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Rechercher : qu'est-ce que le Système

  • Sur le blog de Michel Onfray, au Point: ”Le surgissement du mot 'science' ne doit pas fonctionner comme un argument d'au

    Sébastien Le Fol: Un conseil pour commencer, quel philosophe faut-il lire en confinement?

    Michel Onfray: Ce peut être un stoïcien, car ils sont les philosophes du combat contre l'adversité par excellence: ils donnent des recettes pour lutter contre l'inquiétude, la peur, la crainte, l'angoisse, la vieillesse, la maladie, la souffrance, la trahison, la mort bien sûr. Je songe aux Pensées pour moi-même de Marc-Aurèle, aux Lettres à Lucilius de Sénèque, ou au Manuel d'Épictète. Mais, s'il ne fallait qu'un philosophe, ce serait Montaigne, qui, dans les Essais, les contient tous. Permettez-moi de signaler qu'une excellente version en français d'aujourd'hui a été publiée chez Bouquins Laffont-Mollat car le texte en ancien français du XVIe siècle n'est plus lisible en effet que par peu de gens. Toutefois, l'idée n'est pas de lire comme on lit sur la plage, en dilettante, légèrement, mais de façon soutenue, avec un crayon à la main et un petit cahier à disposition pour synthétiser, certes, mais surtout pour commenter ce qu'on lit et en faire un profit existentiel personnel.

    SLF: Même si l'enseignement est organisé à distance, que faut-il apprendre à ses enfants qui ne soit plus enseigné dans l'Éducation nationale?

    MO: Ce qu'on y apprenait jadis! À savoir lire, écrire, compter, calculer, donc analyser, penser, construire un esprit critique –toutes choses qui passent pour réactionnaires aux yeux des nihilistes qui, d'une façon orwellienne emblématique, se présentent depuis des années comme des progressistes! On peut aussi et surtout en profiter pour faire ce que l'école n'a jamais vraiment fait: enseigner l'art, qui est une véritable école de sensibilité. On peut ainsi apprendre des poèmes et se les réciter, lire de la poésie à plusieurs, mais aussi des histoires, lire des nouvelles de Maupassant à ses enfants, leur faire découvrir le théâtre ou l'opéra, textes et livrets à la main. Regarder des émissions intelligentes –les archives de l'INA d'Apostrophes, par exemple. Ces archives disponibles sur le Net permettent de laisser tomber les séries débiles au profit des travaux sur l'art d'Alain Jaubert, Palettes, ou les vingt-trois émissions de Grand'art de l'excellent Hector Obalk. Idem avec le cinéma: il est devenu une activité de marchands cupides, mais, avant cela, il a rendu possible un grand nombre de chefs-d'œuvre pendant la première moitié du XXe siècle. On ne se trompe pas en préférant le noir et blanc qui ne se résume pas aux Tontons flingueurs –très bon, au demeurant… Regardez les intégrales des grands: Jean Vigo, Carné, Renoir, Grémillon, Tourneur, Duvivier, Clouzot, ou, celui qui est pour moi le plus grand critique de notre société: Jacques Tati!

    SLF: Sommes-nous encore capables de nous ennuyer?

    MO:Pour ma part, j'ignore et j'ai toujours ignoré ce qu'est l'ennui! J'ai la chance d'être un lecteur compulsif depuis longtemps (et un auteur compulsif depuis longtemps aussi…) de sorte que les livres ont toujours été pour moi une issue de secours à toutes les impasses dans lesquelles j'aurais pu me trouver. Montesquieu a écrit cette phrase magnifique: "Je n'ai jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture n'ait dissipé." Dès lors, je n'imagine pas ce qu'est s'ennuyer pour quelqu'un d'autre! S'ennuyer, c'est n'avoir rien d'autre à fréquenter que soi. Or le monde est vaste en dehors de soi!

    SLF: Qu'est-ce qui nous a fait accepter sans sourciller (pour la plupart d'entre nous) cette privation de liberté? Les amendes pour non-respect des règles de confinement ou la peur de la mort?

    MO: Le bon sens… C'est d'ailleurs beaucoup plus tôt qu'il aurait fallu faire preuve de cet élémentaire bon sens. J'ai pour ma part signalé sur le plateau de télévision d'Audrey Crespo-Mara dès le 28 janvier, juste avec un peu de bon sens, que la Chine n'était pas un pays à prendre la décision de fermer une ville de plusieurs millions d'habitants sans de sérieuses raisons et qu'il y avait là l'aveu d'une menace véritable! Un pays totalitaire n'a que faire de dizaine de milliers de gens en plus ou en moins à cause d'un virus qui n'aurait été, disait-on partout à l'époque, qu'une grippe moins mortelle.

    SLF: Le coronavirus marque-t-il une nouvelle étape dans l'effondrement de la civilisation judéo-chrétienne que vous analysez dans votre livre Décadence?

    MO: Il s'inscrit dans ce qui existait déjà… Il prend sa place dans le mouvement d'effondrement. La pandémie montre l'impéritie du chef de l'État et du gouvernement, les propos incohérents parce que contradictoires d'Emmanuel Macron (restez chez vous mais allez voter, confinez-vous mais vous pouvez faire des exercices physiques, les écoles ne seront pas fermées puis elles sont fermées, le virus ignore les frontières mais on les ferme tout de même, etc.), conséquemment la démonétisation totale de la parole d'Emmanuel Macron à qui personne n'obéit. Il montre également le cynisme d'une ministre de la Santé démissionnaire qui tente de sauver sa peau en avouant dans un même mouvement qu'elle a préféré sa carrière à la vérité qui aurait épargné des vies. L'idéologie de l'Europe maastrichtienne, massivement matraquée depuis des décennies, tombe comme un fruit pourri: le résultat de cette politique libérale est qu'on trie les vieux à l'entrée des hôpitaux pour les laisser mourir dans leur coin, mais aussi qu'on envoie à la guerre, pour utiliser le mot du chef de l'État, un personnel soignant à qui on est incapable de fournir de simples masques ou du gel hydroalcoolique pour se protéger du mal qu'ils côtoient au plus près… Tout ce qui advient n'initie ni ne précipite la chute mais montre en pleine lumière quelles formes elle prend.

    SLF: Dans ses Essais sur l'histoire de la mort en Occident, Philippe Ariès a montré à quel point notre société a refoulé la mort. Ce déni ne nous rend-il pas très vulnérables?

    MO: Il n'y a pas de dénégation ou de refoulement de la mort, mais un nihilisme face à la caducité du discours chrétien sur elle. Jadis, la religion catholique disposait du monopole du discours sur la mort –Bossuet en avait formulé le contenu de manière sublime. Seuls quelques rares athées ou libres penseurs, quelques déistes ou francs-maçons n'y souscrivaient pas. Aujourd'hui, ce discours chrétien ne marche plus, même chez bon nombre de ceux qui se disent catholiques… Il s'agit donc moins d'un retour de la mort refoulée que d'une angoisse devant elle, décuplée par l'incapacité à y faire face et à y répondre avec une sagesse post-chrétienne. Les médias qui moulinent la mort vingt-quatre heures sur vingt-quatre mettent les Français face à ce trou dans l'être, dans leur être: ils expérimentent moins le retour de la mort refoulée que le nihilisme de l'époque qui, sur ce sujet comme sur tous les autres, n'a rien à proposer.

    SLF: Nous manquons de masques: La Chine nous en envoie un million. Le coronavirus fait prendre conscience aux Européens de leur extrême vulnérabilité. Serions-nous devenus le nouveau tiers-monde ?

    MO: De la même manière que la chute de l'URSS a montré que l'Ouest avait fantasmé pendant plus d'un demi-siècle sur cet empire marxiste-léniniste qui s'avérait un Tigre en papier, l'épidémie montre cruellement que cette Europe maastrichtienne présentée depuis un quart de siècle comme un monstre économique susceptible de faire pièce aux grands empires du monde chute sur ceci: elle n'est pas capable de fabriquer et de fournir des masques aux soignants qui accueillent les victimes de l'épidémie! L'Italie, qui fait partie de l'Union européenne et qui est forte de 60 millions d'habitants, enregistre plus de morts du coronavirus que la Chine, un pays de 1 milliard 300 millions d'habitants! De fait, l'Europe est devenue le nouveau tiers-monde –en abréviation, NTM…

    SLF: Tout le monde imaginait que la prochaine crise viendrait de l'économie. Or c'est un virus qui met le monde à genoux. Pourquoi avons-nous sous-estimé ce risque? De nombreux scientifiques nous avaient mis en garde…

    MO: Le virus n'existe pas indépendamment de l'économie! Dans une économie mondialisée, tout se tient. La voie libérale maastrichtienne a fait du profit l'horizon indépassable de toute politique. Produire des masques et les stocker? Pas rentable… Investir dans la recherche? Pas immédiatement rentable. Disposer d'un service de soins performant pour tous? Pas rentable, laissons les soins aux riches qui auront les moyens de se les offrir et les pauvres à leur solitude. Le virus arrivant, il révèle, au sens photographique du terme, la vérité des choix économiques, donc politiques, qui ont été faits depuis Giscard, Mitterrand compris, jusqu'à Macron.

    SLF: La parole scientifique serait-elle devenue à ce point inaudible dans notre "démocratie des crédules", pour reprendre l'expression de Gérald Bronner?

    MO: Attention à ne pas souscrire à la faribole de la science qui dirait le vrai! Relisons Bachelard qui invite à faire la science de la science pour examiner les véritables conditions de possibilité du discours scientifique! Les médecins de Molière, avec leurs clystères et leurs sangsues, se réclamaient de la science. En URSS, Lyssenko qui luttait contre la génétique de Mendel en la niant était aussi un scientifique! Greta Thunberg se réclame elle aussi de la science pour légitimer ses imprécations apocalyptiques. Or la science obéit à son temps et la génération spontanée défendue par Aristote a été science jusqu'à ce que Pasteur montre, plusieurs siècles plus tard, que c'était baliverne. Le surgissement du mot "science" ne doit pas fonctionner comme un argument d'autorité qui interdirait toute réflexion critique. En présence de toute science, le philosophe active d'abord l'épistémologie! Lire ou relire ce grand livre qu'est La formation de l'esprit scientifique.

    SLF: Cette crise peut-elle provoquer un sursaut civique et moral dans nos sociétés?

    MO: Elle peut provoquer pas mal de choses, mais je crois moins aux lendemains qui chantent qu'à une colère qui monte. Pour l'heure, elle se retient pour cause de décence, de début de confinement, d'abattement intellectuel et moral, d'informations parcellaires. Or il ne pourra pas ne pas y avoir un effet Buzyn: son entretien dans Le Monde a montré l'immense cynisme de nos gouvernants dans cette affaire –le sien compris… Mais cette crise ne refera pas à elle seule et d'un seul coup un esprit civique que cinquante années de propagande généralisée ont définitivement détruit en France.

    SLF: Y a-t-il des épisodes historiques qui peuvent nous inspirer pour nous reconstruire?

    Il ne sert à rien de chercher des raisons de comprendre le présent dans notre passé. Le présent suffit bien à qui fait fonctionner son intelligence, sa raison, sa réflexion, son esprit critique. Le simple exercice du bon sens suffit pour se prémunir de la propagande dans laquelle nous vivons sans cesse. Il faut penser les faits et ne jamais laisser le soin de leur commentaire aux autres –le mien compris…

  • Sur le blog de Michel Onfray, l'art de la comédie.

    Le président de la République des mots

    Chacun l’aura compris, Emmanuel Macron n’est pas un bon président de la République. Il s’avère juste le président des mots, celui qui parle, parle sans discontinuer, celui qui verbigère, qui étourdit à force de paroles, qui s’enivre de mots et voudrait griser son auditoire, tous ses auditoires, avec cette logorrhée qui n’en finit pas, qui n’en finit plus. Il voulait une parole rare? Elle est pluriquotidienne et dupliquée en éléments de langage partout serinés par ses perroquets de ministres –je ne parle pas de sa porte-parole, un précipité, au sens chimique du terme, de cette logocratie... Il avait promis la rareté de son verbe sous prétexte qu’il ne serait ni Sarkozy ni Hollande. Or, il est le premier sans l’action et le second sans la bonhommie: c’est à la fois un Sarkozy qui ne fait rien d’autre que laisser voguer le bateau maastrichtien et un Hollande méchant qui ne peut s’empêcher de cacher sa nature dès qu’il parle avec un quidam critique dans un bain de foule.

    Il parle sans cesse et sa parole se montre accablante, démonétisée, dévalorisée. Il n’est pas orateur, mais il croit que son pouvoir hypnotique, celui du serpent qui convoite l’oiseau, fera tomber de la branche tous ceux qui auront entendu sa rhétorique, sa sophistique. Mais il prend sa volubilité pour  de l’éloquence, il croit que son amphigouri est une ligne claire, il pense que son bavardage est l’atticisme postmoderne. Il se trompe lourdement; il trompe lourdement.

    Il a beau convoquer le général de Gaulle en faisant savoir que, sur sa photo officielle, le volume Pléiade du général se trouve entre celui du pédophile Gide et celui du dandy Stendhal, il ne parvient pas à nous convaincre qu’il pourrait être en même temps de Gaulle, Gide et Stendhal. Il est juste Emmanuel Macron. Après que chacun ait obtenu la certitude qu’il n’était pas de Gaulle, suspendant mon jugement sur Gide dont j’ignore les raisons qui l’ont fait choisir, je formule l’hypothèse qu’il se confine dans le seul beylisme -un mot issu de Stendhal, dont le nom était Henri Beyle.

    Qu’est-ce que le beylisme? Léon Blum a consacré un ouvrage à cette question. C’est un mélange de culte de soi et de l’énergie, de recherche passionnée du bonheur et d’égotisme, de souci narcissique et de volonté dynamique. Je dirai: c’est l’une des modalités du dandysme. Mais le dandysme était l’apanage de l’aristocratie, même déclassée; le beylisme, c’est juste le dandysme des petits-bourgeois en place. C’est Baudelaire pour le confiseur d’Amiens.

    Cette pandémie du coronavirus aura fait ressortir, comme une vieille blessure devient une rougeur avec l’hiver, cette évidence qu’en régime maastrichtien, le chef de l’Etat ne saurait être chef de ce qui de toute façon n’est plus un Etat. Il ne lui reste plus que le pouvoir de déposer des gerbes au pied des monuments, de fleurir les tombes de chrysanthèmes, de couper des rubans et, comme au bon vieux temps de la III° république: de faire des discours! De longs discours, d’interminables discours, de pénibles discours.

    Au moins, sous la III°, il n’y avait ni prompteurs ni plumes cachées derrière le président, il n’y avait ni oreillette ni nègre appointé dans une sous-pente pour écrire les discours  -de Gaulle écrivait les siens, il les apprenait par cœur et n’avait besoin d’aucune prothèse en la matière… Il y eut Debray et Orsenna pour Mitterrand, Henri Guaino pour Sarko, Aquilino Morelle pour Hollande, jadis Sylvain Fort pour Macron avant que ce dernier ne jette la plume aux orties, on saura probablement pour quelles raisons un jour, quand il n’y aura plus de courage pour lui à le dire mais juste des bénéfices.

    Au moins, sous la III°, les hommes politiques avaient été formés au latin et à ses périodes en traduisant Cicéron et Tacite. Ils savaient écrire et mémoriser parce qu’à l’école on apprenait et à écrire et à mémoriser: les dictées et l’analyse logique, l’orthographe et la grammaire, les récitations et le par cœur forgeaient des épées et de fines lames. A l’école d’après Mai 68, celle de Macron, nous n’avons plus que des couteaux à beurre sans lames et sans manches. C’est dire l’état de la coutellerie française…

    Macron n’est pas même intéressant à écouter. Il annone, il déclame, il professe. Il n’a pas été nourri au verbe de Cicéron mais à celui de Brigitte Trogneux, son professeur de français devenu comme chacun sait son épouse; il n’est pas allé à l’école romaine de La Guerre des Gaules mais à celle des Jésuites de La Providence d’Amiens; il n’a pas appris l’Histoire chez Tacite ou, mieux, chez Suétone, mais avec L’Art de la comédie d’Edouardo de Filippo qu’il a traduit, nous dit l’hagiographie, avec madame Trogneux.

    Or L’Art de la comédie, c’est tout un programme auquel il est resté fidèle. Cette pièce incarne la scie musicale d’alors chez les profs fascinés par la formule du     théâtre dans le théâtre: la fiction est-elle réelle, le réel est-il fiction? "Ma pauvre dame, on n’en sait donc plus trop rien…" disait-on alors sur les estrades. Mais quand on est devenu président de la République, il est bon qu’on ait tranché ces questions existentielles d’adolescent. Or, Manu n’a pas encore tranché…

    On ne peut expliquer les entrechats présidentiels qu’avec cette hypothèse que le chef de l’Etat est resté sur scène avec Madame Trogneux comme quand il avait quinze ans et qu’elle en avait trente neuf: le virus n’est rien d’autre qu’une grippette mais il faut confiner tout le monde, il faut rester chez soi mais vous devez aller voter, il faut rester confiné mais vous pouvez aussi faire vos exercices physiques, il ne faut pas fermer les frontières mais il faut les clore, on se fermera pas les écoles mais on les ferme, le virus n’a pas de passeport mais il a celui de Schengen, la maladie ignore les frontières mais on peut l’y contenir tout de même.

    Dernière volte-face en date: le masque ne sert à rien mais il faut le porter. C’était le sens de l’intervention à Mulhouse dont le verbe présidentiel a commencé par nous préciser que c’était une ville d’Alsace dans la région Grand Est. Nul doute que les français auront été heureux de l’apprendre de la bouche d’or du président de la République élu au suffrage universel direct. Il fallait bien tout ça pour ça…

    En décor marron de cette pièce alsacienne, on voyait un camp militaire dont il nous a été dit comment il avait été monté: "On a réalisé une grosse (sic) opération logistique avec la conception, la validation, l'acheminement et le déploiement dans des délais contraints: 24 heures pour être désignés, 24 heures pour être acheminés, 48 heures pour être déployés", affirme le chef d'escadron Nicolas, chef des opérations du RMED de La Valbonne. Du même: "On a mis 5 jours pour développer ce module. Récemment, pour mettre au point notre nouvelle antenne chirurgicale, on avait pris deux ans."

    Cinq jours pour une toile de tente accueillant trente lits! Qu’en aurait pensé Napoléon? Gageons que le chef d’escadron se verra épingler la décoration créée par l’Empereur lors d’une prochaine remise de ces breloques à l’Elysée des mains mêmes du chef des Armées, Emmanuel Macron, soldat de troisième classe…

    Sûr que si l’on avait fait appel aux héros de Camping 3, le film de Fabien Onteniente, avec Claude Brasseur en généralissime, Franck Dubosc en sous-officier du génie, celui de l’Armée, et Mylène Demongeot en cantinière également responsable de la buvette du mess, le campement aurait été plus vite monté sur le parking!

    On peut désormais facilement imaginer ce que serait la réponse militaire française aux premières heures d’une guerre bactériologique décidée par un pays ennemi de la France et nous n’en manquons pas! Y compromis chez les tenants de la petite guerre de ceux qui prennent leurs ordres auprès de l’Etat islamique replié en position d’attente mais toujours actif. Il doit bien rigoler Amir Mohamad Abdel Rahmane al-Maoula al-Salbi, le nouveau chef de l’Etat islamique, en voyant que, dans l’urgence, la France des kouffars se hâte lentement à préparer puis à aligner des lits de camp!

    Où est l’équivalant du capitaine Charles de Gaulle et de sa doctrine militaire d’avant-guerre qui nous permettrait de faire face aux périls à venir? Pauvre armée française dont le même de Gaulle écrivait dans Vers l’armée de  métier (1934) qu’elle avait taillé dans le chêne du temps la belle sculpture de l’histoire de France. Cinq jours pour mettre sur pied un hôpital miliaire de trente lits en temps de paix! A quelle humiliation les dévots du veau d’or maastrichtien ont-ils contraint cette armée (mais aussi cette police, ce personnel de santé, méprisés pendant des mois avant cette épidémie alors qu’il se contentait de dénoncer la faillite programmée de la santé française…) pour qu’elle se dise fière de ce qui devrait entraîner sa honte?

    Pendant ce temps, les problèmes du non respect du confinement dans les banlieues est abordé place Beauvau dans une visioconférence datée du 18 mars. Le Canard enchaîné nous apprend qu’elle a permis à Laurent Nunez, secrétaire d’Etat à l’Intérieur, de prendre une décision: interdit de "mettre le feu aux banlieues en essayant d’instaurer un strict confinement"!

    C’est le monde à l’envers. C’est l’action de la police qui mettrait le feu aux banlieues qui refusent de respecter l’ordre public, autrement dit: qui méprisent la loi. Le confinement ne sert à rien s’il n’est pas respecté par tous, c’est le message que l’Etat français diffuse sur tous les supports médiatiques. Mais, en ce qui concerne les territoires perdus de la République, la République elle-même donne l’ordre de laisser faire à ceux qui sont censés la garantir. On ne peut mieux dire que le chef de l’Etat autorise les banlieues à contaminer à tout va qui elle voudra! Le message est on ne peut plus clair. Le jour venu, il faudra s’en souvenir.

    Le préfet du Nord aurait quant à lui expliqué que les commerces illégaux (drogue, mais probablement aussi marché noir des masques de protection…) "exercent une forme de médiation sociale". Encore un disciple d’Edwy Plenel qui va se voir épingler la breloque au veston lors du prochain 14 juillet, et ce des mains même du président de la République des mots!

    Car, ce qu’il faut retenir de cette allocution de Mulhouse, outre la leçon de géographie de la France pour les nuls, outre la démonstration de camping des prouesses techniques de ce qu’il est convenu d’appeler le Génie dans l’armée, outre la dix-millième verbigération présidentielle, c’est qu’on aura vu, et c’est le seul message valable quand ce qui est dit pèse aussi lourd qu’un postillon, c’est qu’Emmanuel Macron n’apparaît plus en compagnie de son épouse en jupe courte et haut-talons, comme lors de l’hommage à Simone Weil dans la cour des Invalides, en lui tenant la main, mais seul comme un chef de guerre qui serre les mâchoires qu’il cache désormais derrière un masque.

    Sur ledit masque, Sibeth Ndiaye nous disait le jour du point presse de Mulhouse: "Lorsque nous ne sommes pas malades ou pas soignants, ce n’est pas utile: il n’y a pas de raison que le président de la République déroge aux prescriptions qui sont celles pour l’ensemble de la population". Puis l’on a vu le président portant un masque… C’était un énième effet du en même temps.

    En avril 2019, Sibeth Ndiaye avait dit: "J’assume de mentir pour protéger le président de la République". C’est la dernière fois qu’elle a dit une chose vraie. On ne l’y a pas repris depuis.

    Pour conclure, au moins ce propos: à Mulhouse, le président a appelé à une Opération "Résilience". Encore des mots…

    Car cette guerre ne fait que commencer: comment pourrait-elle générer déjà sa résilience? Pour ce faire, il va falloir attendre les ruines qu’elle aura générées: ruine de l’Etat français, ruine de la classe politique confinée dans ses maisons de campagne, ruine de l’économie du pays, ruine de la parole présidentielle, ruine des élites, ruine de l’Etat maastrichtien, avant d’autres ruines dont on saura lesquelles dans deux ou trois mois. A cette époque seulement on pourra parler de résilience. Mais il faudra que les animaux sortis des cages où on les aura confinés pendant des mois entendent ce langage alors qu’ils retrouveront la liberté en bandes, en hordes, en meutes. La résilience est toujours minoritaire. Car ce qui fait bien plutôt la loi en pareil cas, ce sont les pathologies et leurs effets diffractés dans la vie concrète.

    Michel Onfray

  • L’État pèse trop lourd, mais combien pèse-t-il ?, par Philippe Kaminski.

    Source : https://www.profession-spectacle.com/

    Avec la crise sanitaire et le confinement, le PIB annuel va chuter dans des proportions jamais vues, tandis que la dépense publique, elle, aura fortement augmenté. Mais ne faisons pas dire aux chiffres qu’on ne manquera pas de nous répéter au fil des mois, ce qu’ils ne disent pas. Explications.

    Actualité de l’économie sociale

    Je suis souvent amené à déplorer la trop grande prépondérance de l’État dans notre économie et dans notre société. Je n’en fais ni un dogme, ni une fixation, comme certains apôtres acharnés d’un libéralisme absolu ; mais il faut bien convenir que les occasions de stigmatiser notre État omniprésent, obèse et inefficace sont assez nombreuses et touchent à tous les aspects de notre existence.

    Les comparaisons internationales, à qui on peut faire dire tout et son contraire, placent la France aux tous premiers rangs selon le « degré de socialisation de l’économie ». Fort bien mais de quoi s’agit-il ? Sait-on effectivement « mesurer » l’emprise de l’État ? Et comment juger de ses performances ? Comment savoir s’il fait mieux, ou moins bien, que ne le ferait un acteur privé ?

    On entend souvent dire qu’il est urgent de « réduire la dépense publique » et de la limiter aux « domaine régalien ». Fort bien. Prenons au hasard un paquet de cent milliards de dépense publique, par exemple la santé, et privatisons tout ça. La Nation, ou la population, se sera-t-elle enrichie de cent milliards ? Bien sûr que non ; ce que nous n’aurons plus à payer par nos impôts, nous le payerons autrement. Tout au plus pourra-t-on arguer que nous saurons nous montrer plus économes de nos propres sous que ne l’est un État prodigue et dispendieux, et qu’une offre médicale privée sera mieux gérée et plus efficace que des structures publiques lourdes et bureaucratiques. Cela se défend, mais ce n’est pas garanti ! Et même en postulant, avec beaucoup d’optimisme, que nous y gagnerions 10 % de productivité, la nation y aura gagné dix milliards, pas cent.

    Ce n’est donc pas tant le volume des dépenses qui importe, car en les transférant ailleurs on n’y gagnera au mieux que des montants de second ordre. Il faut sans doute porter davantage l’analyse sur le plan de l’autonomie des citoyens, de leur désir et de leur capacité à maîtriser une part plus grande de leurs activités de production comme de consommation en « retirant » celles-ci du giron protecteur de la puissance publique. Sur ce point, l’Économie Sociale est au cœur de la solution du problème, bien mieux que ce qu’on entend généralement par « le secteur privé ». Mais on se heurte alors frontalement à deux écueils. D’abord le fait qu’une grande partie de la population ne demande pas mieux que de continuer à se laisser materner par un État qui en veut toujours plus, ensuite parce qu’on quitte alors le monde des grandeurs facilement mesurables et compréhensibles, comme les milliards du budget de la Santé, pour celui plus subtil de données qualitatives et subjectives.

    Contentons-nous dès lors, dans un premier temps, de chercher à comprendre ce que recouvrent les agrégats macroéconomiques les plus fréquemment mis en avant.

     

    Deux indicateurs se sont imposés, que ce soit auprès des commentateurs réputés spécialisés ou du grand public. Il s’agit d’abord du ratio des prélèvements obligatoires au produit intérieur brut (PIB), puis du ratio des dépenses publiques au même PIB. Le premier tournait, les années passées, autour de 45 %, le second autour de 56 %. Je remarque, de plus en plus souvent, une tendance à prendre le chiffre le plus élevé, donc le second, pour lui donner le sens le plus parlant, c’est à dire le premier, entendu comme « les richesses produites par le valeureux secteur privé qui s’en fait dépouiller par un État prédateur ». À cela d’autres répondent que l’État aussi produit de la richesse, et de meilleure qualité puisqu’elle sert l’intérêt général, et qu’il lui est donc légitime de prélever le fruit d’activités qui ne servent que des intérêts particuliers. Encore heureux qu’il n’en prenne pas davantage.

    Ces deux positions opposées sont également caricaturales mais les débats ne vont généralement pas plus loin. En particulier, il serait utile de chercher à s’entendre sur ce que serait un niveau optimal de prélèvement, et quel sens lui donner, assez pour financer le secteur public, pas trop pour ne pas asphyxier l’entreprise privée. Faute d’investir dans ce genre de réflexion, on se contente de fixer le « trop » et le « pas assez » en référence à ce qui se fait dans d’autres pays, ce qui ne mène pas loin.

    Qu’est-ce qui sépare nos deux indicateurs ? Les 45 % de recettes publiques obligatoires vont bien entendu contribuer au financement des 56 % de dépenses publiques, mais d’où viennent les 11 % restants ? Eh bien il y a d’abord des recettes de production, c’est à dire tout ce qui est vendu ou retenu (ticket modérateur, forfait hospitalier…) par un organisme public. Je n’en ai pas trouvé de liste précise, mais ça va chercher tout de même dans les 90 milliards. Il y a ensuite des recettes de propriété, dont les dividendes perçus et les privatisations, et d’inévitables divers. Tout cela fait beaucoup mais le compte n’y est toujours pas ; le reste, c’est le fameux déficit, qu’on s’est engagé à tenir en dessous de 3 %, qu’il faut combler par des emprunts et qui alimente la progression de la dette.

    Mais que l’on prenne 45 % ou 56 %, j’estime que l’un et l’autre de ces indicateurs sont trompeurs. Si je vous dis que le Mont Blanc représente 54 % de Everest, j’aurais raison dans la mesure où ma division est juste. Mais j’aurais tort car l’Everest n’est pas constitué du Mont Blanc et de 46 % de je ne sais quoi. Le rapport de la dépense publique au PIB est de même nature. Quand un journaliste écrit que « l’État dépense à lui seul 56% de la richesse nationale », il sous-entend fortement que le secteur privé et les ménages n’ont que les 44 % qui restent à se partager, ce qui est absurde. En effet la dépense publique n’est pas plus un morceau du PIB que le Mont Blanc n’est un morceau de l’Everest. Le ratio au PIB n’est calculé que pour avoir un ordre de grandeur, et permettre les comparaisons internationales et un suivi dans le temps, mais ne doit pas être interprété au-delà.

     

    Le PIB est très critiqué, parce qu’on voudrait lui faire dire plus qu’il ne peut. C’est très frustrant et cela dure depuis les origines. Frustrant comme peuvent l’être les lois élémentaires de la physique ; on aimerait aller contre, on aimerait s’en affranchir, mais c’est impossible. Dans le PIB, chaque événement créateur de richesse n’est comptabilisé qu’une seule fois ; or toute transaction économique met en scène deux agents, l’acheteur et le vendeur, et on ne peut les compter tous les deux. Prenons le cas d’une entreprise de travaux publics cotée en Bourse qui va réaliser un gros chantier pour l’État. Cette opération relève-t-elle du secteur privé, le vendeur, ou du secteur public, l’acheteur qui finance ? À l’évidence, des deux. Or elle ne sera comptée qu’une fois dans le PIB. Mais selon la manière dont on analysera les composantes de ce PIB, elle pourra être vue comme dépense publique, et donc donner consistance à l’image d’un État omniprésent et prépondérant, ou comme une production privée, et conforter alors l’idée d’une puissance sans limite des grands groupes capitalistes. Chacun y trouvera matière à étayer ses arguments.

    Or il y a trois manières de décomposer le PIB, ce qu’on appelle l’approche production, l’approche demande finale et l’approche revenus. Chacune donne lieu à une représentation différente du poids de l’État. Bien sûr elles ne s’opposent pas ; elles sont complémentaires, mais elles ne se ressemblent pas et ne disent pas la même chose.

    Il faut tout d’abord s’entendre sur ce que, dans le calcul du PIB, on désigne sous le nom d’État, plus exactement d’APU, pour « Administrations Publiques » (car l’équilibre entre le langage courant et le sabir de la comptabilité nationale est un exercice périlleux). On confond trop souvent État et gouvernement, État et administration, État et secteur public, État et centralisation (ou jacobinisme), État et bureaucratie, État et personnel politique… Or en économie, on a besoin de définitions précises et internationales. Les APU rassemblent donc, outre l’État central proprement dit, les collectivités territoriales, les institutions de Sécurité Sociale (au sens large, comprenant l’assurance chômage) et les ODAC, conglomérat de plusieurs centaines d’organismes comme par exemple, dans la culture, les musées nationaux et les théâtres nationaux.

    Selon l’approche du PIB la plus communément utilisée, celle des utilisations finales de l’ensemble des biens et services produits par l’économie, la part des APU ressort à 27 % :
    – consommation finale des ménages (ce que vous et moi avons acheté pendant l’année) : 53 %
    – dépense nette des APU : 27 %
    – investissements des entreprises : 13 %
    – investissements des ménages (logement) : 5 %
    – divers (associations, variation des stocks, solde du commerce extérieur) : 2 %

    Ces 27 % des APU se décomposent à leur tour ainsi :
    – 57 % pour les services non marchands dits individualisables (notamment éducation et santé) ;
    – 30 % pour les services non marchands dits collectifs (défense, sécurité intérieure, justice…) ;
    – 13 % pour les investissements publics (équipements et bâtiments).

    L’approche selon la production conduit également à un chiffre de 27 %, mais de nature différente :
    – valeur ajoutée des entreprises (sociétés, financières et non financières) : 61 %
    – valeur ajoutée des APU : 16 %
    – solde des impôts sur les produits (TVA) et des subventions sur les produits : 11 %
    – valeur ajoutée des ménages : 8 %
    – valeur ajoutée des entrepreneurs individuels : 4 %
    sachant que la valeur ajoutée des ménages contient cette bizarrerie comptable que sont les loyers fictifs imputés aux propriétaires de leur logement.

    L’approche par les revenus, généralement interprétée comme indicateur du partage entre revenus du travail et revenus du capital, donne un chiffre de moitié inférieur :
    – rémunération brute des salariés : 52,5 %
    – excédent brut d’exploitation des entreprises : 34 %
    – impôts sur la production et les importations, moins subventions : 13,5 %

    Le chiffre pour les entreprises contient le « revenu mixte » des entrepreneurs individuels. Une indication complémentaire permet de mieux situer le poids des APU dans les revenus des personnes physiques : 75 % de la masse des salaires bruts sont distribués par les entreprises, contre 25 % par les APU (la comptabilité nationale ne permet pas de distinguer ici la part de l’Économie Sociale, qui revendique environ 15 % des salaires du privé).

    Ces chiffres peuvent être complétés à l’infini par tous les ratios qu’on voudra, mais ce sont les seuls pour lesquels le haut de la fraction est effectivement une partie du bas et où chaque élément n’est compté qu’une seule fois. On est loin des 45 % ou 56 %. Ceci étant, 27 % c’est considérable ! Mais cela ne préjuge en rien de l’utilité de la dépense publique, ni de l’équité de la répartition de la charge de l’impôt entre les contribuables.

     

    La question de savoir ce qu’il en sera pour 2020, après l’épreuve du confinement qui aura provoqué une chute encore jamais vue du PIB, est sur toutes les lèvres. Cela dépendra bien entendu de l’ampleur du rattrapage qu’il sera possible d’effectuer au cours du second semestre.

    Le PIB annuel va chuter, les prélèvements obligatoires aussi, je ne sais lequel l’emportera sur l’autre, mais il est vraisemblable que le ratio de 45 % variera peu. Ce qui est certain en revanche, c’est que la dépense publique aura fortement augmenté, propulsant son ratio au PIB à des niveaux encore jamais vus. Cela sera-t-il cependant représentatif du considérable mouvement d’étatisation qu’aura provoqué le coronavirus ?

    Philippe KAMINSKI

  • Histoire & Actualité • Michel Goya : Ce sont les Français qui ont gagné la guerre de 14-18

     

    Entretien avec le colonel Michel Goya, propos recueillis par Philippe Mesnard 

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    « Jamais une organisation française, comptant plusieurs millions d’individus, ne s’est aussi radicalement et rapidement transformée que l’armée française pendant la première guerre mondiale. »

    Qu’est-ce qui vous a le plus surpris en préparant votre livre ?

    La faiblesse américaine, le décalage entre l’historiographie américaine et la réalité du terrain. Si le conflit avait duré, l’armée américaine, en 1919, aurait été la plus puissante – et on peut d’ailleurs se demander si signer l’armistice en novembre 18 était pertinent. Mais les Américains n’interviennent véritablement qu’en septembre 1918, sans d’ailleurs être remarquables, comme la bataille de l’Argonne en témoigne. Ils en tireront beaucoup d’enseignements, d’ailleurs, sur l’organisation, l’équipement… Les Américains sont le seul pays à avoir eu plus de morts par accident et par maladie qu’au combat. L’autre surprise, c’est l’état de déliquescence de l’armée allemande, alors que l’historiographie reprend l’argument politique d’une armée invaincue, rentre en bon ordre, trahie par l’arrière : le fameux « coup de poignard dans le dos ». Ni Ludendorff ni Hindenburg ne seront là pour signer l’armistice, ce n’est pas l’armée qui capitule. Mais c’est faux. L’état-major allemand le sait bien qui s’est discrètement retiré de la conduite du pays dans les dernières semaines et a remis en avant, pour négocier la paix, un pouvoir civil très falot jusque-là. Dans les faits, les Allemands ne se battent plus, en novembre 1918. La Belgique est peuplée de centaines de milliers de déserteurs allemands qui ne résistent plus – au point, une fois encore, que certains combattants ne comprennent pas que les opérations ne soient pas allées jusqu’en Lorraine, au Rhin . Choses qu’on fera pendant la Seconde Guerre mondiale : pas d’armistice puis de longs pourparlers de paix. Et ce sont les maréchaux allemands qui viendront signer la capitulation. En 1918, sans aucun doute, l’armée allemande avait été vaincue sur le terrain, en France et en Belgique.

    Cent ans après l’armistice du 11 novembre 2018, les Français ne retiendraient de la Grande Guerre que la souffrance, l’horreur… Les trois premières années, pour ainsi dire, faites de défaites et de désillusions. Un voile sinistre recouvre désormais la guerre de 14-18.

    Sur “l’objet guerre” lui-même, il y a une dépolitisation, alors que la guerre est un acte politique : il y a des morts mais ce n’est ni une épidémie, ni une catastrophe naturelle. Des entités politiques s’affrontent par les armes, et il n’y avait aucune ambiguïté dans l’esprit des gens de l’époque : les soldats savaient qu’ils devaient défendre leur pays contre l’invasion allemande, et que cela nécessitait des efforts et des risques. Les tranchées n’étaient pas un méchant hasard qui les contraignait à vivre une vie de souffrances. Quand on regarde l’historiographie telle qu’elle a évolué, on voit que le 11 novembre n’est plus la célébration de la victoire, mais seulement celle de la fin des souffrances, comme si la seconde ne dérivait pas de la première… Et il faut pointer un autre phénomène : cette victoire est d’abord une victoire française. Ce sont les Français qui, durant la guerre et jusqu’à la fin, ont supporté le principal effort. L’historiographie efface peu à peu cette contribution française à la victoire finale. On peut le comprendre chez les historiens britanniques, qui n’ont aucun scrupule à survaloriser le rôle de leurs forces armées, c’est plus surprenant chez les Français : à les lire, on a l’impression que, passées l’offensive Nivelle et les mutineries, l’armée française n’existe plus. J’ai voulu montrer à quel point la France avait eu un rôle capital dans la victoire, et à quel point cette victoire n’était pas seulement due aux efforts et aux sacrifices des combattants mais aussi à l’intelligence : jamais une organisation française, comptant plusieurs millions d’individus, ne s’est aussi radicalement et rapidement transformée que l’armée française pendant la première guerre mondiale. L’armée de 1918 a plus à voir avec l’armée d’aujourd’hui qu’avec celle de 1914.

    Vous soulignez dans votre livre deux évolutions : technique, avec tous les nouveaux matériels inventés en fonction des nouveaux impératifs du combat (inventés et améliorés en permanence) ; stratégique, avec une doctrine qui évolue sans cesse : on conceptualise la troisième dimension, par exemple, et c’est la stratégie qui sert de moteur à la technologie.

    Comme dans toute bonne stratégie, il y a une rencontre entre la doctrine et les moyens. À la fin de 1917, la première armée de renfort des Français, ce ne sont pas les Américains mais les machines. Au deuxième semestre 1917, l’industrie française produit autant que dans toutes les années précédentes. L’arsenal des démocraties, c’est la France : c’est elle qui équipe les Balkans, les Américains – au détriment des Français : Patton a des troupes et des chars français sous ses ordres. Alors même que les Allemands ont envahi plusieurs régions industrielles françaises. De nouvelles unités de combat sont créées : 80.000 camions (autant que toutes les armées du monde réunies) transportent des troupes, très vite, sur n’importe quel point du front, et, à partir de mai 1918, des chars légers, l’aéronautique est puissante (en ratios, une division française d’infanterie est appuyée par quarante avions, là où les Allemands ne peuvent en aligner que vingt), trente-sept régiments sont équipés en canons de 75 tirés par des camions et non plus par des chevaux – alors qu’en 1914, la logistique était quasi-napoléonienne. La doctrine Pétain, qui renonce au mythe de la grande offensive décisive, exige qu’on puisse multiplier les “coups”, les batailles, donc exige une grande mobilité rapide : à la fin de la guerre, on est capable d’imaginer et de réaliser en deux-trois semaines une opération nécessitant de déplacer plusieurs dizaines de milliers d’hommes ; c’est un miracle de management. Les Britanniques sont bons aussi, mais leur corps expéditionnaire ne représente que 40% des forces françaises ; les Américains aussi, mais ils n’auront de véritable impact sur la conduite de la guerre qu’au deuxième semestre 1918.

    C’est le paysage français lui-même qui change : les chemins de terre où vont les charrettes sont remplacés par des routes goudronnées à deux voies. Même les populations civiles ont gagné la guerre : elles se sont adaptées.

    Les Français ont eu le taux de mobilisation le plus élevé de toutes les nations combattantes mais on parle assez peu du million de travailleurs étrangers qui sont venus renforcer l’appareil industriel. Tout le réseau ferré est modifié, on crée des routes, avec des nœuds de communication, pour fluidifier tous les mouvements au plus près du front. Là aussi, tout se fait sur un pied inédit et même inimaginable en 1914, au point que l’organisation de la France pendant la Première Guerre mondiale (et celle de l’Allemagne dans une moindre mesure) servira de modèle aux économies planifiées d’après-guerre, comme celle de l’URSS : l’État a fait la preuve qu’il était capable d’organiser la production à très grande échelle.

    Votre livre débute en 1917, au moment où les choses basculent : le commandement prend conscience qu’il faut changer de méthodes. Foch devient généralissime, les Anglais – et les autres généraux français – ayant enfin accepté l’idée d’un commandement unique.

    Au-delà des rivalités nationales et des rivalités de personnes, le commandement est réorganisé, les fronts sont dissociés et le gouvernement choisit Nivelle comme commandant des armées – choix technique pertinent, car c’est lui le vrai vainqueur de Verdun, mais surtout choix politique, car c’est le plus jeune des généraux, le plus “contrôlable”. Ce sera désastreux, avec la boucherie du Chemin des Dames, qui déclenchera les mutineries. Pétain s’impose alors comme le meilleur des généraux du moment, celui qui a le mieux compris la nouvelle nature du conflit. C’est lui qui va réorganiser l’armée, imposer une doctrine et créer l’instrument de la victoire. Fin 1917, alors que les Allemands bénéficient du retrait de la Russie et sont donc capables de jeter de nouvelles forces sur le front français, Foch remet sur la table la question du commandement général des armées. Il suffit d’une percée allemande sur les positions britanniques pour convaincre tout le monde de cette nécessité. Entre un Foch agressif et un Pétain placide, l’armée française devient encore plus efficace.

    Vous décrivez la manière dont l’amirauté allemande pousse à la guerre sous-marine à outrance en mésestimant les risques d’entrée en guerre des États-Unis. On a l’impression que les états-majors sont perpétuellement surpris par les conséquences de leurs décisions, leurs effets secondaires, à cause de l’ampleur du phénomène  « guerre totale » : mécanique, nombreuse, étendue comme aucune guerre ne l’a jamais été ?

    Les Allemands surestiment en effet leurs forces et les effets de leurs actions, et sous-estiment les réactions de leurs ennemis. L’Allemagne aura manqué d’une véritable conduite stratégique de la guerre, alors que les Alliés réussissent mieux à coordonner les instruments de puissance. Les Allemands laissent les Britanniques débarquer en France sans que leur marine intervienne, ou envahissent la Belgique sans se poser la question des conséquences diplomatiques (croyant que la guerre se gagnera en quelques semaines). L’ambassade allemande va jusqu’à organiser des sabotages sur le sol même des États-Unis ! ou propose une alliance au Mexique s’il désire déclarer la guerre à leur voisin… A la fin de la guerre, quand Ludendorff gère, dans les faits, le pays, il consacre toutes les ressources à l’effort de guerre, allant jusqu’à réquisitionner tous les chevaux, ce qui ruinera ce qui reste d’agriculture allemande… Toute la conduite de la guerre est une série de paris perdus.

    Ce qui amène la victoire française, c’est la volonté de gagner, au point de se réinventer de fond en comble, du matériel au moral. En 1919, l’armée française est victorieuse et est devenue le gendarme de l’Europe. Vingt ans plus tard, c’est une armée qui n’a plus envie de gagner, et vous dites que la campagne de France aurait pu être gagnée si le désir de victoire avait été aussi vif qu’en 1918.

    Gamelin, en 1940, a l’âge de Foch en 1918 : on ne réécrit pas l’histoire mais un Foch en 40 n’aurait sans doute pas donné la même chose… Surtout, l’outil militaire s’est rigidifié, a perdu de son inventivité. Le gouvernement a d’autres priorités que ses armées suréquipées, il gèle la production. Les compétences techniques se perdent, notamment en aéronautique. Et la doctrine a évolué : la France est un vainqueur qui a peur du vaincu, au potentiel humain et industriel bien plus fort. Ceux qui préconisent la normalisation des rapports avec l’Allemagne, comme les Anglo-Saxons, gagnent contre ceux qui préconisent une vigilance sans faille, les Français, et préconisent donc d’occuper et de démilitariser l’Allemagne et de garder une armée française très mobile. La détente prévaut, la stratégie devient défensive, la durée du service se réduit (sans qu’on puisse, donc, former des techniciens), l’armée ne se soucie plus que d’établir des lignes et non plus d’aller porter rapidement la guerre chez l’ennemi. Au moment de l’arrivée au pouvoir d’Hitler, le gouvernement français réduit considérablement les budgets militaires. On se réveillera en 1937, trop tard.   

    Le colonel Michel Goya, enseignant et auteur français, est spécialiste de l’histoire militaire et de l’analyse des conflits. Il vient de publier :

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    Les Vainqueurs – Comment la France a gagné la Grande Guerre. Tallandier, 2018, 320 pages, 21,50€.

    Philippe Mesnard 

  • Robert Ménard : « Estrosi, c'est une droite qui a honte d'elle-même », par Géraldine Woessner.

    Source : https://www.lepoint.fr/

    Le maire de Béziers revendique une parole décomplexée et étrille les leaders de la droite traditionnelle.

    Des étoiles à nouveau alignées… Et une ambiance morose. Quelque 200 élus du Rassemblement national se réunissent à Fréjus (Var) ce week-end, pour une rentrée politique qui marque le lancement de la campagne de Marine Le Pen.

    Officiellement, le parti se sent les voiles gonflées : la sécurité, angle mort de la politique d'Emmanuel Macron, est à nouveau au premier rang des préoccupations des Français, et la droite parle de tant de voix qu'elle reste inaudible. « Ensauvagement », « localisme », « souverainisme »… Les idées longtemps portées par le Rassemblement national sont à la mode.

    Et pourtant, les élus RN ont pris le train, vendredi soir, en traînant des pieds : le parti, financièrement à genoux, a mangé la poussière aux dernières municipales. « C'est un répulsif », tranche le maire de Béziers, Robert Ménard, élu en 2014 avec le soutien du RN (et réélu ce printemps au premier tour), mais qui n'en a jamais été membre. Et qui, aujourd'hui, s'impatiente : si Marine Le Pen et son parti ont longtemps incarné et servi les idées des électeurs les plus à droite, les mêmes plombent aujourd'hui leurs chances, pense-t-il, d'accéder au pouvoir. Entretien.

     
    Le Point : Écouterez-vous le discours de Marine Le Pen dimanche ?

    Robert Ménard : Bien sûr, avec attention. Elle est une actrice incontournable de la scène politique, et j'ai des sympathies avec ce qu'elle dit sur de nombreux sujets, comme l'identité ou l'immigration, même si je n'ai jamais caché mes divergences. Mais je n'y crois plus beaucoup… Je n'arrive pas, aujourd'hui encore, à faire abstraction du débat de l'entre-deux tours, qui a montré un certain nombre de limites. En même temps, je plaide coupable, parce que j'ai cru qu'au fond Marine Le Pen aurait beaucoup de mal à se relever de ce débat-là, or elle a retrouvé le même niveau d'électorat qu'il y a trois ans.

    Si elle est candidate à la présidentielle de 2022, vous lui prédisez une défaite…

    Je pense que, aujourd'hui, elle n'est pas en position de gagner. Ça l'exaspère quand je dis cela, mais cela n'a rien contre elle ; je pense simplement que le courant de la droite qu'elle incarne n'est pas suffisant pour gagner. Le discours qu'elle tient sur les questions économiques n'est pas en phase avec ce dont notre pays a besoin.

    J'ai beaucoup de mal à voir les différences entre les programmes du RN et de M. Mélenchon sur les questions économiques et sociales.

     

    C'est-à-dire ?

    Marine Le Pen n'arrive pas à reconnaître qu'une personne qui n'est pas de son bord politique puisse, parfois, avoir raison. Sur la réforme de la SNCF, même si je serais allé plus loin que lui, Emmanuel Macron a fait de bonnes choses. Et sur les retraites aussi ! Pardon, mais on ne peut pas continuer, comme le fait le Rassemblement national, à faire croire aux Français qu'un statu quo soit envisageable, vivable, ou même souhaitable ! Je ne partage pas les analyses très gauchisantes du RN sur les questions économiques et sociales. Mais cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas travailler ensemble.

    Pour vous, Marine Le Pen se « mélenchonise » ?

    J'ai beaucoup de mal à voir les différences entre les programmes du RN et de M. Mélenchon sur les questions économiques et sociales. Il n'y en a quasiment pas ! Or, je pense que la France n'a pas besoin de ce discours un brin racoleur.

    Rien n'est possible sans elle, et rien n'est possible contre elle.

    Quel avenir voyez-vous pour votre courant de pensée ?

    Aujourd'hui, Marine Le Pen occupe un espace qui est suffisamment important pour empêcher l'existence de toute autre candidature à droite de la droite. Rien n'est possible sans elle, et rien n'est possible contre elle. Est-ce que quelque chose est possible avec elle ? C'est la question que je me pose à longueur de temps…

    La droitisation de l'électorat, mesurée dans plusieurs enquêtes, ne profite à aucun parti. Marine Le Pen réfléchit à quitter la présidence du RN pour « prendre de la hauteur », tirant aussi la leçon de la victoire de Louis Aliot aux municipales, qui a conquis Perpignan en fuyant toute mention du Rassemblement national. Est-ce une bonne stratégie ?

    Je me souviens de discussions avec Marine Le Pen avant les élections de 2017. Je lui ai dit : « Tu dois quitter le FN, c'est le meilleur signe que tu puisses donner pour les gens qui ont envie de voter pour une femme solide, capable de nouer des alliances. » C'est une nécessité absolue ! On va voir si elle le fait… Mais est-ce que ce sera suffisant ? Non. La victoire passe par des efforts programmatiques, et par une façon d'être différente. Les gens n'en peuvent plus des partis politiques ! Du sien comme des autres.

    Avec Louis Aliot, êtes-vous en train de construire une notabilité en dehors du parti ?

    Ce que je constate, c'est que Louis a gagné les élections sans le logo de son parti, et qu'il a tout fait pour faire oublier qu'il était au RN. Les dernières élections ont été pour eux un échec total  ! Leur seule victoire, Perpignan, se fait contre eux en termes d'image. Alors oser présenter la victoire à Perpignan comme une victoire du RN, il ne faut pas manquer de culot ! Mais il a eu totalement raison, et c'est ce qu'il faut qu'on fasse dans toute la France.

    Vous voulez dissoudre le RN ?

    Non, mais il faut construire autre chose. Personne ne veut d'un nouveau parti. On veut des gens capables de s'entendre, à la fois avec Marine Le Pen, et avec une droite de gouvernement plus raisonnable, afin de trouver une candidature qui arrive à associer ces deux électorats. Cela s'est vu dans l'Histoire.

    Que préconisez-vous, s'il n'y a plus de parti ?

    Notre courant de pensée est incapable aujourd'hui de gagner des élections, on les perd systématiquement. Que faire ? La première solution est de se dire que puisque aucune personnalité n'émerge, laissons passer notre tour en attendant que, dans sept ans, Marion Maréchal ou d'autres viennent remplir ce vide. On peut, deuxième hypothèse, soutenir une candidature de témoignage, comme celle de Jean-Frédéric Poisson (mais personne ne peut penser sérieusement qu'il puisse gagner les élections). Troisième hypothèse : on regarde du côté de la droite de gouvernement, chez les Républicains, et on en cherche un qui serait moins inexistant, moins insipide que les autres…

    Dans cette galaxie, François-Xavier Bellamy se distingue : il respire l'honnêteté. Mais peut-il incarner un vote populaire, pas uniquement versaillais ? Je n'en suis pas sûr. Quatrième hypothèse : on reconnaît que la politique, ce sont des alliances et des compromis, et on essaie d'aider une nouvelle fois Marine Le Pen. Enfin, dernière hypothèse : on peut imaginer une candidature de rupture, avec une personnalité audacieuse. Une candidature d'envie, de souffle, d'ambition, qui sache se mettre à distance des partis politiques, qui mènerait une candidature de liberté, époustouflante, une campagne qui brûle ses vaisseaux…

    Marion Maréchal ? Le général de Villiers ?

    Je ne vais pas passer ma vie à attendre qu'une jeune fille se décide à vouloir faire de la politique. Et je ne suis pas de ceux qui pensent que parce que tu es galonné, tu es en état de diriger un pays. N'est pas de Gaule qui veut, et on n'est plus en 1940, ni en 1958. Je pense aujourd'hui, mais j'extrapole peut-être, que les expériences et les succès que l'on engrange, certes au niveau d'une ville, certes au niveau d'une agglomération, certes dans le Midi, indiquent qu'il y a quand même un passage possible… À côté du RN, pas contre lui.

    Vous avez eu des mots peu amènes envers Christian Estrosi, qui appelle les élus LR à faire alliance avec Emmanuel Macron. « C'est la droite châtrée », dites-vous…

    Honnêtement, le maire de Nice se fout de la gueule du monde. Il va à la niche ! C'est une droite qui a honte d'elle-même. Sur les questions du terrorisme, de l'identité, de l'immigration, M. Macron n'a rien fait avancer. Leur problème est que, à droite, aucun candidat n'émerge. Qu'est-ce qui différencie M. Baroin de M. Macron ? Rien. Absolument rien, rien de rien. Ils font carrière à droite, à gauche, au milieu : ils font carrière ! Et Mme Pécresse… Elle est de droite, Mme Pécresse ? C'est une douce plaisanterie. Ces gens sont à mille lieues de ce à quoi j'aspire.

    Comment l'ancien fondateur de Reporters sans frontières vit-il le procès des attentats de Charlie Hebdo, de Montrouge et de l'Hyper Cacher ?

    Quand je lis, dans un sondage qu'a commandé Charlie, que 37 % des 15-24 ans aujourd'hui font passer leurs convictions religieuses avant les valeurs de la République (et le taux est de 74 % chez les jeunes musulmans !), je suis effrayé. Mais quel échec pour nous, quel échec ! On constate un recul dans la tête des gens, parce qu'on ne défend pas ce qu'on est. Regardez combien, dans la classe politique, ont des prudences de Sioux, et parlent des caricatures de Mahomet comme d'une « provocation » ? Je dois dire que j'ai trouvé très beaux les mots du Premier ministre, qui a dit : « Toujours Charlie. » C'était juste. Si j'ai envie de détester l'islam et que des gens ont envie de détester le christianisme, ils sont libres de le faire ! C'est ce qui fait notre pays. Dieu sait si ce journal m'a étrillé, mais je me bats pour que les journaux comme Charlie Hebdo existent. La liberté d'expression, de parole, de presse, doit être défendue sans limites. En dehors des appels explicites à la violence, tout est tolérable et tout doit être toléré.

    Y compris une politique-fiction représentant une élue de la République (Danièle Obono) en esclave ?

    Je comprends très bien qu'on puisse être blessé, personnellement, par un certain nombre de choses, mais ce qui peut être dit en est une autre ! À travers ce feuilleton, Valeurs actuelles voulait rappeler que les Africains eux-mêmes ont nourri la traite, et l'esclavage dans les pays musulmans. Des Africains ont vendu des Africains. On peut être maladroit dans la forme. Mais on n'aurait plus le droit de dire cette vérité ? Aujourd'hui, l'émotion est tellement prégnante dans le débat public que toute précision raisonnable, historique, n'a plus sa place. Écrivez ce que je viens de dire, vous verrez les emmerdes que vous allez avoir…

    L'autocensure est un poison. Il n'y a plus besoin de procès : le simple fait d'être montré du doigt et menacé de poursuites par une association fait de vous un coupable, parce que la presse va se jeter dessus, et entraîner l'opinion. La presse est tellement moutonnière, elle chasse en meute… Cinquante articles diront que vous avez été « mis en cause ». Ma femme, députée, a son compte Twitter bloqué depuis un an et demi, pour avoir dit avec humour, au moment du débat sur la fessée, que la petite Greta Thunberg en mériterait une !

    Mais ils nous cassent les couilles, avec leurs éoliennes !

    Vous ne semblez pas fou d'écologie… Il y a quelques jours, vous avez déclaré qu'il faudrait « mettre une bombe et faire péter toutes ces éoliennes ». Bref : vous êtes opposé à

  • Éric Dupont-Moretti et la « vérité », par Aristide Renou.

    Source : https://www.politiquemagazine.fr/

    Avec son regard d’ours vertueux qui retient sa colère, le Garde des Sceaux a expliqué que la délinquance se porte beaucoup moins bien que des gens malhonnêtes ne veulent le faire croire – comme son collègue Darmanin. On est allé regarder les chiffres, puisque le ministre aime les chiffres. Eh bien, les chiffres, eux, ne l’aiment pas.

    Après avoir affirmé que le « sentiment d’insécurité » était un « fantasme » alimenté notamment par le « discours populiste », Éric Dupont-Moretti a remis une (grosse) pièce dans le juke-box.

    Dans une imitation très réussie de Laurent Mucchielli, notre ministre de la Justice a assené devant micros et caméras : « la délinquance des mineurs, dont on parle très souvent, […] n’a pas augmenté depuis dix ans ». « La plupart sont convaincus qu’il y a une augmentation massive de la délinquance des mineurs. Ce n’est pas vrai. »

    Puis il a enchaîné : « Le taux de réponse pénale dans notre pays, c’est 90%. Le taux d’exécution des peines prononcées, c’est 92%. Quand j’entends que les peines prononcées ne sont jamais exécutées, quand j’entends que la justice ne donne pas de réponse pénale, que la délinquance des mineurs augmente, je me dis qu’il faut remettre les choses à leur place et dire la vérité ».

    Et si on disait la vérité, en effet ?

    Dire la vérité c’est important, en effet. Mais alors toute la vérité. Car il est certaines vérités auxquelles il est aisé de faire jouer le rôle de l’arbre qui cache la forêt. Et c’est ainsi que la « vérité » (à laquelle, en ce cas, il faut bien mettre des guillemets) peut servir à camoufler la réalité. Une technique portée à un haut point de perfection, par exemple, par Laurent Mucchielli.

    Examinons donc une à une les affirmations de notre ministre pour voir la part de vérité, ou de « vérité » qu’elles contiennent. Pour ce faire, je ferais l’hypothèse que les statistiques officielles sont un reflet exact de la réalité de la délinquance. Je sais parfaitement que cette hypothèse est fort contestable et qu’il y aurait beaucoup à dire sur l’adéquation très imparfaite entre les chiffres officiels et la réalité. Mais qui a vécu par la statistique périra par la statistique et, puisque le ministre de la justice cite des chiffres, répondons-lui par des chiffres.

    – Première affirmation : « La délinquance des mineurs n’a pas augmenté depuis dix ans. »

    À strictement parler, cette affirmation est vraie. Si nous regardons les Chiffres clés de la justice (disponibles en ligne), auxquels se réfère probablement Éric Dupont-Moretti, nous voyons qu’en 2018, les parquets ont traité 177 761 affaires concernant des mineurs. En 2006, ce chiffre était de 174 533. Comme la population a augmenté entre temps, on peut dire en effet que la délinquance des mineurs n’a pas augmenté depuis 2006, ou à tout le moins que l’activité de la justice concernant les mineurs n’a pas augmenté.

    Sauf que… dans les statistiques de police, entre 1996 et 2006, les mises cause de mineurs pour diverses infractions ont augmenté de plus de 40%. Par exemple, vol à main armée +33%, viols +56%, coups et blessures volontaires +168%. Parallèlement, bien sûr, la « réponse pénale » s’est envolée et le nombre de mineurs condamnés pour crimes et délits a augmenté de près de 90%. S’agissant du rajeunissement des mineurs concernés, les statistiques n’étaient pas moins significatives puisque, sur la même période, le nombre des mineurs de moins de 13 ans condamnés pour délits avait plus que doublé.

    Vous pourrez trouver tous les chiffres qui vont bien dans le rapport remis par la commission Varinard, au ministre de la justice en 2008 et qui s’intitule Adapter la justice des mineurs.

    Par ailleurs, il est nécessaire de tenir compte de l’évolution qualitative de la délinquance. « Pour l’ensemble des mis en cause (majeurs et mineurs), et donc pour les cas où des poursuites pourront être envisagées un suspect ayant été entendu, le point saillant est la croissance de long terme, depuis le milieu des années 1980, d’affaires incluant une forme ou une autre de violence… »

    Cette évolution est particulièrement marquée concernant les mineurs délinquants, ce que même Laurent Mucchielli est obligé de reconnaitre (eh oui). Il écrit ainsi : « En trente ans la structure de la délinquance des mineurs s’est en effet modifiée. Au début des années 1970 les vols (notamment de voiture) représentaient 75% de la délinquance des mineurs poursuivie par la police, contre moins de 40% aujourd’hui. […] Ce sont les délinquances d’ordre public (stupéfiants, heurts avec les policiers, destructions et dégradations) qui portent cette évolution, suivies par les agressions verbales, physiques et sexuelles. » (« L’insécurité est-elle un sentiment ? » Notes et Synthèses de l’IPJ, n°50, février 2020)

    Autrement dit, même si, selon les chiffres officiels, la situation n’est pas pire aujourd’hui qu’il y a dix ans, comme le prétend Éric Dupont-Moretti, cette situation est cependant TRÈS dégradée par rapport à ce qu’elle était au début des années 1990. Il y a bien eu une « augmentation massive » de la délinquance des mineurs (et une augmentation de la violence de ces délinquants), mais simplement AVANT la période de référence choisie par notre ministre. Oh, le petit coquin ! Et si on évitait le jargon qui dissimule la vérité ?

    Deuxième affirmation : « Le taux de réponse pénale dans notre pays, c’est 90%. »

    À strictement parler, cette affirmation est également vraie. Mais qu’est-ce qu’une « réponse pénale » ? Par « réponse pénale », le grand public entend en général « sanction », puisque dans « pénal » il y a « peine ». Sauf que la « réponse pénale » n’a pas grand-chose à voir avec cela. Examinons.

    En 2018, 4 687 990 procès-verbaux ont été transmis aux juridictions. Seuls 1 312 690 d’entre eux ont été considérés comme « poursuivables », soit 28%. Sur ce nombre, 610 475 ont donné effectivement lieu à des poursuite (46,5%), 4,9% à une composition pénale, 36,3% à des procédures alternatives au poursuite et 12,3% à des classements sans suite. La « réponse pénale », c’est ça. C’est l’ensemble des suites données par la justice aux affaires qu’elle estime « poursuivables ».

    Un « rappel à la loi », c’est une « réponse pénale », une « orientation de l’auteur vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle » c’est une « réponse pénale », une « médiation » c’est une « réponse pénale », etc. Nous sommes très loin de l’idée que s’en fait le grand public et on comprend aisément qu’une large part de la « réponse pénale » ne produit ni sanction, ni dissuasion, ce qui semblerait pourtant le but essentiel de la chose. Mais poursuivons.

    La même année, les juridictions ont prononcé 130 290 peines de prison en tout ou partie ferme, ce qui représente 21,4% de toutes les affaires poursuives en 2018, 10% des affaires poursuivables et moins de 2,8% des affaires transmises à la justice. Si nous ajoutons les amendes (180 712) et les travaux d’intérêt général (13 322), les sanctions non symboliques ont concerné seulement 6,9% des affaires portées à la connaissance de la justice cette année-là.

    Autrement dit, la « réponse pénale », c’est à peu près comme le taux de réussite au bac, ou comme les statistiques de la production industrielle en URSS : c’est une mesure de l’activité de la bureaucratie, destinée à impressionner les naïfs, et absolument pas une mesure de la quantité de biens réels produits, que ce bien se nomme « sécurité », « instruction » ou bien « paire de chaussures ». Encore une belle « vérité » que nous a asséné notre ministre de la justice. Et si on exécutait vraiment les peines ?

    Passons à la dernière affirmation : « Le taux d’exécution des peines prononcées, c’est 92% ».

    Je ne sais pas exactement à quoi fait référence le ministre avec ce chiffre. Admettons qu’il s’agisse du taux d’exécution des peines d’emprisonnement ferme. En ce cas nous sommes très près de la vérité statistique puisque, en 2016, ce taux atteignait 90%… au bout de trois ans (Infostat Justice n°163). Le sujet est un peu technique mais il en vaut la peine, suivez-moi patiemment.

    Il existe en permanence un stock de peines de prison en attente d’exécution. L’existence d’un tel stock n’est pas en elle-même problématique : il est normal que toutes les décisions de justice ne puissent pas être exécutées immédiatement, pour des raisons à la fois matérielles et juridiques. Ce qui peut éventuellement poser problème, c’est le volume du stock et la rapidité de son écoulement.

    Quel est le volume du stock ? On ne sait pas exactement, ce qui donne une mesure de la médiocrité de la statistique judiciaire française. Lorsque des estimations ont été faites par le ministère, on aboutissait à des chiffres quelque part entre 90 000 et 100 000. Le stock en attente serait donc assez proche du volume des peines fermes prononcées chaque année par les tribunaux. Et à quelle vitesse s’écoule-t-il ?

    Selon Infostat, le taux d’exécution était de 57% à six mois, de 73% à un an et de 89% au bout de trois ans (donc, in fine, près de 10% des peines de prison ferme ne sont jamais exécutées…). Encore faut-il s’entendre sur le terme « exécution ». Exécuter une peine de prison ferme ne signifie pas nécessairement mettre le condamné en prison, oh non.

    Une peine exécutoire est dite mise à exécution lorsqu’un premier évènement marquant le début de l’exécution est enregistré : incarcération du condamné, décision d’aménagement de la peine, décision d’inexécution, décès du condamné, etc. En fait, dans un grand nombre de cas, « l’exécution » d’une peine d’emprisonnement ferme signifie que cette peine sera transformée en autre chose que de la prison (surveillance électronique, conversion en sursis avec travail d’intérêt général, etc.).

    Ainsi, Infostat nous informe que près du tiers des peines d’emprisonnement ferme prononcées en 2016 ont fait l’objet d’un aménagement. Nous avons donc un stock très important de peines de prison ferme en attente d’exécution, ce stock s’écoule lentement, voire très lentement pour les courtes peines, les peines les plus lourdes étant exécutées en priorité, et souvent « l’exécution » signifie laisser en liberté la personne qui a été condamnée à de la prison.

    Autrement dit, nous sommes en plein dans le diagnostic posé par Emmanuel Macron il y a quelques jours devant l’Association de la presse présidentielle : « Quand un délinquant est appelé devant le juge six ou huit mois (après les faits qui lui sont reprochés), et qu’il purge sa peine douze ou dix-huit mois après, ça n’a aucune vertu et, pour la victime, c’est insupportable ». Et pourquoi sommes-nous dans cette situation « insupportable » pour les victimes et qui n’a aucune vertu dissuasive pour les délinquants ? Parce que nous manquons terriblement de place de prison.

    Si le stock est si important, s’il s’écoule si lentement, si les peines sont si souvent aménagées, c’est parce, depuis le milieu des années 1960, le nombre de places disponibles en détention a été multiplié à peu près par deux, alors que, entre le milieu des années 1960 et le début des années 2000, le taux de criminalité en France métropolitaine a été multiplié pratiquement par sept. Telle est la vérité très déplaisante que cache la « vérité » énoncée par Éric Dupont-Moretti avec son taux d’exécution de 92%.

    Nous pouvons donc conclure de ce petit exercice de fact-checking que soit notre ministre de la justice est intellectuellement assez malhonnête, soit il a été profondément endoctriné par l’école de la culture de l’excuse et prend pour argent comptant toutes les malhonnêtetés intellectuelles produites par celle-ci. Voilà une intéressante vérité que nous avons gagnée en examinant les « vérités » énoncées par Éric Dupont-Moretti.

  • La guerre d’indépendance américaine de 1812, méconnue et racontée par Sylvain Roussillon [Interview].

    En 1812-1814, alors que le monde a les yeux tournés vers l’Europe, embrasée par les guerres napoléoniennes, une autre guerre se déroule sur le continent américain. Elle oppose les États-Unis d’Amérique à l’Angleterre.

    La Guerre de 1812-1814 , appelée aussi Seconde Guerre d’indépendance américaine, aurait pu s’appeler « Naissance d’une Nation ». Les Etats-Unis entrevoient le formidable potentiel qui est le leur sur un continent d’où les puissances européennes vont être chassées. Les conséquences de la Guerre de 1812-1814 sont toujours bien présentes.

    7.jpgCette guerre a forgé une nation dans les épreuves, bien davantage que la première Guerre d’indépendance n’avait été en mesure de le faire.

    Ce conflit est retracé dans un nouveau livre passionnant signé Sylvain Roussillon, livre qui retrace les batailles navales et terrestres et les enjeux diplomatiques du conflit et qui est le premier ouvrage écrit en français sur le sujet.

    L’autre guerre d’indépendance américaine – Sylvain Roussillon – 18€ – l’Artilleur (Toucan)

    Nous avons interrogé M. Roussillon pour plonger dans une histoire méconnue.

    Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

    Sylvain Roussillon : Je suis né en 1965, j’ai longtemps été un militant politique actif avant de me tourner vers une carrière plus institutionnelle. Parallèlement à cela, je suis président d’un Etablissement Privé d’Enseignement Universitaire.

    Je suis un passionné d’histoire. J’ai déjà publié en 2012 un livre sur les volontaires étrangers pro-nationalistes durant  la Guerre d’Espagne, intitulé Les Brigades internationales de Franco, qui vient d’être traduit et édité en Espagne. En 2019, j’ai rédigé un petit opuscule sur les origines du PCF. Enfin, au mois de novembre prochain, paraitra L’Epopée coloniale allemande, avec une préface de Rémi Porte et une postface de Bernard Lugan ; l’œuvre est consacrée à l’histoire de la colonisation allemande.

    Breizh-info.com : Dans quel contexte se déroule la guerre d’indépendance américaine de 1812 ? Et à l’International, quelles sont les répercussions ?

    Sylvain Roussillon : La guerre de 1812 se déroule dans un contexte pour le moins complexe. La vie politique américaine est déchirée entre deux grands partis aux vues radicalement opposées. Tout d’abord, le Parti Fédéraliste, le père de l’indépendance américaine, avec une lecture encore très « européenne » des rapports de force économiques, politiques et diplomatiques. D’un autre côté, le Parti Républicain-Démocrate qui souhaite une rupture franche avec le Vieux-Monde, notamment l’ancienne puissance tutélaire des Britanniques. Ces derniers n’ont d’ailleurs pas digéré leur défaite dans  la guerre d’indépendance et ne désespèrent pas de reprendre la main, d’une manière ou d’une autre, sur les anciennes colonies rebelles. Ils sont poussés dans cette démarche par plusieurs milliers d’Américains loyalistes, réfugiés au Canada. Ajoutons à cela les prémisses de la Conquête de l’Ouest, avec les premiers heurts vraiment sérieux face à des nations amérindiennes organisées, et peu désireuses d’être encore refoulées plus loin.

    Les répercussions à l’international ne se font pas sentir immédiatement. Les Etats-Unis sont à l’époque une puissance de seconde voire de troisième zone. Quant à l’Europe, elle est bien plus préoccupée par les débuts de la Campagne de Russie et le franchissement du Niemen par l’armée française, ou encore par les violent combats qui déchirent la péninsule ibérique, que par ce petit conflit américano-britannique balbutiant.

    Breizh-info.com : Qui sont les grandes figures, politiques et militaires de l’époque en Amérique ?

    Sylvain Roussillon : Le Président des Etats-Unis est à l’époque le républicain-démocrate James Madison, élu en 1808 et réélu en 1812. Considéré que l’un des principaux rédacteurs de la Constitution américaine, il s’est éloigné des fédéralistes qu’il juge trop timorés à l’égard de l’agressivité britannique.

    James Monroe, qui représente l’aile la plus radicale des républicains-démocrates, est Secrétaire d’Etat de Madison. Il prend une part active dans la conduite de la guerre. Elu président des Etats-Unis en 1816, c’est lui qui, fort de l’expérience de cette guerre de 1812-1814, établira la fameuse « Doctrine » qui porte son nom. Aujourd’hui encore, celle-ci dicte les rapports que les Etats-Unis entretiennent avec le reste du continent américain et le reste du monde. Tout d’abord, les Amériques du Nord et du Sud sont fermées à la colonisation et à toute forme d’ingérence. Ensuite, toute intervention européenne dans les affaires du continent sera perçue comme une agression et une menace pour la sécurité et la paix. Le non-interventionnisme américain, initialement partie intégrante de la « Doctrine Monroe » disparaitra, comme chacun peut le constater, à la fin du XIXème siècle…

    Sur le plan militaire, les Américains feront plusieurs erreurs de « casting » au début du conflit, privilégiant des officiers politiquement acquis à la cause républicaine-démocrate, plutôt que compétents. Un figure militaire se détache néanmoins du lot, celle d’Andrew Jackson. Vétéran des guerres indiennes dans le sud des Etats-Unis, c’est lui qui inflige aux Britanniques, avec l’appui notable des francophones de Louisiane, la plus grosse défaite de ce conflit lors de la bataille de la Nouvelle-Orléans. Il sera à son tour président des Etats-Unis de 1828 à 1837.

    Breizh-info.com : Dans quel camp se situent les principales tribus indiennes ?

    Sylvain Roussillon : Les nations indiennes sont majoritairement hostiles aux Etats-Unis. Le chef shawnee Tecumseh tente même, avec le soutien des Britanniques, de créer une sorte d’état, une Confédération indienne, pour s’opposer à l’expansionnisme américain. Tecumseh est le premier amérindien à obtenir un grade de général dans une armée occidentale, britannique en l’occurrence. Il est tué en 1813, et sa confédération se désagrège. Mais cette même année, la tribu des Red Sticks, de la nation des Creeks, prend les armes dans le sud. Il faut cependant noter que quelques nations demeurent fidèles aux Américains, comme les Cherokees ou les Choctaws. Mais c’est plus l’exception que la règle. Les grands perdants de ce conflit seront, comme souvent, et peut-être toujours, aux Etats-Unis, les nations indiennes.

    Breizh-info.com : Qu’est-ce qui explique que cette guerre soit beaucoup plus méconnue que la première guerre d’indépendance ?

    Sylvain Roussillon : D’une part, ainsi que je l’ai souligné, l’Europe est engagée dans la période des guerres napoléoniennes, et ce conflit du bout du monde, avec cet embryon de nation que constituent alors les Etats-Unis n’intéressent pas grand monde à l’époque. En outre, la paix qui est signée en 1814 (même si les combats vont encore durer quelques mois, le temps que l’ensemble des belligérants en soit informé) conclut à un Statu quo ante bellum. Il n’y a donc ni annexion, ni modification substantielle des frontières et des territoires. Les effets de cette guerre méconnue se feront sentir bien plus tard.

    Il est cependant fort dommage, notamment en Europe, que ce conflit et ses conséquences aient été si peu étudiés. En effet, la Guerre de 1812-1814 est un évènement majeur dans l’histoire des relations internationales des Etats-Unis. Bien plus que la Guerre d’Indépendance qui, si elle reste importante symboliquement, n’a pas les mêmes répercussions internationales. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que certains historiens appellent ce conflit, « Seconde Guerre d’Indépendance américaine ».

    Quelles ont été les conséquences de cette guerre ? Porte-t-elle en elle déjà les germes de la guerre de sécession ?

    Sylvain Roussillon : La première des conséquence de cette guerre est économique. Les Etats-Unis, qui importaient d’Europe l’essentiel de leurs produits manufacturés, sont contraints, à cause du blocus naval britannique, de développer leur propre économie de transformation. C’est cette guerre qui véritablement fait entrer les Etats-Unis dans l’ère de la Révolution industrielle. C’est cette guerre qui va rapidement transformer cette nation rurale en un géant industriel, notamment dans les états du nord, ce qui ne sera pas sans impact sur la Guerre de Sécession à venir.

    Par ailleurs, en 1814, malgré cette paix « sans vainqueur ni vaincu », les Américains éprouvent un curieux sentiment d’invincibilité. N’ont-ils pas, effectivement, tenu tête, seuls, à la première puissance navale et militaire de l’époque, celle-là même qui vient de terrasser la France après plus de 20 ans de conflits et de coalitions. C’est véritablement de cette guerre que nait le sentiment « national » américain. Plus que la Guerre d’Indépendance, la Guerre de 1812 est le véritable creuset du patriotisme des Etats-Unis.

    Enfin, quitte à me répéter, cette guerre donne naissance à la « Doctrine Monroe » qui demeure, malgré les aléas historiques et politiques, la ligne de conduite quasi-permanente des Etats-Unis en matière de politique étrangère depuis sa mise en œuvre.

    Les rapports de ce conflit avec la Guerre de Sécession sont indirects mais bien réels. L’éveil industriel et urbain du nord, construit notamment sur l’exploitation massive d’un sous-prolétariat irlandais, puis bientôt allemand et italien, s’oppose à un autre modèle économique, rural et servile, dans le sud. De surcroît, les deux économies entrent en concurrence au sujet des droits de douane. Le nord, dont l’industrie manufacturière est encore bredouillante, a besoin de ces droits pour contrer la concurrence européenne, tandis que le sud, très exportateur de coton et de tabac, souhaite des barrières douanières les plus faibles possibles. La rivalité entre les deux modèles est effective, provoquant des tensions politiques. au cœur d’un Sénat équilibré, avec 11 états esclavagistes et 11 états non esclavagistes. L’admission du Missouri au sein de l’Union, en 1820, risque de faire basculer le Sénat dans le camp des états esclavagistes. Le président James Monroe élabore alors le « Compromis du Missouri » qui vise à figer les équilibres. C’est ainsi qu’une partie du Massachusetts est détachée de cet état pour former le Maine et ainsi rétablir l’équilibre avec 12 états esclavagistes et 12 états non esclavagiste. Ce compromis durera bon an, mal an, jusqu’à son abrogation en 1854. Cette abrogation réveille les passions et enclenche une dynamique qui conduit à la création du Parti Républicain, défenseur des intérêts économiques du nord. La victoire du candidat du Parti républicain, Abraham Lincoln, lors de l’élection présidentielle de 1860, contre un Parti Démocrate divisé entre partisans de l’esclavage et partisans d’un retour à un nouveau compromis, conduit à la sécession des états esclavagistes du sud. En ce sens, on peut dire que ce sont les « hommes de 1812 » qui posent une partie du décor de la future Guerre de Sécession.

    Breizh-info.com : Est-ce que vous recommanderiez certains films, certains livres sur cette période en Amérique ?

    Sylvain Roussillon : Il n’y a pratiquement pas d’ouvrages en langue française sur le sujet, ou alors il s’agit de travaux qui traitent d’éléments très précis au cœur même du conflit. Mon livre fait un peu figure d’exception, et c’est probablement pour cette raison qu’il est entré dans les syllabus de certaines universités québécoises. Il y a bien quelques films, téléfilms ou séries, mais beaucoup sont inédits en français. Citons tout de même, la série Taboo, sortie en 2017 et qui se passe dans le contexte historique de cette guerre. A titre personnel, je conseillerais, même si cela reste très hollywoodien, et très centré sur la personnalité du pirate francophone Jean Laffite, un des principaux acteurs de la bataille de la Nouvelle-Orléans en 1814, Les Boucaniers, sorti en 1958, avec Yul Brynner, Charton Heston et Charles Boyer.

    Le sujet demeure donc encore largement à explorer pour les francophones.

    Propos recueillis par YV

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  • Pourquoi toujours mettre les vieux en avant ?, par François Schwerer.

    Les vieux ont été isolés sous prétexte de les protéger. On les a consolés à coup de Rivotril. On les a vaccinés sans pour autant ralentir leurs morts. Bref, on les accable d'attentions qui les tuent.

    Depuis le début de la pandémie, le gouvernement français n’a cessé de mettre les « vieux » en avant, officiellement pour les protéger. Quand toute communication politique est exclusivement fondée sur l’observation des chiffres et que les données statistiques tiennent lieu de raisonnement, il est facile de s’abriter derrière les vieux pour expliquer que tel ou tel événement imprévu accroît leur mortalité ou que tel ou tel comportement est plus nocif qu’un autre.

    françois schwerer.jpgEn effet, en dehors de toute cause exceptionnelle, le vieillissement de la population des classes nombreuses de l’après-guerre conduit à une augmentation moyenne, naturelle, du nombre des décès de l’ordre de 13 000 par an en France selon l’Institut national d’études démographiques (Ined).

    Les vieux sont plus fragiles, il faut donc ne pas risquer de les contaminer. Mais toute politique qui annonce vouloir prolonger la vie des vieux (et des très vieux) est vouée à l’échec. Si l’espérance de vie est de 82 ans, faut-il s’étonner de voir que l’âge moyen des personnes qui décèdent depuis le début de la crise soit justement de 82 ans et leur âge médian de 85 ans ? Que les personnes âgées de plus de 75 ans représentent 78 % des décès ? Alors pourquoi mettre en avant la protection des personnes âgées ? Pourquoi expliquer la politique suivie par une action dont tout le monde connaît la vacuité ? Ou, pour poser la question autrement, qu’est-ce que cela cherche à cacher ?

    Quand on croise les chiffres détaillés publiés par Santé publique France, on constate que moins de 55 % des vieux qui sont décédés depuis le mois de mars 2020 sont déclarés avoir été considérés comme positifs à la Covid-19 au moment de leur décès et, parmi ceux-ci, que la contamination par le coronavirus était confirmée pour à peine 58 % d’entre eux. Plus finement encore, on constate que pour à peine 35 % d’entre eux, le certificat de décès ne mentionnait aucune autre cause de décès. C’est-à-dire que 65 % des personnes âgées décédées enregistrées comme victimes de la Covid, souffraient aussi de problèmes cardiaques, d’hypertension artérielle, de diabète, d’insuffisance rénale, de pathologies respiratoires…

    Comment a-t-on protégé les vieux ?

    Pour protéger les vieux, on n’a rien trouvé de mieux que de les isoler. Ceux qui sont en Ehpad ont été empêchés de voir les membres de leur famille. Les enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants ont été interdits de visite. Venant de l’extérieur, ils auraient pu introduire le virus dans l’établissement et donc communiquer la maladie à tous les pensionnaires. Mais, le personnel soignant, le personnel chargé du ménage ou de la cuisine, le personnel administratif, toutes ces personnes étaient bien obligées d’aller et venir. On n’a pas pu les retenir prisonnières dans les établissements – même si on l’a tenté dans l’un d’entre eux – et on n’a pas dit qu’elles étaient la cause d’un quelconque emballement dans l’un de ces établissements transformés en forteresses. Non, les seules personnes totalement exclues ont été les membres des familles. C’était, a-t-on répété ad nauseam, qu’il fallait protéger les plus fragiles, protéger les vieux. En fait, en les privant de tout contact avec ceux qui les aimaient (ce n’est pas pour rien que je mets le verbe à l’imparfait), on les a tués.

    Sous prétexte, nous a-t-on dit, de les empêcher de souffrir quand ils étaient malades, car on ne pouvait ni les sortir de peur qu’ils ne propagent la pandémie ni les soigner car on n’avait pas assez de lits disponibles, on leur a administré un calmant, le Rivotril, dont tout le monde sait qu’il hâte la mort des personnes incurables. À l’inverse, les traitements dont certains médecins avaient usé au début de la crise sanitaire pour traiter leurs patients, ont été interdits. On est donc en droit de se demander si le discours officiel est un discours de vérité ou un discours de circonstance permettant de soulager les hôpitaux engorgés et de faire baisser la densité de la population dont on nous dit qu’elle est trop nombreuse. De plus, ne serait-ce pas aussi un moyen de faire baisser la charge insupportable des retraites alors que, chômage oblige, le nombre des cotisants diminue et, allongement de la vie aidant, le nombre des bénéficiaires ne cesse d’augmenter ?

    Pour en rester aux seules informations officielles globales, examinons les chiffres, de l’année 2020, tels qu’ils ont été publiés par l’INSEE à la fin du mois de janvier 2021. En nombre absolu, la mortalité pour les tranches d’âge de 0 à 65 ans n’a pas varié depuis 2015.
    Le nombre des morts dans la tranche d’âge allant de 65 à 70 ans a continué à augmenter légèrement, au rythme du vieillissement des « baby-boomers ». Là, par contre, où on a constaté une nette accélération de la mortalité, c’est chez les plus de 75 ans. Effet du vieillissement, de la Covid-19, de l’isolement ou du Rivotril ? Si l’objectif du gouvernement a été de protéger les personnes âgées, le moins que l’on puisse dire est que la politique a échoué. Alors comment expliquer qu’on la poursuive, surtout de la part d’un gouvernement qui a tellement varié dans les autres mesures qu’il a préconisées et qui n’a pas hésité plus d’une fois à se renier ?

    Quelles conséquences de la vaccination ?

    Le 27 décembre 2020, les vaccins ont commencé à être administrés en France, alors même que « Monsieur Vaccin », le professeur Alain Fisher, ne pouvait pas assurer qu’ils étaient efficaces ni qu’ils ne présentaient aucun risque. Il est vrai qu’ils n’ont été autorisés qu’à titre temporaire puisque la dernière phase d’expérimentation n’est pas achevée et que donc les personnes qui se font vacciner doivent préalablement reconnaître qu’elles ont reçu les informations nécessaires leur permettant d’apprécier les risques qu’elles encourent ; c’est ce qu’on appelle donner son consentement éclairé.

    La « stratégie vaccinale » mise en œuvre en France a consisté à réserver ces vaccins en priorité aux personnes âgées puisqu’il fallait les « protéger » et alors même que les essais des laboratoires n’avaient pas été réalisés en priorité sur ce type de population. Il y a bien eu des « effets indésirables », obligeant à des hospitalisations d’urgence et des « incidents » conduisant à la mort. Mais ces constatations ne permettent pas de mettre en cause les vaccins puisque les personnes décédées étaient déjà « en fin de vie » et qu’elles présentaient des causes de « comorbidité » importantes. Ainsi, en France, un malade atteint d’un cancer en phase terminale est réputé mort de la Covid-19 quand il décède s’il n’a pas été vacciné (et que l’on suppute qu’il avait été atteint par le virus) et d’une autre cause s’il a été vacciné sans, dans ce dernier cas, que l’on recherche si le défunt était ou non porteur du virus, sauf si la famille le demande. Si l’on compare les statistiques publiées par Santé publique France avant et après le début de la vaccination des vieux, on constate que l’effet de celle-ci sur la mortalité n’était pas perceptible deux mois et demi après le début de la campagne. Mais, peut-être, est-ce trop tôt pour savoir ?

    Brigitte Bourguignon, ministre chargé de l’Autonomie (sic), a explicité le 13 mars 2021 le nouveau protocole applicable désormais dans les Ehpad. « Les résidents, quel que soit leur statut vaccinal et immunitaire, doivent retrouver les mêmes droits que le reste de la population, comme la possibilité de voir leurs proches, à l’extérieur ou à l’intérieur de l’établissement. » Les personnes âgées vaccinées « pourront se rendre chez leurs proches, sans se faire tester avant ». Les personnes non vaccinées seront, elles aussi, autorisées à sortir, mais devront respecter un isolement de sept jours à leur retour dans l’établissement. Après le 15 mars 2021, les activités collectives sont à nouveau autorisées et les familles peuvent rendre visite aux vieux dans leur chambre. Quant aux parois en plexiglas qui ont été installées voici près d’un an, elles commencent à être retirées. Madame Bourguignon ne faisait qu’appliquer les déclarations du ministre de la Santé, en date du 4 mars : « Nous rendrons progressivement leur liberté aux personnes âgées » ! C’est donc bien qu’elles avaient été privées de cette liberté. Paraît-il pour les protéger. Pour les empêcher de tomber malades, on les avait donc bien privées de liberté. Mais ce n’était pas le point de vue de Thérèse Zrihen-Dvir qui s’est exprimée à propos de la campagne de vaccination des personnes âgées en Israël : « Si l’objectif était de se débarrasser des vieux et des malades, ils l’ont atteint ». Quant à l’évêque auxiliaire de Paris, Mgr Benoist de Sinety, il a fait remarquer le 14 mars 2021, que tout le monde dit tout et le contraire de tout et ne craint donc pas d’« affirmer avec force qu’il faut tout faire pour sauver les plus fragiles d’entre nous de ce satané virus, quitte à les enfermer et à les isoler au nom de la sacralité de leurs vies, et en même temps s’interroger à haute voix sur la légalisation de l’euthanasie ».

    Quelles conséquences pour les relations intergénérationnelles ?

    Il faut protéger les vieux ! Pour cela on empêche les jeunes de vivre, de se retrouver entre eux, d’étudier et de s’amuser. Si ceux-ci manifestent leur mécontentement face aux mesures prises, on leur répète qu’il s’agit de protéger les « vieux ». Un esprit chagrin pourrait penser que si l’on voulait tuer la solidarité intergénérationnelle et promouvoir l’euthanasie dans l’esprit des jeunes l’on ne s’y prendrait pas autrement.

    Le 17 février 2021, les médias français publiaient un sondage Odoxa selon lequel 56 % des Français craindraient un conflit intergénérationnel. Pour 59 % des personnes interrogées dans la tranche d̕âge 18-34 ans, il serait nécessaire de confiner les personnes âgées. Ce à quoi, les commentateurs du sondage ont répondu en disant que les personnes âgées n’auraient pas lieu d’être confinées dans la mesure où elles auraient été vaccinées.

     

    « Quiconque refusera d’obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps, ce qui ne signifie autre chose sinon qu’on le forcera d’être libre ».
    Jean-Jacques Rousseau

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    Source : https://www.politiquemagazine.fr/

  • La vie politique reprend…, par Yves Morel.

    Plus que jamais sous les auspices du jeunisme et du conformisme moral

    La vie politique, suspendue par la crise sanitaire (non encore terminée, d’ailleurs), reprend. Voilà ce dont se réjouissent nos journalistes. Devons-nous les imiter ? On peut en douter. Car qu’est-ce qui va reprendre, en définitive ? La même entropie, le même chancre qui nous ronge depuis trop longtemps. Et aussi les mêmes tares, dont la moindre n’est pas le conformisme intellectuel et moral qui nous gouverne.

    Le temps de la juvénocratie

    Il est un domaine en lequel ce conformisme se fait sentir depuis peu, et qui est le recrutement de notre personnel gouvernemental. À la suite de l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, on a vu accéder à des fonctions ministérielles un ramassis de godelureaux et de péronnelles, choisis sur le seul critère de leur âge, et donc de la rupture qu’ils instituaient avec la génération précédente. La succession des générations est certes normale. Mais, jusqu’en 2017, elle était graduelle : les aînés cédaient progressivement la place aux jeunes, lesquels occupaient peu à peu tous les postes, au fur et à mesure qu’ils croissaient en âge, en expérience et en autorité. Il est dans la nature des choses que les gens promettent pendant leur jeunes années, s’affirment puis s’imposent durant leur maturité, et s’effacent ensuite. La gradation, la progressivité, le rythme lent du renouvellement des générations, assurent une certaine continuité morale et politique. Ce n’est pas le cas avec la juvénocratie que nous connaissons depuis quatre ans. Mais sans doute est-ce une façon parmi d’autres, de nous faire entrer de plain pied dans le « nouveau monde » cher à notre président, et de nous éloigner encore un peu plus de notre passé et de nos traditions, que ne transmet plus notre Éducation nationale. Cette forme de prise du pouvoir par les jeunes (lato sensu) sert à consolider le pouvoir déjà acquis des ennemis de notre civilisation.

    Une conception idéologique et subversive des innovations sociétales

    Ces ennemis sont nombreux, actifs et en position de force. Et c’est ce qui explique que toute promotion de n’importe quelle innovation sociétale soit une prise de pouvoir, dans notre pays. Et cela distingue nettement la France de ses voisins.

    Considérons l’institution du mariage homosexuel. Au Royaume-Uni, pour prendre l’exemple d’un pays proche, il n’a consisté qu’en une concession (certes éminemment critiquable) à l’évolution des mœurs. Ni avant ni après son adoption ses partisans ne se sont signalés par une attitude agressivement offensive, tournée contre la société et la morale communément admise. Et son instauration n’a en rien bouleversé les mœurs et les habitudes des Britanniques. En France, il a pris l’allure d’un choix de civilisation, d’un combat contre une société traditionnelle fondée sur le mariage hétérosexuel et la famille, tout particulièrement la famille chrétienne, et contre la morale, elle aussi chrétienne, ou du moins encore inspirée par les valeurs chrétiennes, et en faveur d’une société en laquelle l’éthique ressortit au seul domaine privé, individualiste, hédoniste, et est étayée sur le désir. Le monde projeté et lentement créé par nos militants sociétaux est un univers de clones asservis à leurs désirs, sans morale ni liens familiaux. Toutes les conduites doivent procéder du choix individuel et du désir. On parle d’ailleurs du « désir d’enfant » comme s’il s’agissait du désir d’une friandise, d’une automobile ou d’une croisière. La possibilité de réalisation de ce désir est devenue une obligation impérieuse pour le législateur ; d’où l’élargissement de la procréation médicalement assistée (PMA), bientôt adopté par nos parlementaires, aux lesbiennes et aux femmes seules et décidées à le rester. On célèbre continûment l’institution du mariage homosexuel et l’absence de toute restriction à la PMA comme de grandes victoires contre l’intolérance et une société corsetée dans une morale archaïque et répressive.

    Des innovations consolidées par une mystification juridique

    Et il n’est jamais question d’un quelconque retour en arrière. Les lois sociétales sont considérées comme des « avancées » et surtout des droits acquis sur lesquels il est interdit de revenir. À ce sujet, on invoque couramment un prétendu « effet cliquet » qui rendrait juridiquement impossible toute abrogation ou modification restrictive d’une de ces lois. On affirme le caractère illégal et inconstitutionnel d’une telle initiative. On ne saurait revenir sur des droits reconnus par une loi.

    Il s’agit là d’une imposture monumentale à laquelle on feint de croire… au mépris du droit. Car cet « effet cliquet » n’a aucune réalité juridique. Il s’agit d’une fiction, pour ne pas dire d’un canular, utilisé comme argument (sans aucune valeur) par les défenseurs des innovations sociétales pour tenter, à l’avance, de taxer d’illégalité toute mesure éventuelle visant à revenir sur la légalisation des ces dernières. On affirme, tout à fait gratuitement, que notre constitution interdit de revenir sur une loi génératrice de droits nouveaux et/ou de libertés nouvelles, ce qui est absolument faux : la constitution garantit les droits et libertés fondamentaux (liberté de pensée, liberté d’expression, liberté de la presse, libertés d’association et de réunion, liberté religieuse, le droit de vote et d’éligibilité, le principe d’égalité devant la loi, la présomption d’innocence avant condamnation, le droit de défense devant les tribunaux, les droits concernant l’intégrité physique et le traitement de la personne, etc.), mais ceux-ci ne s’étendent aucunement à la pratique de l’avortement, à la procréation ou au mariage. Il en va de même de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1789) et de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (1948, sanctionnée par l’ONU), qui n’affirment nullement que l’insémination artificielle, l’avortement (ou même la contraception) et le mariage homosexuel font partie des droits fondamentaux de la personne, et des libertés intouchables. Rien ne s’oppose donc, juridiquement et constitutionnellement, à l’abrogation, par voie législative, des lois ayant institué, le droit illimité à l’avortement ou le mariage homosexuel. L’ « effet cliquet » n’existe pas. Mais on feint d’y croire, les uns pour préserver les « acquis » sociétaux de ces dernières décennies, les autres, pour se dispenser d’emblée de toucher à ces derniers (même s’ils les réprouvent) afin de pas avoir à braver la colère et la haine de leurs défenseurs et de leurs lobbies, tout-puissants au sein de l’intelligentsia, des médias et de la classe politicienne, régie par les seules valeurs de la gauche.

    D’aucuns affirment que revenir sur ces innovations engendrerait des inégalités de type anticonstitutionnel. Ainsi, l’abrogation de la loi du 17 mai 2013 autorisant le mariage homosexuel instaurerait une inégalité entre les gens de même sexe déjà mariés sous le régime de cette loi, et ceux qui, non encore légalement unis, ne pourraient désormais plus l’être. Or, l’inégalité en question découlerait non d’une discrimination délibérée du législateur mais seulement de l’application du principe de la non-rétroactivité des lois (que personne ne songe à remettre en question). Et elle n’aurait rien de nouveau ni de scandaleux, puisqu’elle découle le plus normalement du monde de toute adoption d’une loi nouvelle, quelle qu’elle soit. Il n’est que de considérer la loi sur la réforme du régime des retraites. Elle crée une inégalité entre ceux dont elle ne modifie pas les conditions de départ à la retraite et le montant de leur pension, en raison de la tranche d’âge à laquelle ils appartiennent, et ceux qui, au contraire, seront affectés par elle. Cela ne la rend pas inconstitutionnelle, même si on peut regretter cette inégalité. Toute loi nouvelle, ou toute abrogation de loi, avantage ou désavantage des gens qui entrent de plain pied dans son champ d’application, relativement à d’autres, qui y restent extérieurs. Il ne peut en aller autrement, et contester cela mènerait à l’interdiction de confectionner de nouvelles lois sous peine d’engendrer de telles inégalités, ce qui serait aussi absurde qu’intenable.

    Mais tout cela est délibérément ignoré pour la raison qu’en France, tout se vit et se pense en termes de prise du pouvoir, de coups de force destinés à promouvoir le monde de clones lobotomisés, sans famille, ni tradition, ni mémoire, ni spiritualité, ni morale (hors celles des « valeurs de la République ») prôné et inlassablement mis en œuvre, pierre par pierre, par nos « élites ». Il n’est que d’observer les réactions de nos journalistes, de nos intellectuels et de nos hommes et femmes politiques à l’occasion des débats suscités par la préparation, la discussion, puis le vote des textes de loi relatifs au droit illimité à l’avortement, au « mariage pour tous », et à la PMA (bientôt ouverte à toutes les femmes sans aucune restriction) : ces initiatives législatives ont toutes été présentées comme de remarquables avancées, dignes de la considération due à l’établissement du suffrage universel, et des lois ayant reconnu les libertés de la presse, d’opinion, d’association, de réunion, du culte, de l’enseignement, de la grève et des syndicats ; et leurs adversaires se sont vus stigmatisés comme des réactionnaires obscurantistes.

    L’incurable mal révolutionnaire français

    Nous nous trouvons ici en présence de l’incurable mal français né des Lumières du XVIIIe siècle et de la Révolution, et qui fait que cette dernière se prolonge continuellement, sans jamais connaître de terme, et que toute innovation en représente une nouvelle extension, une nouvelle victoire sur le chemin d’une démocratie universelle et égalitaire abstraite, en laquelle l’homme, l’humanité, objet d’un véritable culte, se décline concrètement en une multitude d’homoncules sans racines et gavés de propagande bien-pensante. Et ce ne sont pas le jeunisme et la juvénocratie actuels qui permettront de renverser la tendance.

    Bref, la vie politique reprend, comme disent nos journalistes, sans que l’interruption provoquée par la pandémie de Covid 19 ait permis en rien de remettre les pendules à l’heure.

     

    Illustration : À Mexico aussi, une jeunesse profondément ancrée dans le réel entend faire triompher la raison.

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    Source : https://www.politiquemagazine.fr/

  • Bérénice Levet : « La ville est devenue le théâtre des obsessions identitaires », par Eugénie Bastié.

    «Nous avons affaire à des individus incarcérés dans la prison du présent, sans épaisseur temporelle, aplanis, sans verticalité, reconduisant toute grandeur à leur minuscule dimension», souligne Bérénice Levet. JULIEN FALSIMAGNE

    ENTRETIEN - Bérénice Levet est philosophe, spécialiste de Hannah Arendt. Elle publiera prochainement L’Écologie ou l’ivresse de la table rase, aux Éditions de l’Observatoire.

    2.jpgLE FIGARO. – La mairie de Rouen envisage de remplacer la statue équestre de Napoléon par une statue de l’avocate Gisèle Halimi, après l’avoir temporairement remplacée par un Napoléon «uberisé», représenté en livreur Deliveroo. Faut-il y voir un symptôme de la «cancel culture» ?

    Bérénice LEVET. – En partie. Le déboulonnage des statues, car c’est bien de cela qu’il s’agit ici, est assurément un symptôme de la «cancel culture», de cette fièvre épuratrice tournée contre notre passé et d’abord contre ses figures d’incarnation. «Qui dira ce que l’avenir fera au passé?» demandait, non sans inquiétude, le philosophe Günther Anders dans les années 1950. Nous le savons désormais, il est effacé, annulé, biffé, décrété nul et non avenu. Napoléon se voit chargé de tous les crimes et notamment celui d’avoir été misogyne, sexiste, symbole d’une société patriarcale, bref de n’avoir pas été féministe. Le remplacer par une femme serait donc une belle vengeance.

    On entend souvent dire que ces procureurs cèdent au péché d’anachronisme, mais cet argument, qui laisse entendre que cette critique aurait quelque pertinence si elle était émise aujourd’hui, ne me semble guère convaincant: je refuse que l’on apprécie l’action d’un homme, qu’il soit d’aujourd’hui, de demain ou d’hier, sur la base de ce seul critère.

    Revenons à Rouen, il faut rappeler que les statues qui jalonnent nos villes ont été érigées comme autant de pages d’histoires destinées à cimenter un peuple français déchiré par la Révolution française. La monarchie de Juillet, soucieuse de recoudre le manteau déchiré, leur attache d’emblée une fonction pédagogique qu’elles conserveront dans l’esprit de ses successeurs. Il faut lire à cet égard les passionnants travaux de l’historien Maurice Agulhon.

    Une ville ne se conjugue pas au seul présent. Les statues sont là pour témoigner de cette sédimentation, de cette épaisseur historique. Des liens tout à fait privilégiés attachaient Napoléon et la ville de Rouen, le peintre Isabey avait immortalisé sa visite à la manufacture des frères Sévène et, d’ailleurs, le tableau avait été reproduit en bas-relief sur le socle de la statue. La statue tissait un fil entre hier et aujourd’hui.

    Mais précisément, nous ne cherchons plus à connaître notre histoire, à la comprendre et à l’aimer, elle ne semble plus destinée qu’à comparaître devant le tribunal des vivants. Que sait-on en effet de notre histoire, sinon qu’elle fut et demeure patriarcale, esclavagiste, coloniale, homophobe, que sais-je encore? Bref, une grande fabrique de victimes auxquelles nous devrions réparation, d’où ces grands programmes de déboulonnage. Qui, de surcroît, aspirerait à continuer une telle chronique, et se donnerait pour mission d’entretenir la mémoire des morts, de ceux qui ont fait la France et qui l’ont fait, quoi qu’on se plaise à en dire, grande ?

    La ville est-elle devenue le terrain de jeu des nouveaux progressistes ?

    Nous avons affaire à des individus incarcérés dans la prison du présent, sans épaisseur temporelle, aplanis, sans verticalité, reconduisant toute grandeur à leur minuscule dimension. Nous confions le destin de nos villes et de la France à des êtres qui ne se regardent plus comme les dépositaires de la mémoire d’une ville ou d’une patrie, comme les obligés de cet héritage, comme les garants de la continuité de cette histoire. Ils deviennent les princes de ces villes, et cela se vérifie dans chacune des municipalités gouvernées depuis juin 2020 par des élus EELV mais auparavant, déjà, à Paris, avec Anne Hidalgo (de la génération précédente, certes, mais synthèse du progressisme de la table rase). Elles ne sont pour eux que de la matière à façonner, selon leur idée du meilleur des mondes possibles.

    La chose est rendue éclatante avec la statue installée en intérim place du Général-de-Gaulle, représentant Napoléon en livreur Deliveroo, vêtu d’un jogging et sur un vélo. Il s’agit de «faire marrer» a dit le plasticien – on tutoie le passé, ce qui est une autre manière de le piétiner. Signe des temps démocratiques aussi, des êtres reconduisant toute grandeur à leurs minuscules proportions.

    Ce que l’on ne supporte pas en outre dans le passé, c’est son altérité, le piquant du fantôme qui vient inquiéter nos évidences. Ce n’est pas le moindre de nos paradoxes, notre époque, qui exalte tant l’autre, n’a rien de plus pressé que de reconduire le passé au même. Toute poussière d’étrangeté est balayée. «Dépoussiérer» les villes comme les metteurs en scène de théâtre et d’opéra dépoussièrent Racine ou Mozart.

    De nombreuses mairies entreprennent de féminiser divers noms de lieux publics de la ville pour rendre l’espace public plus «inclusif» pour les femmes et parlent de la mise en valeur du «matrimoine». Que vous inspirent ces initiatives ?

    Il entre dans ces offensives dirigées contre la langue, dans cette traque obstinée à tout ce qui s’apparente de près ou de loin au masculin, un mélange d’acrimonie et d’infantilisme. «Matrimoine», «femmage» mais aussi, soit dit en passant, ruse de la raison féministe que le point médian de l’écriture inclusive. On la dit illisible, à juste titre, mais que fait-on pour contourner l’obstacle? Nous passons outre le point et ne reste que le féminin. Exemple: citoyen.n.es ; paysan.ne.s…

    Je parlais d’une incarcération dans la prison du présent, et c’est aussi une incarcération dans la prison des identités. Bon nombre de nos contemporains, les plus jeunes notamment, sont incapables de penser et de s’orienter selon d’autres catégories que celles du moment, imprégnés d’idéologie identitaire et diversitaire, c’est-à-dire valorisant les identités, la diversité dans une rupture parfaite avec le génie français. Il faut se figurer que les moins de 50 ans ignorent tout d’un monde où les identités étaient indifférentes. La rupture date des années 1980, avec pour premiers jalons, la Gay Pride, la création de SOS-racisme en 1984, la commémoration de la Révolution française en 1989 avec le défilé du 14 Juillet en hymne au métissage.

    Pour résumer d’une formule le monde dans lequel nous sommes venus à vivre, je dirais que l’homme contemporain n’a plus d’âme, il a une identité. Quand Jean Vilar défendait la diffusion des grandes œuvres de l’esprit, c’était au nom de cette âme: «Privez le public (…) de Molière, de Corneille, de Shakespeare: à n’en pas douter, une certaine qualité d’âme en lui s’atténuera.»

    Y a-t-il un lien entre cette quête identitaire et l’obsession de la «visibilité» dans l’espace public?

    L’homme d’aujourd’hui a une identité et une obsession, un prurit même, celui d’«exprimer» cette identité, de la rendre «visible».

    La reconnaissance des identités – ce qui était déjà, parfaitement contraire à l’esprit français – ne suffit plus en effet, les identités réclament la «visibilité». Elles exigent d’investir l’espace public afin d’être pleinement visible en tant que femmes, en tant que Noirs, en tant que musulmans, en tant que «trans», etc.

    Je ne suis pas certaine que l’on ait pris toute la mesure de ce que peut signifier l’apparition de ce petit vocable de «visibilité», plus redoutable encore que celui de «reconnaissance», pour un peuple et pour un pays comme la France qui a, plus que tout autre, élevé la belle et noble vertu de discrétion au rang de vertu commune, de vertu de la vie en commun. Ne pas envahir l’espace public de son moi, pourrait être notre devise.

    De plus en plus d’écoles souhaitent «dégenrer» leurs cours de récréation pour laisser plus de place aux petites filles. Est-ce là une illustration de l’entrisme de la «théorie du genre» dans l’espace public?

    C’est là en effet l’indice de l’extension du domaine du genre et dans la langue d’abord: une partie des journalistes notamment parlent de «budget genré», de «cour de récréation dégenrée» comme s’il s’agissait de mots ordinaires or ce ne sont pas des mots ordinaires, ils sont imprégnés d’idéologie. Ils postulent que les identités sexuées sont entièrement construites et que, en l’occurrence, la «géographie» de la cour de récréation serait un énième indice de la domination masculine qui structurerait nos sociétés. Et chacun d’entonner le sempiternel refrain, écrit par les spécialistes des inégalités et de la «géographie urbaine» des garçons qui, jouant au football et autres activités sportives, occuperaient le centre, reléguant les filles qui n’en peuvent mais, en périphérie. Métaphore et prélude de leur futur destin de victimes de la domination masculine!

    Car, nous disent en substance nos déconstructeurs, ne croyez pas ce que vous voyez: si les petites filles s’adonnent à la causerie, ne pensez pas que ce soit par plaisir, par goût, et qu’elles y soient naturellement portées – la nature n’existe pas, vous répète-t-on! C’est qu’elles n’ont pas le choix, c’est par défaut, les garçons ayant assiégé l’espace. Ne donnez pas non plus audience aux petites filles qui prétendraient préférer «discuter entre copines» que de jouer à la balle, à n’en pas douter c’est le patriarcat qui parle à travers elles – c’est bien connu, l’esclave perd tout dans ses chaînes, jusqu’au désir d’en sortir.

    Donc exit le ballon, exit le football, exit les enjeux traditionnels, trop «virilistes» ; garçons et filles se voueront à la même activité. Voilà ce qu’est une cour de récréation «dégenrée»: une cour de récréation indifférenciée, dont le programme d’activités aura été soigneusement défini par des adultes «woke», c’est-à-dire éveillés à la cause de «l’égalité des femmes et des hommes» et donc pures de toute complicité avec le vieux monde patriarcal et sexiste.

    Or qu’est-ce que le moment de la récréation sinon un moment de liberté, surveillée certes, mais où les élèves déploient leurs propres activités. Nos idéologues n’ont rien de plus pressé que de quadriller chacun des moments de la vie, et dès le plus jeune âge.

    Que répondez-vous à ceux qui affirment que cette politique d’ingénierie sociale est une étape nécessaire pour permettre aux femmes de prendre toute leur place dans la société?

    Ne soyons pas dupes. La chose est éloquente. L’objectif n’est pas que les femmes prennent toute leur place dans la société – et pour une raison simple, elles l’ont déjà et l’on pourrait même dire qu’elles l’ont toujours eue, non dans le domaine professionnel sans doute, mais dans tout le reste de la société, dans les mœurs, dans la langue où elles étaient les arbitres du bon usage (j’invite les lecteurs à regarder du côté de ce que l’on appelait, au XVIIe siècle, les « remarqueurs »).

    L’objectif véritable n’est pas qu’elles prennent leur place, mais qu’elles prennent toute la place.

    Là est d’ailleurs la finalité de la surenchère victimaire, nous faire croire que les hommes et la société tout entière, par complicité, auraient contracté une dette telle à l’endroit des femmes qu’il serait légitime que les hommes s’effacent. Que la préséance soit partout donnée au sexe féminin, comme il ne faut pas dire.  

     

    Bérénice Levet

    Bérénice Levet est docteur en philosophie et professeur de philosophie. Elle a fait paraître Libérons-nous du féminisme !  aux éditions de l’Observatoire, 2018. Elle avait publié précédemment « Le Crépuscule des idoles progressistes » (Stock, 2017) et « La Théorie du genre ou Le Monde rêvé des anges », préfacé par Michel Onfray (Livre de poche, 2016). 

    Source : https://www.lefigaro.fr/vox/

  • Trois Verts, bonjour les dégâts! Bordeaux, Lyon, Grenoble, par Elisabeth Lévy.

    Eric Piolle, au lendemain de sa réélection à la mairie de Grenoble, 30 juin 2020 © ALLILI MOURAD/SIPA

    Les nouveaux maires écolos veulent faire de leurs villes des fabriques de l’homme nouveau. Conjuguant mépris du populo et détestation de la France, ils sont aussi sensibles au malheur des bêtes qu’ils sont insensibles au bonheur des hommes.

    9.jpegLeur rêve est notre cauchemar. Et il est en train de devenir réalité. Les écolos qui, lors des municipales de mars et juin, ont ravi au socialisme bourgeois les métropoles les plus riches de France – à l’exception de Paris, mais c’est tout comme – n’en font pas mystère. Nos grands maires ne font pas que du vélo. Les villes sont leurs laboratoires, le chaudron où ils inventent le monde magique de demain. Et bien sûr, nous sommes, au choix, les papillons ou les grenouilles sur lesquels ces savants fous testent leurs diaboliques inventions. De notre alimentation à nos déplacements (on dit mobilité), du bureau à la chambre à coucher, ils s’évertuent donc à placer toute l’existence sous surveillance.

    C’est nous qu’il s’agit de régénérer, reprogrammer, recalibrer, afin que nous devenions de dignes enfants du Progrès.

    Mais il ne leur suffit pas de changer la vie et la ville, ce qui signifie d’abord pourrir l’une et l’autre en transformant tout itinéraire urbain en parcours d’obstacles, et cela que l’on soit automobiliste, piéton ou même cycliste. C’est nous qu’il s’agit de régénérer, reprogrammer, recalibrer, afin que nous devenions de dignes enfants du Progrès. Pas besoin de manipulation génétique : sous prétexte de sauver la planète, les savants fous que nous avons élus (enfin, que la minorité d’électeurs qui s’est déplacée a élus, mais tant pis pour les autres) sont engagés dans une démentielle manipulation anthropologique de l’espèce. Et ils en sont fiers. Insensibles au réel et sourds à la logique, ils prétendent préserver en éradiquant, humaniser en ensauvageant, convaincre en interdisant, revenir au local en rompant tout ancrage, faire de la démocratie participative à coups de sanctions. Les Verts, c’est la révolution de l’oxymore. Ils réinventent la roue. En carré.

    Ils parlent une langue inconnue, truffée de jargon citoyenniste – co-construction, co-décision, interpellation, pétition – et de résilience, mise à toutes les sauces, notamment dans les intitulés des postes d’adjoint – « à la ville résiliente », « à la résilience alimentaire », « à l’urbanisme résilient ». Tout est « résilient », à l’exception bien sûr des charpentes symboliques et langagières qui soutiennent les sociétés humaines. Tout doit être durable et tout doit disparaître.

    Les maires Verts veulent effacer et détruire le passé

    Pour créer de toute pièce une nouvelle nature humaine, il faut d’abord faire place nette. L’écologie façon Piolle, Doucet ou Hurmic, est d’abord une vaste entreprise d’effacement du passé. En philosophe passionnée par la beauté du monde et l’éternité des choses, Bérénice Levet décrypte  : « La nature leur sert d’alibi pour mieux anéantir la culture, de sorte qu’ils s’autorisent de “l’urgence climatique” pour abolir les modes de vie, les usages, les traditions. » Sans oublier le français, sommé de devenir le véhicule de la propagande LGBTQI et compagnie. Il est significatif que l’une des premières décisions de tous les nouveaux maires ait été d’adopter l’écriture inclusive, qui est, selon l’Académie française, « un péril mortel pour la langue française ».

    Sans se concerter, mais avec le même instinct sûr de destruction, les nouveaux édiles ont dirigé leur fureur vers quelques symboles qu’affectionne la France des bistrots et des clochers, des lotissements et des zones commerciales désertées, en un mot le vieux monde machiste, homophobe, raciste et genré : Tour de France et sapin de Noël, Vœux aux Échevins et delphinarium.

    En clair, ça tombe toujours sur les mêmes. Ceux qui ne font pas de safaris et ne nagent pas dans les mers chaudes et qui pour voir des dauphins ou des tigres ont le choix entre internet et le cirque de passage.

    Les écolos contre les classes populaires

    Pointe avancée du camp du Progrès, les écolos n’aiment pas le populo qui, précisément, veut pouvoir chérir son héritage. Ils vomissent son esprit étroit, ses distractions ringardes et ses activités polluantes. Pour l’élu parisien Jacques Boutault, écolo tendance salafiste, les amoureux du Tour sont des abrutis qui « restent dans leur canapé à rêver à des exploits de types hyper dopés qui ne gagnent que parce qu’ils se font changer leur sang dans des cliniques. » Lesquels évoquent furieusement les ploucs qui « fument des clopes et roulent au diésel », de Benjamin Griveaux. « Mépris de classe », s’énerve Isabelle Saporta, qui ne manque pas une occasion de tirer à boulets rouges sur le parti de son compagnon, Yannick Jadot (pages 60-62). Des « rabat-joie qui détestent tout ce qui fait plaisir aux gens », résume Marlène Schiappa. Avec, en prime, un petit côté ligue de vertu, qui leur vient de leurs alliées néoféministes. Ainsi Éric Piolle, le précurseur grenoblois, qui entame son deuxième mandat, ironise-t-il sur la 5G, qui servirait, selon lui, à regarder du porno dans un ascenseur. Quand bien même, on ne voit pas ce que cela aurait de répréhensible (qu’est-ce qui est le plus grave, le porno ou l’ascenseur ?)

    Les Verts veulent voir des vélos partout, sauf sur la Grande Boucle. Leur truc, c’est le sport mondialisé et conscientisé, pas le sport terroir, avec baisers aux coureurs et spécialités régionales. D’après une excellente enquête de Judith Waintraub, le maire de Rennes a refusé, sous la pression de ses alliés verts, d’accueillir le départ du Tour 2021, une manifestation qui fait pourtant la joie des populations. En revanche, la Cyclonudista naturiste et écologiste aura bien lieu. On respire.

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    [Photo : Le maire de Lyon Grégory Doucet assiste à la cérémonie du podium de la 14ème étape du Tour de France, 12 septembre 2020.© AFP]

    On l’aura compris, ce que les Verts détestent dans le Tour de France, c’est la France. « Ce qu’ils haïssent, de moins en moins secrètement, c’est notre France chaleureuse, celle qui croit en quelque chose, qui s’émerveille naïvement devant un maillot jaune, qui chérit ses statues », s’enflamme le maire de Béziers Robert Ménard, non sans quelque naïveté (pages 58-59). La France, pays des mâles blancs et de l’électricité nucléaire, de Colbert et de Zemmour est vouée à disparaître dans l’empire du bien écologique.

    L’enfer vert est évidemment pavé de bonnes intentions, voire de nobles causes. Qu’il faille se préoccuper de pollution, de réchauffement climatique, de protection des espèces et des paysages, nul n’en disconvient. Le diable est dans la méthode.

    De ce point de vue, l’affaire des animaux de cirque est révélatrice. C’est Barbara Pompili, la sémillante ministre de la Transition écologique passée d’EELV à la Macronie, qui, en plein foutoir sanitaire s’est emparée de ce sujet brûlant, mais la plupart des maires écolos avaient déjà banni tigres, lions et autres éléphants encagés, de même d’ailleurs que 400 villes en France. Nous avons tous pleuré sur le sort cruel de l’éléphant Dumbo. Peut-être les animaux du cirque sont-ils condamnés par notre sensibilité nouvelle au bien-être animal. Alors qu’il en reste 500 se produisant dans une centaine de cirques, on aurait pu s’en remettre à la désaffection croissante du public, faire confiance à l’évolution des mentalités. Mais non, il faut passer en force et trompeter qu’on va en finir avec cette survivance odieuse.

    Les dérives des Verts suscitent le rejet

    De plus, avec les Verts on ne sait jamais où ça s’arrête, ou plutôt, on ne le sait que trop : ça ne s’arrête pas. Pourquoi ne pas interdire l’équitation dans la foulée ? Après tout, il n’est pas naturel, pour un cheval, d’avoir un homme sur le dos. Combien de temps faudra-t-il avant qu’ils ne réclament la fermeture des zoos, ces prisons animales ? Il est tout de même curieux d’être si attentif au malheur des bêtes et si peu soucieux du bonheur des hommes. On a même l’impression fâcheuse que certains maires prennent un plaisir pervers à brutaliser la société, en tout cas la fraction qui résiste à leur ambition démiurgique. Que ces déplorables aillent polluer hors de nos centres-villes.

    Bien sûr la plupart des accusateurs n’ont pas pris la peine d’examiner le corps du délit.

    Cet activisme écolo a au moins une vertu, c’est qu’il devrait, en toute logique, barrer la route de l’Élysée aux plus délirants. Comme le dit Saporta : « Ce n’est pas avec une idée à la con par jour qu’on rassemblera les Français. » À en croire les sondages, ceux-ci n’apprécient guère la créativité de leurs maires, même quand ils ont voté pour eux. Au demeurant, Yannick Jadot semble l’avoir parfaitement compris, lui qui entend réconcilier croissance et écologie, lutte contre le réchauffement climatique et technologie. Dans un entretien paru dans L’Obs, il s’est aussi clairement démarqué de la complaisance envers l’islamisme affichée par Piolle comme de la tendance excusiste de nombre de ses camarades de parti qui pensent que l’insécurité n’existe pas, mais qu’elle est un produit de la domination sociale. Bien qu’il ne soit pas allé jusqu’à parler à Causeur, son pas de côté lui a immédiatement valu des attaques en règle de ses chers camarades. Frédéric Ferney se demande si Jadot, en plus d’un projet raisonnable, possède l’ambition folle qui lui permettrait peut-être de le réaliser (pages 64-65). Il est possible qu’on ne le sache jamais, en tout cas pas en 2022. On peut en effet compter sur le tempérament suicidaire de nos écolos pour leur faire préférer un candidat n’ayant aucune chance d’être élu.

     

    Elisabeth Lévy

     
    Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle fait partie des chroniqueurs de Marc-Olivier Fogiel dans "On refait le monde" (RTL). Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "La gauche contre le réel (Fayard), sorti en 2012.

    Source : https://www.causeur.fr/

  • Retour de bâton Afghanistan : cet accord « secret » avec les Talibans que les Occidentaux risquent de payer très très ch

    Les talibans ont promis d’être plus tolérants qu’avant, en particulier envers les femmes et leurs opposants, de ne pas servir de refuge aux djihadistes, de préférer la coopération à la subversion. Des promesses qui dureront le temps de leurs intérêts.

    5.jpgAtlantico :  Professeur Yves Roucaute, vous avez été le seul intellectuel au monde invité pour fêter la victoire contre les talibans, à Kaboul, en novembre 2001, et vous aviez noué des relations d’amitié avec Ahmed Chah Massoud dans les combats en Afghanistan, quel regard portez-vous, en philosophe et en spécialiste des questions internationales, sur la situation actuelle ? 

    Yves Roucaute : 20 ans après avoir célébré la victoire contre les talibans, je ne sais si j’aurais un jour l’occasion de retourner de mon vivant à Saricha pour me recueillir et prier sur la tombe de celui qui reste vivant dans mon cœur, le commandant Massoud. En raison de l’accord passé, et en partie secret, entre les équipes de Joe Biden et les talibans, je crains hélas ! que le pire ne soit devant nous. Le pire non seulement pour les Afghans mais aussi pour ceux qui ont cru pouvoir sceller la paix au prix d’un sacrifice de cette partie de la population qui croit aux droits individuels et au pluralisme démocratique et qui va subir les foudres d’un État totalitaire.Ces Daladier et Chamberlain qui pullulent dans les démocraties, et qui se félicitent de pouvoir sauver la paix, comme hier à Munich, sont la honte des démocraties ! 

    Avant d’en venir aux conséquences pour les Afghans et pour nous de cette défaite, j’entends bien certains tenter de justifier leur poltronnerie en évoquant la corruption des gouvernements successif, leur incapacité, leurs divisions, leurs double-jeux, leurs complicités avec les talibans … Cela est vrai. Mais que penser de la façon dont les gouvernements occidentaux ont largement contribué à tout cela, ignorant même la base : la particularité de la vie afghane, ces maillages locaux, ces groupes de solidarité (« qawm ») locaux et régionaux propres aux tribus, clans, réseaux de villes des vallées, groupes religieux... Une ignorance des nécessités d’analyse concrète dans laquelle les États-Unis excellent ici, comme en Irak ou au Liban. Allant jusqu’à légitimer les talibans, jusqu’à négocier avec eux, comme s’ils étaient une composante de la société afghane semblable à toute autre, brisant le ciment idéologique fragile qui tenait les composantes anti-talibanes, poussant aux pactisations et préparant les défections.  

    Les Américains ignoraient même le nationalisme pachtoune parce qu’ils en ignoraient l’histoire pachtoune, la principe ethnie afghane. Ainsi, qu’est-ce que l’empire Durrani des Pachtounes pour les « experts » américains ? Rien. Alors qu’il fut le plus grand empire musulman durant le XVIIIème siècle, allant du Cachemire au nord-est de l’Iran, dominant le Pakistan et une grande partie des pays du Caucase. Alors qu’il est l’une des clefs du nationalisme sur lequel s’appuie les totalitaires talibans, alors qu’il est l’une des clefs des solidarités nouées avec eux par les trois États du Pakistan qui bordent l’Afghanistan et qui élisent, oui élisent, des talibans. Ils ignoraient même l’histoire plus proche, qui est faite d’instabilités dues aux difficultés de trouver de subtils équilibres entre les groupes de solidarité, tribaux, claniques, religieux, locaux… sinon entre la moralité, la démocratie et la culture du pavot…

    Ils ignoraient aussi les différences entre talibans, notamment la puissance des courants les plus extrémistes, qui ont même, pour certains, refusé les accords acceptés par les talibans « modérés ». Ainsi, ont été présents aux médias, les talibans les plus présentables qui ne sont pas nécessairement les plus influents, pour vendre la résignation à l’opinion.

    Quelles sont les conséquences pour les Afghans ? 

    Il n’est pas un seul moment et acte de la vie sur lesquels les talibans n’aient, prétendument au nom du Coran, un avis, avec interdits et obligations. Et je ne vois aucune raison pour qu’ils abandonnent leur vision totalitaire du monde même s’ils ont abandonné la perception djihadiste du mollah Mohammad Omar qui avait accepté Al-Qaida. 

    Ils ont promis qu’il n’y aurait pas d’exactions. Il y en a moins, c’est vrai, que lors de leur précédente prise de pouvoir, mais qui a la naïveté de les croire ? Je me souviens qu’arrivé à Kaboul 26 novembre 2001, je vis les immenses poternes dressées où les talibans pendaient sans discontinuer les infidèles et les opposants, catégories indifférenciées… j’ai survolé les puits empoisonnés par les Talibans pour tuer les habitants du Panchir, les toits des maisons soufflés, les charniers, les survivants des tortures et des viols… 

    Demain, ils iront massacrer ceux qui leur résistent, jusque dans le Pandshir, avec des armes autrement plus redoutables que celles qu’ils possédaient en 2001. Déjà, tous ceux qui ont eu des relations avec la coalition sont aujourd’hui répertoriés. Enfants inclus. Doit-on supposer que c’est pour une distribution de jouets ? Dans les zones occupées, ils présentent deux visages. D’une part, comme dans l’Ouest, un visage modéré, laissant partir certains hauts fonctionnaires. D’autre part, dans les régions du Sud-Ouest et de l’Est, où ils sont traditionnellement plus influents, coups de fouets mutilants, membres coupés, pendaisons, lapidations sont de retour. 

    Chacun songe à la situation des femmes dont quelques-unes ont, avec un courage inouï, manifesté ce 16 août à Kaboul pour réclamer leur droit d’étudier, de travailler, de voter, d’être élues. Lors des conférences de Moscou (mars 2021) et de Doha de juillet, selon le porte-parole des talibans, Suhail Shareen, les femmes auraient « seulement » l’obligation de porter un hijab (voile) pour couvrir, corps, tête et épaules « impudiques ». Obligation, sous peine de flagellation publique et de mise sous tutelle. Faut-il le croire ? Oui, le hijab est obligatoire mais déjà la burqa est « conseillée » dans toutes les régions occupées par les talibans et elle est évidemment portée, les sanctions tombent ne sont pas loin. Le même porte-parole a indiqué que les talibans n’interdiraient plus aux jeunes filles d’aller à l’école. Faut-il le croire ? Je me souviens lors de la libération de Kaboul de cette école de jeunes filles, par ailleurs financée par la France, puante et remplie de produits chimiques, transformée en dortoir pour talibans. Aujourd’hui, déjà, il est conseillé aux femmes de rester chez elles, de sortir avec l’agrément d’un parrain (mahram) et de préparer leurs filles à une vie de future mère, soumise à son mari. Ce qui sera enseigné dans les écoles autorisées à ouvrir à celles qui seront autorisées à y aller ? Ce que les talibans décideront. Pour faire risette aux Tartuffe d’Occident, une filière universitaire en éducation morale sera-t-elle créée ?

     

    Que sait-on de l’accord entre talibans et occidentaux ? Dans quelle mesure a-t-il eu un impact décisif sur la prise de Kaboul et le départ des occidentaux via l’aéroport de la ville ?

    Pour aller vite, disons que d’un côté, les talibans ont promis d’être plus tolérants qu’avant, en particulier envers les femmes et leurs opposants, de ne pas servir de refuge aux djihadistes, de préférer la coopération à la subversion et de laisser partir les ressortissants étrangers et ceux qui travaillaient pour eux. En contrepartie, ils exigent coopération économique, reconnaissance internationale et armements.

    Les armements sont la clef. Ils sont aussi la marque du cynisme répugnant accepté par l’administration de Joe Biden. Ce qui fut au centre des accords cachés, c’est en particulier la fourniture des avions sophistiqués donnés au gouvernement précédent par les Américains.  

    Car l’administration Biden sait que ces avions vont permettre d’exterminer l’opposition militaire, en particulier celle des Hazara et des Tadjiks restés fidèles à l’esprit de Massoud et conduits notamment par son fils, le courageux Ahmad Massoud. 

    Comment résister à une telle puissance de traque et de feu ? Ahmed Massoud, son père, n’avait en face de lui que des armements archaïques qui n’avaient rien à voir avec ceux-ci. Son fils appelle à l’aide. Il la faut. Mais le défi est phénoménal. Et il le sait. 

    On a vendu nos amis pour un plat de lentilles car avec une présence militaire plus intense, qui peut sérieusement penser que l’on ne serait pas venu à bout de 60 000 talibans ? Ou, si l’on voulait seulement fuir, que l’on n’aurait pu organiser cette fuite avec une intervention militaire tranchante comme la liberté ? 

    Paradoxalement, je sais qu’il a actuellement mauvaise presse, mais la vérité consiste aussi à dire que la France fut, de toutes les démocraties, celle qui a le moins à se reprocher.  Ce qui ne signifie pas qu’elle soit au-dessus de tout reproche. Emmanuel Macron a eu le courage d’envoyer deux avions militaires pour sauver, dans cette débâcle, non seulement des Français mais aussi ces fidèles Afghans qui ont si bien servi la France. Oui, la France fut le seul pays démocratique à le faire avec les États-Unis. Il a évité la honte de la guerre d’Algérie, où furent livrés à la haine et à la mort les harkis, à l’exception de 45 000 d’entre eux. 

    Qu’en Europe, nul autre ne l’ait suivi, est symptomatique de la débandade idéologique de l’occident. Le pompon revenant au Canada, donneur de leçons toutes catégories, qui n’a pas même envoyé un seul avion mais, qui a généreusement proposé un millier de visas aux Afghans, sous condition : qu’ils soient d’abord réservés au LGBT, en insistant sur les transgenres. On imagine le tollé si un gouvernement avait exigé la priorité pour les hétérosexuels ! Je me suis toujours battu pour le droit des homosexuels mais au nom d’un droit égal pour tous, de la non-discrimination, de l’universalisme des valeurs, de tout ce qui faisait la puissance de séduction des démocraties et qui est jeté à l’eau. 

    Ce que je trouve d’ailleurs insensé, c’est le refus de la proposition russe d’envoyer des dizaines d’avions, de construire un pont aérien pour sauver ceux qui veulent fuir ce totalitarisme. Et cela alors que les talibans, peut-être intéressé au départ de leurs opposants, étaient d’accord ! Pour ma part, que m’importe la couleur du chat pourvu qu’il sauve des vies et préserve la liberté contre les rats. 


    L’alliance entre Joe Biden et Kamala Harris, sa vice-présidente, peut-il permettre d’expliquer en partie la position tenue par le président des Etats-Unis ?

    Oui, bien entendu, c’est la clef de la politique internationale américaine. Kamala Harris, comme nos écologistes et l’extrême-gauche est l’héritière du courant wilsonien pacifiste. Elle se dit féministe et parle des minorités opprimées, idées qu’elle a trouvé au supermarché de la démagogie américaine, mais elle préfère voir les femmes dans les fers, les minorités tadjik, ouzbeks, harrara…exterminées et plutôt que de soutenir une intervention militaire pour les protéger. C’est une moraliste en peau de lapin (rire). Joe Biden, en hériter du courant hamiltonien, en homme typique du Delaware, ne voit pas plus loin que le business américain et la balance commerciale. L’Afghanistan coûte plus qu’il ne rapporte, et son alliance avec Harris risquerait d’avoir du plomb dans l’aile, donc sacrifice humain. 

    Qu’il n’ait pas même eu un regret, un mot pour dire la souffrance de ceux qui croient aux valeurs universelles de liberté en Afghanistan en dit long sur sa moralité.

     

    A long terme, cet accord trouvé entre les talibans et les Occidentaux risque-t-il de se retourner contre ces derniers ? 

    Oui, où se torve la bulle promise ? J’aime beaucoup les Tartuffe qui essayent de se persuader du contraire.

    La victoire des talibans est un formidable soutien et un accélérateur de recrutement pour les groupes djihadistes dans le monde qui commençaient à péricliter après la défaite de l’État islamique, les divisons internes, les coups des démocraties. 

    Ensuite c’est un appui à la déstabilisation des États de la région. Trop loin de Washington peut-être et des campus occidentaux ? Certes, al Qaida et les talibans sont fâchés, mais le Pakistan, première puissance de la région, 210 millions d’habitants, déjà largement gangréné par l’islamisme radical, est fragilisé. A présent, le gouvernement d’Islamabad est menacé sur son propre territoire à partir de ses propres provinces de l’Est qui fêtent la victoire. Et le gouvernement indien a peur évidemment de ce que signifie cette déstabilisation rampante à ses portes.

    Le Tadjikistan qui sait que les Tadjiks d’Afghanistan vont être attaqués, s’arme pour protéger ses frontières. L’Ouzbékistan a peur lui aussi, comme ces 200 000 habitants de Termez qui vivent à la frontière, et il s’arme. En vérité, tout le Caucase est en effervescence. La lucidité.

    La Chine croit avoir un accord de non-agression ? Certes, elle l’a. Il durera le temps des intérêts talibans. Qui peut croire que l’Afghanistan refusera d’être un asile pour certains groupes djihadistes chinois alors qu’ils ont des connexions avec eux ? Les investissements chinois suffiront-ils ? Pas certain. Il en va de même pour la Russie qui paraît néanmoins ne croire qu’à demi aux promesses talibanes. 

    Quant aux démocraties occidentales, il n’existe pas de bulle protectrice dans un tel environnement. 

    Source : https://atlantico.fr/

  • Le séducteur : Retour sur le discours d'Emmanuel Macron aux évêques

     

    Par François Reloujac

    Religion et politique. « Standing ovation » aux Bernardins pour le président de la République et beaucoup d’éloges dans la presse, avec ce qu’il faut de fureur mélanchonienne pour leur donner davantage de relief ! 

    Le 9 avril dernier, les évêques de France recevaient le président de la République au Collège des Bernardins. Le discours présidentiel se proposait de chercher à « réparer » le « lien abîmé » entre la République et l’Église… Sous des propos apaisants et amicaux qui donnaient à croire à une « ouverture », Macron le subtil incitait, en fait, l’Église à œuvrer avec lui  voire exigeait d’elle qu’elle se rallie à son action. Éternel recommencement. Discours qualifié d’intelligent par la plupart des observateurs mais qui pourrait aussi bien être considéré comme rusé, tant il semble en appeler à la cléricature pour mieux la détacher des dogmes et de la morale de la religion révélée.

    Reconnaître à l’Église un droit de « questionnement »

    Le président a commencé par afficher la volonté de « réparer le lien abîmé » entre l’État et l’Église catholique, ce que tout Français conscient ne peut que déplorer, mais sans dire jamais en quoi et pour quoi et par qui ce lien est ou fut abîmé, ce qui évite d’avoir à traiter les problèmes de fond. Que ce lien soit en particulier abîmé par les lois contre nature que la République s’ingénie à imposer, comme le meurtre des enfants dans le sein de leur mère, la dénaturation de ce que signifie l’institution millénaire du mariage, la « chosification » des enfants dont le droit à l’enfant est le prétexte et, pire la « chosification » des femmes dont la location d’utérus est le dernier avatar, ou, bientôt, la condamnation à mort des personnes qui souffrent ou qui sont âgées. Rien de ces sujets capitaux et qui engagent l’avenir d’une civilisation, n’est abordé sous son jour de vérité naturelle et surnaturelle. Le président se dit prêt à écouter « le questionnement » de l’Église. Pourvu qu’elle admette de rester « un questionnement ». S’il est des normes au-delà, il n’appartient pas au président de la République de le savoir. Le lien est donc rétabli à la condition que l’Église ne cherche pas à promouvoir la vérité qu’elle détient mais qu’elle en reste au simple « questionnement » qui permet à chacun d’apporter sa propre réponse. Autant dire aux catholiques qu’ils sont libres d’exprimer ce qu’ils veulent à condition qu’ils ne prétendent pas transmettre une Vérité qui ne vient pas d’eux mais qui a été révélée ; il en résultera que ce qu’ils diront ne sera plus qu’une opinion parmi d’autres et comme ils ne sont plus majoritaires, ils n’auront pas à se plaindre s’ils ne sont pas suivis puisqu’ils n’auront, en bons démocrates, qu’à se rallier à la loi de la majorité. Et chacun doit bien savoir qu’au-dessus de tout, incréée, éternelle autant qu’évolutive, s’impose comme unique absolu la loi de la République. C’est à cette République que les chrétiens se doivent d’apporter « leur énergie » et « leur questionnement ». Avec leurs bâtonnets d’encens !

    Citer des chrétiens pour se dispenser de suivre leurs exemples

    Pour mieux séduire ceux à qui ils demandent de renier ce qu’ils ont de plus précieux, il cite, dans une liste à la Prévert, quelques auteurs chrétiens choisis pour représenter toutes les tendances et dont on se demande si, comme tout bon élève d’aujourd’hui, il ne l’a pas constituée en consultant Wikipédia. Il nous dit cependant qu’il ne tient pas à remonter trop haut, ni aux cathédrales, ni à Jeanne d’Arc dont il oublie de dire que l’Église l’honore de la gloire des saints. Il ne s’agit plus que de travailler aujourd’hui à l’œuvre commune en y mettant ce zèle que les catholiques de France – comme ils l’ont montré – sont capables de mettre en œuvre pour faire vivre la société avec cet art admirable de ne jamais rien revendiquer pour eux ! Ce serait une erreur de la République de ne pas savoir se servir d’un tel supplément d’âme. Le Président reconnaît ainsi le rôle irremplaçable de l’Église de France.

    Le ralliement « au monde »

    Cette Église est tellement utile quand elle « met les mains dans la glaise du réel », là où l’État ne le peut plus – ou, en fait, ne le veut plus – pour aboutir à « un moindre mal toujours précaire » ! Pour arriver à obtenir de l’Église ce qu’il en attend, dans cette politique des « petits pas », il n’épargne aucune couche de jolie pommade. Il se fait une « haute opinion des catholiques » avec qui il veut dialoguer et dont il attend la coopération totale ainsi qu’une contribution de poids « à la compréhension de notre temps et à l’action dont nous avons besoin pour faire que les choses évoluent dans le bon sens ». Quel bon sens ? Et quelle évolution ? Et de quelles choses ? En un mot, il attend que les fils de Dieu se mettent purement et simplement au service « de ce monde ». Il ne faut pas que les chrétiens se sentent « aux marches de la République ». On croirait qu’il se souvient de l’encyclique du pape Léon XIII Au milieu des sollicitudes de la fin du XIXe siècle. Cependant il occulte ou il oublie qu’en écrivant cette encyclique, le pape souhaitait, en fait, que les catholiques de France « se rallient » à la République, dans l’espoir qu’ils pourraient alors influencer les institutions au point de les rendre respectueuses des droits de Dieu, comme les martyrs avaient réussi à « christianiser » l’empire romain. Il pensait que si les catholiques de France, alors persécutés, « investissaient » la République, ils pourraient la transformer de l’intérieur, empêcher de voter des lois antireligieuses et la rendre finalement fidèle à l’enseignement de l’Église. Force est de reconnaître que cette encyclique a totalement raté son objectif ! Cependant la même politique se continue aujourd’hui comme depuis plus d’un siècle avec le succès que l’on connaît. Notre président appelle donc directement l’Église de France à persévérer dans la même voie. Venez, prenez votre place, acceptez nos lois, donnez-nous votre dévouement et nous écouterons « votre questionnement » !

    Nature des trois dons exigés

    Dans cet état d’esprit il appelle l’Église à ce qu’elle fasse trois dons à la République : don de sa sagesse, don de son engagement, don de sa liberté. Nous sommes là bien loin, malgré les apparences, du don de la Sagesse demandé à Dieu par Salomon ! Salomon demandait à Dieu d’être habité par sa Sagesse et donc de la rayonner autour de lui et dans toutes ses œuvres. Le président de la République, en jouant avec les mots et inversant le sens de la demande, propose à l’Église de se dépouiller de ces trois attributs, donc de les sacrifier à son profit pour qu’il puisse s’en servir selon son bon plaisir, en fonction de sa volonté propre. Qu’elle les mette à son service !

    Car qu’est-ce que la sagesse de l’Église pour le président de la République, si ce n’est son « questionnement propre » qu’elle « creuse »… « dans un dialogue avec les autres religions » ? Elle est aussi cette « prudence » qui caractérise d’ailleurs « le cap de cet humanisme réaliste » qu’il a choisi comme norme. Il insiste sur ce point : là où il a besoin de la sagesse de l’Église, « c’est pour partout tenir ce discours d’humanisme réaliste » ; comprenons bien : non pas pour faire entendre la parole de Dieu.

    Face au « relativisme », au « nihilisme » à « l’à-quoi bon » contre les causes desquels il n’envisage pas de combattre, il requiert de l’Église le don de son engagement. Elle n’a pas à lutter contre les causes, non, mais son aide sera bienvenue en revanche pour atténuer les effets, autrement dit pour faire passer la pilule et endormir les consciences. Au même titre que « tous les engagés des autres religions » et ceux des « Restos du cœur », les fidèles de l’Église sont ainsi appelés à consacrer leur énergie « à cet engagement associatif » puisque cette énergie a été « largement soustraite à l’engagement politique ».

    Quant au don de sa liberté que l’Église est invitée à faire, elle qui n’a jamais été « tout à fait de son temps », – « mais il faut accepter ce contretemps » –, c’est de se montrer « intempestive ». Plus elle sera ainsi choquante, en particulier sur les migrants, plus elle aura l’impression d’être libre, mais moins elle sera suivie par la majorité de l’opinion. Plus elle sera inopportune, moins donc elle sera dangereuse. « Et c’est ce déséquilibre constant qui nous fera ensemble cheminer ». Ce don de sa liberté suppose que l’Église offre aussi sa liberté de parole, … cette liberté de parole qui inclut « la volonté de l’Église d’initier, d’entretenir et de renforcer le libre dialogue avec l’islam dont le monde a tant besoin ». Besoin de quoi ? Du dialogue ou de l’islam ? Le président est trop instruit pour ne pas savoir qu’il ne peut y avoir de dialogue qu’entre égaux, ce qui signifie qu’il met sur le même plan l’Église catholique et l’islam. 

    Intelligent ou malin ?

    La position du président conduit à fonder le dialogue entre la République et l’Église « non sur la solidité de certaines certitudes, mais sur la fragilité de ce qui nous interroge ». L’Église n’a donc pas à enseigner les dogmes, ses dogmes, c’est-à-dire sa foi. Sa foi en Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. Il n’est pas question d’indiquer un chemin de vérité. Elle peut simplement partager avec les politiques les inquiétudes et incertitudes des hommes, et de préférence des hommes mal ou non croyants. « C’est là que la nation s’est le plus souvent grandie de la sagesse de l’Église, car voilà des siècles et des millénaires que l’Église tente ses paris, et ose son risque ». Quelle manière de résumer l’histoire ! Que reste-t-il alors de l’Église ? Peut-on vraiment réduire l’Église à « cette source d’incertitude qui parcourt toute vie, et qui fait du dialogue, de la question, de la quête, le cœur même du sens, même parmi ceux qui ne croient pas » ?

    Sûr de l’empathie qu’il réussit à manifester et à entretenir, il ajoute avec un certain cynisme :

    « C’est une Église dont je n’attends pas de leçons, mais plutôt cette sagesse d’humilité face en particulier à ces deux sujets que vous avez souhaité évoquer. »

    Il s’agit de la PMA – GPA et des migrants ! Vraiment du grand art pour rouler ses auditeurs dans la farine.

    Quant au mot de la fin, il rappelle la séduction du serpent qui entraîne à la transgression :

    « Certes, les institutions politiques n’ont pas les promesses de l’éternité ; mais l’Église elle-même ne peut risquer avant le temps de faucher à la fois le bon grain et l’ivraie ». Il eût été plus franc de dire : « Laissez les politiques ramper dans la fange sans les condamner, vous risqueriez de faire fuir les dernières ouailles qui vous restent. Mettez-les au service du monde que nous construisons. ! »

    Alors, intelligent, le discours du président ou simplement malin ?   

     

    Le Dr. Jean-François Delfraissy, qui préside les Etats généraux de la Bioéthique, ne tient évidemment aucun compte des objections des catholiques. Politique magazine

    Le Dr. Jean-François Delfraissy, qui préside les Etats généraux de la Bioéthique, ne tient évidemment aucun compte des objections des catholiques.  

    François Reloujac
     
  • Deux formes, Un seul Seigneur, par Manuel Cardoso-Canelas.

    Les évêques français ont rendu compte de la manière dont le motu proprio de Benoît XVI est mis en œuvre dans leur diocèse. Leur synthèse, assez hostile, ne répond à aucune des questions légitimes que la pratique fait pourtant surgir.

    Il n’est pas question ici de mettre en cause la légitimité et la validité du Novus Ordo Missae, mieux connu sous le nom de forme ordinaire du rite romain (FOR). Cette forme ordinaire est la forme commune, habituelle, normative de l’Église universelle. 

    12.jpgL’Église étant la seule maîtresse de ses rites et de leur organisation, elle exerce comme elle veut son droit de légiférer dans ce domaine. Ce point ne souffre aucune contestation.

    Cela dit, par FOR nous entendons, évidemment, la façon ad hoc de célébrer selon l’esprit de cette forme liturgique et selon sa lettre, avec l’intention de faire ce que l’Église veut faire lorsqu’elle célèbre. C’est, en conséquence, dire que les innovations, les improvisations, les libertés prises avec le rite ne sont ni une expression légitime de la FOR, ni une émanation de celle-ci. Enfin, signalons comme n’étant pas essentielles à la FOR ni la langue liturgique – qui n’est pas forcément la langue vernaculaire –, ni l’orientation du célébrant – qui peut ne pas être tourné vers les fidèles. Ces remarques dites, venons-en à l’objet de ces lignes.

    Le 7 mars 2020, le cardinal préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi adressait à toutes les conférences épiscopales une lettre accompagnée d’une enquête sur la messe dite “extraordinaire”. Treize ans après la publication du motu proprio Summorum Pontificum par Benoît XVI, le pape François, selon le cardinal, « souhaitait être informé de l’application actuelle » du motu proprio. En janvier 2021, la Conférence épiscopale française rendait publique – ce n’était pas exigé – une synthèse de 24 pages, exposant les résultats de la consultation. Le texte, rédigé dans un français parfois approximatif, est donc censé donner un aperçu de la façon dont se vit en France la forme extraordinaire du rite romain (FER).

    Sur 92 diocèses, seuls 87 ont répondu à l’enquête sans que l’on sache pourquoi les cinq absents ne l’ont pas fait. On apprend, d’abord, qu’il n’y a pas de célébration dans la FER dans les diocèses de Cambrai, Amiens, Châlons et Viviers ; que les diocèses de Blois, Laval, Strasbourg et Versailles ont constitué des paroisses personnelles pour cette forme du rite (il est révélé que le diocèse de Nîmes subit des « pressions », auquel il résiste, pour la création d’une telle paroisse) ; qu’enfin dans les autres diocèses la chose est anodine, presque inexistante (« un ou deux lieux sont dédiés au moins en partie à la célébration »), et qu’elle ne rassemble qu’une faible population en moyenne (« moins de cent personnes ») ! Ceux qui fréquentent ces crypto-lieux de culte, si l’on en croit le texte, savent que, bien souvent, l’assistance dépasse la centaine de personnes. Du reste, quelle est, dans certaines paroisses, la moyenne de la participation dominicale aux messes célébrées dans la FOR ?

    Un besoin pastoral contesté

    Selon le document, la célébration des messes selon le missel de 1962 est souvent le fait de communautés religieuses ayant choisi cette forme de célébration de façon ordinaire (la forme extraordinaire est la forme ordinaire de ces communautés !) La synthèse semble le regretter et voudrait « associer les prêtres diocésains à la célébration en forme extraordinaire » mais cela semble difficile en raison du manque de prêtres… Alors un chanoine à la retraite, un vieil official en soutane usée fera l’affaire, de toute façon nous sommes dans les vieilleries poussiéreuses ! Et considérez que les fidèles attachés à la forme ancienne ne sont pas méchants, car « malgré quelques crispations la situation est largement apaisée » (merci Benoît XVI !).

    Pour deux tiers des diocèses, ces célébrations en FER répondent à un vrai besoin pastoral (mais qu’est-ce qu’un besoin pastoral ?), cependant, note le document, « une expression revient souvent [dans les réponses] : la forme extraordinaire répond à une attente de quelques-uns plus qu’à un vrai besoin pastoral. » Mieux, pour certains, la proposition de la FER, « ne fait qu’entretenir les fidèles dans une conception ecclésiale singulière » caractérisée par un rejet du concile (lequel ?), la critique du pape François, l’hostilité à une Église trop ouverte… Plus encore, ces messes sont rarement promues par les prêtres mais « plus souvent par de jeunes familles nombreuses » (là, les bras nous en tombent !) Voyons : on nous dit que les messes FER sont le fait de communautés, le plus souvent, et que peu de prêtres diocésains sont engagés dans ce mouvement, qu’on le voudrait bien mais qu’on ne peut pas ; que ce sont de jeunes familles nombreuses qui manigancent – mais auprès de qui ? – et qui obtiennent finalement la célébration de ces messe. On ne voit pas ce que les communautés célébrant dans ce rite viennent faire dans ce complot de familles nombreuses. Il manque d’ailleurs ici une ou deux précisions qui viendront plus tard : de droite et royaliste ! Oui ! de jeunes familles nombreuses de droite et royalistes ! Et ces familles exigent des besoins pastoraux ! Parce que, voyez-vous, en plus d’être nombreuses, elles se paient le luxe d’avoir une âme ! Il faut savoir que le motu proprio de Benoît XVI précisait expressément que les demandes viennent des fidèles et qu’un prêtre ne pouvait pas imposer la célébration dans la FER. Alors qui, finalement, va contre l’esprit du Concile ? Les fidèles qui demandent la célébration selon une forme légitime, pour des raisons qu’ils n’ont pas à justifier, ou le document de la CEF qui regrette que ce ne soit pas les prêtres qui soient à l’origine de cette proposition ?

    La concélébration, festivisme clérical

    Certains évêques estiment que la FER peut conduire, de plus, à un « formalisme rituel » et « figer une réflexion de foi », enfermant les personnes dans un individualisme et un esprit de chapelle. À ce titre, la formation théologique des prêtres de la Fraternité Saint-Pierre et de l’ICRSP est expressément remise en cause. Ne connaissant pas la formation dispensée par ces instituts, limitons-nous à dire qu’elle n’est sans doute pas de la même nature, plutôt médiocre, que celle des séminaires diocésains qui subsistent.

    Arrivé à ce stade, le document fait l’inventaire des point positifs (12) et négatifs (29) de la pratique que le motu proprio a permise. Il faudrait commenter chacun des points mais ce n’est pas possible ici. Signalons donc la disparité des appréciations, nettement plus négatives que positives, comme on pouvait le subodorer depuis le début de la synthèse. Parmi les points positifs, outre le fait que la FER puisse être un « beaume » (sic), la CEF voit dans la célébration ad orientem « un antidote au risque de cléricalisme » ! Cela confirme que les communautés, composées de familles nombreuses et jeunes, célébrant selon cette forme pourraient être moins cléricales que celles, vieilles et clairsemées, composées bien souvent de laïcs engagés, même si la célébration tournée vers les fidèles est censée manifester le « faire Église ensemble ».

     

    La synthèse de la CEF montre que les blessures post-conciliaires sont encore très présentes.

     

    Entre autres points négatifs, la CEF signale le refus de la concélébration par certains prêtres de la forme traditionnelle. Disons d’abord que la concélébration n’est jamais, officiellement, une obligation, même si aujourd’hui il existe une pression pour la rendre quasi automatique (voir les récentes dispositions pour les célébrations privées à Saint-Pierre-de-Rome). Ceci étant, les prêtres qui refusent la concélébration sont parfaitement en droit de le faire. Si ce refus peut, de fait, interpeller, on voit très bien, dans la logique des points négatifs cités, que le reproche fait est de ne pas vouloir prendre part à la fête commune. Ce “quant-à-soi” est fortement critiqué et le refus de la concélébration en est le symptôme, clérical, majeur.

    Plus loin dans le rapport, on se pose la question de savoir si la FOR a adopté des éléments de la FER. Bien que la réponse soit, logiquement, négative, on note tout de même que quelques éléments se sont infiltrés, la plupart jamais expressément révoqués : l’usage plus grand du latin, le voilement des statues pendant le carême, l’usage de la couleur noire, les clochettes et le plateau de communion, etc. Ces éléments signalant la FER ne sont pas, comme tels, étrangers à la FOR. On note, cependant, à plusieurs reprises, plus de sérieux dans la célébration selon la FER et d’un intérêt plus grand de la part des séminaristes et des jeunes prêtres pour le rite ancien et ce malgré la vigilance des évêques.

    Deux aspects d’un seul mystère eucharistique

    À ce qui vient d’être dit, on voit que l’ensemble du rapport est une charge à peine voilée contre la pratique actuelle d’une part, et contre la FER, d’autre part. Évidemment, la nature même de cette synthèse ne permet pas de se poser des questions théologiques d’une façon plus appronfondie ; cependant, le ton adopté donne à entendre que l’on ne désire pas même aborder ces questions-là.

    Et si la synthèse pointe une mauvaise volonté de la part des tenants de la FER, il faut avoir l’honnêteté de dire que ce n’est pas le cas de tous. Certes, on trouve par ici l’esprit de chapelle, une certaine forme de complaisance liturgique, le culte de l’ancien pour l’ancien, l’amour immodéré des dentelles et des damas, un style de prédication daté, dans le fond et dans la forme, un formalisme esthétique et hélas aussi psychologique mais on n’est pas mieux loti avec les tenants de la FOR. On y trouve, en effet, un mépris pour le passé, une naïveté progressiste, un relativisme doctrinal, un spiritualisme désincarné, une course à la nouveauté pour la nouveauté, une aigreur ronchonne partagée par les clercs et le laïcat.

    Certes les difficultés existent et sont de plusieurs ordres : liturgique, théologique et historique. L’attachement au Vetus Ordo Missæ a, avec le temps, mis l’Église latine dans une situation de quasi bi-ritualisme, comme le signale la synthèse. Le pape Benoît XVI a mis en usage les notions de formes du seul rite romain pour manifester son unicité et son unité. Force est de constater que, dans la pratique, compte tenu de la différence du lectionnaire, du temporal et du sanctoral, sans parler des usages, qu’il s’agit d’un peu plus qu’une différence de forme. La question à se poser est de savoir si cet état des choses liturgiques, légitimé par Benoît XVI, peut perdurer ainsi ? Si l’on répond négativement à la question, comment gère-t-on les communautés célébrant dans la FER ? Par une nouvelle guerre liturgique ou en s’en moquant totalement, comme le font certains évêques ? Si on y répond positivement, comme manifeste-t-on l’unité de l’Église qui n’est d’ailleurs pas incompatible avec une disparité des rites même si cela répugne à l’Église latine qui, depuis le concile de Trente, a unifié ses célébrations ?

    Quel avenir au bi-formalisme ?

    Pour ce qui est des difficultés théologiques, il faut bien comprendre qu’avec les deux formes, nous sommes en présence de deux aspects dynamiques du seul et unique mystère eucharistique. Restant sauve la doctrine catholique sur la messe, valable pour toutes les célébrations quel qu’en soit le rite, les deux formes donnent à voir et à entendre des mystagogies eucharistiques complémentaires. Dès lors, chacune a ses richesses et ses limites, chacune offre des insistances ou des risques théologiques différents, et il est aberrant de vouloir les opposer idéologiquement. Pour tout dire, le rit et ses formes sont des dispositifs relatifs qui communiquent sacramentellement, réellement et efficacement une réalité absolue de l’ordre de la grâce.

    Enfin du point de vue historique, la synthèse de la CEF montre encore que les blessures liées aux questions liturgiques du passé postconciliaire sont encore très présentes. Une certaine pratique liturgique actuelle liée à la FOR n’arrange rien à la situation et indique que ce genre de problèmes n’est pas derrière nous.

    Que deviendra ce bi-formalisme, peu équilibré, dans l’avenir ? Comment peut-on envisager, pour le clergé des instituts concernés, une ouverture à la forme nouvelle, qui irait jusqu’à la concélébration dans certaines occasions ? Comment peut-on envisager la vitalité du rite ancien chez les nouvelles générations de prêtres et de fidèles, et dans quel but ? Pourrait-on penser, sur la base de la pratique actuelle, une réforme de la réforme liturgique, que le cardinal Sarah semblait désirer et qu’une nouvelle traduction du missel paraît ne pas contredire ? Mais pour aboutir à quoi ? À une suppression formelle et arbitraire du Vetus Ordo Missæ au profit de ce Novus Ordo réformé ou au bi-ritualisme assumé dans des cadres canoniques qui restent à préciser ? La pratique actuelle est complexe et suscite des questions légitimes mais, en dernière analyse, il faut se réjouir que le trésor multiséculaire lié au rite ancien soit parvenu jusqu’à nous presque intact, que la mystique liturgique catholique soit encore vivante et puisse irriguer le corps desséché de certaines paroisses “ordinaires”.

    Illustration : Avec la FOR, on peut tranquillement goûter aux charmes des assistances clairsemées, sans ces jeunes familles nombreuses aux cris agaçants et aux dévotions ostentatoires. Pour les vieux fidèles, cette ambiance de temple répond à un vrai besoin pastoral : l’entre-soi.

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    Source : https://www.politiquemagazine.fr/

  • La condamnation de l’Action française par le Vatican : mesure nécessaire ou erreur grossière ?

    Source : https://letudiantlibre.fr/

    Le 29 décembre 1926 marque la condamnation (1) par le Pape Pie XI du mouvement politique l’Action française, dirigé par Charles Maurras, et sujette encore de nos jours à une interminable controverse : cette sanction était-elle justifiée ?

    D’une part, nombre d’historiens s’inscrivent dans la lignée de Philippe Prévost, lequel, dans sa Condamnation de l’Action française, considère que cette sanction répond à des mobiles purement politiques. D’autre part, Jacques Prévotat, dans une thèse parue en 2001 (2), défend une position radicalement opposée : la mise à l’Index de l’Action française ne se justifierait que par des considérations religieuses.

    Il faut également mentionner le travail réalisé par Emile Poulat par le biais d’un article paru dans la Revue française d’histoire des Idées politiques (3) et qui adopte une position modérée, cette crise ne serait qu’un « mélange instable d’un faux débat sur l’orthodoxie doctrinale de ses adhérents catholiques et d’un débat avorté sur l’autonomie du politique devant l’intégralité de la religion ». (4)

    Avant de se pencher sur la pertinence d’une telle condamnation, il faut exposer brièvement les positions défendues par le Vatican et l’Action française.

    D’une part, les positions de l’Eglise romaine sont relativement complexes en raison de la « crise moderniste » qui la traversa à cette époque. Quoi qu’il en soit, le pape et une grande partie du clergé romain ont reproché à l’Action française ses attaches non-confessionnelles incarnées par son fondateur : Charles Maurras. Elle reproche aux catholiques de l’Action française de s’écarter de la foi catholique en mettant de côté l’aspect religieux pour ne s’attacher qu’à un positivisme politique basé sur la Raison dans le but de rétablir un régime monarchique.

    D’autre part, l’Action française se défend de ces accusations en affirmant qu’elle n’a toujours été qu’un mouvement politique et non un organisme de formation religieuse, la condamnation revêt donc pour elle une justification essentiellement politique.

    Mais qu’est-ce qui justifiait au fond, que les catholiques qui persistèrent à lire le quotidien de l’Action française fussent considérés comme des pécheurs publics, privés de sacrements et de funérailles religieuses (5) ? Quel est le véritable mobile qui se cache derrière cette condamnation ?

    Afin d’y répondre, il est essentiel de s’attarder sur la justification religieuse qui a été mise en avant par le Vatican. Ce-dernier militait de plus en plus pour la mise en place d’un « catholicisme intégral » qui ne pouvait souffrir que des fidèles puissent adhérer à un mouvement politique dirigé par un agnostique. Ce qui peut apparaître comme une incohérence ne l’est pas en réalité pour la simple et bonne raison que l’Action française n’a jamais rejetée le dogme de l’Eglise catholique contrairement à ce qu’affirmait le cardinal Andrieu, archevêque de Bordeaux et fer de lance de la lutte anti-maurassienne, dans un article mensonger publié le 25 août 1926 à la demande de Pie XI. Dans ce texte, il affirmait ceci en évoquant les membres de l’Action française : « Ils repoussent tous les dogmes que l’Église enseigne. Elle enseigne l’existence de Dieu, et ils la nient ». Maurras n’a jamais rejeté et nié la foi catholique dans l’élaboration de sa doctrine politique qui devait se couronner par une restauration d’un monarque catholique, en témoigne notamment les liens étroits qu’il entretenait avec le prince Philippe d’Orléans. Ces liens se concrétisent par les nombreuses lettres que le leader de l’Action française a échangé avec le Prince mais aussi par de nombreux articles où il a pu notamment exprimer toute l’admiration qu’il lui portait : « J’avais adhéré à la monarchie, mais j’étais aujourd’hui conquis par la personne du prince. » (6) . Maurras s’est donc évertué à préparer le terrain d’une restauration monarchique catholique et se voit sanctionner par une condamnation papale.

    De plus, même s’il est certain que Maurras a été influencé dans sa jeunesse par des auteurs païens et se déclarait agnostique, les catholiques de l’Action française n’étaient-il pas capable de faire la part des choses ? N’étaient-ils pas en mesure de distinguer le rationalisme maurassien de la doctrine catholique ?  Le rationnel du spirituel ? Bien sûr que oui ! Les arguments rationnels portés par l’Action française n’empêchaient pas la conservation d’un attachement profond au dogme catholique. L’Action française opérait parfaitement cette distinction lorsqu’elle affirmait dans son Non possumus (7) : « L’Action française n’a rien et n’entend rien avoir d’une autorité religieuse : ce n’est donc pas auprès de l’Action française que les consciences catholiques ont à s’informer de leurs devoirs religieux ».

    Que dire de l’attitude qu’avait eut le pape Pie X en 1913 à l’égard de Maurras lorsqu’il le qualifiait de « beau défenseur de la foi ». La pensée maurassienne étant déjà formée à cette époque là, on peut se demander si elle posait un véritable problème doctrinal. Si l’Action française était en opposition de principe avec le dogme catholique, pourquoi ce compliment de Pie X près de dix ans plus tôt ? S’agissait-t-il d’un calcul politique de Pie X voulant se servir de Maurras pour lutter contre l’anticléricalisme républicain au détriment du dogme catholique ou existait-il une absence de contradiction religieuse sérieuse ? La deuxième hypothèse semble la plus probable d’autant plus que la condamnation avait déjà été rédigée à propos de certains ouvrages de Maurras mais n’avait pas été prononcée, le pape distinguant les œuvres de jeunesse de Maurras et la doctrine de L’Action française. L’argument religieux apparaît donc comme très faible. La véritable justification est plutôt à rechercher dans le domaine politique.

    En effet, cette condamnation apparaît comme un moyen de favoriser le ralliement des catholiques à la République. En effet, la politique du Vatican, basée sous Pie X sur une résistance face à l’anticléricalisme républicain, ce qu’Emile Poulat appelait la « défense religieuse », a changé de priorité sous Pie XI et s’est traduite par une « conquête religieuse ». Cette-dernière passait par une soumission au régime républicain afin de mieux reconquérir les Français, comme si le régime républicain était indissociable de la doctrine libérale et anticléricale qui en est à l’origine. Il est intéressant de constater de ce fait une incohérence flagrante dans le raisonnement de cette politique de « conquête religieuse » consistant dans le fait de considérer que le régime républicain n’était qu’une forme de gouvernement et d’appliquer un raisonnement opposé pour la monarchie qui ne saurait être distinguée de la foi catholique.

    Maurras et son Action française apparaissait ainsi aux yeux du pape comme un obstacle empêchant le Ralliement des catholiques au régime républicain par son opposition virulente à la IIIe République et à sa promotion d’un régime monarchique ne constituant plus la priorité du Pontife.

    Enfin, il est nécessaire de replacer cette condamnation dans le contexte politique des années 1920 en rappelant le poids du mouvement maurassien. L’Action française constituait une véritable force politique avec une influence certes limitée mais disposant d’un potentiel important. Son rôle était non-négligeable notamment concernant la politique étrangère de la France durant cette période, incarnée par Briand et se traduisant par une tolérance marquée à l’égard de l’Allemagne. L’Action française fut une des seules forces politiques a dénoncer cette complaisance, rappelant à juste titre, spécialement par l’entremise de Jacques Bainville (8), le risque d’une revanche allemande et la nécessité de la contenir à tout prix. L’avenir leur donnera raison…

    Ce mouvement royaliste constituait donc une importante force d’opposition au sein du régime républicain.

    Les conséquences de cette condamnation ont été désastreuses tant pour l’Action française que pour la cause catholique. En effet, elle a plombé considérablement le mouvement en entraînant une baisse des ventes du quotidien (9) et un recul important de son implantation dans les milieux catholiques. Parallèlement, elle a offert une voie royale au mouvement nationaliste athée des Jeunesse patriotes qui va alors supplanter l’Action française dans le combat nationaliste.

    La condamnation portée à l’Action française revêt donc un caractère essentiellement politique et constitue une grossière erreur si l’on croit en la naïveté du pape et de son entourage ou une faute délibérée si l’on considère que le Pontife était parfaitement en mesure d’évaluer la portée de cet acte.

    Le 10 juillet 1939, la mise à l’Index de l’Action française va être levée par Pie XII, le mal était fait…

    Feygodor.

    (1) La condamnation porte sur une partie des œuvres de Maurras et sur le quotidien l’Action française

    (2) Catholiques français et Action française : étude des deux condamnations romaines, thèse soutenue en 1994 par Jacques Prévotat sous la direction de René Rémond.

    (3) Le Saint-Siège et l’action française, retour sur une condamnation, la Revue française d’histoire des Idées politiques, n°31, pages 141 à 159.

    (4) Ibid.

    (5) Les sacrements de la pénitence de l’extrême onction étaient toutefois tolérés.

    (6) Le tombeau du Prince, 1927, recueil d’articles publiés par Maurras suite à la mort de Philippe d’Orléans le 28 mars 1926.

    (7) Article de l’Action française qui refuse la demande du pape de disperser les catholiques qui en faisaient partie, 22 décembre 1926

    (8) Chargé de la politique étrangère à l’institut d’Action française.

    (9) La vente en kiosque du quotidien est passée de 60 000 en décembre 1925 à 40 000 un an plus tard, en décembre 1926. Elles se stabiliseront autour de 31 000-33 000 au cours des années suivantes. Source : Charles Maurras, le nationalisme intégral, Olivier Dard, 2013