A la Chambre : sur Gambetta et Benoît XV (II)
De "Député de Paris", pages 77/78/79/80 :
(continuation et fin du texte précédent)
"...Or, trois semaines après, je recevais du Vatican une grande et belle photographie de Sa Sainteté Benoît XV, accompagnée de Sa bénédiction autographe et de Sa signature.
Ma famille et moi étions gratifiés d'une indulgence plénière in articulo mortis.
Ce témoignage, tombant de haut, me toucha infiniment.
Je le fis immédiatement encadrer et placer en bonne vue dans notre logis, où il est encore.
On sait qu'il n'appartient pas à un Pape de défaire ce qu'a fait un autre Pape.
Aussi toutes les malédictions, condamnations, excommunications, majeures ou mineures, tous les index, qui me pleuvent aujourd'hui dessus comme directeur de l'Action française, compère de Maurras, nationaliste révélateur des projets boches, romancier, etc..., me laissent-elles, me laissent-il absolument froid.
Le Vatican a sans doute des foudres à perdre.
Je suis seulement chagriné de voir le Père commun des fidèles s'acharner sur ses meilleurs enfants - je parle du cardinal Billot et du R.P. Le Floch entre autres - avec une pareille mauvaise foi et une semblable rage cannibale et donner l'ordre à ses domestiques mitrés de torturer les âmes des moribonds coupables de royalisme.
Il m'est douloureux d'avoir à redouter que Sa Sainteté Pie XI n'aille en Enfer et, comme on dit au régiment, "avec le motif"... Animas ferociter torquebat ("Il tourmentait les âmes avec dureté", ndlr).
Par dessus le marché ces actes politiques, seulement appuyés sur des mensonges flagrants, détournent de la religion des âmes faibles, dont la foi est à la merci d'un spectacle d'iniquité.
Mais les croyants solides, les pratiquants convaincus haussent les épaules et passent.
L'Eglise, au cours des âges, en a vu d'autres !..."
Léon Daudet parle, ici, des treize années de "sanctions" vaticanes, infligées à l'Action française par le Pape Pie XI, de 1926 à sa mort, en 1939, et immédiatement levées par son successeur, Pie XII, sitôt élu, la même année 1939.
Il est loin d'être inutile d'établir - ou de rétablir - les faits sur la soi-disant "condamnation de l'Action Française en 1926", pour ceux qui ne les connaissent pas ou, pire, pensent les connaître, se fient aux informations déformées, tronquées, partiales et mensongères qu'ils ont reçues...
Ni l'Action française, ni Maurras, ni le Royalisme n'ont jamais été "condamnés" par l'Eglise catholique; pas plus en 1926 qu'à aucun autre moment.
Lorsque l'Eglise catholique "condamne" un mouvement, une doctrine, une théorie, une personne... il s'agit d'un acte définitif et irrévocable, absolument irréversible, sur lequel aucun Pape ne pourra jamais revenir, jusqu'à la fin des Temps.
Ainsi, le pape Pie XI a "condamné" le nazime le 14 mars 1937, par la Lettre Encyclique "Mit brenender sorge", et le communisme (mot usuellement employé pour définir le "marxisme-léninisme"), le 19 mars 1937, par la Lettre Encyclique "Divini redemptoris". Aucun Pape n'est revenu sur ces "condamnations", et aucun Pape n'y reviendra jamais : jusqu'à la fin des temps, il est impossible à quiconque se dit chrétien d'adhérer aux théories nazies et marxistes, ou alors il s'exclut par là-même, et de lui-même, de l'Eglise catholique.
Rien de tel ne s'est passé pour l'Action française en 1926 : aucune Lettre Encyclique n'est venue "condamner" le Royalisme, ni Maurras, ni l'Action française.
Il y a "seulement" eu des "sanctions" pontificales : le 29 décembre 1926, les ouvrages de Charles Maurras ainsi que le quotidien "L'Action française" ont "simplement" été "mis à l'Index", c'est-à-dire interdits de lecture pour les catholiques.
Un peu plus de deux mois plus tard, le 8 mars 1927, ces "sanctions" furent aggravées : les catholiques qui restaient fidèles au mouvement royaliste se voyaient privés de tout sacrement, y compris au moment de leur mort : ce qui explique, par exemple, les obsèques purement "civiles" de Jacques Bainville, en 1936, alors qu'il était notoire qu'il aurait souhaité des obsèques religieuses.
Cette douloureuse "affaire" dura jusqu'à la mort du Pape Pie XI, "condamnateur" du nazisme et du marxisme-léninisme et "persécuteur" de l'Action française.
Sitôt élu, le nouveau Pape Pie XII se hâta de lever toutes les sanctions contre l'Action française, qui n'étaient que "disciplinaires", maintenant bien évidemment les deux "condamnations" doctrinales contre le nazisme et le communisme, prononcées, elles, "à perpétuité".
Ainsi se clôturait cette lamentable "affaire", qui fit du tort, bien sûr, à l'Action française et à la progression de ses idées, mais aussi à la France - puisque cela compliquait encore un peu plus l'instauration de la monarchie - et, aussi, à l'Eglise catholique, livrée, depuis, à son aile "progressiste" et aux "abbés démocrates" : il faut voir là, non pas la seule, ni même peut-être la principale, mais, certainement, l'une des causes lointaines et majeures de la crise actuelle de l'Eglise catholique en France, et de son affaiblissement considérable, par rapport à l'époque où Pie XI prit sa funeste décision...