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Biographie • Dante : La Divine Poésie
Par Rémi Soulié
A l'image de de Virgile qui guide Dante au seuil de La Divine comédie, Enrico Malato conduit avec sûreté son lecteur dans la vie, mais aussi dans l'œuvre, du maître de Florence.
Issu d'une famille de la petite noblesse urbaine, amoureux d'une jeune Béatrice dont il fera une icône radieuse dans son poème, ami de Giotto et de Cimabue, lecteur de Boèce et de Cicéron, Dante (1265-1321) se passionne également pour la politique - en guelfe blanc, ce qui lui vaut d'être exilé - puis théorise « la nécessité d'une monarchie universelle s'identifiant avec l'Empire », mais indépendante de I'Eglise.
De La Vie nouvelle jusqu'à La Divine Comédie l'universitaire napolitain analyse ensuite chaque livre d'Il sommo poeta dont il souligne la virtuosité technique et la profondeur de la pensée. Sans doute l'amour fût-il la grande affaire de sa vie depuis les premiers écrits, qui se situent dans la tradition courtoise, jusqu'à l'épanouissement paradisiaque final dans la contemplation de l'Amour « Dante parvient à surpasser son propre temps, note l'auteur, par la puissance de sa vision et de son souffle poétique qui lui permettent de donner une représentation universelle de la réalité humaine., » Divin ! •
DANTE, d'Enrico Malato, Les Belles Lettres, 384 p., 29,50 €.
Rémi Soulié est essayiste et critique littéraire
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Pour saluer Pierre Boutang, Rémi Soulié, éd. Pierre-Guillaume de Roux, 140 pages, 21€
Article repris du Figaro magazine du 23.06.2017
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Patrimoine • L’hôtel de Caumont à Aix-en-Provence
Revenons sur l’histoire de l’hôtel de Caumont à Aix-en-Provence. C’est au 17e siècle qu’Aix-en-Provence connaît un important essor démographique qui donnent lieu à un agrandissement de la ville sous la houlette de l’archevêque Michel Mazarin (frère du cardinal) qui imagine un quartier baptisé « Mazarin » où les riches familles auraient des hôtels particuliers.
En 1715, François Rolland de Réauville, marquis de Cabannes demande à Robert de Cotte, premier Architecte des Bâtiments du Roi de lui ériger un hôtel particulier dans le quartier « Mazarin ». Le marquis de Cabannes est alors Président de la Cour des Comptes d’Aix-en-Provence. Il lui faut donc une demeure digne de son statut.
Il décède en 1745 sans que le chantier ne soit achevé. Ses héritiers le continuent mais sont contraints de vendre en 1758 à François de Bruny de la Tour-d’Aigues qui est un banquier et armateur de Marseille. L’hôtel devient Hôtel de Bruny.
Jean-Baptise de Bruny hérite en 1772 de la demeure de son père. Grand collectionneur, membre de l’académie de peinture de Marseille mais aussi botaniste, il y installe des œuvres d’art et des minéraux. L’hôtel de Bruny connaît des heures fastes. De somptueuses réceptions s’y tiennent, rassemblant la haute société d’Aix-en-Provence.
La révolution de 1789 sonne le glas de cette époque. L’hôtel particulier a été hérité par le fils de Jean-Baptiste de Burny qui décède dans la misère à Rouen des suites de la révolution. La fille de Jean-Baptiste, Pauline en hérite alors. Elle est l’épouse d’Amable de Seytres, marquis de Caumont. L’hôtel devient Hôtel de Caumont.
De cette union malheureuse avec le marquis de Caumont, Pauline de Bruny n’a pas eu de descendance. A sa mort en 1850, c’est son cousin Louis-Charles de Bruny qui en hérite. Jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, l’hôtel de Caumont va connaître de nombreux propriétaires successifs et son état va se délabrer.
Pendant la guerre, il est divisé en appartements où l’on cache des résistants. En 1964, il est racheté par le général Isenbart qui le restaure puis le vend à la ville d’Aix-en-Provence qui décide d’y abriter le Conservatoire de musique et de danse. L’hôtel est classé sur la liste des monuments historiques.
Le 6 mai 2015, il a réouvert ses portes après un minutieux travail de restauration, s’appelant désormais Caumont Centre d’Art. •
Photos et sources : Site officiel du Caumont Centre d’Art
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Livres • Léon Daudet, la critique sans moraline ... Lisez donc une bouffée de liberté !
Par Roland Jaccard
Une intéressante et brillante recension [Causeur, 25.06], venant d'un homme qui avoue sa méconnaissance initiale de Léon Daudet. C'est ainsi qu'il le qualifie de « collaborateur » de l'Action française, alors que Daudet en fut l'un des fondateurs, qu'il en a été le codirecteur, qu'il y donnait un article quotidien, qu'il en fut, par sa fougue, sa culture et son génie, un incomparable animateur. Sans-doute, encore, est-il incongru d'écrire qu'il ait jamais dit « merde à la patrie ». Ce n'était ni le genre ni l'esprit. Simplement, il était, en littérature, pour la plus grande liberté. De goût, de ton et de fond. Cela étant, cette lecture d'Ecrivains et artistes est digne à son tour d'être lue, y compris par les plus orthodoxes des fidèles de l'Action française. On en remerciera son auteur. LFAR
Un aveu d’abord : j’ai peu lu, pour ne pas dire rien, de Léon Daudet. Son nationalisme antisémite me rebutait. J’avais mieux à faire que de perdre mon temps avec un collaborateur de l’Action française.
Ce qui le sauvait néanmoins à mes yeux, c’est que Marcel Proust lui devait en 1919 le Goncourt pour À l’ombre des jeunes filles en fleurs. Léon Daudet disait merde à la patrie dès qu’il s’agissait de littérature et préférait le roman d’un juif dreyfusard mondain aux Croix de bois de Roland Dorgelès, pourtant ancien combattant. On peut être réactionnaire jusqu’à la moelle et pourtant juger de la littérature sans œillère.
Ses articles réunis sous le titre Écrivains et Artistes, certes datés, m’amènent à regretter d’être passé à côté de cet admirateur d’Henri Massis et de Charles Maurras. Ses rencontres avec Oscar Wilde sont particulièrement savoureuses.
Le rôle de l’écrivain n’est plus d’être déplaisant mais anxiolytique
Et c’est Jérôme Leroy qui, dans une préface étincelante, donne la mesure du talent généreux de Léon Daudet critique, un homme qui refusait de faire de la littérature une assignation, une citation à comparaître, un homme qui n’aurait jamais signé, comme la plupart des auteurs de Gallimard, une pétition pour licencier un auteur, en l’occurrence Richard Millet, pour incorrection politique.
Nous sommes arrivés au point – et l’élection de Macron en est un symbole – où il ne s’agit plus que de purifier l’atmosphère. Des flots de moraline coulent dans la presse et il est temps de procéder à un grand nettoyage de vos bibliothèques. Le rôle de l’écrivain n’est plus d’être déplaisant mais anxiolytique, d’abord et avant tout. Chacun, ironise Leroy, a assez ce soucis comme ça pour ne pas, en plus, s’angoisser en lisant un roman : « Le principal est de calmer, de distraire et surtout de filer droit dans les rails de la littérature calibrée au temps de l’économie spectaculaire-marchande. »
Léon Daudet ou la Corée du Nord
Cette forme de lâcheté et de cécité spirituelle m’excède autant qu’elle déprime Jérôme Leroy. Nous assistons, ébahis, à une forme de décérébration sans précédent qui finira par nous donner l’envie de nous installer en Corée du Nord pour juger des dégâts qui nous attendent.
J’exagère ? Certes. Le pire n’étant hélas jamais certain, ne nous privons pas des chroniques de Léon Daudet : c’est une bouffée de liberté. Et revoyons un des films préférés de Jérôme Leroy, Breezy avec William Holden et Kay Lenz. De qui ? De Clint Eastwood, évidemment ! •
Ecrivains et artistes de Léon Daudet, éditions Séguier, 2017, 28€
Roland Jaccard
Psychologue, écrivain, journaliste, critique littéraire, essayiste et éditeur -
Littérature • Au lendemain de sa mort, Léon Daudet vu par Thierry Maulnier
Thierry Maulnier (à gauche) parlant avec André Malraux (à droite)
« Il parlait comme on voudrait écrire, avec des illuminations saisissantes sur les hommes et les choses, des formules si fortes et si soudaines qu'on pouvait les dire inspirées.Il écrivait comme il parlait, avec l'abondance de la conversation, mais aussi la rapidité, les digressions, les reprises, la vivacité familière, une sorte de négligence seigneuriale.
Par hasard, je l'entendis un jour échanger quelques mots avec quelque personnage dont je ne sais plus le nom, et qui appartenait sans doute à l'espèce bien pensante. Il s'agissait du député communiste Vaillant-Couturier, dont Léon Daudet venait d'apprendre la mort : "C'était un charmant garçon", déclara-t-il ; mais...mais, bredouilla l'autre, surpris et quelque peu effrayé d'entendre parler ainsi d'un dangereux adversaire. "Oui, je sais, interrompit Léon, ave cette autorité naturelle que l'on n'oubliera jamais, il vous aurait fait pendre, cher ami. Et moi aussi, d'ailleurs. Mais, quelle importance ?"
Ce n'était pas là seulement la liberté d'esprit de Léon Daudet, sa générosité devant l'adversaire, sa joyeuse insolence et sa vigueur dans la formule. C'était là son style. C'est là le style...
Léon Daudet n'a pas seulement pratiqué tour à tour le roman, la critique, l'essai philosophique, la polémique politique, écrit toute la série des ouvrages qui font de lui le plus extraordinaire des mémorialistes de notre époque. Cet homme, pour qui écrire n'était pas seulement un métier, n'était même pas vraiment un métier, mais en même temps, par une contradiction paradoxale dont son équilibre superbe s'accommodait comme de beaucoup d'autres contradictions, un engagement total des forces torrentielles de sa nature, et le plus amusant des jeux ; il n'y avait pour ainsi dire pas de domaine étranger ou interdit : les figures de ses contemporains les plus vils et de la plus grande médiocrité et aussi les plus grandes et les plus pures de l'histoire, l'oeuvre naissante des écrivains nouveaux et celle de Shakespeare ou de Goethe, la poésie anglaise, la philosophie allemande et la littérature provençale, les anciens et les modernes, la peinture et la musique, Rembrandt et Picasso, Descartes et Proust, l'art et la vie, les formes et les couleurs sensuelles du monde et les vérités les plus hautaines, les joies les plus raffinées d'une civilisation exquise et les énigmes de la mort, le mysticisme et la science, la médecine et la table, tout lui était objet non seulement d'attention et d'étude, mais d'investigation rigoureusement personnelle et de découverte.
Son oeuvre restera. " Le Voyage de Shakespeare ", les " Souvenirs ", dans leur ensemble, " Paris vécu ", " Le courrier des Pays-Bas ", et, au-delà de ces maîtres-livres, les milliers d'éclairs et de feu qui brillent dans une oeuvre immense et incroyablement diverse, assurent à Léon Daudet, dans l'histoire de nos lettres, une place qu'on ne mesure sans doute pas encore.
Un des grands esprits de notre temps disparaît, et le crépuscule qui paraît grandir autour des choses de la pensée, dans une Europe livrée à de mortels délires, se fait un peu plus sombre. » •
Thierry Maulnier
L'Action française du 9 juillet 1942