Devenu royaliste... à 37 ans seulement ! (II)
De Paris Vécu, 1ème Série, Rive droite, pages 35/36 :
"...Mes grands-parents maternels, des Allard d'origine bretonne et tourangelle (mon grand-père Jules Allard était né à Pontivy) habitaient rue Saint-Gilles, 17, un vieil hôtel rafistolé et transformé en maison de commerce.
Jules Allard aimait les lettres et avait même écrit, en collaboration avec ma grand'mère, un aimable volume de vers, "Les Marges de la Vie".
Républicain et romantique, il avait fait partie de la conjuration Barbès et connu, à cette occasion, la prison de Sainte-Pélagie.
C'était un bleu de Bretagne, alors que mon grand-père paternel, Vincent Daudet - auquel je ressemble, en avançant en âge, de plus en plus - était un blanc du Midi.
Les Allard étaient indifférents en matière de religion, mais fortement hostiles au "gouvernement des curés".
Ma grand'mère Daudet passait sa vie dans les églises.
Mon arrière-grand-mère Reynaud, sous la révolution, en pleine Terreur, ameuta la ville de Nîmes au cri de "Vive le Roi" et faillit se faire écharper, avec son mari et ses enfants.
Héritier de tendances aussi panachées, j'ai, voici vingt-cinq ans déjà, opté pour le Roi carrément; et cet Américain avait bien raison qui demandait, en parlant de moi, à un huissier de la Chambre, de lui montrer le siège de "l'homme le plus réactionnaire du monde"... in the world.
Je suis tellement réactionnaire que j'en perds quelquefois le souffle.
Toute la vilenie, toute la bêtise des hommes se résume pour moi dans le terme de démocratie.
J'ai vu elle et ses hommes de près. Quel spectacle ! Comment la France y a-t-elle résisté !
Lorsque, suivant la Place des Vosges, nous prenions la rue du Pas de la Mule, nous débouchions boulevard Beaumarchais, presqu'en face de la rue du Chemin-Vert. Nous traversions le boulevard et nous trouvions chez les grands-parents Daudet qui avaient quitté les Ternes, pour venir habiter là, près de nous. C'est là qu'est mort Vincent Daudet..."
Dans "Au temps de Judas" (page 216), Daudet raconte aussi l'effet que lui fit, le 22 février 1899, la "Déclaration de San Rémo" :
"...une voix vibrante retentit soudain, avec une autorité singulière, indiquant, avec hardiesse et précision, les racines du mal. Cette voix venait de San Remo (22 février 1899). Elle était celle du souverain en exil, de Monseigneur le duc d'Orléans.
Je ne me suis rendu compte que beaucoup plus tard, une fois enrôlé dans l'Action française, de l'immense retentissement qu'elle avait eu en moi, comme on retrouve au fond de sa mémoire les origines lointaines d'une forte émotion.
En fait, c'est cette allocution qui m'a fait royaliste, ou plutôt qui a réveillé en moi la fibre royaliste, venue de mes ascendants méridionaux. C'est elle qui m'a permis de retrouver la vérité politique dans les conversations enflammées de Vaugeois, et dans les lumineux écrits de Maurras..."
Illustration : clôture de l'Hôtel-Dieu de Troyes...