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Maîtres et témoins (III) : Léon Daudet

A la Chambre : sur Gambetta et Benoît XV (I)

A la Chambre : sur Gambetta et Benoît XV (I)

De "Député de Paris", pages 77/78/79/80 :

"...Je devais, en une autre circonstance, chagriner bien davantage le sachem Thomson (ami et, selon le mot de Daudet, "ex féal de Gambetta" ndlr). C'était une matinée de discussion du budget. L'affaire traînait. La Chambre s'ennuyait. Une binette grisâtre et canulante, un Margaine ou autre, prononça le nom de Gambetta. Je demandai la parole.
- J'ai fini, déclara l'orateur.
Je montai à la tribune, à cette tribune où le borgne Sonore (1)avait proféré tant de blagues jadis et commençai à démonter sa légende à grands renforts de Souvenirs de Mme Adam et aussi des souvenirs personnels de conversation des uns et des autres, notamment de mon père, d'Arène, d'Antonin Proust, du professeur Charcot, de Lockroy, de Drumont etc...
J'exposai à la cinquantaine de collègues qui m'écoutaient avec attention, le changement d'attitude de Gambetta vis-à-vis de Bismarck sous l'influence de sa maîtresse, d'origine obscure, Léonie Léon, de ses amis, Henckell et la Païva (fille Thérèse Lachmann) tous trois au service de l'Allemagne.
J'avais pris le ton paterne, bonhomme, du mémorialiste désabusé, de sorte que Landry, dit "Colombus", qui présidait, ne m'interrompit pas et fit taire Thomson frémissant, lequel voulait m'interrompre.
Je connaissais mon sujet à fond, ayant encore dans les oreilles le rire et la faconde de Gambetta, que je voyais, tout en parlant, vautré, en habit, le plastron gondolant, sur le canapé des Georges Charpentier, qu'a peint, si merveilleusement, Renoir. Quelqu'un, qui avait connu de fort près Mme Léon, tenait d'elle le fameux récit du voyage à Varzin (2) et les billets de théâtre d'un séjour à Berlin, à l'occasion de ce même voyage.
Je préparais le plan du Drame des Jardies, qui ne devait paraître, chez Fayard, que cinq ans après. Bref je tins le crachoir une heure et je m'amusais comme un roi. Mes collègues, médusés, se demandaient si toute cette histoire était du lard ou du cochon.
Je regagnai ma place.
S'arrachant à l'étreinte du Panapipard, Thomson vint s'asseoir auprès de moi pour m'assurer, une fois de plus, que Gambetta n'était pas allé à Varzin, que Mme Léon n'était pas une espionne, bien que liée secrètement avec Henckell et la Païva.
Je lui répliquai simplement : "Alors comment expliquez-vous que Mme Léon ait quitté les Jardies, au moment même de la mort, accompagnée par votre réprobation et celle de tous les amis de Gambetta ?"
Thomson mordilla sa moustache et ne put me fournir aucune explication.
Une autre fois, toujours à propos de bottes, je déclarai froidement que l'anticléricalisme français était d'importation allemande et que la fameuse phrase de Gambetta à Romans, "le cléricalisme, voilà l'ennemi" était un écho complaisant du Kulturkampf de Bismarck. Les textes ne me manquaient pas, non plus que les citations de Bainville et de Marie de Roux.
Je développai complaisamment cette "chaîne", guetté par Péret inquiet, mais à qui je ne fournis pas l'occasion d'intervenir. Quelques jours après j'agrémentai ma thèse de considérations tirées des fiches de délation de 1904, de la campagne de Guyot de Villeneuve, de l'attitude antinationale du Grand Orient etc.
Il y eut, venant de la gauche, quelque résistance, mais hésitante et brève. Ce qui domine une assemblée, c'est l'ignorance; en outre, je parlais d'un ton assuré et sans notes, ce qui en impose toujours... (continuation photo suivante)

(1) : très jeune, à la suite d'un accident, Gambetta avait perdu son oeil droit. C'est la raison pour laquelle, pour tout portrait officiel, il se faisait systématiquement représenter "de profil gauche"....
(2) : Varzin est la localité où Bismarck possédait sa résidence. Gambetta, s'étant rendu en Allemagne, fut accusé par ses adversaires de "s'être rendu à Varzin", c'est-à-dire, en fait, d'être entré en contact avec Bismarck, d'être "allé aux ordres"...
Autre rumeur : les Jardies est le nom de la propriété de Gambetta; c'est là qu'il mourut, Léonie Léon étant présente.
Les adversaire de Gambetta se demandèrent s'il avait été tué par elle (car on venait de lui apprendre qu'elle était une espionne au service de l'Allemagne et de Bismarck) ou s'il avait cherché à la tuer, dans une crise de jalousie....