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  • Alerte rouge sur le monde ... entre réalisme et illusions

     

    Après de longues vacances, la matinale de France Inter, est de retour, avec Patrick Cohen entouré des clercs de son équipe, habiles à dire le dogme. Celui du politiquement correct, bien-sûr. Pourquoi nous y intéressons-nous ? Tout simplement parce qu'elle est en France la première du genre et touche près de quatre millions d'auditeurs.

    Bernard Guetta aussi est de retour, dans un contexte mondial qui n'est pas rose du tout et met à la peine son optimisme messianique natif. Ainsi, depuis quelques lustres, s'est-il habitué à osciller entre réalisme contrit et illusions persistantes. Et c'est ce qu'il fait avec talent dans la chronique qui suit, d'hier jeudi. Fondamentalement, on le verra, les situations dictent son réalisme. Et ses remarques ne manquent pas d'intérêt. Ses illusions ? La démocratie à l'occidentale dans le monde entier, la marche inéluctable des peuples vers elle à travers leurs révolutions obligées, l'Union (européenne), réputée elle aussi irréversible et, in fine, la prétendue communauté internationale, la gouvernance de l'ONU, l'unité du monde, dans la paix et la prospérité, naturellement partagées.

    Réaliste Guetta l'est plus qu'Alain Minc, Hollande, Merkel ou Macron, quand il analyse la crise chinoise et les répercussions intérieures et extérieures, pas seulement économiques, mais aussi politiques, et géopolitiques, très graves et très profondes qu'elle peut avoir. Il a raison de signaler le risque que se rouvrent les plaies toujours à vif de l’histoire asiatique. Peu de politiques ou d'observateurs seront capables d'envisager l'avenir dans cette dimension, ne connaissant plus l'Histoire.

    Il est réaliste lorsqu'il souligne les actuelles difficultés de la Russie qui sont patentes. Mais il redevient idéologue lorsqu'il oublie de noter que les Etats-Unis et l'Europe les ont stupidement aggravées par leur politique systématiquement hostile à la Russie. Les sanctions que nous lui avons appliquées, nous autres Français et Européens, à l'instigation pressante des Américains, sont retombées comme en boomerang sur nos industries et nos agriculteurs. Elles nous ont nui probablement plus qu'aux Russes... « La seule arme dont [la Russie disposerait] est son pouvoir de nuisance sur la scène internationale qu’elle exerce aussi bien en Syrie qu’en Ukraine. » Mais comment accepter sans discuter une proposition aussi dogmatique - qui n'est, en fait, que polémique ? Que dire de notre politique en Syrie ? Et de notre interventionnisme actif dans les pays jadis sous domination russe ?      

    Réaliste, Bernard Guetta l'est encore lorsqu'il constate l'interminable chaos dans lequel le Proche-Orient s'enfonce toujours plus. Il néglige le fait que nous avons grandement contribué à l'y installer, par nos interventions désastreuses et ratées en Irak, en Afghanistan, en Libye .. Et par le mythe largement formé en Europe des printemps arabes, que nous aurions stupidement voulu appliquer à la Syrie, après qu'il n'ait été ailleurs qu'une illusion. On en voit, partout, les résultats.  

    Parmi ces derniers, l'invasion massive de l'Europe par ceux qui fuient misère et chaos. Oh ! Guetta ne peut manquer de constater le phénomène, qui bouscule ce havre de paix qu'est l'Union. Cette chère Union qui n'en est pas une, où chacun - chacun pour soi - hérisse partout des murs, des barbelés et des contrôles.   

    Alors, on verra comment Bernard Guetta guette les lueurs d'espoir. « L’Onu vient d’imposer un accord de paix au Soudan du Sud, la diplomatie tente de reprendre la main en Syrie, l’Europe pourrait bien sortir renforcée des épreuves qu’elle accumule. »  Etc.

    La vérité est toute simple : l'ordre du monde n'est pas ce que croit Bernard Guetta. Voilà tout.   Lafautearousseau 

     

     

    Si vous préférez lire ... 

    Alerte rouge sur le monde

    « On n’aime pas dire cela. Si vacillante soit-elle, il est infiniment plus utile au débat public de montrer la lumière au bout du tunnel que son inquiétante obscurité mais tous les voyants du monde, les faits sont là, sont au rouge.

    Dans l’ordre de gravité, il y a d’abord la crise chinoise. On peut vouloir la relativiser pour ne pas alimenter la panique des marchés. François Hollande, Angela Merkel et bien s’autres s’y emploient mais cette crise va s’approfondir, lentement mais sûrement, parce que la spectaculaire phase de croissance de la Chine a pris fin et que son régime de parti unique ne dispose d’aucune soupape de sécurité, ni sociale ni politique, pour canaliser le mécontentement puis la colère qui en découleront. Au-delà même des problèmes intérieurs qui s’annoncent, la déconfiture de la deuxième économie du monde aura des répercussions sur les cinq continents et le pouvoir chinois pourrait bien avoir, un jour, à tenter de se survivre en jouant du nationalisme et rouvrant les plaies toujours à vif de l’histoire asiatique.

    La Russie, deuxième sujet d’inquiétude, n’est pas en bien meilleure forme. Le pays le plus étendu du monde n’en finit plus de voir sa bourse et sa  monnaie dégringoler car les sanctions occidentales prises après l’annexion de la Crimée ont accentué de profondes difficultés structurelles liées au manque d’investissements et à une totale dépendance au cours des matières premières dont la crise chinoise va maintenant accélérer la baisse. La Russie ne sait pas où elle va, ne sait pas ce qu’elle veut, et la seule arme dont elle dispose est son pouvoir de nuisance sur la scène internationale qu’elle exerce aussi bien en Syrie qu’en Ukraine. 

    Ensanglanté, troisième problème, par les crimes du régime syrien et ceux de l’Etat islamique, le Proche-Orient paraît toujours plus s’enfoncer dans un interminable chaos. On le sait. Inutile de s’étendre sur ce chapitre mais la nouveauté, quatrième problème, est que les ricochets de ces conflits ont maintenant atteint l’Europe. Parce qu’ils n’ont plus d’autre moyen d’échapper à la mort et que rien ne les arrêtera donc, des centaines de milliers de réfugiés, hommes, femmes et enfants, se bousculent aux portes de ce havre de paix qu’est l’Union. 

    En coordonnant ses efforts, l’Union européenne pourrait parfaitement bien relever ce défi mais force est de constater qu’il met à l’épreuve la solidarité de ses Etats, révèle la lourdeur de ses processus de décision et nourrit ses nouvelles extrêmes-droites, promptes à dénoncer des terroristes en puissance dans ces malheureux qui, pourtant, fuient la terreur. 

    Tout cela ne veut bien sûr pas dire que l’apocalypse soit pour demain. La sagesse, après tout, a fini par prévaloir dans les négociations grecque et iranienne. L’Onu vient d’imposer un accord de paix au Soudan du Sud, la diplomatie tente de reprendre la main en Syrie, l’Europe pourrait bien sortir renforcée des épreuves qu’elle accumule mais, pour l’heure, non, il y a peu de lumière au bout du tunnel. » 

     

  • Alain de Benoist a raison : Morale et politique - saints et ascètes sont rarement des machiavéliens !

    Le cardinal Mazarin par Philippe de Champaigne - Peut-être le plus corrompu et le plus grand de nos ministres 

     

    Par Alain de Benoist

    Sur morale et politique, Alain de Benoist, dans cet entretien intéressant donné à Boulevard Voltaire [18.07], opère les distinctions nécessaires. Celles-là même que nous avons rappelées nous aussi dans Lafautearousseau à maintes reprises, au fil des récentes affaires. Corruption, mensonges, tartufferie, sont des reproches d'ordre moral, secondaires au regard du politique. Les vérités qu'exprime ici Alain de Benoist ressortent d'une très ancienne sagesse du gouvernement des Etats ; elles imprègnent notamment l'Ancien Régime. La sous-morale qui infeste aujourd'hui médias, opinion et soi-disant élites constitue comme une drogue débilitante de toute action politique. Elle n'intéresse pas les esprits politiques et même leur répugne.  LFAR    

     

    3650118671.7.pngDès son élection, Emmanuel Macron a fait de la « moralisation de la vie politique » son cheval de bataille. Là-dessus, Richard Ferrand et le couple François Bayrou-Marielle de Sarnez ont été obligés de quitter le gouvernement dans les conditions que l’on sait. Vous en pensez quoi ?

    Honnêtement, rien du tout. Les histoires d’emplois fictifs, de comptes en Suisse, d’attachés parlementaires, de mutuelles bretonnes et que sais-je encore ne sont là que pour amuser la galerie. Elles ne sont là que pour distraire, au sens pascalien, une opinion publique qui n’est déjà plus depuis longtemps en état de distinguer l’historique de l’anecdotique. Leur seul effet positif est de discréditer toujours un peu plus une classe politique qui a effectivement démérité, mais pour de tout autres raisons. En dehors de cela, elles conduisent à croire que la vie politique doit se dérouler sous l’œil des juges, en même temps qu’elles généralisent l’ère du soupçon au nom d’un idéal de « transparence » proprement totalitaire. Et le mouvement s’accélère : on reprochera bientôt aux ministres de s’être fait offrir des caramels mous et d’avoir oublié de déclarer leur collection de moules à gaufres dans leur déclaration de patrimoine.

    Quant aux lois destinées à « moraliser la vie publique », elles resteront à peu près aussi efficaces que celles qui prétendent moraliser la vie financière. Depuis le scandale de Panama (1892) – pour ne pas remonter plus haut -, les « affaires » ont de tout temps émaillé la vie politique. Pour y remédier, on légifère à grand bruit mais dans le vide. En bientôt trente ans, ce ne sont pas moins de dix lois différentes qui ont été adoptées à cette fin, depuis la loi du 11 mars 1988 sur la « transparence financière de la vie politique » jusqu’à celle du 9 décembre 2016 relative à la « lutte contre la corruption », en passant par celle du 29 janvier 1993 sur la moralisation des campagnes électorales et des procédures publiques. Aucune de ces lois n’a empêché de nouvelles « affaires » de surgir. Il en ira évidemment de même de celle que prépare le gouvernement.

    Serait-il plus immoral de se faire offrir des costumes en douce (François Fillon) que d’attaquer la Libye (Nicolas Sarkozy), avec les résultats politiques que l’on sait ?

    Évidemment pas, mais avec cet exemple, vous abordez indirectement la véritable question qu’il faut se poser : celle des rapports entre la politique et la morale. Tout le monde, bien entendu, préférerait être gouverné par des dirigeants intègres plutôt que par des corrompus. Mais la politique n’est pas un concours de vertu. Mieux vaut une franche fripouille, voire une sinistre crapule qui fait une bonne politique (il n’en a pas manqué dans l’Histoire), qu’un brave homme aux qualités morales incontestables qui en fait une mauvaise (il n’en a pas manqué non plus) – et qui, du même coup, discrédite jusqu’à ses qualités. La politique a pour but d’atteindre des objectifs politiques, pas des objectifs moraux. Ce qui a manqué à Louis XVI, c’est d’être aussi Lénine et Talleyrand. Les saints ou les ascètes sont rarement des machiavéliens !

    La vérité est que les qualités politiques et les qualités morales ne sont pas de même nature. Elles n’appartiennent pas à la même catégorie. La politique n’a pas à être gouvernée par la morale, car elle a sa propre morale, qui veut que l’action publique soit ordonnée au bien commun. Elle n’est pas ordonnée à l’amour de tous les hommes, ou à l’amour de l’homme en soi, mais se préoccupe d’abord de ce que peut être le destin de la communauté à laquelle on appartient. À ceux qui pensent avoir tout dit lorsqu’ils ont proclamé que « tous les hommes sont frères », rappelons que la première histoire de frères est celle du meurtre d’Abel par Caïn. 

    La politique morale, émotionnelle et lacrymale, la politique des bons sentiments est en fait la pire politique qui soit. La politique qui consiste à multiplier les ingérences « humanitaires » au nom des droits de l’homme aboutit régulièrement à des désastres, comme on peut le voir aujourd’hui au Proche-Orient. Celle qui nous commande d’accueillir avec « générosité » tous les migrants de la planète confond tout simplement morale publique et morale privée. Celle qui consiste à gloser sur les « valeurs » pour mieux ignorer les principes est tout aussi invertébrée. Le politiquement correct relève lui aussi de l’injonction morale, pour ne rien dire de la « lutte-contre-toutes-les-discriminations ». Cette politique morale prend malheureusement toujours plus d’ampleur à une époque où le « bien » et le « mal », tels que les définit l’idéologie dominante, tendent de plus en plus à remplacer le vrai et le faux. Là comme ailleurs, le politique doit reprendre ses droits.

    Et Simone Veil au Panthéon ?

    Simone Weil n’y est pas. 

    Intellectuel, philosophe et politologue

     
    Entretien réalisé par Nicolas Gauthier
  • Cinéma • Les Visiteurs 3 ou le vrai visage de la Terreur, vus par Jean-Christophe Buisson

     

    Jean-Christophe Buisson a vu Les Visiteurs 3 - La Révolution. Il estime que Jean-Marie Poiré et Christian Clavier ont pris le parti inédit et courageux de se saisir à bras-le-corps de cette page sombre de l'histoire de France. Sans complexe ni manichéisme [Figarovox - 7.04]. Jean-Christophe Buisson est homme de goût et de jugement. Il n'affiche pas grande inclination pour la période révolutionnaire. Pas plus que nous qui lirons son avis avec attention et ... sympathie.  LFAR 

     

    PHOace7ebf0-cac5-11e3-ae1d-fb39e4002cc5-300x200.jpgDepuis 1870 et l'instauration de la République en France, la Révolution a plutôt bonne presse. Le mot lui-même est synonyme universel de progrès, de nécessité, d'avancée, qu'il concerne un nouveau médicament, la mécanisation des outils agricoles ou les régimes alimentaires. Politiquement, il sonne comme une promesse d'avenir radieux : même le maréchal Pétain, instituant pourtant un régime aux accents résolument contre-révolutionnaires, se sentit obligé de reprendre le terme, invitant la France à se lancer dans une « Révolution nationale ». Et nous ne parlons pas d'Hitler et de sa « révolution nationale-socialiste »… Quant à l'événement lui-même, bien que Lénine, Trotski, Mao, Pol Pot et quelques autres dictateurs sanguinaires s'en fussent réclamés à corps et à cris (surtout ceux de leurs millions de victimes), il n'en garde pas moins, dans les livres d'Histoire comme dans la classe politique ou médiatique dominante, auréolé d'un prestige certain. 1789, c'est neuf, donc c'est bien.

    Bien sûr, une école de pensée contre-révolutionnaire qui va de Louis de Bonald à Charles Maurras s'est attelée, depuis deux siècles, à insister sur ses noirs aspects et ses fâcheuses conséquences. Mais la somme de ses réussites (droit de vote, Droits de l'Homme, abolition de l'esclavage, établissement d'une Constitution, création d'une Assemblée nationale, émancipation des Juifs, liberté de la presse, etc.) est jugée supérieure à celle de ses désagréments (guerre civile en Vendée, guerre contre la moitié de l'Europe, destruction des communautés traditionnelles, confiscation ou destruction des biens du clergé, loi Le Chapelier interdisant les regroupements professionnels et la grève, etc.). Cette vision globalement positive de la Révolution a conduit les cinéastes à la représenter, à de rares exceptions près (le sublime Le Duc et l'Anglaise, d'Eric Rohmer) de manière globalement positive. La Bastille vidée plutôt que les prisons remplies. La joie illuminant le visage des paysans libérés du servage plutôt que la grimace des propriétaires et des prêtres sur le point d'être raccourcis. Des foules qui réclament du pain plutôt que des têtes. La terrine plutôt que la Terreur.

    Dans Les Visiteurs - La Révolution, Jean-Marie Poiré et Christian Clavier, coauteurs du scénario, ont pris le parti inédit et courageux de se saisir à bras-le-corps de cette page sombre de l'histoire de France. Sans manichéisme, sans faux-fuyants, sans complexe. Leur film est un divertissement qui s'appuie sur une tragédie - c'est souvent une excellente recette (voir La grande vadrouille, La Vache et le prisonnier, Monsieur Batignole, etc.). Il débute en janvier 1793 et court jusqu'à la Grande Terreur. On y voit (furtivement mais réellement) des prêtres et des nobles de tous âges emprisonnés, puis conduits à l'échafaud comme des bêtes à l'abattoir. On y voit des hommes et des femmes dont la seule ambition révolutionnaire est de s'emparer du bien des anciens possédants pour en profiter à leur tour, quitte à substituer une inégalité sociale à une autre. On y voit des bourgeois confisquer le processus révolutionnaire pour chiper la place des aristocrates. On y voit un Robespierre glaçant, sinistre, terrifiant (remarquablement interprété par Nicolas Vaude) décider, en compagnie de ses amis du Comité de Salut public réunis autour d'un bon dîner au champagne, qui, demain, méritera la mort (« exterminer les ennemis », disait l'un de ses zélés membres, Couthon, annonçant par là quelques génocides futurs…). On y voit, en face, un preux chevalier du XIIe siècle pétri de valeurs qui ont pour noms courage, honneur, noblesse d'âme (Godefroy Amaury de Malefète, comte de Montmirail, d'Apremont et de Papincourt, dit le Hardi et alias Jean Reno) refuser la fatalité et préférer risquer sa vie que salir son nom en cédant, comme d'autres, à une mode égalitariste et progressiste qui est la négation de son éducation et de son statut de fidèle vassal de Louis VI le Gros. On le voit, à l'annonce de la mort de Louis XVI, se jeter à genoux et réciter le Pater Noster après avoir crié « Le Roi est mort, vive le Roi! ». Pui s'échapper de prison en assommant ses gardes pour gagner Paris afin de libérer Louis XVII de sa prison du Temple et « remettre le Dauphin sur le trône ». Puis s'étonner sincèrement de se retrouver face-à-face à un Noir habillé aux couleurs de la Révolution (« Les Sarrasins sont parmi nous ! »). Et enfin, écrasé par la puissance ennemie, décider de revenir dans son château pour le reprendre, les armes à la main, à ses nouveaux propriétaires car « si tu perds ta terre, tu perds ton âme ».

    Autant de scènes et de formules qui, bien sûr, font hurler les si prévisibles thuriféraires habituels de Robespierre et de la Terreur. Ils trouvent bien entendu ce film « réactionnaire ». Quitte à oublier la somme considérable de saynètes du film ridiculisant (donc dénonçant) aussi les familles d'Ancien Régime engoncés dans leurs rites et leurs mentalités parfois détestables. Mais pour ces gens-là, sur ce sujet-là, il ne saurait être question d'objectivité, de neutralité, d'honnêteté intellectuelle, d'équilibre, de mesure. Leurs slogans n'ont pas changé depuis deux siècles : pas de liberté pour les ennemis de la liberté, la vérité est révolutionnaire, etc. Montrer la Révolution sous son jour sanglant aussi, c'est forcément être suspect d'antirépublicanisme, d'antipatriotisme, de révisionnisme. Même s'il s'agit de cinéma. Même s'il s'agit de la réalité historique. Mais ils n'aiment pas la réalité. Ni celle d'hier ni celle d'aujourd'hui. C'est à cela qu'on les reconnaît. 

    Jean-Christophe Buisson

    Jean-Christophe Buisson est journaliste et écrivain. Il dirige les pages culture et art de vivre du Figaro Magazine. Il est notamment l'auteur d'Assassinés (Perrin, 2013).

  • Littérature • Rendez-nous les Hussards ! Une certaine idée de la France

    Antoine Blondin et Jacques Laurent (Photos : SIPA)


    Ils avaient la fronde chevillée au stylo-plume et ils vont refaire parler d'eux en cette année 2016, selon  Thomas Morales, dans cette excellente chronique - que nous avons aimée - parue dans Causeur [06.03]. Pour ceux qui n'ignorent pas leur filiation, littéraire et en quelque façon politique, l'évocation des hussards nous rappelle aussi les maîtres de notre esprit et de notre goût. L'expression est de Charles Maurras.  LFAR

     

    thomas morales.pngNous entrons dans une ère de commémorations intensives. En 2016, nous fêtons Verdun mais aussi les 25 ans de la disparition d’Antoine Blondin (1922-1991) et d’André Fraigneau (1905-1991), Kléber Haedens (1913-1976) nous a quittés voilà quarante ans, les éditions de la Thébaïde ressortent vingt-six ans près L’Orange de Malte du camarade Jérôme Leroy et Finkie a fait l’éloge de Félicien Marceau à l’Académie. Les Hussards vivants ou morts, ce grand fourre-tout idéologique, cette famille recomposée où les individualités seront toujours plus fortes que le groupe, ont le vent en poupe. Le 3e Prix des Hussards sera même décerné courant mars par un jury aussi hétéroclite que tonique.

    La droite buissonnière bruisse d’impatience de célébrer ses écrivains chéris. Les vieux anars ne sont pas mécontents de voir, à nouveau, tous ces auteurs réprouvés pointer le bout de leur nez dans les rayonnages. Il paraîtrait même que de vrais cocos frappés au marteau et à la faucille jubilent intérieurement. Lassés par la théorie du genre et la macronisation de l’économie, ils gardent un assez bon souvenir de leurs lectures jadis interdites. Excepté Roger Vailland, la littérature rouge des années 50 était plutôt glaçante, voire carrément emmerdante. Si les odes au camarade Staline ne font plus recette, les mots d’Antoine Blondin, de Roger Nimier ou de Jacques Laurent ramassent toujours la mise au comptoir et dans le boudoir. Comme dirait Audiard, le prix s’oublie, la qualité reste. Seuls les libraires trouvent cette renaissance quelque peu nauséabonde car les stylistes pensent mal et se vendent encore plus mal.

    Foutraque et enivrant

    Nos champions de l’irrévérence n’ont jamais été solidaires de personne. L’humanisme et la bien-pensance leur donnent la nausée, les politiques la colique et les professeurs des aigreurs d’estomac. Toute leur vie, ils auront été d’insupportables réfractaires. Les manuels scolaires ont fini par carrément les effacer de l’histoire littéraire. De la mauvaise herbe à faucher mais qui a tendance à repousser à chaque génération. Le plaisir de lecture se niche dans ce chiendent-là. Un point commun rassemble pourtant tous ces énergumènes non-encartés et non-alignés. Au-delà de la variété de leur style, chacun s’exprimant selon son propre tempo, ils écrivent ou écrivaient tous dans un français gouleyant. De nos jours, une telle prouesse est considérée comme suspecte. En trente ans, l’université a seulement réussi à déconstruire la phrase. On l’a compris, la mauvaise réputation des Hussards, les originels comme les « néo » des années 80, tient en partie à leur positionnement politique brouillon. Car qu’ils soient de gauche, de droite ou des extrêmes, ils ont la fronde chevillée au stylo-plume. On leur dit de marcher droit, ils titubent. Nos diplômés du dernier rang sont en fait à l’image de notre pays. Foutraque et enivrant. En 1975, trois d’entre eux avaient collaboré à un beau livre intitulé La France que j’aime aux Editions Sun.

    Cette histoire vagabonde de notre pays était présentée par Kléber Haedens, légendée par Antoine Blondin et racontée par Cécil Saint-Laurent. Nos trois athlètes de la géographie déployaient des trésors d’inventivité et d’érudition pour faire aimer notre nation. Dans sa préface, Kléber annonçait la couleur : « Beaucoup de Français portent en eux une France à la fois réelle et imaginaire, décrassée des impuretés de la vie, dure et brillante, dorée par le feu de l’Histoire ». Cécil Saint-Laurent enfonçait le clou : « Dépêchez-vous, touristes, de profiter de la France. Car sans le savoir, ce que vous aimez en elle c’est qu’elle tienne son unité de couleur d’une diversité de nuances. Ce merveilleux naturel est en péril. Il est absolument contraire aux normes du monde actuel ». Ces affreux jojos qui passaient pour des réacs étaient les enlumineurs de notre territoire. Et puis, Antoine Blondin, de sa gloriole flamboyante venait dégoupiller quelques formules pétillantes : « Les villes et les villages de la Bourgogne centrale sont coiffés de velours côtelé » ou « En Normandie, les hommes et les chevaux se tiennent par le bras à tous les âges de la vie ». Cette poésie du verbe nous manque cruellement.   

    Thomas Morales
    est journaliste et écrivain

     

    Chez les bouquinistes :

    La France que j’aime de Haedens, Blondin et Saint-Laurent aux Editions Sun.

    L’Orange de Malte de Jérôme Leroy (préface de Sébastien Lapaque et lettre inédite de Michel Mohrt à l’auteur). Aux éditions de la Thébaïde.

  • De l'urgence de restaurer la monarchie

    Au portail de Notre-Dame : La Galerie des Rois

     
    ARGUMENTAIRE. Les bonnes raisons de restaurer une monarchie couronnée ne manquent pas. Cet article en donne quelques-unes avec la force de l'évidence : la monarchie, où le roi au sommet de l'État incarne l'unité historique, sociale et politique de la nation, est sans nul doute le meilleur des systèmes institutionnels. Celui qui redonnerait aux Français confiance et foi en l'avenir ! 

    PAR YVES MOREL

    Deux cent vingt-deux ans après la Révolution, les carences de notre république sont patentes. Des gens de gauche se prennent même à rappeler les mérites de notre ancienne monarchie ! Cela ne laisse d'ailleurs pas d'étonner en des temps où l'on n'a jamais autant exalté la République et les « valeurs républicaines ». Faut-il voir là le chant du cygne d'un régime aux abois ? Nos politiciens louant sans cesse la République ressembleraient alors à l'orchestre du Titanic jouant à pleine puissance pour tenter de conjurer l'angoisse des passagers devant l'imminence du naufrage. Mais on ne colmatera pas les brèches sans changer de cap. Où l'on découvre alors une évidence : le meilleur des systèmes politiques n'est pas forcément celui qu'on croit.

    1765778246.2.jpgLA MONARCHIE PRÉSERVE DU CLIMAT DE GUERRE CMLE DES DÉMOCRATIES PARTISANES.

    L'avènement d'un roi découle de sa qualité d'héritier direct de la couronne dans l'ordre de primogéniture et non d'une lutte électorale entre candidats de partis opposés. Ce mode de dévolution du pouvoir préserve l'État des conséquences néfastes des changements d'orientation politique inspirés par des idéologies, des principes et des programmes opposés. Elle couronne en quelque sorte la vie démocratique du pays. Le pays ne se divise pas en camps ennemis à chaque nouvelle élection et ne s'exténue pas dans des luttes internes, facteurs de haine.

    LA MONARCHIE ÉQUILIBRE LES RAPPORTS DE FORCES.

    Quand elle n'est dépassée par aucun principe supérieur, la démocratie livrée à elle-même contient les ferments de sa perte. Car la loi du nombre lui permet de soumettre les minorités. Lors de l'élection présidentielle, la minorité qui subsiste peut représenter jusqu'à 49 % des Français ! Elle fracture donc le pays en deux et transforme structurellement les citoyens en frères ennemis. À l'inverse, le roi, au sommet de l'échiquier politique, représente l'intégralité de ses sujets, sans clivages.

    LA MONARCHIE EST CONSENSUELLE.

    Élire un président, c'est comme donner le match à arbitrer au capitaine de l'une des deux équipes en lice. On doute forcément de sa partialité. A l'inverse, le roi n'étant pas le chef d'un parti et n'ayant pas conquis le pouvoir à l'issue d'une compétition qui a divisé son peuple, jouit de la confiance spontanée de tous les Français.

    LA MONARCHIE GARANTIT L'UNITÉ DE LA NATION.

    L'existence d'une même famille royale à la tête de la nation renforce puissamment son identité qui, en république, est beaucoup plus abstraite, indistincte et insaisissable. Une dynastie familiale ancre profondément un peuple dans l'histoire et rend sensible sa continuité à travers les siècles.

    LA MONARCHIE RESPECTE L'INTÉGRITÉ DE SES SUJETS.

    Elle permet à chacun de retrouver son unité morale par le sentiment de sa place dans l'histoire et dans sa terre natale, avec et parmi ses compatriotes. En incarnant l'identité de la nation dans sa continuité historique, l'institution monarchique permet à l'individu de préserver ou de retrouver la sienne. Ce qui est impossible avec la mystique républicaine qui donne une vision tronquée de l'histoire de France en faisant remonter toutes ses valeurs à la révolution de 1789, voire à celle de 1793. L'identité de la France est ainsi confondue avec celle de la République, fondée sur la négation du passé monarchique et chrétien de notre pays. La conception de notre identité collective relève ainsi d'une option idéologique et partisane. Elle est donc différente d'un parti à un autre, d'un individu à un autre, susceptible de se modifier suivant l'évolution des idées.

    LA MONARCHIE SAIT D'OÙ ELLE EST ET OÙ ELLE VA.

    Faute d'un symbole charnel et spirituel de la continuité de la nation dans le temps, nos compatriotes ne savent plus ce qu'ils sont, d'où ils viennent, où ils vont, ignorent leur passé ou en ont une idée erronée, se trompent sur leur avenir, se montrent incapables de le préparer et voient dans les évolutions l'occasion d'une révolution culturelle. Ainsi en est-il allé du mariage pour tous conçu en France comme un instrument de subversion morale, ce qu'il n'est pas au Royaume-Uni - bien qu'il y soit condamnable -, ou de notre culte frénétique de la « diversité » et du pluralisme ethnoculturel qui nous ramène à l'Empire romain d'Occident du Ve siècle.

    LA MONARCHIE PRÉSERVE DES DÉRIVES AUTORITAIRES.

    Toutes les républiques européennes proclamées depuis le XIXe siècle ont dégénéré en dictatures : Italie (Mussolini), Portugal (Salazar), Espagne (Franco), Allemagne et Autriche (Hitler), Russie (Staline)... En revanche, aucun des royaumes n'a dérapé de la sorte dans la toute-puissance politique. Étrange, non ?

    LA MONARCHIE A UNE VISION DE LONG TERME DANS TOUS LES DOMAINES.

    Vaut-il mieux dépenser l'argent public en bâtissant des châteaux comme Versailles ou en commandant des sondages d'opinion mesurant la cote d'impopularité dun président ? Le temps paraît donner raison à la première option.
    Sans cette clef de voûte indispensable qu'est la monarchie, notre pays dérive à tous les vents, à la manière d'un bateau démâté. La Révolution et la République ont transformé le majestueux navire de la France en radeau de la Méduse transportant une population perdue, hagarde et dépenaillée. Et le fait est d'autant plus remarquable que la monarchie française, de par l'absolue continuité familiale qui la caractérisait (la race capétienne régna sans discontinuité pendant près de mille ans) et ses origines nationales (les Français ne prirent jamais leur roi à l'étranger) était plus qu'aucune autre adaptée à sa fonction symbolique et unitaire. Oui, il est urgent de la restaurer.
     

    « La Révolution et la République ont transformé le majestueux navire de la France en radeau de la Méduse. »

     

    Repris du numéro de juillet-Août de Politique magazine - Dossier : Le royalisme aujourd'hui >  Commander ou s'abonner ici !

  • Louvre : le premier sacre du président Macron. Le roi est mort ! Vive le roi !

     

    Un billet de Pierre Branda

    Paru dans Causeur le 8 mai. Macron veut-il remplir ce manque de roi qu'il avait signalé naguère comme l'absence essentielle dans notre semblant de démocratie et son incomplétude, alors même qu'il était encore ministre de l'économie ? Il avait ajouté, de surcroit, que cette fonction n'était pas remplie, que l'Elysée, à cet égard était vide. C'est la question qui est ici posée, non sans quelque ironie justifiée. Peine perdue pour Macron ? Sans aucun doute. Attendons la suite. Les fêtes à venir ... LFAR

     

    En mettant en scène son élection au Louvre, le nouveau président Emmanuel Macron a habilement renoué avec la symbolique royale. Petit passage en revue des heurs et malheurs de ses prédécesseurs républicains le soir de leur sacre. 

    Dans la fraîche nuit parisienne, il s’avance seul vers son destin, digne et grave. Pour un peu, je m’attendais presque à entendre en fond sonore le tube de Jean-Jacques Goldman Je marche seul tandis qu’il foulait les pavés du Louvre. Non le moment est plus solennel. C’est l’hymne à la joie de Beethoven qui accompagne les premières heures du président élu.

     

     

    Il faut y voir un symbole européen mais pas seulement. Nous sommes dans une mise en scène soigneusement léchée et qui a pour but de légitimer celui que nous venons de porter à la présidence de la République. Car pour beaucoup si sa démarche est volontaire, son costume de président paraît encore trop grand pour lui. Néanmoins, en terme d’image, il marque sûrement un point. L’entrée sur la scène de la future reine fut cette fois plus réussie que lors de la soirée du premier tour. En guise de démonstration amoureuse, nous n’avons eu droit qu’à un mano à mano fort tendre.

    2012, Hollande à la Bastille…

    On est en effet assez loin de la fête socialiste à la Bastille d’il y a cinq ans. D’emblée François Hollande nous était apparu débonnaire, l’habit mal ajusté et pour tout dire un peu gauche. La suite de son mandat a ensuite conforté cette première opinion. En mai 2012, le baiser furtif à Valérie Trierweiler parut improvisé et si peu glamour. On ignorait encore ce qui se tramait en coulisses…*

     


    Prise de parole de Francois Hollande à la… par francoishollande

     

    2007 : Sarkozy commet son péché mortel

    Si l’on remonte dix ans plus tôt, après une communion populaire à la Concorde, Sarkozy avait commis le pêché (quasi) mortel de fêter sa victoire au Fouquet’s, comme l’aurait fait un nouveau riche. Ensuite, il ne put se défaire de son image de parvenu, de président « bling-bling », finalement éloigné des préoccupations des Français. Là encore, on ne savait presque rien de ses démêlés conjugaux. Tout à ses problèmes domestiques, le président élu en mai 2007 voulait avant tout impressionner l’élue de son cœur, Cécilia, avec le succès que l’on sait. Pour Sarkozy comme pour Hollande, le premier sacre fut donc raté car ni l’un ni l’autre n’avait vraiment étudié les codes présidentiels voire dynastiques pour toute entrée en fonction. Par la suite, ils tentèrent de rattraper cette légitimité perdue mais en vain. En 1981, la montée vers le Panthéon de François Mitterrand fut à contrario un génial coup de communication. Le premier président socialiste de la Ve République inscrivait dès le premier jour son règne républicain dans la grande histoire socialiste et humaniste, roses à la main, pour honorer la mémoire de Jaurès comme de Jean Moulin ou de Victor Schoelcher. Sa politique de gauche ne dura ensuite même pas deux ans mais c’est ce n’est point le sujet. L’histoire a retenu que dès son élection, il est devenu un monarque républicain et disons le pour sa légende, c’était là l’essentiel.

     

     


    1981 : Visite de François Mitterrand au Panthéon. par LePoint

     

    La marche du Premier consul

    Alors qu’en sera-t-il pour Emmanuel Macron ? Remarquons d’abord qu’il reprend à son compte une symbolique très forte. Le Louvre est l’ancienne demeure des rois et il a prononcé son discours presque à l’emplacement de l’ancien palais des Tuileries, siège presque permanent des différentes monarchies qui se succédèrent en France de 1792 jusqu’à 1870, année au cours de laquelle le bâtiment fut victime d’un incendie qui entraîna ensuite sa destruction. Quand il était devenu Premier consul en 1799, Napoléon Bonaparte avait également mis en scène son arrivée dans ce palais encore républicain sans la présence d’une Joséphine reléguée en coulisses pour quelque temps encore. Ce faisant, il entendait lui aussi s’inscrire dans une certaine forme de continuité tout en ne tournant pas complètement le dos à la Révolution. Sa légitimité s’en trouva conforté et il devint empereur cinq ans plus tard après avoir réformé la France en profondeur. Un autre sacre l’attendait mais cette fois à Notre-Dame de Paris.

    Du sublime au ridicule…

    Pour revenir à notre époque, affublé d’un manteau bleu marine (un clin d’œil à sa concurrente malheureuse ?), Emmanuel Macron espère donc se hisser au niveau des plus grands. Il a d’ailleurs justifié son choix du Louvre en rappelant l’histoire dynastique du lieu et paraît ainsi vouloir en terminer avec la désacralisation de la fonction qu’il occupe désormais. En quelque sorte, il veut à nouveau faire résonner le cri qui saluait l’avènement d’un nouveau monarque tout en l’adaptant à la situation présente : Le petit roi Hollande est mort ! Vive le grand roi Macron ! Mais attention : « Du sublime au ridicule, il n’y a qu’un pas » avait prévenu Napoléon. Il ne faudrait pas que notre président en marche ne fasse le pas de trop.   •

    Pierre Branda
    Historien niçois.

  • Le bouffon des temps tragiques

     

    PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ

    Cette tribune [2.08] - d'une pertinence toujours égale - est l'une de celles que Mathieu Bock-Côté donne sur son blogue du Journal de Montréal. Il aura été, depuis quelque temps déjà, un observateur lucide non seulement des évolutions politiques des pays dits encore occidentaux mais aussi de leur situation sociétale qui n'est pas de moindre importance.  L'esprit de ces chroniques, comme de celles qu'il donne au Figaro, est, au sens de la littérature et de l'histoire des idées, celui d'un antimoderne, même s'il n'est pas sûr qu'il acquiescerait à cette classification. Il s'est en tout cas imposé, selon nous, comme un esprit de première importance. Mathieu Bock-Côté n'est pas tendre ici pour Donald Trump, bien que, comme nous, il ait sans-doute préféré son élection à celle d'Hillary Clinton. Sur ce personnage, chef du plus puissant pays du monde, il nous paraît toutefois lucide.  Ce qui nous rappelle que, de par la nature de ce grand Etat, de ses intérêts, de son système politique et de sa classe dirigeante, les limites de l'alliance américaine doivent être toujours très présentes aux esprits français.  LFAR 

     

    501680460.5.jpgIl peut sembler facile, très facile, et même trop facile, de dire du mal de Donald Trump et de son administration. Hélas, il est difficile d’en dire autre chose !

    Nous sommes manifestement devant un pouvoir grotesque. Il a toutefois cela de particulier qu’il s’exerce à la tête de l’empire qui domine notre temps à un moment de l’histoire qui exigerait de grands dirigeants, capables de faire face à une époque tragique.

    Il y a quelque chose de saisissant à lire d’un côté les déboires d’un président fantasque et de l’autre, l’explosion d’une actualité internationale agitée qui laisse deviner des années difficiles.

    Histoire

    C’est le paradoxe de Trump : il prétend incarner un renouveau de la puissance américaine, mais il tourne son pays en ridicule sur la scène mondiale.

    Évidemment, l’Amérique survira à Trump, mais il aura contribué à son affaiblissement. Il en viendra un jour à représenter un dérèglement possible de la démocratie qui, toujours, peut céder aux démagogues, même si ceux-ci jouent souvent sur des inquiétudes populaires légitimes pour se hisser au pouvoir.

    Trump a conquis la Maison-Blanche en prenant au sérieux le sentiment de dépossession d’un grand nombre d’Américains. Il les trahit en se montrant incapable de se hisser à la hauteur de sa nouvelle fonction.

    Il voulait transgresser le politiquement correct, mais il en est venu à piétiner les exigences élémentaires de la décence.

    Revenons-y : l’époque est tragique et nous ne semblons toujours pas l’accepter.

    Revenons au début des années 1990. Après la chute du communisme, le monde occidental se croyait engagé sur le chemin de la paix perpétuelle. Certes, on trouverait encore ici et là des poches de résistance à la modernité.

    Mais le monde serait en voie de s’unir sous la pression du commerce et grâce au génie des droits de l’homme. La révolution technologique ferait de la planète un immense village.

    Les vieux conflits entre les pays, les religions et les civilisations deviendraient tout simplement incompréhensibles.

    Mondialisation

    Tout cela nous semble aujourd’hui terriblement ridicule.

    Qu’on pense seulement à la Russie de Poutine. Elle est dans une quête de puissance classique qui semble incompréhensible à ceux qui ne jurent que par la vie festive.

    Qu’on pense aux migrations massives, surtout celles qui frappent l’Europe : elles annoncent un monde chaotique qui fragilisera comme jamais le vieux monde.

    Qu’on pense aux fantasmes nucléaires de la Corée du Nord.

    Pensons, de manière plus heureuse, cette fois, au Brexit : en votant en sa faveur, les Britanniques ont rappelé que l’indépendance nationale demeure une valeur cardinale. Dans un monde bouillant, les peuples redécouvrent l’importance vitale des frontières.

    Retour à Trump. À certains égards, il représentait une révolte du peuple américain contre les excès de la mondialisation et un désir de réaffirmer une vision plus traditionnelle des États-Unis, plus adéquate pour affronter les temps nouveaux.

    Jusqu’à présent, il a tout gâché en se contentant d’être la caricature de lui-même. Il n’a pas su quoi faire de sa victoire. On ne voit pas comment il pourrait changer de cap.  

    MATHIEU BOCK-CÔTÉ

    Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016) et de Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).

  • BD : Trois titres à découvrir

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    Napoléon

    Comme le disait le regretté Jean Dutourd dans son fameux roman uchronique « Le Feld-maréchal von Bonaparte », à quelques mois près, la face du monde en eût été changée. Car c’est en 1768, par le Traité de Versailles, que la Corse est rachetée par la France aux Génois alors qu’elle était convoitée par l’Autriche… Mais voilà, le jeune Bonaparte qui nait en août 1769 à Ajaccio, est français. Son père, de petite aristocratie et un temps attiré par les mirages républicains de l’indépendantiste Paoli, finit par regagner la cause politique français, avec le concours du Comte de Marbeuf. C’est notamment grâce à ce dernier que le jeune Napoléon Bonaparte peut bénéficier de bourses et intégrer le collège militaire de Brienne en Champagne. Il a dix ans…Six ans plus tard, il est reçu à l’école militaire et apprend son métier d’artilleur. A l’aube de sa vingtième année, il est à Paris quand éclate la Révolution qui va lui ouvrir, avec l’abolition des privilèges, la porte à de hautes fonctions…

    Le premier des trois tomes de cette biographie dessinée tient toutes ses promesses. Le scénario, très enlevé, admirablement bâti par Noël Simsolo avec le concours de Jean Tulard, spécialiste incontestable et incontesté de Napoléon, est rehaussé par le dessin dynamique et réaliste de Fabrizio Fiorentino qui a surtout œuvré pour les comics américains. Les trois coauteurs couvrent la période 1769-1799 jusqu’au coup d’État du XVIII Brumaire avec un réel brio. Ils reviennent sur les actes fondateurs du mythe militaire napoléonien : la prise de Toulon et la campagne d’Égypte. Les scènes de bataille sont particulièrement fidèles à l’esprit que l’on se fait de cette époque tourmentée. La fin de l’album contient un épais dossier qui permet au lecteur de compléter de façon plus précise et technique les faits historiques liés au personnage. On ne peut qu’attendre avec une impatiente fébrilité les deux prochains opus… 

    Napoléon – tome 1/3 – Noël Simsolo, Jean Tulard, Fabrizio Fiorentino – Editions Glénat – 56 pages – 14,50 euros

     

    Shadow Banking

    Wall Street, 1er septembre 2008. La crise financière mondiale se prépare et commence à prendre de l’ampleur avec la chute de la banque d’investissement, Lehman Brothers. Elle annonce son intention de se déclarer en faillite. Ce qui sera le cas quelques jours plus tard.

    Toute cette histoire commence quelques mois plus tard, quand Mathieu Dorval est appelé par Victor de la Salle, vice-président et n°2 de la Banque centrale européenne (BCE). Celui-ci lui demande de le rejoindre dans son bureau. Le N°2 montre à son protégé les raisons pour lesquelles la Grèce n’aurait jamais dû intégrer la zone euro. Le dossier d’adhésion a été faussé. Il en détient les preuves sur une clé USB récupérée lors d’une rencontre quelques semaines plus tôt au siège de la banque populaire de Chine. Les deux hommes viennent de mettre le doigt dans un engrenage redoutable…

    Le Shadow Banking autrement dit finance fantôme ou système bancaire parallèle est défini comme « le système d’intermédiation du crédit impliquant des entités et des activités se trouvant potentiellement à l’extérieur du système bancaire ».

    Il faut rendre hommage aux auteurs, Eric Corbeyran (le Chant des StrygesUrchronie(s)Kid Corrigan, etc. ), Eric Chabbert (Docteur Monge, Black Stone, etc..) et Frédéric Baggary (trader dans des grandes banques françaises) de démêler la pelote de cette crise qui continue encore de secouer le monde. Ils savent à merveille vulgariser les méandres parfois sombres de cette déroute financière. L’histoire très agréable est également dynamique et captivante. On attend la suite avec une grande impatience. 

    Shadow Banking – Tome 1 – Le pouvoir de l’ombre – E. Corbeyran- F.Bagarry et E. Chabbert – Editions Glénat – 48 pages – 13,90 euros

     

    IRS Team

    Samson Seymour tire les ficelles à la Fédération Internationale de Football. Grâce à ses réseaux, il a réussi à obtenir l’organisation de la prochaine Coupe du Monde pour l’Inde. Larry Max et son équipe de l’Internal Revenue Service (IRS), c’est-à-dire l’agence du gouvernement des États-Unis qui collecte l’impôt sur le revenu et des taxes diverses) sont bien décidés à faire la lumière sur cette attribution frauduleuse entachée de corruption. Mais cette affaire loin d’être conclue met les fins limiers sur d’autres dossiers plus glauques : trafic de joueurs, paris truqués, dopage et même prostitution déguisée…

    Le scénariste Stéphen Desberg à qui l’ont doit de nombreux succès dans le 9e art (Le Scorpion, Tif et Tondu, Les petits hommes…) ne fait que mettre en scène un monde footballistique en pleine déliquescence et qui a, au sein de l’élite, perdu le sens de la mesure. Il ne fait que puiser dans l’existant et sa litanie d’épisodes faisant la Une des jouraux : l’Affaire Zahia, la polémique sur la Coupe du Monde, le dopage pendant les années Juve (années 90), les matchs truqués et aussi les transferts payés à coup de dizaines de millions d’euros (100 millions d’euros pour que Gareth Bale rejoigne le Real Madrid en septembre 2013). Le dessin de Daniel Koller reste toujours aussi vif et sert à merveille une histoire bien ficelée. Deux autres IR$ Team sont d’ores et déjà programmés : Goal business et Le dernier tir. 

    IRS Team – Wags – Desberg et Koller – Editions Le Lombard – 48 pages – 12 euros

     

    Politique magazine   Par

  • Auteurs : Henry Bonnier, « éminence grise » du royalisme international, par Péroncel-Hugoz

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    Péroncel-Hugoz consacre ce coup de chapeau - rédigé au Maroc où il réside - à Henry Bonnier, « éminence grise » de la pensée monarchique universelle, prix de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre, qui consacre son trentième livre au Maroc d'hier... Et surtout d'aujourd'hui. Lafautearousseau

     

    Je ne connais Henry Bonnier que par ses livres, nombreux et variés, il est vrai, ou par ceux, idem, qu'il a suscités éditorialement de la part de personnages politico-historiques aussi différents que Mohamed-Réza Chah, Gorbatchev, le comte de Paris, le président turc Ozal et, bien-sûr, le roi Hassan II, avec "Le Défi", ce maître-livre pour tous ceux qui veulent appréhender le Maroc du XXe siècle. Je suis au courant, bien sûr, aussi, du rôle d'« éminence grise » que M. Bonnier JOUE, avec toute la discrétion efficace convenant à ce sobriquet, dans le mouvement, évidemment informel, monarchiste international; dans l'illustration intellectuelle de cette famille politico-spirituelle.


    Certes, le futur Hassan II, en vacances dans le Midi français pendant que son père, le sultan Mohamed ben Youssef, prenait les eaux à Vichy, eut l'occasion de connaître le jeune Henry à Apt (Vaucluse) mais c'est son dévouement désintéressé d'adulte envers l'idée royale qui lui valut, et jusqu'à nos jours, la confiance du Palais chérifien. Bonnier pourrait sans doute reprendre à son compte la fameuse phrase de Lyautey que, du reste, il cite : « J'ai réussi au Maroc parce que je suis monarchiste et que je m'y suis trouvé en pays monarchique. Il y avait le sultan, dont je n'ai jamais cessé de respecter et de soutenir l'autorité. J'étais religieux et le Maroc est un pays religieux.» Sur cette lancée, l'auteur explique très bien pourquoi aucune dynastie, aucun gouvernement ne peut durer, nulle part, sans une part de "sacré", de "mystère", de "silence". Le général de Gaulle pensait exactement la même chose. Sans leur faire l'honneur de les citer nommément, Bonnier vise indirectement cette douzaine de plumes marocaines ou françaises qui, depuis 2000, ont périodiquement lancé des torpilles contre le règne actuel, pratiquant chacune à leur tour un savant et pervers amalgame entre le vrai et le faux, méthode bien connue des systèmes marxistes afin de troubler les esprits mal informés, de désacraliser ce qui doit le rester, de dénigrer le travail accompli.

    Certes, il reste encore beaucoup de bidonvilles en Chérifie, certes la question saharienne n'est pas réglée - mais à côté que de progrès pour une bien meilleure écoute des souhaits populaires, quelle détente du climat politique national, que d'avancées spectaculaires en matière par exemple de communications terrestres ou maritimes, damant le pion sur ces points à la richissime voisine algérienne !... Ses cent séjours au Maroc, sa culture encyclopédique, l'importance qu'il a toujours attachée aux grandes religions révélées, son intimité politico intellectuelle avec des figures marocaines comme Mahjoubi Aherdane ou feu notre confrère Moulay Ahmed Alaoui, ont permis à Henry Bonnier d'accéder à une vision de haut vol, et en même temps détaillée, d'un demi-siècle, à la fois tumultueux et fructueux, d'Histoire du Maroc. Cela donne "Une passion marocaine", essai d'une longueur modérée (257 pages) sans verbiage et sans délayage.

    Chaque mot compte, que ce soit sur Hassan El Dakhil ("L'Entrant"), le premier Alaouite établi au Maroc, sur le ministre déchu Driss Basri (là Bonnier manque un peu de charité), sur l'opposant réhabilité Abraham Serfaty (là Bonnier louange abusivement, selon moi, ce stalinien impénitent...), sur le combat inlassable, loin d'être toujours reconnu, des monarques chérifiens depuis Moulay Youssef jusqu'au Sire actuel, un combat titanesque pour au Maroc marier Authenticité et Efficacité, Modernité et Fidélité. Presque la quadrature du cercle et pourtant aucun de ces princes régnants n'a jeté la cognée, ne s'est laissé décourager par la violence ou la mauvaise foi des attaques, des critiques, même celles venant d'un membre de la lignée alaouite... Bonnier est de ces privilégiés de l'esprit qui ont saisi de longue date que le contraire de "conservateur" n'est pas "progressiste" mais "destructeur" et que c'est "rétrograde" qui s'oppose à "progressiste". Les royautés exemplaires, pérennes, solides de Tokyo à Londres via Rabat, Copenhague ou La Haye ont toujours été des systèmes "conservateurs-progressistes " nimbés de foi sacralisatrice. 

    Oui parfois c'est vrai, Henri Bonnier, ce serviteur universel de la grande idée monarchique, donne parfois l'impression de verser dans la courtisanerie voire le sentimentalisme, mais il se reprend vite... Ce n'était sans doute qu'une ruse pour faire mieux apprécier du lecteur sa philosophie de l'Histoire, sa description des Grandes Nations comme le Japon, l'Angleterre, le Maroc, le Siam, l'Arabie ou l'Espagne qui ont su préserver en elles leur flamme royaliste; c'est ce qui fait leur saveur sans pareille, qu'aucune république ne peut offrir.    

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    En avant-première pour les lecteurs de cette chronique, quelques citations du livre de Bonnier qui ne sortira en librairie que fin janvier. 

    FLORILEGE

    "Pas de civilisation possible sans religion !"

    "Il n'est d'Histoire que de l'âme. Le progrès n'est qu'une technique".

    "Parmi les Etats les plus anciens du monde : Chine, France, Maroc, ce dernier est le seul à ne pas s'être trahi".

    "Grandeur et noblesse faites d'humilité et de servitudes. Ainsi va le rite musulman malékite qui façonne depuis plus de mille ans le cœur et l'âme des Marocains".

    "L'actuel roi du Maroc ne gouverne ni ne préside mais "impulse " les décisions (...). Le jeu est subtil, faisant appel tant au spirituel qu'au temporel".

    "Mohamed VI fait preuve d'une véritable gourmandise envers la lecture. Il dévore plusieurs ouvrages à la fois (...). Essais de stratégie, documents d'actualité, biographies, romans, poésie". 

    - HENRY BONNIER, "Une Passion marocaine", Le Rocher, Monaco et Paris, 2015.

    Le 30ème livre d'un penseur royaliste européen mais connaissant bien la relation fusionnelle entre le Peuple marocain et la Maison alaouite .


    - SOULEIMAN BENCHEIKH, "Le dilemme du Roi", Casa-Express, Rabat et Paris, 2014.

    Essai prometteur d'un jeune journaliste marocain réfléchissant sur la fragile balance entre Tradition et Modernité que doit maintenir quotidiennement la Royauté chérifienne pour la tranquillité du pays. 

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    Le360 - Péroncel-Hugoz 

  • Livres & Actualité • Éric Zemmour : Terrorisme et vieilles recettes

     

    Par Eric Zemmour

    Un expert en stratégie dénonce avec pertinence les insuffisances dans la réponse des autorités. Mais son réquisitoire tourne vite à la sérénade bien-pensante. Tel est du moins le point de vue qu'expose Eric Zemmour dans cette excellente recension du livre que publie François Heisbourg.  LFAR 

     

    XVM46b79742-8908-11e5-8758-aadd64fa74f8.jpgIl faut se méfier des experts. Pas seulement pour le style, souvent ampoulé et pédant. Mais leur science, incontestable, dans leur domaine d'excellence, les persuade qu'ils ont la même légitimité sur un terrain plus politique. Ils confondent science et idéologie et croient qu'ils assènent des connaissances alors qu'ils ne font que défendre des convictions.

    François Heisbourg n'est pas n'importe qui. Il est conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique; préside l'International Institute for Strategic Studies de Londres et le Centre de politique de sécurité de Genève. Il a participé à la rédaction des livres blancs sur la défense pour les trois derniers présidents de la République. Quand il aborde les attentats qui ont ensanglanté Paris en 2015, notre auteur sait de quoi il parle. La raison sans doute pour laquelle il parle aussi de ce qu'il ne veut pas savoir. François Heisbourg n'a pas l'habitude qu'on lui dise non. Il ne s'est visiblement pas remis du refus - par Manuel Valls - de convoquer une commission nationale - à l'exemple des Américains après le 11 septembre 2001 - pour tirer les leçons des attentats. Il a décidé de tenir sa convention nationale à lui tout seul. D'où ce livre.

    Son texte est bref, concis, efficace. Découpé sur le modèle des dix commandements, transformés en dix erreurs à éviter. Erreurs dont on a déjà commis la plupart ! Erreurs d'anticipation et de réaction. Il reproche ainsi à Sarkozy la fusion de la DST et des RG, qui a dépouillé notre police de ses informateurs de proximité. Il oublie seulement qu'il est plus facile pour un policier français d'infiltrer un parti politique ou un groupuscule gauchiste qu'une mouvance islamique qui repose sur les liens des fratries et de la religion.

    L'assaut à Saint-Denis qui a suivi l'attentat du 13 novembre lui paraît disproportionné. Cela a pourtant tué dans l'œuf un autre massacre prévu.

    Et puis notre expert passe de la pratique à la théorie, des actes aux mots. Comment nommer l'ennemi ? Califat ou Daech. Heisbourg félicite Hollande de parler de Daech car « c'est le nom que Daech déteste ». Notre spécialiste ne se demande pas pourquoi on interdirait aux djihadistes - avec un mépris gourmet - l'autoproclamation d'un califat alors que notre propre Histoire regorge d'autoproclamations comme la déclaration d'indépendance américaine ou la République française de 1792. Dans la foulée, Heisbourg comme d'autres glosent sur le concept de « guerre » employé à foison par nos gouvernants. C'est alors que notre expert découvre ce qui est tu ou nié : « Bombarder Raqqa dans le cadre de la guerre contre Daech est une chose, mais quid de Molenbeek ou du « 93 » ? Y faire la guerre au sens militaire du terme - armée contre armée - serait absurde ; mais cela est pourtant implicite dans le discours non métaphorique sur la guerre à Daech puisque les forces que celui-ci lance contre nous sont « de chez nous » et frappent chez nous. La guerre serait donc aussi une guerre civile ? »

    Le livre alors change d'âme. Affolé par sa découverte, l'expert se mue en prédicateur. Aucun poncif, aucun lieu commun sur la France des Lumières et des droits de l'homme ne nous seront épargnés. L'esprit du padamalgam règne en maître sur notre maître.

    Heisbourg en appelle à l'esprit de la Résistance pour mieux renouer avec les réflexes pacifistes de la politique « d'apaisement » qui menèrent à la collaboration.

    La déchéance de nationalité promise aux djihadistes binationaux (à laquelle Hollande a dû renoncer) provoque l'ire de notre auteur. Tous les habituels arguments de la bien-pensance sont ressassés. Il n'est pas venu à l'idée de notre expert que si l'égalité sacro-sainte était bien rompue, c'était au bénéfice des binationaux qui ont deux nationalités. Abondance de biens ne nuit pas. Si une égalité devait être rétablie en ces temps de nécessaire rassemblement national contre l'ennemi, ce serait plutôt par la suppression de la binationalité qui obligerait chacun à choisir : partager le destin français ou pas.

    Heisbourg ridiculise l'éventuel rétablissement des frontières parce qu'on peut toujours les passer. Mais alors pourquoi interdire le vol et le meurtre puisqu'on peut toujours transgresser ces lois en volant ou en tuant ?

    Il condamne la « dérive » de l'état d'urgence au nom de l'État de droit. Et si c'étaient les dérives laxistes de l'État de droit qui avaient conduit à notre tragique situation ?

    Il reprend sans aucune distance l'antienne convenue sur « les discriminations au logement et à l'embauche » qui alimentent le « vivier de Daech ». Il est vrai que les millions de Français « de souche » qui végètent dans le périurbain deviennent tous trafiquants de drogue puis djihadistes, qu'Oussama Ben Laden était miséreux et que les frères Kouachi n'avaient pas bénéficié de tous les généreux bienfaits de la République sociale…

    « Ce seront toujours les peaux mates qui appelleront les contrôles d'identité un peu virils, les portes des maisons mal situées qui seront forcées à coups de bélier. » On croit entendre le refrain de la chanson parodique de Coluche : « Misère, misère, pourquoi t'acharnes-tu toujours sur les pauvres gens ? »

    Il nous explique avec des accents apocalyptiques que l'échec de Schengen serait un « retour à l'Europe d'avant l'Union européenne et une belle victoire pour les djihadistes qui ne rêvent que de nous voir renier nos valeurs et revenir sur nos réalisations ». On ignorait qu'Oussama Ben Laden avait fait campagne pour le non à Maastricht !

    Il refuse de voir que l'Union européenne est un handicap dans la lutte contre nos ennemis puisqu'elle a laminé les souverainetés nationales sans forger une souveraineté européenne.

    Mais il est temps de conclure, impérieux et grandiloquent : « L'Histoire jugera durement ceux qui choisiront de persister dans l'incompétence et le contresens. » François Heisbourg a raison : l'Histoire jugera durement ceux qui ont choisi de persister dans l'aveuglément et le déni de réalité… 

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    Comment perdre la guerre contre le terrorisme. François Heisbourg. Stock. 119p., 15 €.

    Eric Zemmour           

  • Société • Face au terrorisme islamiste, osons une riposte culturelle

     

    Par Louis Manaranche

    Les terroristes peuvent être à la fois des déséquilibrés et des islamistes, estime Louis Manaranche. Face à eux, une riposte culturelle est nécessaire. pour laquelle l'expérience des Chrétiens peut être essentielle.[Figarovox 20.07]

     

    Qui sont ces terroristes ? La réponse n'est jamais évidente et elle l'est encore moins dans le cas de Nice. Sur les réseaux sociaux, on s'écharpe pour savoir s'il s'agit d'un simple déséquilibré ou d'un authentique islamiste radical répondant aux mots d'ordre de Daech. Quelques voix, comme celle de Jean-Pierre Denis, se sont fait entendre avec raison pour souligner que les deux options n'étaient pas exclusives.

    La propagande de Daech, la fascination autour de sa vision totalisante et morbide de l'islam, troublent des esprits fragiles et leur donnent une forme et une modalité de passage à l'acte, sublimant celui-ci. La caricature d'identité religieuse qu'offre Daech vient répondre, tragiquement, au vide identitaire et aux fragilités humaines et sociales de personnes qui peuvent être aussi bien des Irakiens ou des Syriens que nos voisins de pallier. En France, Daech est devenu le miroir inversé de la société contemporaine. À la sécularisation répond un dieu tout-puissant vengeur, à l'émancipation féminine répond l'assujettissement, à un certain irénisme humaniste répond le culte de la guerre et de la violence.

    Mais que l'on ne s'y méprenne pas: il ne s'agit pas d'une «réaction» ordinaire. Les vidéos diffusées reprennent des codes connus des jeunes par le cinéma et les jeux vidéos, les technologies utilisées sont dernier cri, les pulsions exploitées sont les mêmes que dans les films gores ou pornographiques. Daech est une radicalisation résolument moderne. Qu'il s'agisse de l'hypertrophie de l'individu - l'ego des terroristes, prompts à faire des selfies macabres et à se faire connaître par les chaînes d'actualité est d'un narcissisme remarquable -, qu'il s'agisse de la fascination pour l'image ou encore de la sollicitation de la libido, tout est fait pour séduire une jeunesse ancrée dans son époque. En ce sens, Daech joue la carte de la séduction et non de la conversion authentique. Ce n'est pas avant tout ma vie qui doit changer, même pour se conformer à des règles rigoureuses qu'on est libre d'apprécier à sa guise, c'est un acte criminel qui vient, enfin, donner un sens à toute ma vie, souvent petite et décevante, parfois peu conforme, comme à Nice, aux principes censés la régir.

    Qu'il y ait, dans un certain ordre, une réponse militaire à cette vague de folie meurtrière qui déstabilise le monde entier et frappe particulièrement la France est une chose importante. Toutefois, une autre réponse est nécessaire. Il s'agit de la riposte culturelle. Que l'on ne croie pas que j'aie la naïveté d'imaginer qu'amener des jeunes en quête identitaire au TNP ou à l'Opéra soit la solution à tous nos problèmes. Non, la culture a un sens bien plus profond ; c'est une manière d'incarner l'humanité et d'habiter la terre, qui embrasse les dimensions politique et spirituelle. L'honorer passe par la transmission passionnée de notre patrimoine innervé par Athènes, Rome et Jérusalem, pour ce qu'il a d'éminemment vivant et non comme un étendard encombrant. Cela passe par l'éveil du sens critique et interprétatif au contact du livre et de l'oeuvre d'art, antidotes à l'image éphémère... La tension et la possible réconciliation entre la foi et la raison, l'articulation entre l'individu et la communauté, la question de la dignité égale de l'homme et de la femme sont autant de problématiques qui émergent alors, avec d'autant plus de pertinence qu'on les a saisies dans leur histoire.

    Dans ce contexte, les chrétiens ont, je crois, un rôle particulier à jouer, évidemment sans exclusive. À eux, d'abord, de montrer qu'une foi religieuse authentiquement vécue n'a rien à voir avec la radicalité islamiste violente. L'annonce de leur foi dans le Christ passe par ce premier témoignage. Une Église qui vit de la foi, de l'espérance et de la charité, si elle rayonne, rend encore plus hideux Daech et ses sbires. Mais il y a plus que cela. Avec les tenants d'autres traditions philosophiques et spirituelles, en refusant radicalement le quant à soi, les chrétiens ont la mission de montrer comment ils ont lentement co-élaboré un dialogue entre la foi et la raison, entre le spirituel et le temporel, entre le religieux et le culturel, qui n'est pas une compromission. La densité de cette réflexion et l'exigence de la quête de sagesse qu'elle permet, si on les prend au sérieux, devraient rendre inconcevable que l'on cherche le sens et l'ouverture transcendante de son existence chez les fondamentalistes barbares 2.0.

    Transmettre notre culture et en donner le goût, ne pas repousser hors du champ public la question spirituelle, offrir cet enracinement intelligent partout par l'éducation, telle est la condition du réarmement moral auquel on appelle. La tâche est ardue mais la petite espérance chantée par Péguy ne fait jamais défaut dans « la République, notre royaume de France »...

    Louis Manaranche

    Louis Manaranche est agrégé d'histoire et président du laboratoire d'idées Fonder demain. Son livre Retrouver l'histoire est paru en 2015 aux éditions du Cerf.

  • Arguments pour la Monarchie en France

     

    Par Jean-Philippe Chauvin

     

    4184008190.2.jpgPourquoi une monarchie en France serait-elle la plus efficace pour affronter les défis du XXIe siècle et dépasser les défauts de l'actuelle République, pourtant « monarchique » dans son esprit mais républicaine dans sa forme ? 

    La Monarchie « à la française », tout d'abord, n'est pas la pâle copie de celles qui peuvent avoir cours dans d'autres pays : ni simplement parlementaire, ni autocratique ou théocratique, elle est d'abord propre à la France et à son histoire, à sa tradition politique et à sa structure nationale. 

    Le roi, par le mode de désignation héréditaire et dynastique, ne dépend d'aucun milieu particulier, d'aucun parti ni d'aucune idéologie (même royaliste), et il n'a pas de clientèle à se faire pour devenir le souverain : il est indépendant par sa naissance, la seule chose qui ne s'achète pas et dont il n'a pas non plus la maîtrise. Le roi n'est pas choisi par des politiciens ou des hommes de parti, et il n'a pas non plus choisi de naître fils de roi et successeur du roi en place. Cette indépendance lui permet d'incarner l'unité même du pays, d'être une sorte de trait d'union entre toutes les communautés, provinces ou opinions, et, non pas d'être neutre, mais d'être un arbitre impartial, ce qui n'est pas négligeable au moment où notre société tend à présenter des fractures parfois inquiétantes. 

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    Le duc et la duchesse de Vendôme avec leurs trois premiers enfants, Gaston, Antoinette et Louise-Marguerite. Depuis, le prince Joseph est venu agrandir la famille.

    Cela lui permet aussi de « dégager » la magistrature suprême de l'Etat de la compétition électorale, aujourd'hui si pesante et si incapacitante pour le faîte de l'Etat et son autorité : ainsi, il peut aussi incarner une continuité qui n'est pas remise en cause à chaque élection quinquennale, et qui est symbolisée par la formule traditionnelle « Le roi est mort, vive le roi », qui fait du passage d'un souverain à un autre une simple formalité, lourde de sens car elle se fait par le drame de la mort d'un roi et par la survie de l'Etat à travers le nouveau roi, et qu'elle rappelle à celui-ci sa condition humaine... 

    De plus, comme le signale Régis Debray, l'ancien conseiller du président Mitterrand, la Monarchie est aussi une famille royale, fort utile pour incarner la France à l'étranger comme le fait la famille royale britannique au sein du Commonwealth, et susceptible de « catalyser » sur elle « le besoin de spectaculaire » de l'opinion publique qui, de plus, peut se reconnaître dans une famille qui représente toutes les familles du pays. Sans oublier également que la dynastie s'inscrit dans une histoire longue et qu'elle assume toute l'histoire (même républicaine) de la nation que, d'ailleurs, elle a construite depuis 987 jusqu'à la Révolution française... Comme le roi Juan Carlos en son temps, un monarque restauré ou « ré-instauré » n'a pas de revanche à prendre sur quiconque mais se doit « d'être » la nation, et c'est ce qui lui permet, justement, de pouvoir dépasser les conflits anciens et de réunir les adversaires autour d'une même table quand le besoin s'en fait sentir. 

    C'est aussi le monarque qui peut écouter tous les premiers ministres et les accueillir, y compris en cas d'alternance politique, tout en garantissant la permanence de l'Etat : que le gouvernement soit de droite ou de gauche, le roi, de par sa position, peut tout écouter et tout entendre, sans, par ailleurs, dévoiler ce qui peut lui être dit par les uns ou les autres. En Europe, les souverains sont réputés pour leur discrétion et un secret ou un doute confié par un ministre au monarque reste un secret, quand, dans le même temps, le monarque peut conseiller, en toute liberté, le ministre reçu. 

    Dans le modèle français de la Monarchie, le roi n'est pas inactif, loin de là, et son rôle d'arbitre peut être appréciable en cas de conflit ou de blocage politique. Un rôle d'autant plus important que, constitutionnellement, le roi est le garant de la Constitution de la nation elle-même, et qu'il est le Chef de l'Etat, autant pour les Français que vis-à-vis des autres nations du monde. 

    Alors que nous sommes, en République quinquennale, toujours en campagne électorale, la Monarchie « libère » la Première place du joug de ceux qui « font » les élections, puissances d'argent ou partis politiques : ce n'est pas anodin et c'est plutôt rassurant car cela force tous les acteurs de l'Etat et du gouvernement à « servir et non se servir »... Dans le même temps, la Monarchie permet de faire des économies importantes et, même, lors des fêtes familiales (mariage royal, naissances, etc.), de rapporter à l'Etat quelques revenus supplémentaires tandis que l'image du pays est valorisée par la couverture médiatique de l'événement ! La Monarchie, à bien y regarder, est moins coûteuse et plus profitable que la République aux campagnes présidentielles onéreuses (tous les cinq ans) et au train de vie souvent fastueux, parfois scandaleux... 

    Le blog de Jean-Philippe Chauvin

  • SOCIETE • La modernité au risque de la pensée

     

    Une tribune de Bérénice Levet*

    La philosophe Bérénice Levet invite, pour Figarovox, l'homme contemporain à renouer avec son enracinement géographique et temporel. Nous partageons l'ensemble et le fond de sa réflexion et de son souci. Et nous la rejoignons naturellement lorsqu'elle évoque en termes précis « ce mantra des valeurs républicaines (lesquelles sont parfaitement individualistes et, en dépit de leur épithète, étrangères à toute chose commune). » LFAR

    th.jpgQu'entend-on par modernité ? Utilisée à tort à travers, la notion est floue. En philosophie, et plus fondamentalement pour l'humanité occidentale, les temps modernes commencent au XVIIe siècle avec Descartes et, pour prendre un repère, Le Discours de la méthode qui paraît en 1637. Précisons que le philosophe met en forme un mouvement qui travaille souterrainement l'Occident depuis, disons, la Renaissance.

    Cependant, penser la modernité, est-ce seulement faire de l'histoire des idées ? En quoi sommes-nous encore concernés ? Ne sommes-nous entrés depuis la seconde moitié du XXe siècle dans ce que Jean-François Lyotard a appelé la «postmodernité» ? Cette notion nous égare en laissant croire que nous avons dépassé, surmonté la philosophie et l'anthropologie modernes. Or, nous restons largement déterminés par cette philosophie et cette anthropologie. Nous en avons même conduit les postulats à leur acmé. Nous touchons à une sorte de stade terminal qui en rend les impasses plus éclatantes encore.

    Quels en sont les traits saillants ? L'émergence du sujet, de l'individu se donnant à lui-même sa propre existence à la faveur du Cogito : après avoir fait table rase de tous les héritages, de tous les liens qui l'attachaient au monde, jaillit, invincible au doute, le Moi, la certitude de soi (je pense donc je suis). L'individu moderne s'émancipe de son statut de créature, et du même coup de sa dépendance à l'endroit du Créateur, il se conçoit comme libre, souverain, autonome, et pure raison. Pierre angulaire du nouvel édifice du savoir et bientôt, avec la Révolution française, du corps politique. Face à ce sujet omnipotent, la nature se voit réduite au statut d'objet, que l'homme peut sans vergogne s'asservir, et qui n'a même de raison d'être qu'en fonction de l'utilité que l'humanité peut lui reconnaître. L'homme moderne est individualiste - c'est-à-dire non pas égoïste, ce vice appartient à la nature humaine, mais il ne veut dépendre de rien ni de personne, il entend tout gouverner et ne répondre de rien -, il devient incapable de la moindre gratitude pour le donné de l'existence.

    En quoi cette hypertrophie de la volonté, cette ivresse des possibles, le refus de se penser comme obligé du monde, l'assimilation de toutes les significations héritées à des préjugés, à du « formatage », comme on dit aujourd'hui, induisent une déshumanisation de l'homme ? Pourquoi le nomade d'un Jacques Attali, l'homme délié de tout héritage, hors sol, sans passé exalté par certains intellectuels et par bon nombre de journalistes, est un homme mutilé ? À quoi ressemblerait - le conditionnel n'est peut-être pas de rigueur, n'est-ce pas ce que nous avons déjà sous les yeux - une société composée exclusivement d'individus porteurs de droits sans chose commune ? Des individus consuméristes et encouragés à l'être dans l'oubli parfait de ce que Simone Weil appelait les « besoins de l'âme » et parmi lesquels elle comptait l'enracinement géographique assurément mais temporel non moins, car l'inscription dans un lieu et dans un temps plus vaste que celui d'une courte vie humaine est ce sol à partir duquel une vie humaine peut prendre sens.

    Ces questions se posent à nous impérieusement et cruellement. Nous ne manquons pas d'essais qui s'attachent à peindre les conséquences funestes de cette philosophie moderne sur la condition humaine : la déréliction de l'individu contemporain, abandonné à lui-même, auquel, avec pour alibi sa liberté, nous avons renoncé à transmettre le vieux monde, l'émiettement d'une nation, la désagrégation d'un corps social qui a placé en son fondement un principe a-social par excellence, l'individu créancier, avec ses droits à faire valoir.

    Cependant, si nous voulons tenter de remonter la pente, d'infléchir le cours des choses, il nous faut redonner leur fondement philosophique et anthropologique à l'enracinement, à la nation, à la transmission du vieux monde, à l'appartenance à une humanité particulière, à la vie politique comme partage de significations communes et pas simplement adhésion à des règles de coexistence pacifique, ni à ce mantra des « valeurs républicaines » (lesquelles sont parfaitement individualistes et, en dépit de leur épithète, étrangères à toute chose commune). Repenser les conditions d'une humanité possible, se donner les moyens de survivre comme communauté de destin et de sens, c'est ce à quoi de façon ambitieuse assurément nous voudrions contribuer avec ce cycle de conférences (1). Hannah Arendt, Gilbert K. Chesterton, Léon Chestov, Simone Weil, Georges Bernanos, Ortega y Gasset, Louis Dumont, Cornelius Castoriadis, Günther Anders, Christopher Lasch, ces penseurs que nous avons sélectionnés de façon partiale, nous l'avouerons - en fonction de notre propre dette intellectuelle à leur endroit -, ont en commun d'inquiéter les évidences et le prêt-à-penser dont nous périssons, et de nous armer conceptuellement pour résister aux tentatives de plus en plus fortes de criminalisation des esprits libres.

    À ceux qui ne veulent voir que « frilosité », « crispation », « égoïsme » dans l'attachement aux données de base de la condition humaine et s'emploient à transformer en suppôts de l'extrême droite les intellectuels qui restent accessibles à la finitude humaine, à la légitimité du besoin de racine, d'inscription dans une histoire singulière, il faut répliquer philosophiquement - car leurs déclarations péremptoires n'ont d'autre fondement qu'idéologique.

    Les sombres temps, disait Hannah Arendt, sont ces périodes dans l'histoire où la parole publique masque la réalité, en la recouvrant d'exhortations morales ou autres, plutôt qu'elle ne la révèle, ne la dévoile. Empêchons ces sombres temps de s'installer! 

    (1) Observatoire de la modernité, saison 2015-2016. « Dix phares de la pensée moderne », sous la direction de Chantal Delsol et Bérénice Levet. Voir le site: www.collegedesbernardins.fr

    Bérénice Levet            

  • Livres & Société • Éric Zemmour : « De la liberté à la mort »

     

    Par Eric Zemmour    

    Quand le désir gouverne nos vies de façon tyrannique et nous empêche de restaurer nos libertés politiques : Zemmour commente ici le dernier ouvrage d'Hervé Juvin. Un essai décapant, selon Figarox [23.11]. Bien au delà, comme Mauuras et toute l'école contre-révolutionnaire, Zemmour pointe, avec Hervé Juvin, l'origine révolutionnaire d'un certain capitalisme affranchi de tout lien politique et, comme Buisson, il décrit les derniers avatars désastreux d'un cycle - aujourd'hui en échec - qu'il fait remonter aux Lumières. Houellebecq les dit éteintes. Patrick Buisson les répute finissantes. Et voit l'éclosion d'un nouveau cycle de long terme que marque le retour des nations, des peuples et des racines, la fin de la fin de l'Histoire. L'expression est de Finkielkraut. Ce faisceau de réflexions convergentes devrait nous intéresser au plus haut point. Hervé Juvin, suivi par Lafautearousseau depuis plusieurs années, y a toute sa place. Utile et éminente.   Lafautearousseau  

     

    picture-1649413-612mqxqb.jpgIl n'a rien vu venir. Mais il ne fut pas le seul. Quand Hervé Juvin se remémore les premiers émois de la « libération sexuelle » dans les années 1970, quand il évoque la frénésie des rencontres, l'ouverture fascinante des possibles, où même les débuts artisanaux et joyeux des premiers films pornographiques, on sent bien que la nostalgie désillusionnée se mêle sous sa plume à la rigueur de l'analyse. Mais voilà, il est difficile de ne pas constater que l'artisanat est devenu industrie, que la libération sexuelle, loin d'accomplir la révolution annoncée, a « marché main dans la main avec le libéralisme financier » ; et que Marcuse, le théoricien à la mode dans les amphis de Vincennes d'après Mai 68, qui fondait la société capitaliste sur la répression des désirs, avait confondu l'histoire passée du capitalisme avec sa nature intrinsèque.

    Notre auteur n'est pas le premier à établir ce diagnostic. Rien de neuf dans son portrait acide de notre modernité individualiste et féministe, avec ces hommes féminisés et ces femmes solitaires, où la passion amoureuse est remplacée par une « relation » égalitariste et contractuelle, où la « libération obligatoire » et le choix public du genre tournent à la « tyrannie au nom de l’égalité », où « l’ère du même détruit plus sûrement le désir que n'importe quelle morale ». Rien de neuf, mais rien de faux non plus. Juvin pose un diagnostic implacable où la libération est devenue contrainte : « La libération est le meilleur moyen d'être compétitif… Une morale interdisait, elle prescrit. Elle cachait, elle expose. Voilà la libération !»

    Mais le livre ne s'arrête pas là. Juvin l'économiste vient en renfort de Juvin le sociologue et de Juvin le nostalgique. Un économiste brillamment hétérodoxe qui démolit les fondamentaux du libéralisme classique, théorie de l'offre et de la demande, et concurrence pure et parfaite, pour mieux montrer comment l'organisation rationnelle de l'économie du désir a tout emporté pour mieux tout régenter : « Dans le gouvernement du désir, le crédit joue le rôle que police et gendarmerie jouaient dans les gouvernements monarchiques ou républicains… Le crédit fait du temps une marchandise comme une autre. (…) Il n'est pas l'un des instruments de la modernité libérale, il en est l'instrument. (…) Beaucoup parlent d'économie capitaliste. Ils devraient parler d'économie du crédit. »

    De l'économie à la politique, du crédit au droit et au marché, du désir individuel aux désirs collectifs, il n'y a qu'un pas que Juvin franchit allégrement et pour notre plus grand bonheur. Derrière le désir libéré, il y a la consommation à outrance. La consommation obligatoire. Et derrière la consommation, il y a le crédit. Et derrière le crédit, il y a la croissance. Et derrière le marché, il y a le droit. Et derrière le droit, et sa religion individualiste des droits de l'homme, il y a la destruction des nations, des peuples, des identités, des enracinements : « Nous savons que l'avènement de l'individu de droit menace notre existence même et notre liberté nationale. (…) Le mythe de l'autocréation de soi devient la fondation d'une religion moderne, totalitaire et intolérante, la religion des droits de l'homme qui achève de mettre à disposition de l'ordre du désir les individus délivrés de leur identité. » L'oubli des « nous » qui les ont pourtant autorisés à dire « je », comme dit Juvin dans une superbe formule.

    Là aussi, Juvin n'est pas le premier, mais on ne lui en veut pas, car son sens de la formule acerbe nous réjouit, et sa synthèse idéologique est prometteuse. Il arrache l'écologie aux Verts et n'a pas besoin de parler de Cécile Duflot pour montrer avec éclat la contradiction entre son idéologie libertaire et son hostilité au libéralisme, entre son rejet des frontières et son culte des équilibres naturels. « Le vrai sujet est l'invasion humaine de la planète, et la capacité avérée d'homo economicus, l'homme désirant sans fin, à détruire, dégrader et épuiser tout ce qui est à sa portée. »

    Juvin est une incarnation bien plus cohérente d'une sorte de souverainisme écologique qui a compris que la défense de la civilisation européenne contre la subversion migratoire venue du Sud et la lutte contre la déforestation ou l'extinction des ressources naturelles étaient un seul et même combat. Que la nation est le seul outil de la liberté politique et que la liberté politique est le seul outil de la liberté individuelle. Que « c’est la révolution conservatrice qui nous libérera de nos libérations ».

    Nous sommes sortis du slogan révolutionnaire : « La liberté ou la mort », car la Liberté nous a conduits à la mort. « Désormais les nations européennes ont pour premier ennemi le rêve universaliste européen, et qui devient cauchemar, et que réalise cette idée chrétienne devenue folle : préférer son ennemi à soi-même ! (…) (Notre seule question est désormais) la survie de la France, de l'Europe, de la civilisation de ce cap du continent eurasiatique qui s'est cru le monde, et qui l'a tenu un moment, mais qui meurt de ne savoir ses limites, ses frontières et sa clôture. (…) Les migrations de masse sont trop utiles pour détruire les États et ramener les civilisations au temps de l'esclavage. (…) Nous sommes un monde de sédentaires exploité par les nomades, auxquels la globalisation a donné les clefs. »

    Le combat entre sédentaires et nomades prend désormais une forme inédite et intense. Brexit, Trump : les sédentaires relèvent la tête. Sous le mépris et les insultes moralisatrices des nomades. Dans la confusion et l'exaspération.

    Tout cela paraît bien loin des premiers émois amoureux des années 1970. « En libérant le désir sans limites, en organisant le régime du désir comme ordre et comme religion séculière, c'est bien la disparition du monde comme monde et la disparition de l'homme comme homme qu'il entreprend. » On se sent écrasé par la logique implacable des conséquences que cette histoire a entraînées. Écrasé et coupable. 

    « Nous sommes sortis du slogan révolutionnaire  : "  La liberté ou la mort ", car la Liberté nous a conduits à la mort. »

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    Le gouvernement du désir. Hervé Juvin, Gallimard, 274 p., 22 €.

    Eric Zemmour       

     

  • L’Angleterre est une île

     

    par Hilaire de Crémiers

     

    hilaire-de-cremiers-510x327.jpgCoup de tonnerre sur la Tamise. Bruxelles et Paris en ont été ébranlées. Francfort et Berlin peut-être aussi. La suite le dira et jusqu’où. Ce qui est sûr, c’est que l’Europe est à revoir.

    Ce qu’on appelle le Brexit a surpris le monde politico-médiatique, principalement et presqu’exclusivement en France et à Bruxelles, dans ce monde aveuglément fermé des dirigeants français et européens qui croient tout savoir et tout pouvoir. Type Alain Minc. Et ils se sont trompés ! Et ils n’y ont rien pu ! Pour eux, il était définitivement acquis qu’il était impossible de rebrousser chemin sur la voie qu’ils avaient tracée du terrestre paradis de leur rêve : États-Unis d’Europe, fédération européenne de plus en plus intégrée, seule voie de salut ici-bas, en attendant l’intégration transatlantique, puis la fusion universelle sous une « gouvernance » mondiale. Eurobéatitude d’une prométhéenne imagination qui osait enfin concevoir les hommes et les peuples autrement qu’ils étaient, débarrassés à jamais des scories et des obscénités de leur histoire et de leur condition !

    Et patatras ! À 2 heures du matin, le vendredi 24 juin, malgré les chiffres qui tombaient, ils n’arrivaient point à s’y faire. Les Anglais, majoritairement, voulaient rester anglais. Eh oui ! Le peuple britannique retournait à « l’enfer » des nations, à « la damnation » du nationalisme. Malgré tant d’exhortations, d’objurgations ! Tout à coup, il fallait voir l’affolement, entendre les hurlements d’abomination : ce que c’est que de laisser les peuples à eux-mêmes ! Comme s’ils étaient capables de décider et de vivre hors des normes fixées par eux, les grands-prêtres de Bruxelles !

    Des spéculations privées de sens

    Plus de dix fois déjà, des peuples européens, au cours de ces dernières années, avaient tenté de regimber sous le joug. Les Danois, les Irlandais, les Suédois, les Hollandais à plusieurs reprises et encore tout récemment, les Grecs, les Français qui, en 2005, ont signifié à une forte majorité de 55 % leur refus d’une constitution européenne. Mais, à chaque fois, l’obstacle de la volonté des peuples était contourné par l’habileté des dirigeants. Les mêmes traités étaient réécrits et validés par les oligarchies partisanes, tel le traité de Lisbonne ; les accords étaient revus, indéfiniment rafistolés ; les pays – et surtout l’Angleterre – obtenaient dérogations et adaptations. Ô merveille, l’affaire continuait. Mais aussi se compliquait de rouages inextricables jusqu’à l’impossible et l’absurde. L’Europe ne cessait de s’élargir et prétendument de s’approfondir ! Elle ne formait plus qu’un conglomérat de plus en plus chaotique ; toutes les politiques s’achevaient en pitoyables compromis, de sommet en sommet de « la dernière chance ». Jusqu’à la dernière pression migratoire qui a tout fait exploser. Là, les Anglais ont donné un coup d’arrêt. D’autres ruptures sont à prévoir dans cet édifice fragilisé.

    images.jpgD’abord, faisons confiance aux Anglais pour prendre soin de l’Angleterre. Ils supporteront les épreuves pour rebondir : ils ont une histoire, ils la continueront. S’imaginer que la City quittera Londres pour faire plaisir à Francfort et à Paris est une spéculation d’eurocrate, privée de sens. La City restera dans la City, avec ses politiques et sa livre souveraine. « L’Angleterre est une île », professait l’excellent André Siegfried dont nos « sciences potards » et nos énarques actuels ont oublié les leçons.

    L’Allemagne encore plus allemande ?

    Les autres peuples de l’Europe du Nord, eux aussi, se le tiendront pour dit et chacun commencera à compter ses billes. Les peuples du Sud qui vivent en pleine anarchie et qui n’évitent le désastre financier que grâce aux invraisemblables accommodements de la BCE, ne font semblant d’accepter les oukases de Bruxelles que pour ne pas faire faillite officiellement. La prochaine crise de l’euro les fera voler en éclats. Les pays de l’Est n’ont jamais cherché que des subventions et des protections ; mais aucun n’adhère sérieusement au fatras législatif bruxellois et encore moins aux vaticinations junckeriennes et merkelliennes sur l’accueil et la répartition par quotas des flux migratoires.

    Quant à l’Allemagne, gageons que, demain, elle sera encore et même plus encore allemande. L’Europe lui a servi à faire sa réunification à moindre frais ; les Français, déjà liés à son mark, en ont payé une large part, s’en souviennent-ils ? Ainsi a-t-elle établi sa position dominante, d’abord économique, maintenant politique. « Le couple franco-allemand » est une billevesée d’hommes politiques français en mal de discours eurocratiques. L’Allemagne n’ira pas au-delà des intérêts allemands. C’est vrai dans tous les domaines, y compris la défense.

    Paroles de prince

    Et la France ? C’est le seul pays où l’idée européenne soit à ce point une religion. En servant, d’abord, cette fausse divinité, ses dirigeants la sacrifient. Ils se sont totalement coupés du peuple français, sans plus aucun souci des intérêts nationaux, ne cessant de les brader depuis des décennies avec, en plus, des airs avantageux et en se rétribuant au passage. Alors, dans le désastre qui s’annonce, si jamais le peuple français voulait renouer avec son histoire, il retrouverait, au moins et d’abord, sa liberté. La liberté, c’est-à-dire l’indépendance, c’est-à-dire la souveraineté. Le régime actuel est un régime de dépendance, de soumission, d’asservissement à l’étranger. Qui dit souveraineté, dit, chez nous, souverain. Pourquoi ne pas chercher dans cette direction ? C’est une question existentielle : être ou ne pas être. To be or not to be. Les Anglais l’ont compris. Ils ont choisi l’être. C’était le sens de leur Brexit or not Brexit.

    Le Prince Jean de France a donné son avis sur la question soulevée par le Brexit. Avis plein de sagesse : « L’Union européenne est une sorte de chimère. Elle a construit toute une bureaucratie pour veiller au respect de règles libérales, qu’elle a malheureusement érigées en dogmes. Son administration n’est pas moins tatillonne que celle d’un régime socialiste. Il suffit de considérer les directives produites par Bruxelles sur des sujets aussi divers que la composition du chocolat ou la fabrication des fromages… Pourtant, on pourrait tout à fait imaginer une confédération fondée sur la subsidiarité : ce que les États peuvent faire eux-mêmes ne doit pas leur être enlevé. L’Europe telle que je la conçois serait fondée sur la coopération entre les nations, celles-ci choisissant librement de s’associer pour de grands projets d’envergure mondiale. C’est l’Europe d’Airbus et d’Ariane. Pas besoin de structures permanentes, pas besoin de Commission européenne pour construire un avion…Et si nous nous accordons sur des buts plus politiques, veillons à respecter l’identité de chaque pays, ce qui est de moins en moins le cas. Le peuple français en sait quelque chose, puisque ses représentants ont contredit son expression directe en votant un traité presque identique à celui que les citoyens avaient refusé par référendum. Ce décalage entre les institutions et le peuple est antidémocratique et particulièrement inquiétant : il nourrit l’amertume et le ressentiment. L’Europe se fait contre les peuples et sans l’homme. Allons-nous commettre la même erreur que l’Union Soviétique ? »

    Paroles de prince français à méditer dans les mois qui viennent. 

    Repris du numéro de Juillet-Août de Politique magazine ♦ Commander ici !