SUIVEZ LE BŒUF ! Par Louis-Joseph DELANGLADE
C’est désagréable à dire mais, s’il est vrai qu’on est ce qu’on mange, alors nous ne sommes plus grand-chose, une sorte de société « hors sol », qui a perdu ses racines et ses repères : nous mangeons n’importe quoi parce que nous sommes en train de devenir n’importe qui. Mi-janvier, les autorités sanitaires britanniques découvrent que des steaks hachés certifiés pur bœuf produits en Irlande contiennent de la viande de cheval. La médiatisation de cette banale escroquerie plus ou moins mafieuse débouche, partout en Europe, sur la dénonciation de ce qui n’était au fond qu’un secret de polichinelle, l’absence d’informations fiables sur la nature et l’origine de nombreux produits alimentaires.
Face au spectre d’une nouvelle « crise alimentaire », les services de M. Hamon suspendent l’agrément sanitaire de la société Spanghero, sans doute irrémédiablement condamnée désormais. S’en prendre au lampiste est facile mais peu efficient : même si des erreurs – voire des fautes – ont été commises par ladite société, n’est-ce pas plutôt le libre marché européen qu’il faut incriminer ? C’est ce qu’implicitement reconnaissent les mêmes services ministériels quand ils prétendent renforcer les contrôles - annonce faite pour rassurer mais qui relève plutôt de la communication, vu la nature des relations commerciales intra-européennes.
Une sorte de malédiction sui generis semble bien peser sur l’Europe de Bruxelles, qui oscille entre la nullité et la nocivité. Fondée sur le dogme d’un libéralisme exacerbé, elle distille cependant un ensemble de réglementations kafkaïennes, qui paralyserait les meilleures volontés et permet paradoxalement à divers trafics de prospérer en toute impunité. On est ainsi effaré d’apprendre que certains steaks hachés suivent un circuit « communautaire » d’une demi-douzaine de pays : Roumanie → Pays-Bas → France [1] → Luxembourg → France [2] → pays consommateur ! Cet imbroglio géographique et l’opacité de la plupart des intermédiaires ont pour conséquence l’impossibilité (à ce jour, du moins) d’un étiquetage final comportant la nature réelle des ingrédients et une vraie « traçabilité » des plats cuisinés qui finissent dans nos assiettes.
Pourtant, le vent pourrait bien tourner. En effet, les acteurs économiques mais aussi les médias et par conséquent les opinions publiques (c’est patent en France) semblent favorables au rétablissement de « circuits courts » de consommation. Il faut s’en féliciter : outre que c’est le bon sens même, c’est tout simplement notre intérêt commun. Encore un pas : cette relocalisation de la production-consommation pourrait être envisagée pour tous les secteurs (et pas seulement l’alimentaire) où la chose est possible. Cela suppose bien entendu une intervention de l’Etat avec le rétablissement d’une politique de méfiance/défiance donc de protection aux frontières.