé­mar­rage pro­gres­sif de l’ac­ti­vi­té, avec une situa­tion sani­taire qui semble s’a­mé­lio­rer petit à petit, et avec des cours des hydro­car­bures qui devraient se main­te­nir, en dépit d’une récente hausse, à un niveau rai­son­nable pour les pays impor­ta­teurs de pétrole et de gaz (notam­ment à cause de la pro­gres­sion constante de la part des éner­gies renou­ve­lables, et des efforts en matière de réduc­tion des gaz à effet de serre), et sou­te­nir ain­si la crois­sance de la plu­part des pays fran­co­phones, assez pauvres en richesses natu­relles. Pour leur part, les pays de la zone CFA (soit 13 des 22 pays fran­co­phones sub­sa­ha­riens et la Gui­née-Bis­sau, et aux­quels l’on peut aus­si ajou­ter les Comores, dont la mon­naie est éga­le­ment arri­mée à l’eu­ro), devraient conti­nuer à béné­fi­cier, dans leurs efforts de diver­si­fi­ca­tion, d’un euro assez bon mar­ché, compte tenu de la crise éco­no­mique que connaissent les pays euro­péens par­ta­geant cette mon­naie unique, et notam­ment l’Al­le­magne dont l’é­co­no­mie était déjà en dif­fi­cul­té en 2019 (avec une crois­sance de seule­ment 0,6 %, contre 1,5 % pour la France). 

    Pre­mière puis­sance expor­ta­trice d’Eu­rope, l’Al­le­magne, qui a his­to­ri­que­ment tou­jours été en faveur d’un euro fort, au risque de péna­li­ser les pays de la zone CFA dont la mon­naie y est arri­mée (et de nuire ain­si, dou­ble­ment, aux inté­rêts de la France), n’a aujourd’­hui d’autre choix que de main­te­nir l’eu­ro à un niveau rai­son­nable. Et ce, d’une part à cause de la crise éco­no­mique inter­na­tio­nale et de la baisse de la crois­sance chi­noise, et d’autre part, parce qu’elle devrait être éga­le­ment péna­li­sée par l’ac­cord com­mer­cial signé en 2019 entre les États-Unis et la Chine, et selon lequel celle-ci s’en­ga­geait à impor­ter pour 200 mil­liards de dol­lars de pro­duits et ser­vices amé­ri­cains sup­plé­men­taires au cours des deux années sui­vantes (au détri­ment donc, pro­ba­ble­ment, d’un cer­tain nombre de pro­duits et de ser­vices alle­mands). Un accord qui demeure en vigueur, même si sa mise en appli­ca­tion a pâti de la pan­dé­mie, et qu’une rené­go­cia­tion par­tielle pour­rait pro­chai­ne­ment avoir lieu.

    Par ailleurs, et paral­lè­le­ment à l’a­mé­lio­ra­tion du contexte inter­na­tio­nal, le contexte afri­cain devrait lui aus­si connaître une évo­lu­tion favo­rable à la crois­sance éco­no­mique, avec la mise en place pro­gres­sive de la Zone de libre-échange conti­nen­tale afri­caine (ZLECA), enta­mée le 1er jan­vier 2021. Du moins d’un point de vue théo­rique, puisque qu’il convient de rap­pe­ler que la hausse des échanges entre pays ne dépend pas seule­ment de l’a­bais­se­ment ou de l’é­li­mi­na­tion des bar­rières doua­nières entre ces mêmes pays, mais éga­le­ment et sur­tout de la capa­ci­té de ces der­niers à pro­duire des biens et ser­vices, à tra­vers la mise en place préa­lable d’un envi­ron­ne­ment natio­nal favo­rable à l’in­ves­tis­se­ment (cadres juri­dique, régle­men­taire et fis­cal, infra­struc­tures et for­ma­tion, devant per­mettre à la fois de pro­duire des biens et ser­vices et d’en assu­rer la com­pé­ti­ti­vi­té). L’é­vo­lu­tion mar­gi­nale des échanges au sein des ensembles régio­naux ayant déjà abais­sé ou sup­pri­mé les taxes doua­nières est là pour le démontrer.

    Il en va d’ailleurs de même pour ce qui est de la ques­tion d’une mon­naie unique, à l’ins­tar de l’E­co que les pays d’A­frique de l’Ouest, membres de la CEDEAO, semblent sou­hai­ter mettre en place. Ain­si, force est de consta­ter que les pays de la zone UEMOA, qui béné­fi­cient déjà, et depuis long­temps, d’une vaste zone de libre-échange dou­blée d’une mon­naie unique, n’ont vu leurs échanges que fai­ble­ment aug­men­ter à l’in­té­rieur de cet espace, et demeu­rer à des niveaux glo­ba­le­ment assez bas. Autre exemple inté­res­sant, la part de la zone euro dans le com­merce exté­rieur de la France a bais­sé depuis la mise en place de cette mon­naie unique, suite à une aug­men­ta­tion plus impor­tante des échanges entre la France et le reste du monde qu’a­vec les pays de la zone euro. Ce qui per­met, d’ailleurs, de consta­ter que les flux com­mer­ciaux entre la France et les autres pays de la zone moné­taire étaient déjà très impor­tants avant l’a­dop­tion d’une mon­naie unique… 

    Une pru­dence qui s’im­pose avant l’a­dop­tion d’une éven­tuelle mon­naie ouest-africaine

    Si la réduc­tion signi­fi­ca­tive des bar­rières doua­nières et la mise en place d’une qua­si-zone de libre-échange à l’é­chelle conti­nen­tale demeurent un élé­ment favo­rable, à terme, au déve­lop­pe­ment des pays du conti­nent, ceux-ci doivent donc tou­te­fois et paral­lè­le­ment pour­suivre leurs réformes éco­no­miques afin de tirer plei­ne­ment pro­fit de l’ou­ver­ture des dif­fé­rents mar­chés afri­cains. Des réformes qui ont d’ailleurs déjà été nom­breuses dans la majo­ri­té des pays fran­co­phones, et en par­ti­cu­lier dans ceux d’A­frique de l’Ouest membres de la zone UEMOA. Mais ces der­niers, et afin de conser­ver les béné­fices de leurs efforts, devront faire preuve à l’a­ve­nir de la plus grande pru­dence avant d’adhé­rer à une éven­tuelle mon­naie unique cou­vrant l’en­semble de l’A­frique de l’Ouest, et ne pas agir avec précipitation. 

    En atten­dant, les pays de zone UEMOA doivent déjà pro­chai­ne­ment sor­tir du franc CFA pour le rem­pla­cer par une nou­velle mon­naie plus indé­pen­dante de la France, qui en res­te­rait la garante. Une impor­tante réforme qui com­prend, entre autres, la fin de l’o­bli­ga­tion his­to­rique et sou­vent cri­ti­quée de cen­tra­li­ser en France 50 % des réserves en devises des pays de la zone (ce qui n’é­tait pour­tant qu’une ques­tion tech­nique, n’en déplaise à cer­tains qui le recon­naissent indi­rec­te­ment aujourd’­hui en mini­mi­sant l’im­por­tance de la réforme, et dont l’a­ban­don, déjà rati­fié par la France, ne modi­fie­ra pas les capa­ci­tés finan­cières des pays de l’es­pace UEMOA, mais per­met­tra par contre à la France de ne plus avoir à ver­ser des inté­rêts à des taux sou­vent supé­rieurs à ceux dont elle peut béné­fi­cier sur les mar­chés internationaux).

    Une fois cette réforme effec­tuée, et même si la créa­tion ulté­rieure d’une mon­naie unique ouest-afri­caine pren­dra encore de nom­breuses années, prin­ci­pa­le­ment du fait de l’im­pré­pa­ra­tion des pays non membres de l’UE­MOA (pays anglo­phones, Cap-Vert et Gui­née) qui sont loin de rem­plir les cri­tères de conver­gence, faute d’être habi­tués, à l’in­verse de leurs voi­sins fran­co­phones, aux prin­cipes de dis­ci­pline bud­gé­taire et moné­taire qu’im­pose l’a­dop­tion d’une mon­naie unique (ce qui explique le report per­ma­nent de la créa­tion d’un Eco ouest-afri­cain depuis déjà quelques décen