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Feuilleton : Son "érudition intelligente" fait "des lecteurs reconnaissants" : Jacques Bainville... (8)

 

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 (retrouvez l'intégralité des textes et documents de ce sujet, sous sa forme de Feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)

Illustration : portrait de Jacques Bainville par Marie-Lucas Robiquet; couverture du "Jacques Bainville, La Monarchie des Lettres, Histoire, Politique et Littérature", Édition établie et présentée par Christophe Dickès, Bouquins, Robert Laffont (1.149 pages).

Aujourd'hui : Partir trop tôt... Bainville, Maurras : la dernière rencontre...

 

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Partir trop tôt...

Partir trop tôt...

Daudet est né le 16 novembre 1867; Maurras, le 20 avril 1868; Bainville le 9 février 1879.

Le plus jeune des trois amis mourut le premier :

- Jacques Bainville décéda le 9 février 1936, à 57 ans;
- Léon Daudet - le plus âgé d'un an, si on le compare à Maurras - le suivit six ans plus tard, en pleine guerre, le 1er juillet 1942, à presque 75 ans;
- Charles Maurras vécut encore dix ans, et mourut le 16 Novembre 1952, à 84 ans et demi...

 

Bainville Maurras : la dernière rencontre....

Bainville Maurras : la dernière rencontre....

 

Juste après la mort de Jacques Bainville, Arthème Fayard publie un recueil intitulé "Lectures".
La préface en est de Charles Maurras, qui commence par expliquer ce que représente cet ouvrage :


"...C'est en 1929, pour sa chère Revue universelle qu'à la manière des professeurs de notre moyen âge, Bainville a inventé de se faire "lecteur" et de publier, chaque mois, en alternant avec Massis, l'impression qu'il avait de ces grandes "lectures", qu'il faisait à longs traits..."

C'est à la fin de cette Préface que Maurras raconte, d'une façon très émouvante, la dernière rencontre entre ces deux amis...:

"...La dernière en date de ses "Lectures" est consacrée à cet auteur (La Bruyère, ndlr). Et l'aiguillon darde au plus vif. Quelle page ! Elle m'avait vivement frappé. À peine lue, j'en avais écrit à Bainville, ce qui arrivait rarement, parce que, au bon temps, nous nous voyions tous les jours. Mais, le lendemain ou surlendemain, de mauvaises nouvelles m'étaient arrivées. On m'avait parlé d'une crise. Avant donc d'aller au journal, je passai chez lui, mais sans demander à le voir. M'entendit-il ? M'attendait-il ? Il me réclama. Je le trouvai dans cet étroit petit lit qui devait recevoir l'empreinte de son dernier mouvement. Comment oublierais-je le profil si pareil, ce soir-là, à la belle gravure de Girieud, et découpant entre les pointes de l'oreiller, son mince trait décharné, simple signe du pur esprit, que fonçait, d'une ombre légère le magnifique mouvement de la chevelure, à peine ternie par l'âge moins que par le mal… Quelque dix-huit heures plus tard, j'allais assister à l'assaut de l'agonie finale, défaite et défense de tant de vigueur !… Tout semblait résister encore. Seule la voix, naturellement un peu sourde, avait faibli. Non la volonté. Non la pensée. Il voulait me répondre sur La Bruyère, les ancêtres de La Bruyère, et, parlant seul, d'affilée, sans une question qui l'interrompît de ma part, avec la liquidité et la limpidité d'un flot de cristal. Politique de la Bruyère, psychologie de cette politique ; la physiologie, peut-être, de ce fond secret d'opposant. L'aveu du côté peuple avait retenu Bainville. Il s'était reporté à la famille, aux traditions, à l'éducation probable ; un aïeul républicain catholique, l'un des Seize de la Ligue, obligé de sortir du royaume pour se dérober aux premières représailles, un foyer fondé hors de France… Faits, dates, citations textuelles coulaient dans un ordre parfait. Madame Jacques Bainville avait la bonté de tout me redire ; pour un mot oublié, qu'il eût lui-même mal choisi ou articulé de travers, ce prodigieux malade, ce mourant inouï rectifiait ou complétait. J'étais glacé par l'épouvante du pénible effort que rien ne nécessitait, et qu'au surplus rien n'avait trahi. Ce monologue sur La Bruyère dura près d'un quart d'heure.
L'admiration faisait trouver le temps trop court. L'angoisse l'allongeait effroyablement. Lui, alla jusqu'au bout. Il épancha toute la veine merveilleuse : critique, politique, moraliste, historien. Je mourais d'inquiétude. Il se tut. Je me retrouvai ivre d'espoir.
- À demain, dis-je.
Nous n'avons pas eu de demain."

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