Feuilleton : "Qui n 'a pas lutté n'a pas vécu"... : Léon Daudet ! (202)
(retrouvez l'intégralité des textes et documents de ce sujet, sous sa forme de Feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)
Aujourd'hui : ...qui s'achèvent en un immense éclat de rire !
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ndlr : ce sujet a été réalisé à partir d'extraits tirés des dix livres de souvenirs suivants de Léon Daudet : Paris vécu (rive droite), Paris vécu (rive gauche), Député de Paris, Fantômes et vivants, Devant la douleur, Au temps de Judas, l'Entre-deux guerres, Salons et Journaux, La pluie de sang, Vers le Roi...
De "Paris vécu", 2ème série, rive gauche, pages 76 à 81 (extraits) :
"...J'ajoute que nous avons, mon vaillant compagnon et moi, gardé tout le temps notre bonne humeur, notre appétit, et l'amour de la bonne littérature.
Nous n'avons pas récité de Valéry, mais nous nous sommes gargarisés de Banville, de Maurras, de Baudelaire, et de Verlaine.
Puis il y avait nos causeries politiques et philosophiques, et nos petits frichtis, surveillés de près par ma femme, embellis de harnais de gueule magnifiques, et que nous faisions durer le plus possible, avec le café et le riquiqui (Charente ou Armagnac), bien entendu.
J'ai initié Delest, qui aime la médecine, aux questions de la symbiose et de la tension électrique intracellulaire.
Il m'a appris le rôle essentiel du bois odorant dans la pipe et dans l'eau-de-vie.
Chaque matin, le cher M. Catry, directeur de la prison, coiffé de son képi à feuilles d'argent - insigne de sa fonction - venait s'informer de nos nouvelles, suivi d'un petit chien vif et joyeux...
Nous avions aussi la visite d'un bienveillant et spirituel aumônier, à la messe bien dite duquel, le jeudi de la Fête-Dieu, et le dimanche suivant, nous avons assisté.
Quant au jeune médecin de la prison, il m'a laissé le meilleur souvenir et j'ai pu apprécier l'étendue et l'acuité de ses connaissances...
Ainsi devisions-nous, Delest et moi, "regonflant des souvenirs divers", comme les nymphes de Mallarmé...
Delest est de Gascogne. Je suis un vieux Parisien. Nous avons, l'un et l'autre, l'expérience des trucs et des combines politiques.
Nous échangions nos impressions bien avant quelquefois dans la nuit.
J'ignorais tout du projet de délivrance.
On me l'avait caché parce qu'on craignait mon scrupule de nuire à un fonctionnaire aussi juste et droit que M. Catry.
Le fait est que j'eus ainsi la conscience plus libre pour manifester ma très vive satisfaction, mêlée de quelque étonnement, quand la porte s'ouvrit : "Messieurs, le Conseil des Ministres vient de signer votre mise en liberté immédiate."
Nous demandâmes ensemble, Joseph et moi : "Est-ce bien sûr ?"
- C'est certain, répondit le directeur. Je me suis assuré de l'authenticité du coup de téléphone libérateur. Dépêchez-vous, je vous prie, monsieur Daudet, afin d'éviter toute manifestation.
Je ris de bon coeur... Je dis à M. Catry : "Ne craignez rien, j'ai grand'hâte d'être dehors. Mais cela m'ennuie de laisser les alcarazas odoriférants de mon frère Lucien."
Je dus cependant les abandonner au voleur ou à l'assassin qui m'a succédé.
Le directeur continuait à me presser et à me talonner. "Je vous en prie, monsieur Daudet, on m'a fait trois fois la recommandation..."
En fin de compte, comme dans une pantomime, je bourrai mes effets dans mes valises, pêle-mêle, entremêlant ces préparatifs bousculés de poignées de main et de promesses, que je commence à tenir ici, à mes gardiens.
Les couloirs étaient pleins de personnel et de détenus, qui me paraissaient tous agréables et même délicieux.
Ce fut une sortie triomphale, et telle que les assistants ne l'oublieront pas de sitôt ! Il ne me manquait que de jeter des dragées, comme à un baptême.
J'aurais voulu laisser une somme pour le Syndicat des gardiens. Mais le directeur m'en dissuada, de sorte que ma dette vis-à-vis de ces braves gens demeure entière. Je ne l'oublie pas.
Dans un cortège impressionnant et rapide, nous arrivâmes à la salle de l'écrou où le personnel averti était sous les armes : "Inutile, messieurs, dans votre cas, la levée est automatique !"
Automatique, ô tomates, ô liberté, ô air pur et dézolaté ! Mais, ici, une première surprise : un gardien était allé chercher une "ouature", comme on dit à Paris. Qui vois-je sur le siège de ce taxi ? Un Camelot du Roi, un camarade de Philippe, que j'aime beaucoup et qui me le rend. Ca, par exemple, c'est de la veine ! "Tiens, qu'est-ce que tu fais là ?"
- Je passais dans la rue, alors voilà...
Cette explication laconique me parut aussi simple qu'en rêve.
La lourde porte grinça de nouveau, ouvrant une profondeur d'azur, où j'aurais voulu tremper mes mains et ma figure.
Ah ! mâtin, quel bleu, mon bon Kents, supérieur à celui de votre sonnet ! quel bleu, cher Angelico, supérieur à celui de vos anges ! quel bleu, ô Léonard, plus profond que celui de vos lacs et monticules, derrière vos saints ! quel bleu, ô ciel divin de Touraine !
Dans ma voiture avaient bondi quelques copains, chers entre les plus chers, mais qui, chose étrange, avaient la mine préoccupée. Puis de vingt en vingt mètres, le long d'un boulevard, apparaissaient des silhouettes connues et graves.
Là je me dis : "Tout de même, c'est drôle ! Une réunion est prévue quelque part et on veut en garder le secret. Mais combien ils sont sérieux tous !"
Alors... mais non, ici, chut, motus ! La suite est encore plus belle, et au-delà de tout ce que vous pouvez imaginer. Je vous la conterai une autre fois..."
Nous sommes le 25 juin 1927. Entré à la Santé le 13 juin, Léon Daudet et Joseph Delest n'y seront restés que douze jours : un invraisemblable et stupéfiant canulard a été monté - et réussi - par les Camelots du Roi, qui viennent de faire libérer Léon Daudet, et qui vont faire éclater de rire toute la France - et même au-delà des frontières...
Dans notre Catégorie "Grandes "Une" de L'Action française", voir :