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  • Boualem Sansal : « Un scénario syrien est possible en Algérie »

    La nouvelle grande mosquée d'Alger, Djamaa El Djazaïr en construction 

     

    C'est un entretien d'un très grand intérêt avec Boualem Sansal qu'Alexandre Devecchio a publié dans Figarovox, le 23.02. Ce n'est pas que nous fassions totale confiance à Boualem Sansal. Publier les réflexions d'un auteur, d'un intellectuel, ce n'est ni faire son éloge, ni, nécessairement prendre son propos pour parole d'Evangile. Nous savons, en outre que Sansal est une personnalité ambiguë. Et qu'il ne cesse pas d'être une énigme, même pour de fins connaisseurs des pays d'Afrique du Nord. Mais il s'agit ici du devenir de l'Algérie, bombe à retardement, inquiétante à plus d'un titre. Et au premier chef pour la France qu'une explosion du système algérien menacerait de façon sans doute gravissime. Nous avons dit, ici, à plusieurs reprises, notre inquiétude face à cette menace à laquelle il paraît assez clair que la France ni l'Europe ne se préparent. C'est ce dont Sansal traite ici et nous conseillons de le lire, certes avec esprit critique, mais aussi avec une véritable attention.  Lafautearousseau   


    XVM570e4212-da34-11e5-94e2-a58df5601745.jpgDans son roman d'anticipation 2084, le grand écrivain algérien imaginait un monde dominé par l'islam radical. Il se montre tout aussi pessi­miste pour l'avenir de l'Algérie.

    LE FIGARO - Alors que le président Bouteflika reste très affaibli, l'Algérie est confrontée à un début de crise économique…

    Boualem SANSAL - Bouteflika, pendant ses seize années de règne, a acheté la paix sociale en faisant vivre les Algériens au-dessus de leurs moyens sans même avoir besoin de travailler. Cette gestion financière et psychologique catastrophique pourrait déboucher sur une crise multidimensionnelle à la fois économique, politique et religieuse. Les journaux n'en parlent pas, mais il faut savoir qu'il y a des émeutes quotidiennes en Algérie. La seule réponse du pouvoir est d'« arroser » la population. Pour l'instant, celle-ci en profite. Mais la manne n'est pas infinie. Que se passera-t-il lorsque celle-ci sera épuisée ?

    En cas d'aggravation de la crise, comment le pouvoir peut-il réagir ?

    Ma conviction est que le pouvoir est indestructible. Il résistera à tout parce qu'il n'hésitera pas à réprimer avec violence comme le fait Bachar el-Assad en Syrie. S'il se sent débordé, il fera tirer sur la population. Si cela ne suffit pas, il internationalisera l'affaire en y mêlant les islamistes. Le problème politique sera transformé en problème religieux et exporté hors des frontières algériennes jusqu'en Europe, et singulièrement en France. Le scénario d'une escalade de la terreur sur le modèle syrien me paraît tout à fait crédible.

    L'Algérie peut-elle être également menacée par Daech ?

    Les islamistes étrangers, ceux de Daech ou d'al-Qaida, sont en embuscade. Mais il faut aussi compter avec les islamistes algériens. Ces derniers ont fait un deal avec le pouvoir. Ils partagent avec l'État la rente pétrolière et sont introduits dans les rouages de l'administration: certains islamistes sont députés ou ministres. En parallèle, ils investissent le domaine culturel et social. Le terrain économique leur permet également de « faire beaucoup d'argent»  avec l'Arabie saoudite, Dubaï ou la Turquie. Cela participe à l'internationale islamiste comme à la reconstitution de leurs forces en Algérie. Bouteflika leur a cédé la « gestion » du peuple. Dans les petites villes et les villages, ils sont maîtres du jeu et font régner leurs règles théocratiques terrifiantes. Ces seize dernières années, il s'est construit plus de mosquées dans le pays que durant tout le siècle dernier.

    Justement, que pensez-vous de la construction de la nouvelle grande mosquée d'Alger, Djamaa El Djazaïr ?

    D'abord, cela traduit la stratégie d'équilibre des pouvoirs de Bouteflika. Pour ne pas être totalement dépendant des militaires, il a ouvert la porte aux islamistes. La future grande mosquée d'Alger est un gage donné à ces derniers. Le gigantisme du projet traduit également la mégalomanie de Bouteflika. C'est pour lui, une manière de marquer l'Histoire, quitte à livrer le pays aux fondamentalistes.

    La guerre civile algérienne peut-elle faire son retour ?

    Le chaos est presque inéluctable. Bouteflika a fait le vide politique autour de lui et beaucoup vont prétendre à sa succession. Les islamistes voudront gouverner au nom de l'islam. Les militaires, humiliés durant son règne, voudront prendre leur revanche. Il y a aussi une oligarchie économique et financière avide et insatiable qui gouverne par le truchement de Saïd Bouteflika, frère cadet du chef de l'État. Ce contexte d'éclatement général ouvre la porte à toutes les aventures. La Kabylie, qui est marginalisée et persécutée, pourrait être tentée par une proclamation d'indépendance. Le Sud est dans une situation explosive, avec des tensions séparatistes notamment chez les Touaregs. Et, en ce moment même, la région du Mzab est le théâtre de guerres tribales. Enfin, la question de la jeunesse est préoccupante. Les jeunes représentent 35 à 40 % de la population et ne sont la clientèle ni des uns, ni des autres. Quel sera le comportement de ces électrons libres dans une situation où tous les grands verrous vont sauter ? Si tous ces mouvements coagulent, il y aura un printemps algérien sur fond de vengeance et de ressentiment. Celui-ci sera suivi d'un hiver islamiste.

    Quelles peuvent être les conséquences d'une explosion sur l'Europe ?

    L'Occident a perdu son influence et n'a plus de politique à l'égard du monde arabe. Sur la défensive, il ne peut que subir. S'il y a une explosion de l'Algérie, le Maroc et la Tunisie seront déstabilisés. L'Europe sera confrontée à un mouvement migratoire de masse qu'elle ne pourra pas maîtriser. Le problème de Calais apparaîtra bien minuscule en comparaison.

    Dans 2084, vous allez jusqu'à décrire un empire islamiste mondial…

    Depuis les indépendances, la religion musulmane ne cesse de s'affirmer. La seule force profondément installée dans la société arabo-musulmane est la religion. Le mouvement islamiste au sens large occupe l'espace et empêche l'émergence de toute autre idéologie. Il y a, certes, une compétition entre islam salafiste et islam traditionnel, entre chiites et sunnites. Cependant, on constate aujourd'hui que les différences s'estompent à l'intérieur du monde sunnite tandis que la confrontation a lieu entre chiites et sunnites. Mais, là aussi, des alliances stratégiques se nouent. Peu à peu, le monde musulman se reconstruit et retrouve ses ambitions premières et sa volonté hégémonique. La frontière avec l'Occident commence à être abolie puisque maintenant l'islam politique s'ouvre des espaces à Londres, à Paris et à Bruxelles. On peut imaginer que dans trente ans l'islam gouvernera l'ensemble du monde musulman qu'il aura unifié. Dans soixante ans, il partira à la conquête de la civilisation occidentale.

     

    picture-2540921-61yhv5dr.jpgEntretien par

    Journaliste au Figaro et responsable du FigaroVox. Twitter : @AlexDevecchio

  • Civilisation & Société • Les grands cimetières sous le hamburger

     

    La réussite de Mc Donald's dans l'Hexagone rappelle que la France, qui pleure sur ses paysans et son art de vivre, est aujourd'hui la terre d'élection du fast-food et de la grande distribution. Dans cette chronique du Figaro [20.02], Natache Polony a bien raison de flétrir cette société décivilisée où nous sommes entrés, qu'elle décrit avec force et finesse et qu'elle nomme, dans une formule fort appropriée qui devrait donner à réfléchir, le camp de consommation, stade ultime de la modernité.  LFAR

     

    XVMbd3235a0-219b-11e5-93d6-2261d4e29204 - Copie.jpgJoie, gastronomie et croissance ! La France accueille désormais sur les Champs-Élysées le plus grand « restaurant » McDonald's du monde. Un exemple de réussite puisque le géant du sandwich atteint en France la quintessence de son art, au moment même où ses résultats reculent aux États-Unis. Là-bas, c'est une blogueuse qui a sonné la révolte contre la nourriture grasse et sucrée, déclenchant un mouvement de défiance contre le modèle jusque-là triomphant. Heureusement pour McDonald's, il reste la France, ce paradis ! La direction américaine, jusque-là sceptique, est même venue en délégation au printemps 2015 prendre des cours auprès de son entité française.

    Le secret de cette réussite ? L'adaptation, l'art de faire couleur locale. Des baguettes, un coin café, des salades et des fruits pour rassurer les mamans consciencieuses… Et puis surtout, en cette période de crise agricole, on affiche la solidarité avec les paysans français. La viande, les pommes de terre, le blé du pain… du produit français. Et le consommateur est content. Il a bonne conscience. Et c'est important, pour bien digérer, d'avoir bonne conscience. Il ne tue pas ses agriculteurs puisqu'il se nourrit dans un « restaurant » où l'on achète français. Certes, pas seulement français, mais peu importe, l'éthique est sauve. D'ailleurs, le consommateur est ravi, quand il arrive au Salon de l'agriculture, où il est autorisé, une semaine par an, à se souvenir que la France fut une nation paysanne, de voir trôner au milieu des vaches le stand orné d'un M géant, ce M qui incarne les millions de tonnes de viande et de pommes de terre écoulées chaque année par nos agriculteurs.

    Il faudrait avoir sacrément mauvais esprit pour y trouver à redire. Comment oserait-on remettre en cause ce beau modèle ? Faire valoir que l'instrumentalisation des discours nutritionnels à base de « cinq fruits et légumes par jour » n'effacera jamais la déshumanisation de l'acte alimentaire à travers la généralisation du sucre et du gras, du « mou-doux », rien à mâcher, rien à croquer, rien à comprendre ? Ce serait chercher des noises. Alors, on évitera de culpabiliser les consommateurs (il ne faut jamais culpabiliser les consommateurs, pas plus que les parents qui collent les enfants devant la télévision pour avoir la paix mais déplorent que l'école ne transmette plus l'amour des livres). On évitera de signaler combien l'uniformisation du goût, dès le plus jeune âge, prépare à l'absorption passive d'aliments prémâchés, payés le moins cher possible pour pouvoir consacrer les maigres revenus du foyer à d'autres postes plus utiles comme les produits de l'industrie culturelle ou des loisirs.

    Quelques concessions apparentes aux préoccupations d'ordre nutritionnel suffiraient donc à faire oublier la réduction des individus au rang d'avaleurs de calories vides, privés, avec leur consentement, de la plus intime des libertés, celle de goûter, de savourer, et de jouir, loin des sensations standardisées et des pulsions commandées par la publicité. Faut-il rappeler que la France, qui aime à se souvenir qu'elle fut un phare de civilisation, est aujourd'hui la terre d'élection du fast-food et de la grande distribution? La France qui pleure sur ses paysans, mais aussi sur sa culture, ses belles lettres et son art de vivre, plébiscite un mode de vie qui tue les uns et les autres en s'habituant à la facilité à bas prix. Et après tout, diront certains, si c'est le choix du consommateur ? Vous ne voudriez pas interdire, crypto-communiste que vous êtes !

    On répondra que la liberté ne vaut pas sans la capacité à l'exercer, c'est-à-dire sans le libre arbitre. Et que le système que nous avons créé produit ce que l'on désigne d'un concept marxiste aujourd'hui désuet : de l'aliénation. Le contraire de la citoyenneté. Le contraire de la capacité pour l'être humain à décider de son destin, à jouir de sa liberté en la goûtant pleinement et en nommant les sensations qui produisent son plaisir. Une « école » qui prive des mots et de leur complexité, une « nourriture » qui prive des goûts et de leur richesse, une « démocratie » qui prive de la souveraineté et de la capacité à penser un modèle alternatif… mais tout cela en préservant les apparences, à travers des travaux interdisciplinaires ronflants (et des panneaux publicitaires flamboyants), un programme nutrition-santé et des étiquettes « 100 % viande française » ou des élections en bonne et due forme (n'étaient les 50 % d'abstention, mais justement, ça ne compte pas…). Nos agriculteurs peuvent poursuivre leur descente aux enfers, comme nos professeurs, comme tous ceux que broie cette transformation du citoyen en consommateur, de l'être humain en sous-produit industriel rangé dans son box à consommer des burgers, comme les vaches qu'il avale furent rangées dans leur box sans voir jamais un brin d'herbe. Le camp de consommation, stade ultime de la modernité. 

    Natacha Polony

  • Année Saint Louis : La Sainte Chapelle retrouve son éclat d’origine

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    Débutées en 2008, les opérations de restauration des vitraux de la Sainte Chapelle s’achèveront en décembre 2014. Dernière phase du travail des maîtres verriers, c’est au tour de la rose occidentale du XVe d’être restaurée. 

    Dernière étape de la restauration des vitraux de la Sainte Chapelle à Paris, la rose de l’apocalypse, chef d’oeuvre du XVe siècle, retrouve un nouvel éclat entre les mains des artisans d’Atelier Vitrail France au Mans.  » Les vitraux ont subi deux types de dégradations », explique Christophe Bottineau, architecte en chef des monuments historiques : « en face externe, c’est la pollution qui a abîmé les œuvres tandis qu’en face interne, les grisailles – motifs réalisés dans le verre avant qu’il ne soit recuit – ont parfois été abîmées par le ruissellement dû à la condensation ». Afin de retrouver le lustre d’origine, chaque panneau est donc déposé puis nettoyé. «Une fois le plan du sertissage en plomb d’origine relevé, les vitraux sont dessertis», commente Emmanuel Putanier, dirigeant des ateliers. C’est ensuite un travail au cas par cas qui est réalisé. 

    Depuis le XVe siècle, plusieurs opérations de restauration ont eu lieu. Les vitraux ont parfois été remplacés par d’autres sans rapport avec le tableau d’ensemble ou des badigeons ont été utilisés pour assombrir les couleurs jugés trop vives et chatoyantes en fonction des époques. «Ce qui prime aujourd’hui c’est bien la lecture de la scène dans son ensemble», indique Philippe Bottineau avant de préciser que les éléments à conserver, à remplacer ou à restaurer font à chaque fois l’objet d’un arbitrage par un comité d’experts. 

    Protéger les vitraux 

    Les vitraux cassés sont ainsi réparés soit à la résine si la casse est nette, soit au cuivre si les bords sont altérés. Des éléments neufs peuvent être introduits pour restaurer la lisibilité de l’ensemble. Ces opérations nécessitent 1,5 jours par panneau avant son sertissage au plomb. «L’opération s’effectue avec un profilé en H sur mesure », précise Emmanuel Putanier. Une fois terminé, chaque panneau est ensuite installé dans un cadre équipé de vergettes en laiton qui le rigidifient et éviteront son affaissement dans le temps. 

    Dès qu’ils sonts prêts à être réinstallés dans leur emplacement d’origine, les panneaux partent sous haute sécurité pour la Sainte Chapelle, où une double verrière a été mise en place, afin de les protéger à l’avenir. La double verrière permettra de créer une lame d’air entre les vitraux restaurés et le vitrage de protection. En cas d’humidité importante dans l’édifice, celle-ci condensera sur le vitrage extérieur ce qui protégera les vitraux. Une étude sur le traitement de l’air vient par ailleurs de commencer afin de pouvoir continuer à accueillir plus d’un million de visiteurs par an, sans dégrader l’édifice. A plus long terme, de nouveaux aménagements sont prévus afin de relier la Sainte Chapelle à la conciergerie, en utilisant les locaux existant en sous-sol qui pourraient être transformés en galerie, une fois que le tribunal de grande instance aura déménagé.  

    Restauration de la rose de la Sainte-Chapelle  

    La campagne de restauration des verrières de la Sainte-Chapelle de Paris, engagée depuis 2008 par le Centre des Monuments Nationaux et financée pour moitié par les Fondations Velux, s’achèvera en décembre prochain avec la repose de la Rose de l’Apocalypse sur la façade occidentale. Avant elle, plusieurs grandes campagnes de restauration avaient déjà été menées sur ces vitraux. La première, au XIXe siècle, concerna l’ensemble de l’édifice endommagé par les incendies de 1630 et 1776 puis par la Révolution. La seconde, initiée en 1970 sur la rose occidentale et les verrières de la façade sud, fut poursuivie dans l’abside en 1999-2002 puis en 2007. Depuis 2008, l’ensemble des quatre verrières de la façade nord est pour majorité restauré dans les ateliers chartrains de Claire Babet. Deux sont déjà réinstallées tandis qu’une est en cours de repose et la dernière encore en restauration. Pour la rose composée de 136 panneaux, c’est l’Atelier VitrailFrance dirigé par Emmanuel Putanier, au Mans, qui a été retenu. 

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    1. Dépose des vitraux  Photo : Atelier VitrailFrance 

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    2. Nettoyage des vitraux Photo : Atelier VitrailFrance  

    A la différence des 15 verrières des façades nord et sud et de l’abside, la rose n’est pas conservée dans son état initial du XIIIe siècle mais a été refaite au XVe siècle en style flamboyant puis, comme toutes, très abîmées et partiellement détruites après la Révolution, largement remaniée au XIXe siècle. C’est ce dernier état - préservé par la dépose complète des vitraux lors des deux dernières guerres mondiales - qui sert de référence à la restauration menée par l’atelier manceau. L’ordre des panneaux du XVe siècle, bien que visible dans une des miniatures des Très riches heures du Duc de Berry, reste trop méconnu. Les éléments à conserver, remplacer ou restaurer, afin de retrouver la plus grande lisibilité possible de l’œuvre, sont individuellement soumis à l’arbitrage d’un collège d’experts puis débattus en Commission Supérieure des Monuments Historiques. 

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    3. Dessertissage Photo : Atelier VitrailFrance 

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    4. Montage Photo : Atelier VitrailFrance 

    Les différentes étapes de la restauration peuvent alors commencer. Aux dépôts laissés par les badigeons gris des artistes du XIXe, cherchant à assombrir et matifier des couleurs jugées trop éclatantes, s’ajoutent deux causes principales d’altération, la pollution extérieure et la condensation intérieure. Il s’agit alors de nettoyer chacun des panneaux (ill. 2) puis de les dessertir (ill. 3) pour débarrasser les différents fragments des anciens plombs de casse et procéder au collage des verres ou aux comblements à la résine de façon réversible. Les grisailles qui le nécessitent sont ponctuellement retouchées ou restituées sur un verre de doublage neuf appliqué sur le verre ancien. L’ensemble des fragments est alors remis en plomb selon le gabarit initial des panneaux (ill. 4) et installé dans un cadre équipé de vergettes en laiton qui le rigidifient et éviteront son affaissement dans le temps. 
      

    Pour pérenniser ce travail de restauration, les vitraux, lorsqu’ils seront réinstallés à la Sainte-Chapelle, la première semaine de décembre, seront protégés par un système de verrière de doublage. Ce procédé de conservation préventive a été inventé par Hervé Debitus pour cet édifice, les verrières de la façade nord et de l’abside en bénéficient déjà. Il consiste à doubler chaque vitrail en face externe par une protection de verre thermoformé épousant les moindres irrégularités de la surface de celui-ci. Les dépôts créés par la pollution tout comme la condensation intérieure, qui se fixe désormais sur la face interne du doublage, n’ont alors plus prise sur le verre ancien. Cette opération, non programmée pour le moment, restera à conduire sur les 4 baies sud de la Sainte-Chapelle qui, restaurées dans les années 1970, n’en bénéficient pas. A plus long terme encore, de nouveaux aménagements sont envisagés afin de redonner une vision d’ensemble au palais de la Cité. Il s’agirait de relier la Sainte-Chapelle à la Conciergerie par la galerie souterraine existante une fois que le Palais de justice de Paris aura déménagé.  u

  • Où va l’Europe ? • Par François Reloujac *

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    L’actualité européenne de ce mois de novembre a été riche en rebondissements. Petit tour d’horizon des psychodrames qui ont secoué l’Europe économique et des révélations de la presse sur les pratiques fiscales du Luxembourg. 

    Dans le courant du mois de novembre, avant que le pape François ne vienne rendre visite au Parlement de Strasbourg, plusieurs psychodrames ont secoué l’Europe économique. Ce fut d’abord des divergences entre les membres du Conseil des gouverneurs des banques centrales européennes et des difficultés à constituer la nouvelle Commission européenne. Ce fut ensuite un scandale fiscal atteignant le président de ladite Commission et la mise en accusation de l’économie européenne par le G20 ! 

     

    Revenons d’abord sur les divergences qui ont éclaté au grand jour entre les représentants des états du Sud et ceux de l’Europe du Nord. Les uns ont absolument besoin de souplesse monétaire pour relancer leur économie ; les autres sont irréductiblement attachés à un « euro fort » qui leur permet d’engranger des bénéfices importants dans la conjoncture actuelle. Dans sa dernière intervention publique du mois de novembre, Mario Draghi a insisté sur le fait que le Conseil des gouverneurs des banques centrales européennes avait décidé, à l’unanimité, d’autoriser la BCE à augmenter le total de son bilan en « monétisant » les dettes publiques. Mais il a oublié de préciser que, malgré cet accord de principe, il devrait solliciter une nouvelle autorisation chaque fois qu’il voudrait passer à l’acte. 

     

     

    Démantèlement des règles ?

     

    Que doit-on en penser de cette façon d’agir ? Qu’elle permet à chacun de sauver la face dans un monde hyper-médiatisé ? Peut-être, mais on peut aussi considérer que la BCE anticipe la fin de la politique de « quantitative easing » (« assouplissement quantitatif »), actuellement pratiquée par la Banque fédérale américaine. Dès lors, pour soutenir les marchés financiers internationaux – dont chacun sait maintenant qu’ils sont devenus plus importants que tout le reste du fonctionnement de l’économie, car ils conditionnent tout à la fois le montant des intérêts payés par les états surendettés et les profits des multinationales –, elle devrait se lancer dans une « politique non conventionnelle »… ainsi appelée parce qu’aucun économiste n’en a jamais imaginé les conséquences pratiques, surtout à moyen terme !

     

    Lorsque, dans le cadre du G20, on répète ad nauseam la nécessité – notamment pour la France – d’engager un programme ambitieux de « réformes structurelles », cela signifie en réalité que l’on cherche à imposer le démantèlement des règles qui encadrent le marché du travail et à abandonner une politique sociale jugée « trop généreuse ». Ne nous y trompons pas. Il ne s’agit pas véritablement d’autoriser les états à desserrer le « carcan » social et fiscal souvent si contraignante pour la vie économique. Il s’agit d’abord de faire sauter les barrières qui empêchent les entreprises multinationales opérant en Europe – et surtout en France – de délocaliser leurs productions, devenues « localement » trop onéreuses. Ou de vendre les derniers joyaux qu’elles détiennent encore et qui ont une valeur sur les marchés internationaux.

     

     

    Une Commission européenne décrédibilisée

     

    A peine le président de la BCE avait-il obtenu l’unanimité du Conseil des gouverneurs des banques centrales en faveur de sa « politique non conventionnelle » que l’on « découvrait » que le nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, avait triché pendant plusieurs années. Du temps où il était ministre du Budget et Premier ministre du Luxembourg ainsi que Président de l’« Eurogroupe », Juncker a en effet utilisé une faculté des textes qu’il connaît bien – la « tax ruling » – pour détourner au profit de son petit état, et au détriment de ses partenaires, la manne venant des entreprises multinationales. 

     

    Sous prétexte de garantir à celles qui s’implantent dans le pays le montant des impôts qu’elles y paient, l’on négocie avec elles les avantages qu’on leur octroie. Une pratique qui permet aux multinationales de savoir à l’avance où « localiser » leur production afin de payer moins d’impôt. Pour cela, elles déplacent comptablement – et parfois uniquement virtuellement – une partie de leur production dans le pays qui « siphonne » ainsi des recettes qui normalement devraient revenir à un voisin. Ce dumping fiscal a deux avantages pour le pays qui le pratique : il augmente artificiellement le montant de son PIB – et donc la croissance affichée – et il lui permet d’obtenir de bonnes notes de la part des agences de notation dont chacun sait que les trois principales sont américaines. Partant, de faire baisser les taux d’intérêt sur les emprunts auxquels il peut être amené à recourir. Dans un régime de « monnaie unique », la seule façon pour les partenaires lésés de se défendre contre ce type d’agression est de pratiquer à leur tour un dumping fiscal ou social. Au total, cette guerre économique ne profite qu’aux multinationales qui peuvent déplacer sans difficulté leur production apparente d’un état à un autre. à l’inverse, pesant sur le budget des états, elle les pousse à recourir à l’emprunt, emprunt auquel l’entreprise multinationale qui a économisé sur le montant de ses impôts, peut souscrire. Tout avantage fiscal accordé par un état dont le budget est équilibré impose donc à tout pays endetté, s’il veut rester compétitif, de démanteler son propre système de protection sociale.

     

    En imposant Jean-Claude Juncker à la tête de l’Union européenne, Angela Merkel a-t-elle promu un nouveau Vidocq ministre de la police – économique ! – ou a-t-elle confié les clés de la cave à un alcoolique notoire ? L’avenir le dira. Quoi qu’il en soit, l’on remarque que les principaux bénéficiaires de ce que l’on appelle désormais le « Luxleaks » sont des sociétés qui ont pour nom Google, Amazon, Microsoft ou encore Apple. 

     

    En mettant en avant les avantages obtenus par quelques banques françaises, les médias ne sont-ils pas en train de montrer des arbres soigneusement choisis pour cacher la forêt ? On peut d’autant plus se poser la question que l’enquête sur les paradis fiscaux qui a abouti à la dénonciation du Luxembourg – mais aussi dans une moindre mesure, de l’Irlande – a été établie par le réseau intitulé « Tax Justice Network »… qui ne fait figurer dans sa liste aucun état américain !  

     

     

    * Politique magazine

  • Une étude magistrale sur l’effacement du politique : Le Suicide français d' Éric Zemmour, par Danièle Masson

    A9R54B0.jpgL'envoi de décembre du Réseau Regain* nous a apporté deux excellents articles de Danièle Masson à propos du Suicide français. Le premier d'entre eux - déjà publié ici-même** jeudi dernier 4 décembre - traite de Zemmour face à la doxa et aux médias. Et voici le second qui analyse le livre lui-même.  Nous ne disons pas qu'il s'agit d'un ouvrage indépassable mais qu'il porte, par delà Gauche et Droite, une très forte et très globale critique du Système en tant que tel et la fait connaître - et / ou partager - à des centaines de milliers de Français. Nous ne saurions nous en désintéresser ou ne pas nous en féliciter. Pour le reste, nous recommandons de suivre les publications du Réseau Regain, où sont traités bien d'autres sujets.  ♦  Lafautearousseau

     

    4588019.jpgZemmour ouvre son livre sur « la France, homme malade de l’Europe », et l’achève par l’issue fatale : « la France se meurt, la France est morte ». Il est pourtant tonique, ce livre. Peut-être parce que, quand on est venu à bout de ces 527 pages de réflexion foisonnante qui, pour raconter « les quarante Piteuses », se nourrit de tout, cinéma, séries télévisées, chansons, foot, avec des embardées volontaires dans l’histoire et dans l’actualité, on saisit avec lui, grâce à lui, le fil rouge, le fil d’Ariane qui relie des événements que nous avons vécus éclatés, sans toujours en comprendre la cohérence. 

    Et cette compréhension est le choc qui provoque le sursaut. Zemmour n’est pas de ceux qui déplorent les effets, dont ils chérissent les causes. Posant un diagnostic, il remonte aux causes, et passe à d’autres le relais, leur donnant les armes du redressement et de la renaissance. 

    La mort du père

    L’avant-dernière page concentre le diagnostic : « Nous avons aboli les frontières, nous avons renoncé à notre souveraineté, nos élites politiques ont interdit à l’Europe de se référer à ses racines chrétiennes. Cette triple apostasie a détruit le pacte millénaire de la France avec son histoire ».

     

    C’est donc avec elle qu’il faut renouer. Il n’est pas indifférent qu’il dédie son livre à son père, qu’il ait choisi pour son premier chapitre le mot d’un révolutionnaire : « l’histoire n’est pas notre code », et pour son dernier un verset d’Ezéchiel : « Les pères ont mangé des raisins trop verts, les dents des enfants ont été agacées ».

     

    Zemmour n’est pas essentiellement polémiste, il est historien et quand l’histoire prend des allures apocalyptiques, il use du vocabulaire théologique : l’apostasie n’est pas un simple reniement, mais l’abandon public d’une religion inhérente à un être ou une nation, au profit d’une autre.

     

    On peut s’étonner, et se scandaliser, qu’il ouvre son livre sur « la mort du père de la nation » c’est-à-dire, pour lui, la mort de De Gaulle, et qu’il écrive avec Philippe Muray, « De Gaulle a été le dernier père, et après lui viendrait le temps des papas-poussettes ». De Gaulle parjure ? Zemmour justifie le nécessaire machiavélisme du prince. Pour lui «De Gaulle était émule de Machiavel et de Richelieu : il ne connaissait que les rapports entre États, les souverainetés nationales et la Realpolitik. Il ignorait les régimes et ne faisait pas de morale au nom des droits de l’homme ».

     

    Provocateur sans doute, mais cette provocation-là ne lui sera pas reprochée par les médias, il écrit : « De Gaulle est un enfant de Maurras […] héritier des maurrassiens anticolonisateurs du XIXe siècle qui n’ont jamais cru aux mythes émancipateurs de la gauche colonisatrice ». Sa volonté d’indépendance le poussa à quitter l'OTAN, à se libérer du « protectorat américain » et « à se lancer dans une politique d’alliances tous azimuts, avec l'URSS, l'Europe de l'Est (Roumanie), jusqu'en Amérique du Sud (« Mexicanos con francos mano en la mano ») ou en Amérique du Nord (« Vive le Québec libre»). Ce fut le sommet de la volonté gaullienne d’indépendance nationale. » Zemmour y voit une mise en œuvre tardive de la « France seule » chère à Charles Maurras, qui n'eut guère de lendemain.

     

    Je sais bien que certains lecteurs arrêteront là leur lecture. Mais cet aspect de sa pensée est si essentiel qu’on ne peut l’occulter. Quand il cite De Gaulle: « Il y a d’abord la France, ensuite l’État, enfin le droit », c’est pour illustrer ce renversement, cette « pyramide retournée – d’abord le droit, ensuite l‘État, enfin la France », que constitua, en 1971 et 1974, « la révolution des juges», qui soumit toute loi nouvelle au bon vouloir du Conseil Constitutionnel : « la politique était saisie par le droit qui ne la lâcherait plus ».

     

    A ce renversement contribua, en 1972, la loi Pleven qui, en élargissant démesurément la notion de « discrimination », supprima la liberté d’expression, et dont la descendance se retrouve dans les lois Gayssot, Taubira, Perben : « la loi donne au juge le droit et le devoir de sonder les cœurs et les âmes, de faire l’archéologie des pensées et des arrière-pensées ». À l’époque d’une immigration maghrébine massive, la loi Pleven annonçait « la dissolution programmée de la nation dans un magma planétaire ». 

     

    Dessaisissement du politique

     

    Les traités européens, de 1992 à 2007, ont accéléré ce dessaisissement par l’État du politique : « La construction européenne s’éleva comme un mur entre une représentation sans pouvoir (les gouvernements des États) et un pouvoir sans représentation (les technocrates, les juges et les lobbies à Bruxelles) ». Cette désappropriation, Zemmour la traque dans les mots : « gouvernance », empruntée au vocabulaire des entreprises, est préférée à « gouvernement », « responsabilités  » à « pouvoir ». Il illustre son propos par les priorités de Chirac en 2002: « la lutte contre le cancer, l’insécurité routière et l’insertion des handicapés : des objectifs dignes d’un président de Conseil général ».

     

    Les vrais gouvernants ne sont plus les chefs d’État : « le commissaire, le juge et le banquier revêtirent la pourpre des cardinaux ».

     

    Zemmour, amoureux de la France qu’il a reçue comme un don plus que comme un héritage – il est juif berbère – constate qu’elle n’est plus maîtresse d’elle-même. La liberté totale, à l’intérieur de l’Union européenne, des mouvements de capitaux, de marchandises et d’hommes signe l’effacement de la France : « Américanisation et libéralisation sont les deux mamelles du monde qui s’annonce. L’Europe en est le cheval de Troie ». Chaque étape de la « construction européenne » entraîne la suivante en un engrenage infernal : du marché commun au marché unique, à la monnaie unique, aux règles budgétaires communes.

     

  • Crise des migrants : « L'espace Schengen n'existe plus »

     

    Pour le Figaro, une analyse de Gérard-François Dumont, président de la revue Population & Avenir.

    Une analyse qui, par delà un avis autorisé sur le phénomène migratoire en cours, ne manque pas de mette en cause les options géopolitiques des nations européennes ou dites occidentales au cours des dernières années. LFAR

     

    LE FIGARO - Face à l'arrivée ininterrompue de migrants par train, l'Allemagne a décidé de suspendre le trafic ferroviaire en provenance de l'Autriche, et de renforcer les contrôles aux frontières. La République tchèque a annoncé un renforcement similaire de ses frontières avec l'Autriche. Comment interprétez-vous ces décisions ?

    Gérard-François DUMONT - Les événements qui se déroulent correspondent à l'une des dix lois de géopolitique des populations que j'ai désigné « loi du nombre »*: lorsque le nombre de demandeurs d'asile n'était pas fort différent des années précédentes, les procédures prévues se mettaient en œuvre sans difficulté majeure. Lorsque la pression du nombre devient considérable, la nature du phénomène change de nature et la situation devient difficilement gérable, même pour un pays comme l'Allemagne qui a exprimé la volonté initiale de recevoir de nombreux demandeurs d'asile et d'en financer les conséquences.

    Quand l'Allemagne a décidé fin août de suspendre les accords de Dublin (aux termes desquels toute demande d'asile doit être faite dans le premier pays européen où la personne pose le pied) uniquement pour les personnes en provenance de Syrie, aucun autre pays européen, pas même la France, n'a suivi. L'Allemagne s'est donc retrouvée seule et l'est encore à ce jour. Comme les autres pays européens ne sont pas inscrits dans son sillage, l'appel d'air sur l'Allemagne, plus particulièrement sur les Länder les plus proches de l'Autriche et donc de la Hongrie, c'est-à-dire des pays où débouchent la route des Balkans, s'en trouve considérablement accru.

    On peut se demander si l'Allemagne n'a pas confondu des modalités de gestion fédérale avec celle de l'Union européenne. Après la fin du rideau de fer en 1989, l'Allemagne a accueilli des centaines de milliers de «rapatriés tardifs» (Spätaussiedler), c'est-à-dire de personnes considérées de souche allemande au titre de la Loi fondamentale de 1949, mais vivant auparavant en URSS. Berlin a organisé une répartition démographique entre les Länder. En 2015, a-t-elle pensé mettre en œuvre le même procédé entre les États de l'Union européenne qui n'est pourtant pas une fédération ?

    Alors qu'une réunion d'urgence des ministres de l'Intérieur et de la Justice européens doit se tenir ce lundi à Bruxelles, l'Allemagne cherche-t-elle à exercer une forme de pression sur ses voisins qui, comme la Pologne, la Slovaquie ou la République tchèque, ne veulent pas appliquer le système des quotas ?

    Cette décision n'est pas le fait du hasard dans la mesure où elle aurait pu aussi être prise quelques jours auparavant, puisque la montée de la pression migratoire était prévisible. Mais l'Allemagne se trouve surtout prise par l'urgence, en difficulté de faire face à cette loi du nombre, comme l'a exposé le maire de Munich le 13 septembre.

    Que peut-on attendre de la réunion d'urgence à Bruxelles ?

    Trois scénarios sont possibles. Soit des déclarations d'intention pour donner l'impression qu'une solution est apportée à la crise des migrants, avec une répartition affichée des migrants, dont la mise en œuvre risque d'être aléatoire, car tout probablement contournée par certains gouvernements ou par les migrants eux-mêmes qui souhaitent se diriger là où ils peuvent disposer d'un meilleur réseau ou de meilleures chances d'accueil et de revenus. Soit des annonces signifiant que l'on partage l'émotion ressentie depuis la diffusion de la photo de ce pauvre garçon syrien mais qui, en réalité, renvoient à une prochaine réunion. Troisième scénario, l'échec: il acterait que les voies suivies par les autorités de Bruxelles depuis des mois sont inadaptées, soit ne rien dire aux pays membres qui ne respectent pas les modalités des accords de Schengen, vouloir répartir les humains comme des marchandises, et ne pas s'attaquer aux causes des exodes et des mouvements migratoires.

    Faudrait-il alors un « Schengen 2 », comme l'évoquait Nicolas Sarkozy au Touquet ce week-end ?

    Dans les faits, tous les événements qui se sont déroulés ces derniers mois aux frontières internes comme aux frontières extérieures de l'espace Schengen, montrent que le « Schengen 1 » ne fonctionne plus. Nous sommes déjà dans un « Schengen 2 », mais avec les règles nullement définies, d'où des décisions divergentes des États de l'Union européenne ou de membres de l'espace Schengen non membres de l'Union européenne, comme la Suisse.

    Comment voyez-vous les semaines et les mois à venir?

    Cela fait longtemps que j'ai annoncé la montée en flèche des migrations en Europe, dans la mesure où elles sont notamment le résultat direct d'événements géopolitiques se déroulant depuis 2011 et du manque d'anticipation des pays européens, notamment dans la zone syrienne et la zone libyenne, où aucune solution politique ne se dessine. La guerre civile syrienne est très particulière, non seulement du fait de la présence de l'État islamique, mais en raison de la pluralité des groupes militaires qui s'opposent. L'exode ne semble pas devoir s'arrêter, d'autant qu'il s'est trouvé amplifié par l'absence de réaction face à l'offensive de l'État islamique sur Palmyre. En outre, parmi les premiers pays d'asile, la Turquie d'Erdogan ne fait guère - c'est un euphémisme - pour faciliter une solution politique et ne décourage en rien le départ des Syriens vers d'autres destinations, comme si elle voulait contribuer à gêner, voire à déstabiliser l'Union européenne. 

    Gérard-François DUMONT, professeur à la Sorbonne et président de la revue Population & Avenir. 

    *Démographie politique. Les lois de la géopolitique des populations, Paris, Ellipses.

  • ÉDUCATION : QUELLE PLACE POUR L'ÉTAT ?

    On doit au marquis de Condorcet l'invention de la matrice de l'Éducation nationale actuelle.

     

    PAR JEAN-BAPTISTE DONNIER

     

    J.B. DONNIER 1.JPGMYTHES ET MENSONGES... L'invocation incantatoire des « enfants de la République » ne pourra empêcher indéfiniment de poser la question de la mission éducative de l'État. Appartient-il à l'État d'éduquer les enfants ?.La question devra un jour être posée sérieusement dans le débat politique.

    La situation de tout ce qui relève de ce que Claude Allègre avait si justement nommé le « mammouth » de l'Éducation nationale est tellement catastrophique qu'elle ne peut plus être occultée ; la réalité est là, palpable, mesurable, visible. Gabegie budgétaire, naufrage intellectuel, féo-dalisation de l'appareil bureaucratique, le bateau ivre de la rue de Grenelle ressemble de plus en plus au Gosplan de la fin de l'époque soviétique. Mais, plus encore que les marques de la déréliction qui finissent par affecter toutes les créatures plus ou moins monstrueuses, c'est surtout le mensonge institutionnalisé qui rapproche le « mammouth » de son frère siamois soviétique. À l'instar du Gosplan annonçant régulièrement des chiffres mirobolants de production de biens que personne n'a jamais vus, l'administration de l'Éducation nationale publie chaque année des résultats tout aussi mirobolants d'un baccalauréat dont il n'est plus possible de feindre de croire qu'il signifie encore quelque chose. La machine, devenue folle, ne produit plus que sa propre justification.

    UN FORMIDABLE OUTIL DE MANIPULATION

    Ce constat, que chacun peut faire et qui n'est plus sérieusement contesté, est le résultat somme toute naturel d'une histoire singulière. L'Éducation nationale imaginée par Condorcet sous la Terreur, rendue possible par Bonaparte et instrumentalisée par les différents pouvoirs qui y ont vu un formidable outil de manipulation des consciences, constitue dès son origine un projet contre-nature. Il tend à arracher l'enfant aux liens naturels de la famille qui l'a fait naître pour en faire le citoyen d'un État considéré comme la seule réalité sociale. L'éducation se trouve de la sorte artificiellement séparée de la génération pour être confiée à l'État qui, de ce fait, se veut le véritable « géniteur » des enfants qu'il prétend éduquer ; le mythe des « enfants de la République », auquel se réfèrent à l'envie les ministricules du moment, est en parfaite cohérence avec le projet même d'Éducation nationale. Mais ce projet, étant contraire à la nature des choses, nécessite des moyens toujours plus considérables pour pouvoir plier la réalité à l'idéologie, sans jamais y parvenir entièrement car, totalitaire dans son essence, l'Éducation nationale est en pratique marquée par une contradiction qui la mine.

    La visée initiale du projet éducatif révolutionnaire, mis en place par la Convention et institutionnalisé par Bonaparte, s'est voulue émancipatrice. Il s'agissait d'arracher l'enfant, à travers sa famille, à l'emprise de la religion catholique pour le « libérer » et lui permettre de devenir le citoyen autonome d'un État prétendant tirer sa légitimité du Peuple. Or, ce faisant, l'État « éducateur » impose une conception de la place de la religion dans la vie humaine qui est nécessairement une conception religieuse. La « laïcité » de l'enseignement, proclamée dès l'origine et définitivement instaurée à partir de la IIIème République, n'est rien d'autre qu'une forme de religion paradoxale qui entend exercer une sorte de magistère supérieur sur les dogmes des autres religions et juger de leur compatibilité ou non avec les « valeurs de la République ». De même qu'elle s'est appropriée les lieux où est célébré un culte qu'elle ne reconnaît pas, la République s'est emparée de l'éducation pour y imposer sa propre conception de la religion sous couvert de l'affranchissement de toute religion. Il y a là une contradiction interne qui a pu, par des ambiguïtés réciproques, s'accommoder du christianisme, mais qui explose littéralement dès lors que le système se trouve confronté à un islam de masse pour lequel la notion de « laïcité » est totalement étrangère et n'est susceptible, dès lors, d'aucune interprétation ambiguë qui rendrait possible une forme de modus vivendi. 

    REDÉFINIR LE RÔLE DE L'ÉTAT DANS L'ÉDUCATION 

    Cette contradiction pourrait bien être fatale au projet républicain d'Éducation nationale et rendre ainsi possible une redéfinition du rôle de l'État en matière éducative, car elle manifeste, pour la première fois sans doute de manière aussi nette, la vanité politique de ce projet. Ce qui a assuré la pérennité de la prétention éducative de l'État depuis la Révolution est l'idée qu'il est possible par l'école de former des « citoyens » qui adhèrent, dans leur ensemble, à des « valeurs » fondatrices, qui ont pu varier selon les régimes, mais sans lesquelles l'État moderne, coupé de toute transcendance religieuse, ne saurait subsister. Toutes les luttes pour la maîtrise de l'Université napoléonienne qui ont émaillé le xixe siècle jusqu'à la victoire finale des républicains, s'expliquent par cette conviction partagée par tous. Or, l'Éducation nationale ne répond plus, aujourd'hui, à cet objectif qui, depuis l'origine, en constituait la véritable raison d'être. Mettant en évidence ce changement majeur, le Figaro titrait récemment, à propos des difficultés de mise en oeuvre des mesures éducatives annoncées après les attentats du début de l'année : « Éducation : les leçons oubliées du n janvier ». L'outil est cassé. L'instrument d'endoctrinement par lequel les régimes successifs ont cru, depuis la Révolution, pouvoir se rendre acceptables, ne fonctionne plus. La République ne parvient plus à imposer ses « valeurs » à l'école qui n'est plus, selon la formule de François-Xavier Bellamy, que le lieu du « choc des incultures ».

    Dans ces conditions, il est peut-être enfin permis d'espérer que, n'y trouvant plus d'intérêt pour sa propre conservation, l'État ou plutôt ceux qui s'en sont emparés, en viennent à se désintéresser de l'école, ouvrant la voie à une lente libération d'une emprise qui menace d'engloutir, comme 'dans un trou noir, la nation tout entière. Cette libération ne serait cependant pas sans dangers. Le premier qui vient à l'esprit est évidemment le risque de voir d'autres pouvoirs prendre la place désertée par l'État à des fins qui risqueraient de mettre gravement en péril la cohésion nationale. Mais il en est un autre, plus sournois 'mais au fond sans doute plus inquiétant. L'emprise étatique sur l'ensemble des « personnels de l'Éducation nationale », y compris dans les établissements privés et jusque dans les universités, a créé une forme de servitude volontaire qui risque de laisser désemparés bien des professeurs qui ont pris l'habitude de tout recevoir d'une Administration omniprésente, de leur traitement au contenu de leur enseignement ou à l'organisation interne de leurs établissements. Soljénitsyne nous a appris qu'on ne sort des révolutions que par une lente convalescence ; peut-être est-il temps de commencer la nôtre en refaisant de nos écoles, de nos collèges et de nos universités des lieux d'apprentissage d'une liberté recouvrée. •

     

  • Le miracle marocain : « Un roi, sinon rien » par Frédéric Rouvillois, (L'Action française 2000)

    Entretien entre le roi Mohamed VI et le prince Jean de France au palais royal de Tétouan (juillet 2003).

     

    frederic-rouvillois.jpgLa monarchie est la clef du miracle marocain, comme l’explique en substance Jean-Claude Martinez, dans un petit livre à paraître le mois prochain, où l’auteur souligne les bienfaits d’un roi « stabilisateur », ayant notamment préservé son pays des vents violents du Printemps arabe. 

    Il n’y a pas de miracle en politique. En revanche, il y a des exceptions, c’est-à-dire des situations singulières, mais explicables, dès lors que, contrairement aux miracles, elles ont des causes. Tel est le cas de ce que l’on a pris l’habitude, depuis quatre ans, d’appeler “l’exception marocaine”. Car, de fait, il s’agit bien d’une exception. Début 2011, alors que des autocraties que chacun pensait indéracinables, en Égypte et en Tunisie, s’effondrent en quelques heures au grand vent du Printemps arabe, le Maroc ploie sans rompre, et profite même de l’occasion pour accélérer le train de ses réformes et donner un coup de jeune à son organisation constitutionnelle. De même, à l’automne 2011, lorsque les islamistes du PJD (Parti de la justice et du développement) remportent les élections législatives et se trouvent propulsés à la tête du gouvernement, le royaume ne connaît ni les troubles suscités en Tunisie ou en Égypte par la victoire d’Ennahdha et des Frères musulmans, ni, a fortiori, l’abominable guerre civile qui ensanglanta l’Algérie durant des années après le triomphe du FIS (Front islamique du salut) en 1991. Au lieu de cela, on assiste à une tranquille passation de pouvoirs, selon « une procédure dont la modestie sciemment organisée a voulu symboliquement montrer qu’il n’y avait là qu’un cours ordinaire des choses, enlevant aux résultats des élections toute dimension de révolution », comme le souligne Jean-Claude Martinez dans un ouvrage publié au lendemain de l’attentat de Tunis, Le Roi stabilisateur.

    Le tournant de la modernité

    Dans cet essai au titre significatif, l’auteur, ex-député européen mais aussi ancien directeur des études de l’ENA du Maroc, entend précisément répondre à la question évoquée plus haut : cette (étonnante) exception marocaine, quelles peuvent en être les causes ? Et pour Jean-Claude Martinez, une réponse s’impose, de toute évidence : c’est la présence d’un roi. D’une monarchie qui, après avoir construit le Maroc au cours d’une histoire millénaire, lui permet aujourd’hui de prendre, de façon prudente mais résolue, le tournant de la modernité. Sans l’institution monarchique, assure Martinez, le pays s’effondrerait du jour au lendemain : « Il n’est pas besoin d’être grand futurologue pour savoir ce qu’il adviendrait en moins de cent jours si une chimère politique, issue d’un nouveau printemps, remplaçait des siècles de stabilité alaouite par quelques semaines d’aventure démocratico-participative, à l’égyptienne d’hier sinon à l’irakienne de maintenant. »

    Le commandeur des croyants

    Le propos de de l’ouvrage est d’abord d’éclairer en quoi, et comment, le roi du Maroc produit un tel effet. Un effet que Martinez attribue en premier lieu à sa double dimension temporelle et spirituelle – naguère affirmée dans le fameux article 19 de la constitution, qui fut, pendant des décennies, la bête noire des progressistes –, et qui demeure, selon lui, la grande force du système. Sur un plan spirituel, le monarque est qualifié d’amir al-mouminine, commandeur des croyants, un titre que même le roi d’Arabie saoudite, “gardien des deux saintes mosquées”, ne lui discute pas. En tant que tel, le monarque marocain se trouve en mesure de promouvoir une lecture modérée de l’islam, celle que propose le rite malékite – et, ce faisant, de s’opposer de façon crédible, aux yeux des musulmans eux-mêmes, aux entreprises des fondamentalistes. Il constitue par conséquent un indispensable « stabilisateur religieux » et, de nos jours, un contrepoids capital à « la fascination du Califat ». Mais cette fonction permet aussi au roi d’être un « stabilisateur social » – comme il le montra au début des années 2000 en imposant, contre une approche intégriste, une vision relativement ouverte et libérale de la condition féminine – et un « stabilisateur politique », ou géopolitique, dans une région aussi stratégique pour l’Afrique que pour l’Europe. En tant que roi, ancrant sa légitimité dans la tradition et dans l’histoire, et non dans le hasard de volontés changeantes et plus ou moins contraintes, il bénéficie du consensus et de la durée. Peu importe son âge, le roi sait qu’il n’est qu’un passeur, et qu’après lui, son fils lui succédera comme lui-même a succédé à son père. Ce qui lui « permet d’attendre et de voir venir ce qui est en marche inéluctablement » : par exemple, dans cette région, le jour sombre où, vers la fin des années 2030, l’Algérie, ayant définitivement épuisé ses réserves d’hydrocarbures, se réveillera à la fois ruinée, révoltée et surpeuplée, et deviendra quelque chose comme une bombe à fragmentation accrochée au flanc Sud de l’Europe. « C’est ce maelström d’agitation et de manipulation que le roi, bénéficiaire de la durée, peut », mais peut seul, tenter de « stabiliser ».

    Le Maroc, un verrou migratoire

    Cependant, Jean-Claude Martinez, s’il est universitaire, est aussi et d’abord un politique. À ce titre, il ne se contente pas d’expliquer les causes de l’exception marocaine. Il souligne, à l’attention de la France et de l’Europe, à quel point ce Maroc équilibré et équilbrant leur est objectivement nécessaire. Et combien il serait périlleux de faire mine de ne pas le comprendre, au nom d’intérêts médiocres ou de lubies idéologiques. Stabilisateur, le Maroc l’est en particulier en tant que « verrou migratoire », « garde-frontières » entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe de l’Ouest : c’est pourquoi « la politique européenne de voisinage, en Méditerranée ne repose plus pour l’essentiel que sur ce pays et sa stabilité, et donc, sur sa royauté qui la garantit. Que l’on déstabilise celle-ci [...] et toute la Méditerranée [...] accélère son déversement. » Que l’on prête la main à de telles folies, et ce sont, aux portes de l’Europe, mille Lampedusa qui risquent de fleurir, d’innombrables “camps des saints” qui se multiplient sans que personne soit en mesure de les gérer jusqu’à la catastrophe ultime.

    Et c’est sans doute l’une des grandes leçons de ce précieux petit livre : que la France a, plus que jamais, intérêt à soigner cet allié de toujours. Et qu’elle doit se souvenir que, dans certains cas, la loyauté est la plus payante et la plus raisonnable des politiques. 

    Jean-Claude Martinez, Le Roi stabilisateur, Jean-Cyrille Godefroy, à paraître le 7 mai 2015, 233 p., 15 euros. 

     

    L’Action Française 2000, 16 avril 2015

     

  • Comment l'antiracisme empêche le débat sur le multiculturalisme ... Par Mathieu Bock-Côté *

     

    C'est la troisième fois que nous publions ici l'une des analyses que Matthieu Bock-Côté - figure de la vie intellectuelle québécoise - donne régulièrement dans Figarovox. C'est que nous nous trouvons de façon très générale en accord de fond avec ses réflexions et avec les conclusions auxquelles elles aboutissent. Dans le cas présent, il pointe dans l'extension indéfinie de la notion de racisme un danger pour la liberté d'expression. Nous partageons son point de vue. Lafautearousseau   

    XVMe1dc764e-e736-11e4-af66-70b5c9d20aa7-300x200.jpgLes attentats du 7 janvier n'ont finalement pas provoqué de grand réveil politique en France. La prise de conscience patriotique s'est vite dissipée, la haine de soi est revenue. On avait déjà remarqué que la lutte contre l'islamisme s'était transformée en lutte contre l'islamisme et l'islamophobie, comme s'il fallait équilibrer les maux à tout prix. L'islamisme a vite été laissé de côté: on a parlé du terrorisme en général, en évitant de le caractériser, pour éviter de stigmatiser. On avait aussi noté que la France s'était finalement reconnue responsable de la haine à son endroit d'une partie de la jeunesse immigrée en se déclarant coupable d'apartheid. 

    Le dispositif pénitentiel qui pousse à croire bien méritée la haine anti-occidentale fonctionne comme jamais. C'est à cette lumière qu'il faut comprendre l'offensive annoncée du gouvernement de Manuel Valls contre le « racisme.»

    L'époque se veut en lutte contre le racisme. On comprend naturellement pourquoi et cette lutte a sa part de légitimité. Mais on sait aussi qu'elle a été depuis un bon moment détournée. N'est-elle pas utilisée avec une légèreté déconcertante pour en finir avec un contradicteur gênant, pour l'expulser des médias, ou encore, pour censurer certaines analyses remettant en question la vision officielle et bucolique du vivre-ensemble multiculturel? L'accusation de racisme servira à marquer publiquement et à disqualifier définitivement un homme politique ou un intellectuel commentant avec trop de franchise les dégâts du multiculturalisme. Elle permettra aussi de reléguer dans les marges de l'espace public les défenseurs de l'identité nationale, toujours suspectés du pire.

    On pourrait parler d'une extension du domaine du racisme. Et quiconque jette un œil dans la sociologie antiraciste d'inspiration américaine en verra l'ampleur. Elle repose sur une thèse forte: la structure même des sociétés occidentales, serait raciste, en ce sens qu'elle institutionnaliserait, en les dissimulant sous le masque de l'universalisme, les avantages d'une majorité historique «blanche». La sociologie antiraciste parle alors de racisme universaliste. En France, on dénoncera par exemple les «mensonges» de l'égalité républicaine qui favoriserait de manière systémique les «Français de souche». Inversement, ceux qui distinguent entre les cultures et se demandent lesquelles sont compatibles sur un même territoire, et lesquelles ne le sont peut-être pas, tant elles sont différentes, seront accusés de racisme différentialiste.

    La sociologie antiraciste en arrive ainsi à conceptualiser une société raciste sans «racistes». Il suffirait toutefois de participer à sa reproduction pour se rendre coupable de racisme sans le savoir et sans même le vouloir. Celui qui refuse, par exemple, la discrimination positive, sera accusé de s'opposer à un mécanisme visant à corriger les inégalités structurelles causées par le racisme occidental. Celui qui, quant à lui, plaidera pour une réduction significative de l'immigration subira la même accusation: n'entend-il pas maintenir l'hégémonie d'un groupe ethnique majoritaire dans nos sociétés, alors qu'il faudrait plutôt le dépouiller de ses privilèges institutionnels et culturels? À terme, c'est la simple remise en question de la sociologie antiraciste qui sera assimilée au racisme. 

    Des pans de plus en plus grands de la réalité tombent sous l'accusation de racisme simplement à travers un jeu de définitions de plus en plus agressif.

    On aura compris que le racisme n'est aussi qu'à sens unique - il représente un système de domination qui pousse à l'exclusion et à la discrimination contre les minorités issues de l'immigration. Mais les minorités ne pourraient jamais s'en rendre coupable, et on refusera par exemple de prendre au sérieux le rap des banlieues où s'exprime pourtant la véritable haine raciale en France. La situation est presque loufoque. D'un côté, on étend sans cesse la définition du racisme pour continuer à combattre les sociétés occidentales en son nom, alors qu'il ne trouve plus d'échos que dans les marges les plus éloignées de la vie sociale, au point même d'être souvent dénoncé dans les partis qu'on dit «d'extrême-droite». De l'autre, on refusera de voir le racisme lorsqu'il s'exprime crument et brutalement chez certaines franges de la population immigrée. Au pire, il ne serait rien d'autre chez eux qu'un réflexe de défense.

    On comprend dès lors la portée de la législation qui s'en vient. 

    La dissidence devant le multiculturalisme était déjà psychiatrisée à travers la multiplication des phobies dépistées chez ses contradicteurs. Elle sera désormais potentiellement criminalisée. On devine ainsi ce que les associations antiracistes les plus zélés sauront faire de ces nouvelles dispositions juridiques. Ne faudrait-il pas plutôt remettre en question la sociologie antiraciste et plus largement, cette fâcheuse manie qui consiste à accuser les sociétés occidentales d'être historiquement coupables de crimes si abjects à l'endroit de la diversité qu'elles ne pourront les expier qu'en se convertissant au multiculturalisme. Chose certaine, la restriction de la liberté d'expression, ici, sert bien moins la lutte contre le racisme que la diabolisation de ceux qui ne croient pas les sociétés occidentales coupables d'exister. 

    * Mathieu Bock-Côté est sociologue. Il est chargé de cours à HEC Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal ainsi qu'à la radio de Radio-Canada. Il est l'auteur de plusieurs livres, parmi lesquels « Exercices politiques » (VLB, 2013), « Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois » (Boréal, 2012) et «L a dénationalisation tranquille: mémoire, identité et multiculturalisme dans le Québec post-référendaire » (Boréal, 2007). 

    Mathieu Bock-Côté FIGAROVOX

     

  • Une Union européenne en décomposition, par François Reloujac

     

    Il ne se passe pas un jour sans que les médias n’évoquent le « Grexit » (la sortie de la Grèce de l’euro), les tribulations du gouvernement français face à une Commission européenne qui la somme de respecter ses engagements financiers et la « politique non conventionnelle » suivie par la BCE. Le point commun à tous ces sujets ? La décomposition avancée de l’Europe. 

    Les débats autour de la situation en Grèce montrent à quel point l’absence de solidarité entre les états européens – assumée par les divers gouvernements et alimentée par les médias – est patente. On a beaucoup glosé sur le manque d’honnêteté des Grecs lorsqu’ils sont entrés dans la zone euro et sur la façon dont les partis successivement au pouvoir ont utilisé la monnaie unique en vertu de leurs intérêts partisans jusqu’au moment où le peuple s’est révolté, pour l’instant uniquement dans les urnes. On a beaucoup moins fait allusion aux décisions européennes qui ont nui (l’euro fort), ou nuisent encore (l’embargo russe décrété dans le cadre de la crise ukrainienne), à l’économie grecque. Mais depuis qu’un gouvernement improbable est sorti des urnes, menaçant l’establishment politique, l’Union européenne a décidé de jouer la politique du pire. Le 10 mars dernier, le commissaire Dijsselbloem déclarait ainsi cyniquement que « s’il y a une pression sur la liquidité de l’état grec, cela pourrait accélérer la mise en œuvre des réformes » imposées par la « Troïka », quoiqu’elles aient déjà montré leur nocivité absolue.  

    En fait la Commission européenne a peur. Peur que l’exemple grec ne devienne contagieux, à commencer par l’Espagne prochainement. Il faut donc, par tous les moyens, acculer le gouvernement Tsipras à l’échec. Tout le monde s’y met, hors de Grèce. Des chaînes de télévision qui rediffusent d’anciens reportages sur l’actuel ministre grec de l’économie en détournant le sens de ses positions. Jusqu’aux journaux les plus importants qui déforment sciemment les mesures proposées par le gouvernement grec, notamment pour lutter contre la fraude fiscale. Le but est toujours le même : déconsidérer ce gouvernement aux yeux de l’opinion publique européenne et pousser le pays vers la sortie de l’UE Même la Banque centrale européenne s’y est mise en imposant à la Grèce des mesures spéciales qui vont au-delà de ce que prévoit le respect des traités. 

    La « politique non conventionnelle » de la BCE 

    Et ce n’est pas uniquement vis-à-vis de la Grèce que la BCE trahit l’esprit des traités. En lançant son programme d’« assouplissement quantitatif », permettant aux banques centrales nationales de racheter, aux financiers qui les détiennent, les titres d’état déjà émis – ce qui leur permet d’en acquérir de nouveaux – elle détourne l’interdiction de financer les déficits publics. Or cette politique, censée relancer la croissance, risque de ne déboucher que sur une accélération de la spéculation financière. Ainsi, la Bundesbank, qui ne peut racheter que des titres publics allemands, n’en trouve pas sur le marché. Les banques qui les détiennent ne veulent pas s’en séparer. D’une part parce qu’elles n’ont pas besoin de liquidités supplémentaires pour financer de nouveaux emprunts allemands (l’Allemagne n’a pas l’intention de lancer autant de nouvelles émissions) et, d’autre part, parce qu’elles y perdraient : elles ne pourraient placer les liquidités obtenues et inutiles que sur les marchés financiers… à un taux négatif ! Alors, à quoi sert ce plan qui a peu de chances de casser le phénomène déflationniste qui s’amorce ? Certains observateurs, de plus en plus nombreux, se demandent si l’unique objectif de la BCE n’est pas de préparer les opérateurs financiers internationaux à affronter le risque d’une implosion de la monnaie unique. En poussant le cours de l’euro à la baisse, on répartit dans le temps les conséquences des moins-values sur les titres obligataires et on permet au détenteurs de titres à risques de moins-value de s’en défaire… tout en leur laissant la possibilité de conserver les titres (allemands ?) qui pourraient à l’inverse bénéficier à terme d’une plus-value. C’est bien pourquoi le plan mis en place par Mario Draghi, avec la bénédiction d’Angela Merkel, n’est pas un plan européen. Il est un plan commun à tous les pays européens. 

    La France déboussolée 

    L’exemple grec et la politique de la BCE sont suffisants pour montrer dans quel état de décomposition avancée se trouve l’Europe. Il est donc inutile d’examiner en détail la situation économique de la France et ses discussions de marchand de tapis avec l’Union européenne – et le commissaire Moscovici – qui en découlent. Force est cependant de constater qu’au-delà des effets oratoires auxquels ces discussions donnent lieu, la Commission européenne est plus indulgente avec la France, qui pèse 20 % de l’économie européenne, qu’avec la Grèce qui n’en pèse que 3 %. La « morale » y trouve peut-être son compte. La sécurité économique et l’avenir des peuples sûrement pas. En même temps, on peut se demander ce qui reste de la souveraineté nationale, lorsque le budget du pays est soumis à des contraintes externes insupportables. Ces contraintes ne permettent même pas de masquer l’hypocrisie qui règne en maître dans le système économique français. Ainsi, par exemple, on a beaucoup parlé des quelques mesures emblématiques de la loi Macron dont la portée économique semble moins importante que l’émotion politique qu’elles ont suscitée. Mais personne ne s’est préoccupé de la portée des dizaines de mesures pointillistes qui y sont contenues pour réformer le code du travail. En réalité, ces mesures dictées par des considérations dogmatiques ont toutes été calibrées pour qu’aucune ne puisse donner lieu à une contestation publique. Mais quel sera l’effet exact de leur combinaison ? Aucune « étude d’impact » n’a été établie. Et il faut rappeler que cette loi est passée à l’Assemblée nationale sans vote des députés ! 

    Que reste-t-il de la « démocratie » quand un gouvernement élu (la Grèce) se voit interdire par une administration apatride (la Commission européenne) de mettre en œuvre le programme pour lequel il a été élu ? Quand le budget d’un autre (la France) est soumis à des contraintes qui transforment le Parlement en simple chambre d’enregistrement et quand la politique de la Banque centrale est faite dans l’intérêt des financiers internationaux au mépris des peuples ? Voilà où conduisent les « valeurs européennes »… 

     

  • Un désastre annoncé pour l’histoire-géo à l’école et au collège ... Charabia et inanité, par Laurent WETZEL

    Réforme des collèges ? Laurent Wetzel revient ici sur le cas spécifique - mais non isolé - de l'histoire-géo. Cette note parue dans Boulevard Voltaire nous rappelle que, peu après la parution de son ouvrage Ils ont tué l'histoire géo, Laurent Wetzel avait été l'invité de l'un de nos Cafés poliques de Lafautearousseau à Marseille (15.12.2012). Nous avons plaisir à reproduire ici la vidéo de ce Café où son intervention avait été très appréciée et dont les participants ont conservé un excellent souvenir. Il n'est pas interdit à ceux qui le souhaiteront de l'écouter ou de le réécouter ! LFAR   

     

    77fa10fd2eaf9bec1bd6247871c0add5 vvvvv.jpgEn 2013, Vincent Peillon a installé en grande pompe le Conseil supérieur des programmes (CSP) à l’Institut de France. Il a désigné, pour le présider, le fameux recteur Alain Boissinot, qui a toujours servi simultanément le gouvernement en place et le gouvernement suivant. Auquel a succédé le grand géographe Michel Lussault, auteur de L’homme spatial (sic). Le CSP serait nécessairement compétent et efficace puisqu’il devait comporter, paritairement, neuf hommes et neuf femmes. Pour rédiger les projets de programmes à mettre en œuvre, à la rentrée 2016, à l’école et au collège, dans le public et le privé sous contrat, il a fait travailler une armée de spécialistes et d’experts, tous choisis pour « leur excellence dans leur domaine et leur connaissance du système éducatif », avec deux objectifs : la promotion du « vivre ensemble » et « le succès scolaire pour tous ». Pas moins.

    Ces projets viennent d’être publiés avec l’approbation de Najat Vallaud-Belkacem, après le feu vert donné par l’Élysée et Matignon.

    Quant à l’histoire et à la géographie, ce qui les caractérise, c’est le charabia et l’inanité.

    En 2014, le CSP s’était engagé à « présenter les programmes de façon compréhensible par les non-spécialistes, qu’il s’agisse des professeurs, des parents et des élèves eux-mêmes ». Engagement non tenu. Le charabia sévit plus que jamais dans ces nouveaux programmes. Quelques perles pour illustrer mon propos : « Convoquer régulièrement les repères géographiques, les faire manipuler et réinvestir dans différents contextes et à différentes échelles », « S‘approprier un lexique spécifique en contexte », « Produire des messages à l’oral et à l’écrit », « Questionner la périodisation de l’histoire et pratiquer de conscients allers-retours au sein de la chronologie », « Pratiquer un espace de vie », « Mettre en relation les faits étudiés dans une démarche synchronique et/ou diachronique »…

    Ce charabia extravagant va de pair avec l’inanité des programmes proposés. Quelques observations non exhaustives à ce sujet :

    – Le mot « date » y est interdit de séjour, tandis que le vocable « repère » y pullule. Seule y figure la date 1892 : c’est en CM2, dans le cadre de l’expression « 1892 : la République fête ses cent ans » (sic).
    – Si « l’histoire du fait religieux » et « l’histoire des premières grandes migrations de l’humanité » durant la préhistoire et l’Antiquité doivent être étudiées, c’est uniquement pour « permettre à l’élève de mieux situer et comprendre les débats actuels » et l’« amener à voir autrement le monde d’aujourd’hui ». La politique politicienne n’y trouvera rien à redire.
    – Si « Charlemagne, roi et empereur » est mentionné en CM1, c’est parce que, faute d’incarner les « valeurs de la République », « sa figure est l’occasion d’observer les dynamiques territoriales d’un empire qui relèvent plus d’une logique européenne que française ». Il est vrai qu’Aix-la-Chapelle n’est pas bien loin de Maastricht.
    – Quatre rois de France sont cités en CM1, mais ensuite, plus aucun chef d’État ou de gouvernement n’est nommé, sauf Jules Ferry en CM2. On y cherche vainement Napoléon Ier ou Napoléon III, Georges Clemenceau ou Léon Blum, le général de Gaulle ou Georges Pompidou.
    – La « question du génocide juif doit être abordée » en CM2, mais seulement « dans le cadre de la France », comme si ce n’était pas essentiellement l’Allemagne hitlérienne qui avait conçu et mis en œuvre le massacre des Juifs d’Europe.
    – Les programmes de géographie sont corrompus par l’obsession du « développement durable » et celle de la « mondialisation ».

    L’UMP a délégué deux de ses plus brillants parlementaires pour siéger au CSP, la députée Annie Genevard, professeur de lettres, et le sénateur Jacques Grosperrin, professeur agrégé d’éducation physique et sportive. Ils ont approuvé ces projets. Ils représentent tous deux le département du Doubs et j’en suis personnellement affecté : la branche Wetzel de ma famille s’était installée à Morteau, il y a plus de deux siècles, en 1814… 

     

    Normalien de la rue d’Ulm, agrégé d’histoire, inspecteur d’académie – inspecteur pédagogique régional d’histoire-géographie honoraire

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    Café politique de Lafautearousseau, à Marseille, le 15.12.2012. Invité : Laurent Wetzel
     
     
  • « Vu du Kremlin, la France n’a plus de politique étrangère… » L'analyse d'Alain de Benoist *

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    En matière de politique étrangère, nous sommes, de façon générale, en accord avec les analyses toujours pertinentes d'Alain de Benoist. Celle qui suit relève tout à fait de cette convergence. Précisons simplement que cet effacement de la France qu'Alain de Benoist constate à juste titre, nous ne le considérons pas comme irréversible. LFAR 

     

    1530443371.jpgPlusieurs vidéos tournent actuellement en boucle sur Internet. L’une du général Wesley Clark, ancien patron de l’Otan, l’autre de George Friedman, président de Stratfor, une société privée de renseignement basée au Texas et notoirement liée à la CIA. Le premier est bouleversé par le cynisme de la Maison-Blanche, l’autre le revendique fièrement. Difficile dans ces conditions de savoir quelle politique les États-Unis entendent mener en Europe…

    Elle a pourtant le mérite de n’avoir jamais changé. Depuis 1945, l’objectif des États-Unis est de favoriser l’Europe-marché au détriment d’une Europe-puissance qui pourrait devenir leur rivale. À cela s’ajoute, depuis la dislocation du système soviétique, un autre objectif vital : empêcher l’Europe occidentale d’établir un partenariat avec la Russie. George Friedman l’a rappelé après Brzezinski : en tant que grande Puissance de la Mer, l’intérêt primordial des États-Unis est d’empêcher l’unification de la grande Puissance de la Terre, c’est-à-dire de l’ensemble géopolitique eurasiatique. Les USA contrôlent tous les océans du monde, ce qu’aucune puissance du monde n’avait fait avant eux (« Maintenir le contrôle de la mer et le contrôle de l’espace est la base de notre pouvoir »), mais ils n’ont pas la capacité d’occuper l’Eurasie. Ils doivent donc diviser pour régner.

    Dans un premier temps, ils ont suscité en Europe de l’Est toute une série de « révolutions colorées » à la faveur desquelles ils ont tenté d’étendre l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie. Aujourd’hui, ils cherchent créer un “cordon sanitaire” tourné contre Moscou, coupant l’Europe en deux depuis la Baltique jusqu’à la mer Noire. Ce projet de “zone-tampon” a le soutien des États baltes, de la Pologne, de l’Ukraine et de la Bulgarie, mais se heurte aux réticences ou à l’opposition de la Hongrie, de la Serbie et de l’Autriche. L’instrumentalisation du coup d’État intervenu à Kiev en février 2014 entre évidemment dans ce cadre, tout comme l’actuelle tentative albano-islamo-mafieuse de déstabilisation de la Macédoine, qui vise à mettre en échec le projet « Turkish Stream », déjà approuvé par le nouveau gouvernement grec, qui permettrait aux Russes d’acheminer leur gaz vers l’Europe occidentale sans avoir à passer par l’Ukraine.

    C’est également dans cette optique qu’il faut situer le projet de Traité transatlantique, dont le but principal est de diluer la construction européenne dans un vaste ensemble inter-océanique sans aucun soubassement géopolitique, de faire de l’Europe de l’Ouest l’arrière-cour des États-Unis et d’enlever aux nations européennes la maîtrise de leurs échanges commerciaux au bénéfice de multinationales largement contrôlées par les élites financières américaines.

    La grande inconnue, c’est l’Allemagne. La plus grande hantise des Américains est l’alliance de la technologie et du capital allemands avec la main-d’œuvre et les ressources naturelles russes. « Unies, dit Friedman, l’Allemagne et la Russie représentent la seule force qui pourrait nous menacer, et nous devons nous assurer que cela n’arrive pas ». Pour l’heure, l’Allemagne semble s’incliner devant les diktats de Washington. Mais qu’en sera-t-il demain ?

    Au Proche-Orient, les choses se sont tellement compliquées depuis quelques mois que beaucoup de gens n’y comprennent plus rien. Là encore, quel est le jeu des Américains ?

    Les États-Unis ont de longue date mis en œuvre au Proche-Orient une « stratégie du chaos », visant à abattre les régimes laïcs au bénéfice des mouvements islamistes, afin de démanteler des appareils étatico-militaires qu’ils ne pouvaient contrôler, puis à remodeler toute la région selon des plans arrêtés bien avant les attentats du 11 Septembre. L’État islamique (« Daesh ») a ainsi été créé par les Américains, dans le cadre de l’invasion de l’Irak, puis s’est retourné contre eux. Les USA ont alors commencé à se rapprocher de l’Iran, ce qui a suscité l’inquiétude des monarchies du Golfe qui redoutent par-dessus tout l’influence régionale de Téhéran (d’où l’opération actuellement menée au Yémen contre les rebelles chiites). On a donc aujourd’hui trois guerres en une seule : une guerre suicidaire contre la Syrie, dans laquelle les Occidentaux sont les alliés de fait des djihadistes, une guerre des Américains contre l’État islamique, et une guerre des dictatures du Golfe et de la Turquie contre l’axe Beyrouth-Damas-Téhéran-, avec la Russie en arrière-plan.

    Et la France, dans tout ça ?

    Elle ne compte plus pour grand-chose. Elle se réclame de la laïcité, mais privilégie ses relations avec les pétromonarchies les plus obscurantistes. Concernant les migrants qui affluent par milliers depuis la Méditerranée – fuyant, non pas la misère ou la dictature, comme on le répète ici et là, mais la guerre civile et le chaos que les Occidentaux ont apportés chez eux –, elle se soucie plus de les empêcher de se noyer que de ne pas faire naufrage elle-même, plus de la façon des les accueillir que de les empêcher d’entrer. Les Allemands la regardent désormais de haut, les Espagnols et les Italiens n’en attendent plus rien, et les Anglais continuent à considérer le French bashing comme un sport national.
    Quant au Kremlin, il ne se fait plus d’illusions : la France ne peut plus avoir de politique étrangère digne de ce nom, puisqu’elle s’est aujourd’hui couchée devant les Américains. En témoignent de manière éloquente le refus de la France de livrer aux Russes les navires « Mistral » que ceux-ci avaient déjà payés, et le scandaleux boycott des cérémonies qui se sont déroulées à Moscou pour le 70e anniversaire de la défaite du Troisième Reich. De ce point de vue, la continuité de Sarkozy à Hollande est parfaite. L’UMP va devenir « les Républicains », tandis que le PS n’est déjà plus qu’un « parti démocrate » à l’américaine. Il n’y a plus qu’à rebaptiser « Maison blanche » le palais de l’Elysée, et tout sera parfaitement clair ! 

    * Entretien réalisé par Nicolas Gauthier - Boulevard Voltaire

  • ”LA” question de fond ? La République a ruiné la France

    Ce fut la première note de lafautearousseau.

    Publiée le 28 février 2007, il y a plus de sept ans, souvent reprise, y compris tout récemment, par tout un ensemble de sites amis, nous n'avons, malheureusement, rien à y changer.

    La situation de notre pays n'a fait qu'empirer; la responsabilité de notre régime politique n'est que plus patente. Combien de temps encore aurons-nous à subir ce système mortel ? C'est la question que nous posions, que nous posons en republiant, après sept ans, ces réflexions, hélas, lucides.

    Lafautearousseau  

    la-republique-dettes-crises.jpgComment en sommes-nous arrivés là ? La République a pris une France en bon état, elle nous laisse une France au plus mal.... nous étions le pays le plus peuplé d'Europe sous Louis XV et Louis XVI, nous avons été rattrapés puis dépassés par les autres, notre vitalité démographique a été brisée par les saignées effroyables directement liées à la Révolution et à la République: 800.000 morts (Révolution); 1.500.000 morts (folles guerres napoléoniennes); 500.000 habitants perdus en 1815 à cause des 100 jours, dernier mauvais coup porté à la France par l'orgueil délirant de Napoléon; I.5OO.000 morts en 14/18 et 600.000 en 39/45; total: 4.900.000 français "évaporés", disparus, sortis de l'Histoire par les conséquences directes ou indirectes de l'irruption des idées révolutionnaires et des politiques aberrantes des différentes républiques. Quel pays pourrait-il supporter de tels traumatismes à répétition ? La France y a perdu une part importante de sa substance, au sens fort du terme (physique, pourrait-on dire)...

    Et que dire du rayonnement de la France, de l'attrait universel que sa culture, ses Arts, sa civilisation exerçaient sur l'Europe entière, et bien au-delà: tout le monde nous enviait et nous imitait sous Louis XV et Louis XVI: le Roi de Prusse commandait ses armées en français; Mozart commençait ses lettres à son père par "Mon cher père"; les écrivains russes parsemaient leurs ouvrages de mots français, et parfois de phrases entières; on construisait Washington (symbole d'un pays nouveau) en s'inspirant ouvertement du classicisme architectural français; presque tous les dirigeants européens se sont fait construire leur petit Versailles; dans tous les domaines, c'était la France qui donnait le ton, c'était vers Paris que convergeaient tous les regards: la France royale avait su amener la société à son plus haut degré de raffinement, et nous connaissions alors ce qu'était "la douceur de vivre"... : la France en est-elle toujours là aujourd'hui ? Séduit-elle toujours autant ? Tient-elle la même place, ou d'autres que nous donnent-ils le ton...?

    Comment ne pas être frappé par la dégradation effarante du moral des français, de leur "mental"? Nous étions optimistes sous Louis XV et Louis XVI, car avec nos 29 millions d'habitants nous étions le mastodonte démographique de l'Europe, dont nous étions également, et de très loin, le pays le plus étendu: cette double sécurité nous rendait foncièrement optimistes, et c'est de cette époque que date ce dicton selon lequel "en France, tout finit par des chansons": aujourd'hui nous sommes un peuple frileux, qui doute, et qui est le champion d'Europe incontesté de la consommation d'anti-dépresseurs; et que dire de notre situation économique et de notre richesse: entre le quart et le tiers de notre patrimoine artistique a été détruit par la Révolution; notre pays ne cesse de reculer au classement mondial des performances, cependant que l'appauvrissement et la précarité ne cessent de s'étendre parmi nos concitoyens; la violence et l'insécurité (dans tous les domaines) ont littéralement explosé et sont devenus des réalités tristement quotidiennes; la classe politique est très largement discréditée - même si un grand nombre d'élus ne méritent pas de reproches particuliers - et l'opinion publique se détache de plus en plus de la "chose publique", n'ayant plus d'espoir en l'avenir et se laissant aller à un pessimisme nouveau dans notre Histoire...

    Comment se fait-il donc, qu'en partant du pays le plus riche et le plus puissant d'Europe on en soit arrivé à un résultat aussi catastrophique et aussi désolant? Puisqu'on a appliqué à ce pays la plus merveilleuse des constructions intellectuelles qui soient, puisqu'on l'a régi en fonction des meilleurs principes qui aient jamais été inventés, en toute logique ce pays n'a pu que passer du stade de super puissance qui était le sien à celui de super puissance démultiplié! Nous devons donc nager dans le bonheur...sinon: cherchez l'erreur! Il est vrai qu'avec le conformisme que fait régner la république, un conformisme qui n'a jamais été aussi fort chez nous et qui confine à l'étouffement de la pensée, nos concitoyens ont du souci à se faire: dire que nous vivons sous le règne du politiquement correct, de la police de la pensée, du conformatage de l'opinion ne relève même plus du constat mais de la banalité...Qu'on se souvienne de la grande liberté de ton, de parole, d'action dont nous jouissions sous Louis XV et Louis XVI, et une seule question vient à l'esprit: tout ça, pour ça? Avec, si rien n'est fait, l'effacement continu, la disparition progressive de la France, sa sortie prochaine de l'histoire, du moins en tant que grande puissance, voire puissance tout court...

     

  • 9 septembre 1914 ... Un fait certain, c'est que le Nord et le Nord-Est de la France sont dévastés

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    La grande bataille continue de se livrer sur l'Ourcq et sur la Marne, et - l'imagination se refuse encore à le croire - l'on se bat de Nanteuil-le-Haudouin à Verdun, en pleine France. Notre centre résiste, et c'est l'essentiel : qui qu'il arrive, dit-on ce matin, nos armées ne peuvent plus être cernées. Fussent-elles battues, elles ont la voie libre derrière elle et pourraient se retirer vers Lyon ou la Franche-Comté. Di omen avertant... Au gouvernement, on respire, on est sans craintes quant à l'issue de la bataille. On eût peut-être mieux fait de ne pas quitter Paris si vite, car ce départ est sévèrement jugé dans le pays et, si les pouvoirs publics doivent regagner bientôt la capitale, ce sera sous les risées sinon sous les sifflets de Bordeaux.

    Un fait certain, c'est que le Nord et le Nord-Est de la France sont dévastés. Ce matin, La Dépêche de Toulouse annonce que Valenciennes est aux mains des Allemands, et que le député socialiste de l'endroit, un certain Henri Durre, pris par l'ennemi comme otage est allé sur parole à Paris demander de l'argent. On dit que Senlis est en cendres, que nos troupes ont brûlé la forêt de Compiègne, où elles aveint cerné une division allemande, et que, par représailles, les Allemands ont incendié la ville de Compiègne. Tous ces bruits sont, pour le moment, invérifiables, mais il n'est pas douteux que la partie la plus riche et la plus industrieuse de la France a été dévastée, de sorte que la ruine et la faillite menacent l'Etat français, si, à l'issue de la guerre, et après la victoire, nous n'obtenons pas de l'Allemagne une énorme indemnité.

    Quoi qu'il arrive, le gouvernement de la République aura la responsabilité de l'envahissement et de la dévastation de toute la partie la plus peuplée et la plus opulente de la France. Et c'est une responsabilité lourde à porter. Dans la bibliothèque de l'hôte qui a bien voulu m'accueillir et me reçoit avec la bonne grâce bordelaise, j'ai pris Montesquieu, comme il sied à Bordeaux. L'Esprit des lois se donne bien du mal pour définir le meilleur des gouvernements. En vérité, la définition est aussi simple que celle du véritable Amphitryon, d'après Molière : le meilleur des gouvernements, c'est celui qui agit en sorte que le territoire ne soit pas envahi. Hier, au café, je causais avec Parsons, un ancien secrétaire de Briand, demeuré le confident du garde des Sceaux. Je lui ai dit : "La République n'avait qu'un seul titre à la reconnaissance des esprits sérieux : c'était d'avoir conservé la paix et de ne s'être pas lancée dans les entreprises guerrières pour lesquelles elle n'est pas faite. Elle n'aura même plus cela." Mon interlocuteur m'a répondu : "Mais, si la République n'avait pas soutenu la Russie, elle ne trouvait plus d'alliances en Europe. - Croyez-vous, ai-je repris, qu'elle en trouve beaucoup après qu'elle a laissé écraser la Belgique ?"

    Nul n'ignore plus, en effet, qu'Albert 1er a fait les plus violents reproches au gouvernement de la République pour n'être pas intervenu plus vite et pour avoir laissé ravager son royaume. La scène avec Klobukowski (1), notre ministre à Bruxelles, a été pénible.

    On apprend à l'instant que, des cinq armées qui se proposaient d'envahir la France, une seule est entrée jusqu'au cœur du territoire, celle du général Von Kluck, un roturier anobli. Une autre a réussi à avancer sérieusement : celle du général Von Hausen. Les trois armées qui restent à peu près contenues à nos frontières sont celle du Kronprinz, du prince héritier de Bavière et du prince héritier de Wurtemberg (2). Toutefois, Von Kluck n'est pas une figure bien marquante. Ce qui frappe, dans cette vaste bataille des nations, c'est la médiocrité persistante des protagonistes. Ni parmi les chefs d'Etat, ni parmi les militaires, ni parmi les diplomates - Albert 1er, presque un jeune homme, excepté - on ne voit se lever de génie. Nulle part on n'entend une voix qui domine les autres, nulle part on ne sent une intelligence ni une volonté directrice. Les hommes de 40 à 70 ans qui gouvernent le monde ne sont peut-être pas tout à fait les imbéciles dont Oxenstiern (3) parlait à son fils, mais c'est en tout cas une génération très ordinaire. Il me semble tous les jours plus évident que les gouvernements ont été entraînés, les uns comme les autres, par leurs systèmes d'alliances, qu'ils n'ont plus été les maîtres de la mécanique qu'ils avaient montée. "A la fin nous devenons les esclaves des créations que nous avons faites." Goethe l'a dit. Et son mot s'applique à l'alliance austro-allemande, à l'alliance franco-russe, à l'Entente cordiale.      

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    (1) : Antony Wladislaw klobukovski, né en 1855, à al tête de la légation de France à Bruxelles depuis 1911, suivit le gouvernement belge en exil à Sainte-Adresse près du Havre. En 1918-1919, il créa au ministère des Affaires étrangères le "commissariat général à la propagande". 

    (2) : La bataille de la marne dura du 6 au 9 septembre suivie d'une poursuite jusqu'à une stabilisation du front le 17 septembre. Les cinq armées allemandes de la bataille de la Marne, d'ouest en est, de l'Oise à la Marne, étaient conduites par le général Von Kluck (Ière), Von Bülow (IIème), Von Hausen (IIIème), Albrecht de Wurtemberg (IVème) et le Kronprinz Frédéric-Guillaume (le prince impérial, fils aîné de l'empereur) (Vème). La VIèma armée commandée par le prince Ruprecht de Bavière, et la VIIème par Von Heeringen étaient en Lorraine. Le chef d'état-major général, le général Helmut von Moltke junior, neveu du vainqueur de la guerre de 1870, fut limogé après l'échec de la Marne.

    Côté français, les chefs avaient été changés après les revers initiaux : d'est en ouest, de Verdun à Meaux, se trouvaient également cinq armées : les IIIème (Sarrail), IVème (Langle de Cary), IXème (Foch), Vème (Franchet d'Esperey), VIème (Maunoury), les Vème et VIème étant reliées devant Paris par le corps expéditionnaire britannique commandé par sir John French.     

    (3) : Oxenstiern, chancelier du roi de Suède Gustave-Adolphe (tué en 1632) puis de la reine Christine, signataire pour la Suède de la palx de Westphalie de 1648 qui mit fin à la guerre de Trente Ans. 

  • Alain de Benoist : « Nous faisons la guerre chez eux, ils font la guerre chez nous »

     

    Nous voici de nouveau d'accord avec Alain de Benoist. D'accord avec les fines et pertinentes réflexions qu'il expose dans Boulevard Voltaire. (Entretien du 28.11.2015). Comme Michel Onfray - au moins en partie - Alain de Benoist se montre critique à l'égard de l'interventionnisme des « Occidentaux » dans l'ensemble du monde musulman. Sans doute faut-il y voir surtout une remise en cause des guerres inconséquentes que nous y menons depuis des décennies. Et nous en avons, en effet, les résultats tragiques aujourd'hui. Nous retiendrons aussi de cet entretien les deux derniers paragraphes de conclusion où il y a une forte critique tout à fait justifiée de ce leitmotiv sans cesse mis en avant depuis le 13 novembre selon lequel la société française se composerait de citoyens consommateurs et festifs, seulement voués à se « distraire ». Sur l'indéniable décadence de l'Occident, sur le rôle irremplaçable de la Nation, sur les méfaits mortels du déracinement français et européen, Alain de Benoist rappelle ici des vérités essentielles. Lafautearousseau 

         

    1530443371.jpgAprès les attentats commis à Paris en janvier dernier, des millions de gens avaient défilé dans les grandes villes en hurlant « Je suis Charlie ». Dans les jours qui ont suivi les attentats du 13 novembre, on a seulement vu quelques rassemblements sporadiques, auxquels s’est ajouté l’« hommage national » présidé par François Hollande dans la cour d’honneur des Invalides. Pourquoi cette différence ?

    Les attentats de janvier et ceux de novembre sont très différents. En janvier dernier, les terroristes islamistes avaient massacré des journalistes auxquels ils reprochaient d’avoir « blasphémé » contre Mahomet, puis ils avaient tué des juifs au seul motif qu’ils étaient juifs. Il était alors facile pour les manifestants, qui dans leur grande majorité n’étaient ni juifs ni journalistes, de se dire solidaires de « Charlie » ! Le 13 novembre, au contraire, les terroristes n’ont pas visé de cibles particulières. Au Bataclan, ils n’ont pas demandé aux spectateurs de décliner leur origine ou leur religion. Ils ont massacré tous ceux qui étaient là sans distinction d’âge, de sexe, de croyance, d’appartenance ou de profession. On a ainsi compris que tout le monde est devenu une cible potentielle. L’équivalent d’une douche froide.

    Même si dans les deux cas les auteurs des attaques étaient les mêmes (de jeunes délinquants « radicalisés »), les motifs étaient également différents. L’attaque contre Charlie Hebdo était de nature « religieuse », celle contre le Bataclan de nature politique. Le 13 novembre, les terroristes voulaient sanctionner notre engagement militaire en Syrie : c’est la politique étrangère française qui était visée. Hollande l’a bien compris, puisqu’il a immédiatement ordonné à l’aviation française d’intensifier ses frappes, tandis qu’il s’engageait lui-même dans une vaste tournée diplomatique. Comme l’a écrit Dominique Jamet, « nous ne pouvons faire la guerre au loin et avoir la paix chez nous ». Nous faisons la guerre chez eux, ils font la guerre chez nous. C’est aussi simple que cela.

    Plusieurs familles de victimes ont refusé de participer à la cérémonie des Invalides, parce qu’elles considèrent le gouvernement actuel comme le premier responsable des attentats. Une réaction exagérée ?

    Pas vraiment. Le 13 novembre, il a fallu plusieurs heures, durant lesquelles des dizaines de spectateurs du Bataclan ont été tirés comme des lapins, avant que l’on voie arriver les hommes de la BRI. Cela pose déjà un problème. Mais ce sont avant tout les failles du système français de renseignement qui doivent être montrées du doigt. Sur le plan intérieur, le « renseignement territorial » (recueil et analyse des données) est en effet vital, les plans Vigipirate ou Sentinelle, qui font patrouiller dans les rues des soldats réduits à l’état de vigiles, se bornant à créer une présence visible qui a pour seul but de rassurer la population sans vraiment la protéger.

    La Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a succédé, l’an dernier, à la DCRI, née en 2008, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, de la fusion de la Surveillance du territoire (DST) – service à vocation avant tout judiciaire et opérationnelle – et des Renseignements généraux (RG) – service d’information sans aucune attribution judiciaire. Cet organisme hybride, qui a cumulé les défauts de ses deux composantes, a rapidement accumulé les échecs et les erreurs (voir le rapport Verchère-Urvoas de 2013). Plus douée pour espionner les journalistes que pour lutter contre le djihadisme, la DGSI dispose de beaucoup de renseignements sur des milliers d’individus dangereux mais, par manque de formation criminologique sérieuse, elle peine à trouver les moyens d’identifier ceux qui sont véritablement prêts à passer à l’acte. Elle n’a, en outre, toujours pas compris que les terroristes ne sont plus aujourd’hui des Ben Laden mais des jeunes bandits des « quartiers ». Les attentats de ces dernières années en sont le résultat. En Tunisie, après l’attentat du musée du Prado, tous les responsables du renseignement ont été démis de leurs fonctions. On peut regretter qu’il n’en soit pas allé de même en France.

    L’État islamique ne se cache pas de mépriser une civilisation occidentale qu’il estime « décadente et dépravée ». Que lui répondre ?

    Que l’Occident soit aujourd’hui décadent est un fait – et c’est également un fait que les interventions occidentales au Proche-Orient n’ont abouti, depuis 1990, qu’à généraliser la guerre civile et le chaos. Mais la pire des réponses serait de se faire gloire de nos tares. C’est, au contraire, la décadence qui nous rend incapables de faire vraiment face au djihadisme, dans la mesure où elle est toujours le prélude à une dissolution. Après les attentats de janvier, François Hollande exhortait à se remettre à « consommer ». Ces jours-ci, il appelait à continuer à « se distraire ». La cérémonie des Invalides donnait elle-même envie de pleurer, pas de se battre. Ce n’est pourtant pas avec des chansons de variétés que l’on stimule le courage et la volonté, ou que l’on recrée les conditions d’une amitié nationale. Comme l’écrit Olivier Zajec, « ce sont les nations, et non la consommation ou la morale, qui redonnent forme et sens au monde ».

    La guerre est une forme de rapport à l’autre qui implique aussi un rapport à soi. Cela signifie que, « pour savoir ce que sont nos intérêts, il nous faut d’abord savoir qui nous sommes » (Hubert Védrine). Dans L’Enracinement, Simone Weil constatait que « des êtres déracinés n’ont que deux comportements possibles : ou ils tombent dans une inertie de l’âme presque équivalente à la mort, ou ils se jettent dans une activité tendant à déraciner toujours plus, souvent par les méthodes les plus violentes, ceux qui ne le sont pas encore ou qui ne le sont qu’en partie ». Face à l’universalisme qui conduit au déracinement, l’Europe n’a d’autre alternative que d’affirmer ce qui la constitue en propre. 

     

    Entretien réalisé par Nicolas Gauthier - Boulevard Voltaire